Publication: Débat « une société sans argent » et quelques remarques préalables

A la suite, le contenu préparé à l’occasion du débat du 3 octobre 2015 à la Parole Errante sur Montreuil mais aussi les commentaires préparatoires de J.Wajnsztejn. La question de la rupture avec l’argent a souvent été débattue dans les années 70/80 par des groupes de l’ultragauche. Comme Temps critiques l’a ensuite exprimé dans « Crise financière et capital fictif » le développement du capital fictif s’exprime d’une façon structurelle et non conjoncturelle.
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La communauté humaine : une société sans argent ?

Définir d’une façon quelque peu précise ce que serait concrètement une société sans domination, sans argent que j’appelle « communauté humaine », a toujours constitué une tâche délicate.

Néanmoins, Je vais essayer d’ exprimer ce avec quoi je veux rompre pour en finir avec la société capitaliste que je définis par les termes « société capitalisée »1. Selon moi, il y a des points qui sont fondamentaux pour rompre avec la société capitalisée, ceux-ci seraient :

En finir avec la domination
En finir avec le rapport social basé sur la subordination, le travail/ ou le non travail
Retrouver un lien avec la nature/ remettre en question la société techno-industrielle
En finir avec l’échange marchand, ou avec tout autre équivalent général.

C’est sur ce dernier point, que nous allons centrer notre, réflexion.

Pour définir le monde auquel j’aspire, il y a très longtemps , je disais en premier abord qu’il fallait rompre de suite avec le salariat sans phase de transition. Je peux aussi ajouter que ce qui pourrait jaillir avec ce processus d’abolition du salariat serait un profond changement du rapport social, par conséquent sa fin, amenant les êtres humains à prendre en charge leur vie et bouleversant les fondements de celle-ci. Quelles sont les perspectives aujourd’hui qui pourraient nous permettre d’envisager un dépassement de ce monde. Comment pourrait naître la critique par rapport à celui-ci. Car aujourd’hui, le capital est total , dans le sens où il tend à capitaliser toutes les activités humaines y compris celles qui y échappaient en partie (cf.les sciences du vivant)..

Avec la fin des luttes prolétariennes s’inscrivant dans une perspective révolutionnaire, c’est le capital qui se fit révolution en cherchant à réaliser l’unité de son procès (cognitif, productif, commercial et financier). Par le biais de la révolution technologique et particulièrement des NTIC, il a envahi tous les aspects de notre vie, en miniaturisant les forces productives et en les rendant dans le même mouvement des objets techniques à consommer. Toujours le procès de totalisation du capital ! L’adhésion des dominés à ce système s’est confirmée avec le développement du « consumérisme », de la société de consommation. Du new deal aux 30 glorieuses, la vision du capital a été de ne plus considérer le dit prolétaire en tant que producteur mais aussi et surtout en tant qu’usager et consommateur dans la société capitalisée. L’ère du consumérisme, avec le mode de régulation fordiste des rapports sociaux s’effectue dans la phase de domination réelle du capital. Quelques mots sur ce concept, Invariance a développé à partir de l’analyse du sixième chapitre inédit du capital, une analyse des rapports entre domination formelle et domination réelle. Dans la domination formelle, le procès de travail est déjà soumis au procès de valorisation du capital (ce qui n’est pas le cas dans la phase antérieure de la petite production marchande). Le procès de travail est soumis au capital et le capitaliste entre comme dirigeant dans ce procès (Marx, un chapitre inédit du capital ed. 10/18 p.191) Le stade de production y est déjà proprement capitaliste, mais pas encore celui de la reproduction. Dans le cadre de l’analyse de Marx, c’est une phase de production de plus value absolue qui est au cœur de cette phase. Tout n’est donc pas capital dans cette phase .Cette phase peut être datée de la révolution industrielle jusqu’aux années 20 du 20ème siècle. Dans la phase de la domination réelle, la subordination directe du procès du travail au capital subsiste mais ce procès de travail perd progressivement sa prédominance au profit d’un procès de plus en plus abstrait et rendu indifférent à toute forme particulière de travail ce qui bien sûr modifie la structure et les conditions de ce dernier. Un processus qui va atteindre son plein développement dans la restructuration entrepreneuriale des années 80. La domination du capital devient totale dans le sens où tendanciellement tout à vocation à devenir capital. Dans cette forme, c’est le capital fixe qui devient dominant à travers, entre autres, l’intégration de la techno-science au procès de production. Le capital se présente comme la source de la survaleur : le profit efface la plus value. C’est donc une phase de développement de la techno/science. Le travail devient « inessentiel » dans le procès de valorisation, un maillon de la chaîne parmi d’autres du processus d’ensemble.

Sur la théorie de valeur/travail

La théorie de la valeur/travail de Marx ne voyait la richesse que dans le travail, alors qu’aujourd’hui c’est la valeur en tant qu’abstraction qui prédomine. Le capital est valeur qui s’auto valorise . La valeur s’autonomise de plus en plus du travail vivant ( tendance à l’inessentialisation du travail vivant dans le procès de valorisation). La dynamique du capital n’est plus tirée principalement par une dialectique des rapports antagonistes capital/travail mais par la place prépondérante prise par le travail mort (machines, robotisation, informatique) sur le travail vivant et par l’intégration de la techno-science dans le procès de production. La précarité, le chômage, la flexibilité, confirment l’inessentialisation de la force de travail car la force de travail est en « trop » dans la mesure où elle n’est plus au centre de la valorisation. Par ailleurs, on assiste à une création d’activité nécessaire pour le développement du capital (notamment dans les »services ») ne constituant pas du travail productif au sens de l’économie classique de Marx. Il n’empêche que l’autonomisation de la valeur par rapport au travail vivant ne peut que déboucher vers la créations d’activités nouvelles mais nécessaires qui brouillent les sources de la valorisation. Tout le travail devient productif… pour le capital ! et la valeur semble de plus en plus évanescente2. Il y a donc désubstantialisation de la valeur. La valeur tend à n’être plus qu’une forme, une représentation, c’est le capital qui la domine en devenant totalitaire , dans le sens où il a tendance à tout réduire à lui-même. Il n’y a pas opposition entre capital abstrait (financier) et concret (industriel comme le voient les altermondialistes ou autres dits « anti capitalistes » mais bien unité entre ces deux formes du capital). Il n’y a pas de dissociation entre économie réelle et économie financière mais un procès de totalisation du capital avec des réseaux de puissance consistant à faire fluidifier les capitaux de par le monde. De par sa capacité de fluidité de par le monde, la monnaie se désubstantialise au même titre que la valeur.

L’emprise de la techno/science

Avec l’emprise de la techno/science, le capital devenant « total », il se fait totalitaire au sens où il réduit toutes les activités à une activité de capitalisation alors même qu’il se présente comme la source de nouvelles libertés/possibilités, des plus insignifiantes jusqu’à celles plus fondamentales, qui pourraient conduire à l’utopie d’une sortie de la nature. Le capital se reproduit de plus en plus vite, il devient fictif, virtuel ; il remodèle la nature et l’activité humaine dans tous ses aspects. Financiarisation et fictivisation du capital sont les caractéristiques du mode de fonctionnement actuel du capital. Le capital fictif devient un élément majeur dans l’apport de liquidités et de flux financiers servant à relancer l’économie comme on a pu le voir dans le new deal. L’ère keynésienne a eu recours au capital fictif provoquant aussi l’endettement des états, des entreprises, des banques d’affaires par rapport aux banques centrales mais aussi le redémarrage des économies. A partir des années 80, l’augmentation de la dette des états a été concomitante du développement du capital fictif. La dette des états est un moyen par lequel les états les plus puissants font « fonctionner » leur économie. En effet, plus un état emprunte plus il est riche car il capte de la richesse par ce biais. Les Etats-Unis en sont un exemple concret, pays le plus endetté parce qu’il est le plus puissant. Le capital utilise donc le crédit d’une façon structurelle ! L’utilisation de la monnaie fiduciaire ainsi que le crédit ont accentué la dématérialisation de l’argent. La création du capital fictif n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Le capital, c’est la valeur en procès, et la valeur c’est du capital en procès. L’accumulation se fait bien en dehors de la sphère productive et celle-ci correspond à de la valeur fictive.

Le capital n’épargne rien, ni personne. Jacques Camatte à la fin des années 70, parlait d’anthropomorphose du capital, le capital se faisant homme ; et aussi l’homme est « capitalisé ». Cela signifie que la société du capital ne se caractérise par seulement par le fait de « marchandiser » mais aussi par imposer ses propres « valeurs » qui ne sont pas uniquement celles de « l’avoir plus en argent ». A titre d’exemple, il ne s’agit pas simplement d’avoir plus d’argent, mais aussi et surtout d’avoir plus de puissance. En particulier, pour le capital global sa puissance se démontre par ses tentatives de gagner plus en fluidité et rapidité de circulation même s’il doit pour cela faire des coupes dans toutes les activités qui l’immobilisent avec pour démonstrations actuelles les constantes délocalisations et la flexibilité du travail qui accompagne la mobilité accrue du capital. avec pour démonstrations actuelles les constantes délocalisations et la flexibilité du travail rendant la force de travail de moins en moins essentielle dans le procès de production.

Dans la mesure où le capital est « tout » et s’accapare de tout, de quelle façon pourra t-on entrevoir une rupture avec cette société capitalisée ? Dans l’immédiat, je parlerai en termes de rupture théorique, c’est-à-dire qu’il est important que sur le plan théorique on sache de quelle façon on envisage la rupture. Des mesures radicales sont primordiales pour mettre fin au capital et ceci sans période de transition sinon on retombe encore dans les vieux schémas (gestion de la transition, autogestion, bureaucratisation, état).

N’étant pas le fruit d’une classe ayant une mission à effectuer, la révolution ne se ferait non pas au nom d’une classe, mais à « titre humain ».

Je voudrais citer quelques passages de Moses Hess sur l’argent (datant de 1844/ Catéchisme communiste) :

_Qu’est ce que l’argent ? c’est la valeur exprimée en chiffres de l’activité humaine, la valeur d’échange de notre vie.

L’activité des hommes peut-elle être exprimée en chiffres ? L’activité humaine, pas plus que l’homme lui-même n’a de prix, car l’activité humaine est la vie humaine que ne peut compenser aucune somme d’argent, elle est inestimable

Que devons déduire de l’existence de l’argent ? Nous devons en déduire l’existence de l’esclavage de l’homme ; l’argent est le signe de l’esclavage de l’homme puisqu’il est la valeur de l’homme exprimée en chiffres.

Combien de temps les hommes resteront-ils encore esclaves et se vendront-ils avec toutes leurs facultés pour de l’argent ?

Ils le demeureront jusqu’à ce que la société offre et garantisse à chacun les moyens dont il a besoin pour vivre et agir humainement, de telle sorte que l’individu ne soit plus contraint à se procurer ces moyens par sa propre initiative et dans ce but à vendre son activité pour acheter en contre partie l’activité d’autres hommes. Ce commerce des hommes, cette exploitation réciproque, cette industrie qu’on dit privée, ne peuvent être aboli par aucun décret, ils ne peuvent l’être que par l’instauration de la société communautaire, au sein de laquelle les moyens seront offerts à chacun de développer et d’utiliser ses facultés humaines.

Ceci dénote qu’au 19ème siècle, chez nombres d’éléments que l’on peut qualifier de radicaux pour l’époque, la question de la rupture avec l’argent était cruciale.

Avec la généralisation des rapports marchands et le développement du capitalisme, les rapports humains furent déterminés par l’argent. L’argent engendre des états de conflits, de concurrence entre les individus dont la frustration par rapport à la pauvreté des relations humaines est compensée par l’envie de consommer. Avec la mercantilisation des activités humaines, les rapports humains ne semblent plus dépendre des hommes mais sont déterminés par un symbole : l’argent. Cependant, aujourd’hui la société du capital est allé au delà des rapports de consommateurs (achat/vente) en intensifiant les flux, les « connectés » de par le monde ; elle œuvre davantage vers un monde où les individus sont atomisés, fascinés aussi par un monde virtuel (développement de l’image) où des machines remplacent les humains (voir développement des robots). La techno-science contribue à bouleverser les rapports sociaux et crée un monde de « connectés » où l’être humain perd le lien avec la communauté. Les NTIC obsédés par leurs volontés d’accroître leur flux et leur vitesse de par le monde participent à la destruction du lien social opéré depuis quelques décennies.

La communauté humaine auquel j’aspire, ne serait selon moi une société de production dans le sens où l’activité humaine serait certes basée sur l’assouvissement de nos besoins alimentaires mais serait aussi et surtout l’expression de nos créations, au sein de la communauté. L’échange de produits ne serait pas fondamental. Ce qui est crée n’est pas forcément échangeable (s’il y a échange, je parle d’échange non marchands) mais cependant pourra être utilisé ou pas utilisé en fonction des intentions de chacun.

Avec la fin du rapport marchand, disparait la domination du produit sur la production. Le fait de créer n’entraine pas de possession sur un objet, l’activité de la communauté humaine ne serait basée sur la production/consommation. L’attrait de tel ou tel objet proviendra de sa « nécessité « mais non d’une valeur. C’est aussi la disparition du producteur/consommateur. En finir avec l’argent et la domination, c’est aussi en finir avec les séparations qui sectionnent nos vies : producteur ou improductif, chômeur, consommateur ; en finir la notion de temps de travail/temps de loisirs. En étant partie prenante de l’activité humaine, on ne se sentirait ni producteur, ni consommateur mais acteur dans la transformation de l’activité humaine. Les individus s’associeraient en fonction de leurs affinités, pour des tâches communes sans parcellisation.

En finir avec la domination, c’est en finir avec les antagonismes / rivalités, compétitions entre individus où l’autre serait une complémentarité, un enrichissement mutuel. La fin de la domination, de l’argent permettra des relations plus fraternelles entre les êtres ou chacun pourra être seul ou avec les autres. Aujourd’hui l’échange, la valeur, le mouvement de reproduction du capital uniformisent nos vies : alimentation aussi « globalisée de par le monde », similarité de l’urbanisme à travers le monde, culture globale, enseignement de plus en plus identique dans différents pays. L’aspect de la culture nationale ne correspond plus à grand-chose. A un moment de son histoire, le capitalisme a trouvé en la nation le cadre le plus approprié pour son développement (c’est avec ce cadre, que des millions de dominés ont été mystifiés et sacrifiés par des guerres mondiales, nationalistes ou autres) cependant aujourd’hui, la situation est toute autre, le capital tend à s’en débarasser car ce qu’il lui importe c’est sa fluidité, sa propagation, ses réseaux…bref son caractère global !

La communauté humaine, avec la révolution à titre humain serait donc universelle et locale aussi par son mode de vie. Concrètement, on se doit de rompre avec les notions de territoires, de nation et évidemment de l’état. La communauté humaine mondiale nous permettrait de nous déplacer où l’on veut sans avoir à présenter de papier. Il n’y aurait plus de frontières culturelles ou étatiques, les différences entre communautés constitueraient une ouverture vers l’autre ; l’individu pourrait rejoindre un lieu de vie sans que l’origine de sa naissance soit une entrave à son intégration.

L’aspiration à la communauté humaine à un monde sans argent pourrait naître de l’envie de vivre d’autres rapports entre les êtres qui ne supporteraient plus d’être réduit à la fonction de producteur ou non producteur du capital. Les êtres humains ne seraient plus appelés producteurs car la société ne serait déterminée par des fonctions sociales. Il y aurait une utilisation collective ou personnelle de ce que produit la communauté. La priorité du partage remplacerait la constante de l’échange. Les êtres humains s’associent pour accomplir telle ou telle action, partager tel plaisir ou telle émotion ou répondre à une aspiration de la communauté sans qu’il y ait une structure hiérarchisée qui régente cela. Avec l’abolition de l’argent et de la marchandise, il existerait un contrôle conscient des êtres humains sur leur propre activité, au travers des relations et interactions existant entre eux et le reste de la nature.

La communauté humaine serait une société où la première richesse résiderait dans les relations humaines basées sur la convivialité et l’entraide.

Juin 2015
Bruno Signorelli
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Quelques remarques sur le projet de débat autour de la question d’un monde sans argent

Cette question a déjà fait l’objet de nombreux textes et débats au début des années 1970 sous l’impulsion de revues-groupes comme Quatre millions de jeunes travailleurs puis La guerre sociale pour ne citer qu’elles. Sans me prononcer directement sur les idées exprimées à l’époque on peut tout de même noter que le contexte de révolte avancée contre l’ordre général des choses, à un niveau international qui plus est, permettait au moins de ne pas poser une abstraite puisqu’elle pouvait même apparaître comme dans l’air du temps avec la critique idéologique de la « société de consommation » qui rencontrait un écho certain dans de larges couches de la population et particulièrement chez les jeunes.

Il faut toutefois reconnaître que cette critique était le plus souvent bornée par son horizon théorique de classe qui la conduisait à ne concevoir la question qu’à l’intérieur du « programme prolétarien » révolutionnaire, par exemple en exhumant les vieux textes conseillistes sur les bons de travail ou La critique du Programme de Gotha de Marx ou en essayant de sauver la valeur d’usage au détriment de la valeur d’échange cause de tous les maux ; une perspective que l’on retrouve encore dans des textes libertaires contre l’argent où le terme d’utilité semble servir de recette miracle pour la production et celui de distribution des richesse (« tout est à nous, rien n’est à eux ») de sésame pour l’échange. D’ailleurs, les plus extrêmes dans ce qui reste de gauche communiste en restent souvent à l’idée d’un communisme réalisant la suppression de l’échange et des échanges sous-entendant plus ou moins que tout échange est marchand, ce qui est pourtant un credo libéral et pour le coup signale une méconnaissance absolue des premières formes d’échanges3.

Bref la réflexion portait encore sur ce qui se passerait dans une phase de transition au communisme, dans le « socialisme inférieur » comme disent les marxistes orthodoxes. Certains, moins orthodoxes ou moins ouvriéristes en tout cas, couplaient ça avec une référence marquée au « communisme primitif » qui aurait été pratiqué dans des premières formes de société (les « sociétés primitives »). C’était un peu notre eschatologie à nous digne pendant de l’amour qu’éprouvaient nos ethnologues et anthropologues pour leur objet d’étude (cf. les gentils Arapesh de Margareth Mead), Ces références étaient en tout cas plus réjouissantes que celles défendues par les différentes catégories de staliniens sur la patrie du socialisme ou l’orient rouge et permettaient de maintenir une perspective utopique pour qui le socialisme réel faisait figure de repoussoir. Mais cette référence au « communisme primitif » relevait d’une incantation politique optimiste dans un contexte où tout semblait pouvoir changer sans que l’on puisse ou doive exactement plaquer « le programme » et permettait aussi de donner une note un peu hédoniste à la chose qui tranchait avec les slogans triviaux des maos du style « la révolution ne se fait pas en tenue de gala » ou autres métaphores du même tonneau. Mais bien vite des chercheurs militants comme Clastres montrèrent que même des « sociétés contre l’État » pouvaient être féroces et n’avoir rien d’égalitaire ou de communiste alors que d’autres (MAUSS) dénoncèrent la légende du troc fabriquée par les économistes et relativisèrent les pratiques du don transformées en idéologie anti-capitaliste avant la lettre.

Le retour aujourd’hui de cette vieille antienne sur les sociétés primitives est d’ailleurs étonnante et elle me semble se situer dans la même absence de références aptes à affronter le cours actuel des choses qu’il y a plus de quarante ans. Mais dans un tout autre contexte qui est celui de notre défaite et d’un grand pessimisme par rapport à nos possibilités d’agir sur ce cours actuel. L’intérêt pour les sociétés primitives fonctionne alors dans la gauche radicale et chez les libertaires comme un passé-futur sans présent. En attendant, poser aujourd’hui la question de la possibilité d’un monde sans argent me paraît à la fois daté et une façon complètement abstraite d’aborder les questions de la valeur, des prix, de la gratuité … et celle de la monnaie qui doit, à mon avis être distinguée de celle de l’argent au niveau théorique mais distinction qui ne pourra être mise au grand jour et mise ensuite en pratique que dans le cadre d’une gigantesque crise monétaire (et non pas financière) dont on est encore loin tant la position du dollar est solide à court et moyen terme. En attendant, tout cela est brouillé par le fait que la monnaie n’apparaît plus directement sous sa forme argent mais avant tout comme un instrument de communication sociale (la monnaie est un langage dit Aglietta). Une circulation d’information censée garantir le passage du présent au futur.

Ce qui se passe en Grèce est d’ailleurs symptomatique de cette stabilisation monétaire quand les institutions européennes pourtant très réfractaires au projet du nouveau gouvernement grec, ont empêché un écroulement d’une monnaie commune internationale alors que le repassage à la monnaie nationale aurait rapidement fait perdre toute valeur à la drachme, ce qui aurait alors posé le problème d’une Grèce sans argent mais isolée et sans perspective communiste (la Grèce actuelle n’est pas la Catalogne ou l’Andalousie d’hier ; elle n’est pas non plus « le monde »). La conséquence n’en est pas la même. Dans le premier cas, celui qui s’est produit pour le moment, le maintien de l’euro et donc de la monnaie-argent a conduit à une forte hausse des prix mais pas à sa mise hors jeu. Dans le second cas, qui n’est pas inenvisageable à terme, l’écroulement de la valeur argent de la monnaie conduirait forcément à sa remise en cause partielle ou totale.

C’est a contrario cette absence d’élément stabilisateur qui a permis que se développe en Argentine, au début des années 1980, des « clubs de troc ». « Monnaies fondantes » et monnaies locales sont de même ordre. Elles sont de l’ordre de la reproduction immédiate de rapports sociaux marchands traditionnels qui ne sont plus reproduits pour une raison quelconque. Ainsi, le développement des SEL indique que le procès global de valorisation tendant de plus en plus à secondariser le procès de travail vivant (inessentialisation de la force de travail), sa réalisation sous forme monétaire n’irrigue plus suffisamment le rapport social dans son ensemble. La demande non solvable (une catégorie virtuelle de l’économie politique à laquelle le crédit et la société de consommation a donné corps depuis) s’invente de nouvelles médiations et instruments d’échanges.

D’une manière générale, avec la « révolution du capital » il s’agit bien d’une sorte de réalisation du « socialisme inférieur », non pas par la suppression de l’argent pour réaliser le « De à chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins », mais par sa généralisation et sa banalisation sous des formes de plus en plus abstraites : dématérialisation de la monnaie qui ouvre la voie à la consommation de masse et en masse en masquant la valeur du prix, crédit à vie (et non pas « crédit à mort » !) qui permet de reproduire le tout, revenus sociaux intégrés comme leur nom l’indique, etc.

On est bien loin du fétichisme de l’argent quand la consommation apparaît comme une manne de produits disponibles qui se déversent quasi automatiquement, certes de façon très inégale mais sur une base minimum toujours plus haute. À la limite, on pourrait dire que le fétichisme ne réapparaît que dans le manque de ceux qui sont poussés dans les marges par le rouleau compresseur des restructurations économiques, la crise du travail, les nouvelles situations sociales créées par l’éclatement du modèle familial et les nouvelles mesures d’intervention de l’État qui se déplacent de l’assurance vers l’assistance.

J.Wajnsztejn
Cf.Temps critiques n°15 et le vol IV de l’anthologie des textes de la revue La société capitalisée L’Harmattan 2014. [↩]
Cf. J.Guigou et J.Wajnsztejn L’évanescence de la valeur, l’Harmattan , 2004. [↩]
Sur ce point, on peut se reporter à l’article de B. Pasobrola « Remarques sur le procès d’objectivation marchand » dans le n°15 de la revue Temps critiques, 2010, p. 125 à 136, disponible sur le site de la revue à l’article … Cf. aussi les thèses de Testard sur la valeur non marchande, les fonctions symboliques de la monnaie etc. [↩]

source de l’article blog temps critique

on peut signaler sur ce blog un autre texte:Retour sur le débat « une société sans argent ? »

Temps de guerre & terrorisme d’Etat : mise en place d’un dispositif

Lors d’une allocution prononcée en direct à la télévision, François Hollande a annoncé la fermeture des frontières et l’instauration de l’état d’urgence sur le sol français après les attaques qui ont frappé l’agglomération parisienne, vendredi 13 novembre, et à un peu plus de deux semaines de l’ouverture de la conférence sur le climat (COP21) au Bourget, au nord de Paris, où sont attendus des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernement. :

Communiqué officiel à l’issue du Conseil des ministres
(extrait, site de l’Elysée, 14 novembre)

Le Conseil des ministres, convoqué par le Président de la République, s’est réuni le 14 novembre à 00h. Sur le rapport du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et de la Garde des sceaux, ministre de la justice, un décret déclarant l’Etat d’urgence a été adopté. Il prend effet immédiatement sur l’ensemble du territoire métropolitain et en Corse. Il permet notamment d’interdire la circulation des personnes et d’instituer des zones de protection et de sécurité.

Un second décret a également été adopté pour mettre en œuvre des mesures renforcées dans l’ensemble des communes d’Ile-de-France. Ces dispositions permettent l’assignation à résidence de toute personne dont l’activité est dangereuse, la fermeture provisoire des salles de spectacles et des lieux de réunion, la remise des armes et la possibilité de procéder à des perquisitions administratives.

Par ailleurs, le Président de la République a décidé le rétablissement immédiat des contrôles aux frontières. Les services des douanes sont également mobilisés à cet effet.

Les écoles, lycées et établissements scolaires et universitaires seront fermés ce samedi en Ile-de-France et les voyages scolaires annulés. (…)
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Des moyens renforcés en Ile-de-France

Le Parisien, 14 Nov. 2015, 01h55

A l’issue d’un conseil des ministres exceptionnel réuni cette nuit à l’Elysée, auquel participaient tous les membres du gouvernement sauf trois -dont le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian-, plusieurs mesures de sécurité ont été prises. Au-delà de l’état d’urgence, décrété pour la troisième fois dans l’histoire de la Ve République, un décret prévoit des moyens renforcées en Ile-de-France. Tous les établissements scolaires et universitaires seront fermés ce samedi dans la région. Les voyages scolaires sont annulés. 1 500 militaires supplémentaires ont d’ores et déjà été mobilisés.

Ce décret permet également d’assigner à résidence toutes les personnes considérées comme dangereuses. En cas de nécessité, les salles de spectacle et de réunion de la région pourraient également être fermées. Le décret autorise également les perquisitions administratives. Pour faire face au carnage, le plan blanc a été deployé dans les hôpitaux. Les cellules d’aide aux victimes des ministères de la justice, de la santé et des affaires étrangères ont été activées.
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Attaques à Paris : ce que veut dire la déclaration d’« état d’urgence » en France

Le Monde | 14.11.2015 à 00h33

Instauré par par la loi du 3 avril 1955, révisée par la loi de renseignement de mars 2015,

« l’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ou des départements d’outre-mer, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».

L’état d’urgence est déclaré par décret en conseil des ministres et ne peut être prolongé au-delà de douze jours que par la loi.

La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir aux préfets de département :

d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté ;
d’instituer, par arrêté, des zones de protection ou de sécurité où le séjour des personnes est réglementé ;
d’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne cherchant à entraver, de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ;

Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire, et le préfet, dans le département, peuvent :

ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature ;
interdire à titre général ou particulier les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

Le décret déclarant ou la loi prorogeant l’état d’urgence peuvent :

conférer aux autorités administratives le pouvoir d’ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ;
habiliter les mêmes autorités à prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales.

Les précédentes déclarations d’état d’urgence

Appliqué en Algérie après la promulgation de cette loi, l’état d’urgence a été prorogé par la loi du 7 août 1955 pour six autres mois. Il n’avait été appliqué en métropole qu’à trois reprises jusqu’à présent : après le retour au pouvoir du général de Gaulle, le 13 mai 1958, pour faire face à un éventuel coup de force ; en 1961, après le « putsch des généraux » ; et en novembre 2005, deux semaines après le début des émeutes urbaines.

Le gouvernement de Laurent Fabius a décrété l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie en décembre 1984. Une loi a conféré au Haut-commissaire de la République de ce territoire, jusqu’au 30 juin 1985, les pouvoirs dont dispose le préfet en France métropolitaine.
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Paris, nuit du 13 au 14 novembre 2015 : mise en place d’un dispositif

(Le parisien, 20Minutes&Figaro)

5h46. Des stations de métros restent fermées ce samedi matin sur L3,4,5,8,9,11

03:43 : 61 point de passages transfrontaliers dont 15 des principaux aéroports français font désormais d’un contrôle systématique.
[Rappel : dans le cadre de la COP21, le ministère de l’Intérieur avait déjà annoncé le rétablissement des frontières du 13 novembre au 13 décembre, décrit ainsi (Le Parisien 07 Nov. 2015, 08h19) : 285 points de passage autorisés (PPA), qu’ils soient terrestres (202), aériens (82 aéroports et aérodromes) ou maritime (1), tous situés en métropole, seront surveillés par la police aux frontières et les douanes, en particulier sur les frontières nord (axes en provenance du Benelux) et sud-est (près de l’Italie). Ceux-ci ont été choisis en concertation avec les pays limitrophes. La terminologie policière est trompeuse : les points de passage autorisés ne relèvent pas nécessairement de lieux fixes tenus de jour et de nuit, à l’image des anciennes barrières des douanes. Il s’agit souvent de zones ou de sites surveillés ponctuellement par des patrouilles mobiles, chargées d’effectuer des contrôles aléatoires ou ciblés, dans des créneaux horaires sensibles. »

03h40 : Le commerce avant tout
. Air France maintien ses vols de et vers la France

03h20 : La totalité des effectifs du 36 quai des Orfèvres a été rappelée afin de procéder aux constations et témoignages, soit 200 personnes. À cela s’ajoutent 800 policiers de voie publique de la préfecture de police et 46 équipages, soit environ 150 personnes venant des effectifs de la grande couronne venus en renfort pour assurer la sécurisation, la protection et les patrouilles de voie publique dans la capitale. Trois escadrons de gendarmerie mobile ont été projetés soit en tout 200 personnes, ainsi que trois compagnies de CRS, en tout 300 personnes sont également présentes afin de tenir les axes autoroutiers entrants et sortants de l’A6 et l’A4.
450 hommes de la Brigade des sapeurs pompiers de Paris (rappel : ce sont des militaires) sont en action épaulés par 4 colonnes – soit 280 personnes – issues de brigades hors de Paris.

02h45 Plus de 1.500 militaires sont désormais déployés dans les rues de Paris, en renfort des forces de police qui sont déjà très mobilisées.

02h29 : Les mariages sacrés de mairie de Paris. La mairie de Paris vient d’indiquer sur Twitter la fermeture, samedi, de tous les équipements de la ville : Ecoles, musées, bibliothèques, gymnases, piscines, marchés alimentaires. « Annulation des manifestations et fermeture de toutes les mairies d’arrondissements, seules les permanences E.Civil et Mariage seront ouverts » (Mairie de Paris)

2h17. « Rétablissement des contrôles aux frontières » mais pas de « fermeture », comme l’avait annoncé Hollande. L’Elysée vient de rectifier le tir. Autrement dit les citoyens européens pourront continuer à circuler en France s’ils viennent d’un pays de l’espace Schengen, mais ils seront soumis à un contrôle. A propos du rétablissement des contrôles aux frontières (et non la fermeture comme d’abord annoncé par François Hollande), le quai d’Orsay précise que « les aéroports continuent de fonctionner. Les liaisons aériennes et ferroviaires sont assurées ».

1h53. Un bilan plus précis fait état de 70 victimes au Bataclan. 120 morts en tout. Un bilan provisoire.

01h50 Alors que la situation est encore très floue à Paris, la préfecture de police maintiens ses consignes de sécurité : « rester chez soi ».

1h50. Une dizaine de bus RATP ont été réquisitionnés.

01h47 : Les députés appellent à l’union nationale. « Nous en appelons solennellement à l’union nationale pour permettre à notre pays de se rassembler et faire face à cette terrible épreuve », ont écrit Claude Bartolone, Bruno Le Roux (PS), Christian Jacob (LR), Philippe Vigier (UDI), Roger-Gérard Schwartzenberg (PRG), Cécile Duflot et Barbara Pompili (écologiste), André Chassaigne (Front de Gauche)

01h32 : « Toutes les manifestations de voie publique sont suspendues jusqu’à nouvel ordre » (Préfecture de police).

1h30. Plusieurs lignes de bus de nuit sont interrompues en Ile-de-France. RATP Noctilien interrompu : N11, 12, 13, 14, 15, 16. La préfecture annonce également que les lignes de métro 3, 5, 8, 9 et 11 sont « coupées ». Le trafic est très perturbé sur de nombreuses autres lignes, notamment sur le RER B, indique le site de la RATP.

01:17 La préfecture de police met en place des numéros pour recueillir des appels à témoins.

01h05. Facebook vient de lancer une fonctionnalité spéciale à destination de ses utilisateurs se trouvant à Paris. Chaque personne située dans la zone à risque peut indiquer si elle est en sécurité, ce qui envoie automatiquement une notification à ses amis. Cette fonction avait été lancée à l’occasion du séisme qui s’est produit en avril au Népal.

00h40 : Le PS et le FN annoncent qu’ils suspendent leurs campagnes aux élections régionales

00h36. Les établissements scolaires fermés demain. En Ile-de-France établissements scolaires et universitaires fermés samedi, annonce le rectorat de Paris.

23h58. 200 militaires sont envoyés en renfort dans le Xe et le XIe arrondissement de Paris. La préfecture de police recommande sur Twitter aux personnes qui se trouvent en Ile-de-France « d’éviter de sortir sauf nécessité absolue » après les attaques simultanées à Paris. « Fusillades à Paris, nous vous invitons à ne pas sortir de chez vous en attendant les instructions des autorités » (mairie de Paris sur les panneaux publics d’affichage électronique)

23h55. Le président Hollande déclare l’état d’urgence et la fermeture des frontières françaises : « Deux décisions seront prises au cours d’un conseil des ministres extraordinaire. D’abord, l’état d’urgence sera décrété. Certains lieux seront fermés, la circulation pourra être interdite et des perquisitions seront ordonnées. Deuxième décision, la fermeture des frontières. Nous devons nous assurer que personne ne pourra rentrer [dans le pays] ».

23:51 La Mairie de Paris appelle les habitants à rester chez eux

23:49 Le parquet antiterroriste se saisit de l’enquête

23:42 Le plan Rouge Alpha en cas de multi-attaques a été déclenché. Tous les lieux sensibles sont placés en alerte.

22h20-22h50 : six attaques coordonnées contre des foules à St Denis (devant le stade de France contre les clients de McDonald’s) et dans l’est parisien (terrasses de bars, restaurants, salle de concert, voitures en circulation des 10e et 11e arrondissements) : rue de Charonne (un bar), rue Alibert/Bichat (un bar et un resto), rue de la Fontaine-au-Roi (une pizzeria), bd Beaumarchais (le Bataclan). Plus de 120 morts et 200 blessés.

source Brèves du désordre

Je/ne/fais/que/mon/travail

« Je puis dire que, conformément à mon serment, j’ai obéi aux ordres que l’on m’a donnés; j’ajoute que durant les premières années, je n’ai eu aucun complexe ni conflit intérieur. J’étais assis devant ma machine à écrire et je faisais mon travail. »

Aucun pouvoir ne pourrait exister s’il n’opprimait pas. Ou mieux formulé, tout pouvoir doit opprimer. C’est dans son essence même d’écraser la liberté de l’homme. Pourtant, ses rouages ne sont pas uniquement composés d’assassins et de dictateurs, de tortionnaires et de militaires. Si l’on convient que la prison, au-delà de toute fonction qu’on pourrait l’attribuer, est un lieu de souffrance où le pouvoir fait peser son plein poids sur l’individu enfermé (personne, même pas le plus tyrannique, ne peut prétendre que la liberté et la dignité de l’homme restent actives à l’intérieur d’une cellule), on doit logiquement la ranger parmi toutes les horreurs très visibles du pouvoir.

C’est l’appareil répressif de l’État : armée, police, frontière, prison.

Mais si on reconnaît le soldat qui exécute les ordres d’aller tuer à son uniforme, les autres rouages du pouvoir ne se distinguent pas forcément en portant le kaki de l’assassin professionnel ou le bleu foncé du défenseur de l’ordre étatique. L’ingénieur, assis derrière son ordinateur, établit des schémas techniques pour un nouveau bâtiment. L’architecte use de toutes ses connaissances en la matière pour créer, depuis le néant, les plans de la nouvelle structure à ériger. Le maître de chantier se charge de l’organisation des travaux, calcule les temps nécessaires, place les équipes des ouvriers. L’ouvrier qui verse le béton, l’électricien qui installe les circuits,… Tous font leur travail. Tous gagnent leur pain. Tous obéissent aux ordres et répondent aux demandes. Tous participeront à la construction de la maxi-prison.

Quelqu’un a posé la formule suivante pour caractériser l’ère contemporaine : « Tout homme a les principes de la chose qu’il possède. » Si on considère que posséder des choses équivaut à l’activité que nous déployons, on comprend que, quelles que soient les circonstances, quels que soient les rapports qui nous entourent et influencent, on ne peut pas se débarrasser définitivement de toute responsabilité dans ce que nous faisons. Ce que je fais caractérise aussi qui je suis. Notre ère mystifie ce rapport entre agir et être. On fait des choses qui ne correspondent, en fin de compte, pas à ce que nous sommes ou voulons être. Cette mystification nous déshumanise, dans le sens où plus on fait des choses qui ne nous correspondent pas, plus on devient comme les choses que nous faisons.

Si on applique ce raisonnement aux attitudes de ceux qui, par leur travail, participent à la construction d’un lieu de souffrance telle que la maxi-prison, on ne peut pas se limiter à tenir les quelques politiciens qui ont décidé qu’il fallait construire la plus grande prison de l’histoire belge comme seuls responsables. Chaque personne qui y participe a sa responsabilité spécifique. De l’architecte jusqu’à l’ouvrier. Oui, même l’ouvrier. Tout en respectant la logique rationnelle, on peut même aller plus loin : si ce que nous faisons nous caractérise, alors celui qui construit une prison prend forcément l’air d’un gardien. La chose qu’il fait, construire une prison, l’influence au point que les principes de la prison (souffrance, torture, privation, dégradation) se reflètent sur lui en tant qu’être.

Si nous combattons la construction de la maxi-prison en proposant de saboter ses rouages, on ne peut donc pas seulement pointer du doigt les engins qui creusent, les bureaux où se font les plans, les camions qui acheminent les barreaux. On ne peut faire autrement qu’établir les responsabilités personnelles si on ne veut pas contribuer, par notre lutte, au renforcement de la mystification déshumanisante dont on parlait. Celui qui participe par son travail à la construction de la maxi-prison sera tenu responsable pour ce qu’il fait. Et cela implique que soit il se décide de refuser d’encore participer à une œuvre qui écrasera des milliers d’êtres humains, soit il prend conscience de sa responsabilité, l’assume et la revendique en continuant à collaborer, s’exposant ainsi à ceux qui sont déterminés à faire tout ce qu’ils estiment cohérent avec leur désir de liberté pour que ce lieu atroce ne voie pas le jour.

D’ailleurs, la citation au début est de Adolf Eichmann, SS Oberstrumbannführer, qui a joué un rôle majeur dans l’organisation des déportations de centaines de milliers d’indésirables (juifs, révolutionnaires, handicapés, tziganes,…) vers les camps de concentration et d’extermination. Un simple bureaucrate qui ne faisait que son travail.
[Ricochets, n. 11, 10/15]

Joyeuse Ardéche : intervention publique devant le monument pacifiste thème [Exodes]….

Reçu par mail:
Il n’y a pas de noms de victimes civiles sur le monument aux morts…. Bonjour à toutes et tous et réciproquement…

Gordes, que ferons-nous ? Aurons-nous point la paix ?
Aurons-nous point la paix quelquefois sur la terre ?
Sur la terre aurons-nous si longuement la guerre,
La guerre qui au peuple est un si pesant faix ? (…)

Première guerre mondiale, des millions de civils sur les routes, dans les trains pour fuir la guerre et son monstrueux lot de destructions de villages, de viols, de déportations, de fusillades arbitraires (entre 5 500 et 6 500 Belges et Français abattus sommairement). Plus de 12 millions d’Européens se trouveront à un moment donné amenés à fuir la guerre, à devenir des « réfugiés ».
Les atrocités commises en Belgique ont jeté un million et demi de civils sur les routes de l’exil. Les Belges sont donc accueillis avec le plus grand égard. Les Français les considèrent comme de véritables martyrs face à la barbarie allemande. Un mouvement de solidarité s’organise un peu partout dans le pays pour les aider. Mais, ensuite, leur présence suscite la convoitise, à cause des bons de ravitaillement privilégiés qui leur sont réservés et des différences culturelles.
Finalement, certains sont vus comme des « Boches du Nord » dans les régions non occupées.

(…) Je ne vois que soudards, que chevaux et harnois,
Je n’ois que deviser d’entreprendre et conquerre,
Je n’ois plus que clairons, que tumulte et tonnerre
Et rien que rage et sang je n’entends et ne vois. (…)

De juillet à Novembre 38, en Espagne c’est la bataille de l’Ebre et avec elle l’accélération du mouvement d’exode des républicains espagnols vers la France. En mars 1939, ce sont 440 000 réfugiés espagnols sur le sol français. Le gouvernement du radical Daladier qui avait auparavant promulgué le décret-loi du 12 novembre 1938 prévoyant l’internement des « indésirables étrangers » jette dans ses camps de concentration les réfugiés exsangues. Saint-Cyprien, Argelès, Barcarès ou le Vernet en Ariège où furent internés 12 000 combattants de la colonne Durruti.
Des mouvements d’extrême droite n’hésitent pas à s’insurger contre les camps de réfugiés à la frontière. Selon eux, point de place en France pour les Espingouins, qu’ils retournent chez Franco.

Mai 1940, des millions de personnes s’enfuient vers le sud. Cet exode jette sur les routes des familles belges, hollandaises et luxembourgeoises (deux millions de personnes) puis françaises (deux millions de personnes également) dès mai 1940, dans un chaos hétéroclite de piétons et de véhicules de toutes sortes, sous la mitraille de l’aviation allemande. Au total, ce sera un quart de la population française qui prendra les routes de l’exil durant la seconde guerre mondiale.

(…) Les princes aujourd’hui se jouent de nos vies,
Et quand elles nous sont après les biens ravies
Ils n’ont pouvoir ni soin de nous les retourner.(…)

Aujourd’hui, pas loin et maintenant, des centaines de milliers, pardon des millions de civils fuient des combats qui ne sont pas les leurs. Dans leurs pays d’origine, de sombres crapules se sont autoproclamés maîtres de la pensée, de la vie et surtout de la mort de toutes et tous. Attisés par l’arrogance des pays occidentaux s’érigeant en gendarmes du monde, fanatisés par ces gourous de la guerre sainte, influencés par des nationalismes revanchards, tentés par l’impunité de leurs crimes, viols et vols, des milliers de combattants ont rejoint le camp de la mort et de l’obscurité. Dans les salons des grandes puissances on se passe le plateau de petits fours en cherchant à tirer le plus de profits possibles de la situation.
Des centaines de milliers, pardon des millions de pauvres bougres se bousculent aux portes de l’Union Européenne. Des colonnes de réfugiés réveillent les vieilles images de 14, 38, 40. Les abrutis sans âge de l’extrême droite, de la droite extrême, des adeptes de la France blanche et chrétienne, des inhumanitaires ressortent les même arguments pour leur refuser l’accès à une sécurité qu’ils n’ont plus.

(…) Malheureux sommes-nous de vivre en un tel âge,
Qui nous laissons ainsi de maux environner,
La coulpe vient d’autrui, mais nostre est le dommage.

Olivier de Magny (1530 – 1561)

La culpabilité vient d’autrui, de tous ces fauteurs de guerre : Etats, religions, nationalismes, capitalisme, impérialisme, … certes.
Mais ne nous disculpons pas pour autant tant que nous acceptons au nom d’un réalisme de survie de refuser d’envisager un autre futur enfin débarrassé de tous ceux qui veulent gouverner nos pensées, nos vies et nos morts.

Ni dieu ni maître. Ouvrons les frontières qu’on respire enfin !

Lutte contre leTAV Lyon Turin. les associations environementalistes sont déboutées par une décision du conseil d’état

lu sur le dauphiné libéré 10/11/2015

Sur la forme, le Conseil d’Etat a estimé que l’enquête publique s’était déroulée dans des conditions régulières, et a écarté toutes les allégations des requérants sur d’éventuels conflits d’intérêt ou défauts d’impartialité de la part des membres de la commission d’enquête. Les juges administratifs confirment aussi que le projet n’avait pas à être soumis à la commission nationale du débat public, puisque ses principales caractéristiques avaient été fixées en 1994 et 1995, avant l’entrée en vigueur de l’obligation d’organiser un tel débat.

La haute juridiction s’est aussi penchée sur la question de fond : le Lyon-Turin est-il pertinent ? Pour elle, la nouvelle liaison améliorera les temps de trajet entre les métropoles lyonnaise et turinoise et permettra le développement du fret ferroviaire, ce qui « se traduira par des gains en termes de sécurité et de réduction de la pollution », indique le communiqué du Conseil d’Etat. « Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’aménagement de la ligne existante […] permettrait des résultats comparables », précise l’arrêt.

Plus rien ne s’oppose désormais à la poursuite de cette opération. Quant à la section internationale, entre Saint-Jean-de-Maurienne et Susa, en vallée de Suse, elle est déjà entrée dans une phase opérationnelle, tous les recours devant la justice administrative étant épuisés depuis de nombreuses années. Les travaux se poursuivent, pour l’instant sous le régime des chantiers de reconnaissance, à Saint-Martin-la-Porte, en Maurienne, et à Chiomonte, en vallée de Suse. Le 3 décembre, une nouvelle signature doit intervenir entre l’Union européenne, qui a déjà acté un financement à 40% de cette section, et la France et l’Italie, qui formaliseront à cette occasion leur engagement financier définitif
____________________________________________________________________
la formulation du conseil d’état est claire et nette Ceux qui ont entraîné certaines et certains dans la bataille contre cette nuisance, dans ce chemin avec les environementalistes ( Confédération paysanne, Frapna,FNE,Sud rail….) sont criminelles
A suivre contre le lyon Turin par d’autre voie…, Il nous reste à construire (avec toujours en mémoire les actes des citoyens démocratiquement modifiés) ,et à saboter..L’histoire de la lutte contre le lyon turin de côté ci des Alpes reste toujours à écrire

car peux t’on parler de liberté sans être libre?
contre le Tgv lyon Turin
contre le nucléaire et son monde

Novembre 2015 Attention : l’extrême droite est de sortie !

6 novembre 2015 Ornella Guyet

Ce mois de novembre, beaucoup d’événements d’extrême droite vont avoir lieu sur tout le territoire, avec pour leitmotiv le rejet des migrants. Nous en dressons la liste, qui est appelée à être complétée si nécessaire, ainsi que des initiatives antifascistes qui sont prévues pour les contrer. Nous reviendrons sur les plus importants de ces événements au fil du mois.

Après la manifestation de samedi dernier organisée par des partisans de Poutine d’une part, le rassemblement anti-BHL du Renouveau français devant le Café de Flore le même jour d’autre part1, les actions de Génération identitaire contre un futur village d’insertion pour des Rroms (Lyon, 24 octobre) ou un futur centre d’accueil pour migrants (Arry, Moselle, 27 octobre) ou encore l’attaque d’un meeting du NPA à Angers mercredi dernier, il semble que l’extrême droite tente une nouvelle fois d’occuper le terrain. De nombreux événements liés à ses mouvances les plus dures vont avoir lieu ce mois-ci à Paris, mais aussi en province, en dehors même de l’agitation créée par le FN dans le cadre de sa campagne électorale. Il suffit de se rendre sur le site de Synthèse nationale pour s’en rendre compte.

Week-end des 7 et 8 novembre et jours suivants

Commençons par le week-end à venir, tout d’abord : demain à Paris aura lieu un rassemblement en soutien au gouvernement hongrois de Viktor Orbán, organisé par le Siel. Le même jour, un rassemblement anti-migrants se tiendra à Pouilly-en-Auxois (Côte-d’Or), une ville qui accueille des réfugiés, par le Parti de la France, ainsi qu’à Calais le lendemain à l’initiative du collectif « Sauvons Calais ». Le 11 au soir, c’est l’Action française qui organisera un rassemblement en hommage aux « premiers résistants » en haut des Champs-Élysées, à l’occasion de la journée commémorative de la fin de la Première guerre mondiale.

Samedi 14 novembre

Le samedi 14 novembre sera particulièrement chargé en manifestations et rassemblements de toutes sortes, le plus important de tous étant sans doute le 2e Congrès européen du Gud qui se tiendra à Paris, et qui semble être maintenu en dépit des démélés judiciaires récents du principal leader de cette formation.congrès_européen_gud Comme l’année dernière, y sont attendus des groupes néo-fascistes venus de l’Europe entière et même d’Afrique du Sud. Le même jour, l’impayable Sylvain Baron et sa bande prévoient de manifester devant plusieurs médias dans le cadre d’un « Jubilé des Peuples ». Toujours ce samedi-là, la petite ville de Berzy-le-Sec (Aisne) accueillera un concert de boneheads2 tandis que Pontivy (Morbihan) sera le théâtre d’une manifestation des nationalistes bretons d’Adsav ayant pour mot d’ordre « Immigration : fermons nos frontières ! »

Semaine du 16 au 20 novembre

Le lundi 16, c’est Lyon qui verra débarquer l’archevêque grec-melkite de Homs (Syrie) Jean-Abdo Arbach pour une conférence de SOS chrétiens d’Orient. Le même, qui est sans surprise un partisan de Bachar Al-Assad, sera le lendemain à Versailles. Le 20 ce sera au tour de Toulouse de recevoir un meeting de la Manif pour Tous dans le cadre de sa campagne électorale.

Du 21 novembre à la fin du mois

terre et peuple Un « forum de la dissidence » est prévu le 21 à Paris, à l’initiative de la Fondation Polémia d’Yves Le Gallou, ainsi qu’un colloque « Immigration : stop ou encore » organisé par l’Action française avec le soutien de la Coordination du Pays réel (suivi sans doute d’un autre rendez-vous le lendemain). Le 22, une rencontre avec Carl Lang du Parti de la France aura lieu à Limoges tandis que le 27, Bordeaux verra débarquer le Siel, Riposte laïque, Résistance républicaine et Vigilance halal pour un rassemblement anti-migrants. Le 29, Ce sera au tour de Terre et Peuple d’organiser sa 20e table ronde autour du thème du « Grand Remplacement », de nouveau à Paris.

recopié sous la cendre

Kokopelli ou les illuminés de la petite graine.

L’association écolo Kokopelli, spécialisée dans la vente de semences anciennes, fait l’objet d’une certaine bienveillance dans les milieux de gauche, écologistes et alternatifs. Toutefois, certains propos tenus par son fondateur et président historique, Dominique Guillet, sont pour le moins préoccupants…

En outre, Kokopelli se targue d’être un réservoir génétique accessible à tous. Or la gamme de semences qui figure dans son catalogue ne comporte pas plus de 2300 variétés et pour bon nombre de semences proposées par l’association, l’argument ne tient pas vu qu’elles sont proposées par la concurrence. Et dans ces variétés on trouve majoritairement des tomates des piments et des courges, parfaitement courantes pour la plupart provenant des USA .

A partir de mi-juillet, un communiqué de Kokopelli, association créée en 1999 et engagée dans la protection la biodiversité à travers la vente de semences issues de l’agriculture biologique et biodynamique, a commencé à circuler massivement sur les réseaux sociaux. Il dénonçait une levée de fonds organisée par l’ONG Avaaz pour lutter contre Monsanto qui usurpait, parmi d’autres, le nom de Kokopelli pour légitimer cette campagne. Et en profitait au passage pour appuyer sur le côté plus que douteux de cette organisation entourée de soupçon d’escroquerie. Jusque-là tout va bien. Mais cette mise au point renvoyait à un article plus fouillé intitulé Avaaz : un écran de fumée occultant les bombes libératrices à uranium appauvri, écrit par Dominique Guillet et publié sur le site de l’association le 14 novembre 2012. Si sur le fond certains arguments acerbes envers la très critiquable Avaaz peuvent être recevables et partagés par notre organisation (fatuité de cette forme de «  militantisme  » en ligne et par pétition, motifs discutables des souscriptions, source de financement sujette à caution, salaires mirobolants de ses dirigeants), ce règlement de compte suscite la stupeur en évoquant dès sa première ligne le Graal des complotistes renommé ici «  opération psychologique spéciale dénommé 9/11  » et renvoyant vers le site conspirationniste ReOpen911…

Prose paranoïaque

En poursuivant les yeux écarquillés la lecture de ce salmigondis soi-disant subversif, on tombe sur la prose classique des paranoïaques du complot avec la dénonciation ad nauseam du « Nouvel Ordre Mondial » et l’explication de la guerre en Afghanistan par la volonté de l’Otan de contrôler le marché de l’opium. On n’est pas loin des délires royalo-narcotiques du conspirationniste Lyndon LaRouche et de son préposé français, Jacques Cheminade…

Plus étonnant pour quelqu’un qui se revendique écolo, l’auteur décidément en grande forme s’attaque à «  l’arnaque du réchauffement climatique anthropique  » et nous invite à consulter une série de quatre articles qu’il a rédigés à l’automne 2009 et publiés sur son site liberterre.fr (sic). Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises.


Complotisme et ésotérisme

Circonspect devant tant de divagations, on se penche plus en avant sur le bonhomme  : adepte des théories Gaïa – qui dégénèrent bien souvent en des croyances religieuses New Age débilitantes – Dominique Guillet, qui ne laisse pas de surprendre, se révèle être un fervent disciple et traducteur de John Lamb Lash, gourou américain versant dans l’ésotérisme, inlassable dénonciateur de l’ « intrusion extraterrestre » qui œuvre clandestinement à la destruction de l’humanité et annonciateur d’une menace prophétique qu’il assimile au sionisme en ne ménageant pas ses efforts pour masquer son antisémitisme maladif.

Kokopelli propose également à la vente un ouvrage de Sylvie Simon, écrivaine obscurantiste anti-vaccination décédée en 2013 et de Claire Séverac, auteure antisémite et conspirationniste transitant sur Egalité & Réconciliation d’Alain Soral et que l’on retrouve sans grande surprise également sur le site écolo-confusionniste Mr Mondialisation.

Au début Kokopelli s’appelait Terre de Semences et distribuait des semences issues de l’agriculture biologique à l’intention des jardiniers amateurs. Ces semences n’étant pas inscrites au catalogue officiel cette activité était tolérée, mais illégale. Devant ce fait le législateur a même changé la loi afin de permettre aux jardiniers de se procurer ces semences, en créant « le registre des variétés anciennes pour jardinier amateur ». Mais M.Guillet, le fondateur, ne veut pas de cette loi et créa Kokopelli.

Au passage Kokopelli est soutenue par le professeur Berlan, radicaliste anti-OGM et qui a préfacé le livre de D.Guillet. On trouve comme généreux donateur de cette association « Fondation pour une Terre Humaine » de Jean-Louis Gueydon de Dives, une fondation Suisse qui finance de nombreux projets « écolos » derrière lesquels se cache l’anthroposophie (Demeter, biodynamie, etc,…), à commencer par Terre et Humanisme de Pierre Rabhi. Au passage l’association ne soutient pas plus l’agriculture bio, mais soutient largement l’agriculture biodynamique, suivant la réflexion de l’anthroposophe ésotérique et raciste Rudolf Steiner.

Cette affaire de plus en dit long en tout cas sur le climat politique actuel et la sous-politisation de certains mouvements qui se veulent militants, notamment dans quelques milieux écologistes mystiques, terreau fertile pour le conspirationnisme et porte d’entrée de l’extrême droite.

[Lire la suite sur le site des enragés.]
repris de sous la cendre et de non fides

Maudite soit la guerre.Contre ce monde militarisé , sortons du troupeau

note: A Valence le tract ci dessous circule, malgré cette maudite ville caserne qui accueille lors toutes les cérémonies patriotiques un régiment ( qui a un lourd passé comme a régiment colonialiste) et il y a aussi aussi quelque affiches collées.
Contre tous les nationalismes. Armée hors des écoles publiques.La ville n’est pas un champ de manœuvre pour tous les militaires…. Par bonheur La guerre sociale rugit!
sabotage insoumission totale

contre ce monde militarisé , sortons du troupeau!!

La guerre de 14-18 a commencé des années avant. Bien avant l’ouverture du conflit, il y adéjà une montée de la tension, du nationalisme, du patriotisme, de l’espritva-t-en-guerre, avec un arrière-fond nauséabond de frénésie antiboche. Les temps sont encombrés du soutien à l’armée, et ses « vivelarmistes » défilant dans les rues derrière les bidasses sortant régulièrement des casernes pour parader en cherchant un appui populaire. Un climat délétère instauré bien avant que l’Assemblée nationale ne se colore furieusement de l’unanimisme bleu horizon.

Les libertaires tentent pourtant de batailler contre cette guerre qui vient. Ils prévoient la grève générale pour bloquer l’économie et saboter la logistique d’une déclaration de guerre menaçante. Malgré 600.000 grévistes en 1912, ce sera un fiasco. Le soutien aux désertions, les campagnes antimilitaristes, le financement via le Sou du soldat ont des succès très relatifs. Échec aussi, la campagne contre l’allongement de la conscription, passant de deux à trois ans le temps sous les drapeaux. Durée qui sera, de fait, souvent écourtée sous les bombes, la mitraille ou le gaz moutarde.

Le moins qu’on puisse dire c’est que ces vifs débats internes ont donné lieu à de profondes divisions, voire des plaies impossibles à refermer. Hormis la mort dans les tranchées de nombreux militants mobilisés, l’affaiblissement du mouvement libertaire après la fin de cette première guerre y doit sans doute pas mal. D’autant que ça tombe au moment des procès des « bandits tragiques » et membres de la bande à Bonnot. Ces années n’ont pas brillé par un sens de la solidarité et de franche revendication politique en discréditant au passage les anars individualistes et les illégalistes. Sans parler des choix stratégiques, il y a déjà des dissensions entre réformistes et révolutionnaires, tant chez les anars qu’au sein des syndicalistes révolutionnaires.

Les femmes soient bien peu visibles dans ce travail d’archives puisant dans les journaux et les rapports de police, malgré la grève des ménagères manifestant contre la vie chère sur les marchés lors de l’été 1911.

Trois titres de presse concentrent la trace de ces déchirements, Le Libertaire, La Guerre sociale et La Bataille syndicaliste. On croise ainsi Gustave Hervé, figure du renégat, à la tête du journal La Guerre sociale, anar passé aux socialistes, prônant le « désarmement des haines » qui est en fait le rapprochement de la CGT avec le PS réformiste. Les anars se laissent aussi polluer par le nationalisme, voire l’antisémitisme, la dénonciation des francs-macs qui vire parfois au complotisme.

Ça paraît tomber à pic, ce flashback dans l’histoire, pour repenser le confusionnisme qui baigne notre époque, déjouer les pièges d’un masque « anticapitaliste » bricolé avec un brin d’antisionisme primaire et dévoyé par des Soral et Dieudonné, qui sert en fait la haine antisémite, avec l’extrême droite à la manœuvre. Et l’union sacrée mobilisée contre le terrorisme revêt les mêmes dangers et ardeurs bellicistes que la guerre imminente de ces années du début du siècle dernier.

Paris : 4 mois avec sursis pour l’occupation du centre Emmaüs

brèves du désordre

La solidarité avec les migrant-es condamnée !!

4 mois de prison avec sursis et 1600 euros à verser aux parties civiles ainsi que 200 euros d’amende pour refus de prélèvement ADN, voilà le verdict pour les trois personnes qui étaient venues soutenir des migrant-es en grève de la faim dans un centre d’hébergement Emmaüs et le traducteur . La justice veut faire des exemples et dissuader la solidarité avec les migrant-es.

Depuis plusieurs mois, migrant-es et personnes solidaires luttent pour des logements, des papiers et la liberté de circulation. Manifestations, rassemblements, occupation de bâtiments, de rues, de places… s’enchaînent sans faiblir. En dépit de la répression et des pressions policières, des mensonges médiatiques et des fausses promesses de la Mairie destinées à casser le mouvement, rien ne parvient à enrayer la détermination des migrant-es et des personnes solidaires.

Dans les centres d’hébergement aussi, des mouvements de protestation ont lieu. Le 1er en date, le 4 août dernier, a lieu dans le centre d’hébergement Emmaüs situé dans le centre de rétention de Vincennes. Les migrant-es occupent les locaux et obtiennent satisfaction de leurs revendications : amélioration des conditions d’hébergement et suivi des démarches administratives. Quelques jours plus tard, au centre Pernety le 12 août, les migrant-es sont en grève de la faim car aucune promesse faite par la Mairie, l’Ofpra et FTDA, n’est tenue. Pas de suivi administratif, pas droit de visite, suivi médical aléatoire, pas de cours de français, peu de tickets de métro… Ils et elles prennent contact avec trois personnes solidaires qui viennent constater la situation et tentent de rendre public leur mouvement. Un sit-in dans le hall de l’ancien hôtel a lieu ; le personnel Emmaüs appelle la direction et Bruno Morel (directeur d’Emmaüs) décide qu’il s’agit d’ « une séquestration », appelle la police pour embarquer tout le monde. Deux occupations en quelques jours… pas question de laisser passer. Forces gendarmes mobiles déboulent dans l’immeuble, « sécurisent les lieux » et puis embarquent les 4 personnes extérieures à la structure. Embarquer les migrant-es, ça fait mauvais genre. C’est parti pour 65 heures de privation de liberté et de pressions policières. Pendant ce temps-là, alors même que le personnel d’Emmaüs se refusait à écouter les revendications des migrant-es, le suivi administratif se met miraculeusement en place, la qualité de la nourriture s’améliore. La solidarité n’aura pas été vaine !

A mesure que les campements puis le Lycée Jean Quarré sont expulsés, de plus en plus de migrant-es se retrouvent en centres d’hébergement et en découvrent la réalité. Des lieux où les personnes hébergées sont infantilisées, dépossédées de leur vie où les conditions matérielles sont souvent exécrables. Des lieux de relégation pour disperser, isoler et casser toute organisation collective. Pourtant dans ces centres d’hébergement, les mouvements de protestation se multiplient comme à Place de Clichy ou à Champcueil. Et les travailleurs sociaux y jouent parfois aux flics. Ainsi, au formule 1 de Saint-Ouen géré par le groupe SOS, « entreprise sociale », alors qu’un migrant refuse de quitter le centre et menace de se suicider, un travailleur social ne trouve rien de mieux que d’appeler les flics. Le migrant reçoit deux coups de tazer à bout portant et doit être conduit à l’hôpital.

Place de la république les migrant-es luttent pied à pied contre la pression policière depuis près de 15 jours pour maintenir leur campement. La Mairie voudrait bien les voir disparaître mais ils et elles sont déterminé-es à rester visibles et à se faire entendre. Sur cette belle place toute refaite, leur campement est éminemment dérangeant. Un « désordre visuel » a dit la flicaille. Et bien amplifions donc le désordre ! Et soyons solidaires des migrant-es qui restent debout, ces survivants de la guerre que leur livrent la France et l’Europe, ici à Paris, à Calais, en Méditerranée. Ni la répression et l’intimidation policières ni leurs supplétifs judiciaires n’entameront notre détermination !
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Paris : prison avec sursis pour les trublions du foyer de migrants

Le Parisien | 10 Nov. 2015, 10h08

Les juges ont finalement confirmé qu’il y avait eu « séquestration », le 12 août dernier, dans l’hôtel de la rue Raymond-Losserand (XIVe) transformé pour l’accueil des réfugiés. Trois jeunes militants du collectif de soutien aux migrants La Chapelle en lutte, ainsi qu’un réfugié libyen souvent présent à leurs côtés, notamment pour servir de traducteur, ont été condamnés à 4 mois de prison avec sursis.

Des salariés d’Emmaüs séquestrés

Ce soir-là, le quatuor avait semé la zizanie dans ce foyer accueillant des Soudanais, pris en charge par l’association Emmaüs Solidarité. Appelés par des migrants qui se plaignaient de la lenteur des procédures concernant leur statut de réfugiés et critiquaient leurs conditions d’accueil, les militants avaient empêché l’équipe sociale d’Emmaüs de sortir pendant plus de deux heures.

Interpellés lors d’une opération de police qui avait transformé le quartier en Fort Chabrol, les quatre jeunes risquaient 5 ans de prison pour ce siège improvisé et chaotique, qu’ils contestaient en admettant seulement « un sit-in ». Lors de leur procès, le 9 octobre, le substitut du procureur avait requis huit mois avec sursis pour chacun. « Quatre mois avec sursis, c’est trop pour une simple occupation, mais c’est symbolique et sûrement destiné à faire réfléchir ceux qui envisageraient d’autres actions », estime l’un de leurs avocats. Les quatre jeunes pourraient faire appel. Ils ont deux mois pour en décider.

A propos de Fukushima

A la suite un article de Cécile Asanuma Brice, chercheuse au CNRS. Elle revient sur la situation japonaise depuis la catastrophe de Fukushima, sur les impasses et les options orientées de la recherche, et sur les stratégies criminelles des autorités japonaises qui ne visent qu’à sauver ce monde qui court vers l’abîme. On découvre au passage que bien que le nombre de victimes ne soient véritablement quantifiables, les effets sanitaires sont déjà angoissants, surtout au regard de la chape de plomb dont les autorités nucléaristes, médicales, scientifiques, politiques et économiques tentent de recouvrir la situation. Bien sûr en bon langage expert, rien de tel n’est dit, mais les constats sont là, toujours aussi terrifiants.

Pour rappel et prolonger la réflexion, on peut se reporter au texte de Thierry Ribault, Fukushima : cogérer l’agonie – consultable dans la bibliothèque du laboratoire anarchiste , qui est lui beaucoup plus explicite sur le enjeux politiques de l’après Fukushima. Il s’agit maintenant de définitivement nous apprendre à vivre au milieu de la catastrophe. D’où « l’incitation » au retour des réfugiés en zone contaminées. On peut également jeter un œil sur Les luddites et l’usure du vieux monde, pour saisir à quel point notre soumission durable à un déferlement catastrophique de type Fukushima se prépare bien en amont, dans notre soumission quotidienne à des outils, des gestes et des instruments, comme les compteurs Geiger, la traçabilité, les puces RFID ou la biométrie qui ne visent pas seulement à mesurer les risques que nous encourons quotidiennement, mais également à évaluer notre degrés d’acceptation de ce monde. En nous rendant acteur de la gestion des risques que nous encourons, et qui sont bien évidemment minimisés, nous en venons à effacer les personnes et les processus qui en sont à l’origine. Comme la caméra de vidéo-surveillance gomme l’objet principal de l’insécurité dont elle entend nous protéger, c’est-à-dire le monde qu’elle soutient, pour scruter le suspect ou le déviant, le compteur Geiger, la spectrométrie des rayonnements radioactifs élude la nucléarisation du monde et plonge son analyse et sa culpabilité en chacun et chacune d’entre nous.

Un de sous la cendre.
Fukushima, bilan d’une situation sanitaire inquiétante.

Tant est grand l’irrationnel en cet affaire et par-delà les contradictions qui dépassent l’entendement, simultanément à l’annonce des résultats du groupe de recherche INWORKS (Ionising radiation and risk of death from leukemia and lymphoma in radiation-monitored workers) selon lesquels le risque de mortalité par leucémie ou myélome multiple des travailleurs de centrales nucléaires après exposition à des faibles doses est désormais avéré[1], le gouvernement japonais, avec l’aval de l’AIEA[2], a relevé les doses acceptables pour les travailleurs du nucléaire de 100msv/an à 250 msv/an en cas d’urgence[3].
Pour rappel, cette même norme qui était à 20 msv/an avant l’explosion de la centrale de Tepco – Fukushima Dai ichi a été réhaussée à 100 msv/an après l’accident (pour les travailleurs du nucléaire) et à 20 msv/an pour la population civile. Suite au réhaussement de la norme, lors du seul mois d’août 2015, on compte trois décès parmi les travailleurs de la centrale nucléaire de Fukushima Dai ichi, ce qui porte à 64, selon les chiffres officiels[4], le nombre de travailleurs décèdés des conséquences de leur travail.

Devant la vivacité des prises de position concernant les conséquences sanitaires du nucléaire, nous avons jugé nécessaire de refaire un bref bilan sur le sujet, afin de poser une question des plus candides : le nucléaire est-il dangereux pour l’homme ? Où en sont les enquêtes épidémiologiques sur le sujet ? Qu’avons-nous appris des diverses recherches médicales menées à Fukushima après l’explosion de la centrale en mars 2011 ?

Les effets épidémiologiques du nucléaire : Even INWORKS[5] doesn’t work…

Cette étude, menée par 13 chercheurs en épidémiologie provenant tous de laboratoires distincts, a été rendue publique en juin 2015. Son financement provient du centre de prévention et contrôle des maladies, du Ministère de la santé, du travail et du bien-être du Japon, de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté nucléaire (IRSN), d’AREVA, d’électricité de France, de l’institut national pour la sécurité et la santé (USA), du département de l’énergie américain, du service sanitaire et humanitaire des Etats-Unis, de l’université de Caroline du Nord, du ministère de la santé publique anglais. Les financements de cette recherche relèvent donc principalement d’acteurs impliqués directement dans les intérêts du microcosme nucléaire. Néanmoins, les auteurs de cette recherche précisent que les financeurs ne sont à aucun moment intervenus dans la recherche ou dans la rédaction du rapport, leur rôle s’étant limité à l’autorisation d’accès aux données. Cette étude a consisté à suivre non moins de 308 297 travailleurs employés dans un équipement nucléaire depuis au moins un an, pour la France : par la Commission d’Energie Atomique (CEA), AREVA Nuclear Cycle, ou l’entreprise nationale d’électricité (EDF) ; les départements de l’énergie et de la défense pour les USA ; et pour l’Angleterre, les employés de l’industrie nucléaire inscrits au registre national des travailleurs de la radioactivité[6]. La méthode utilisée pour suivre l’état de santé des travailleurs a été la régression de Poisson, ou modèle linéaire de fonctions logarithmiques, qui permet de quantifier les associations entre la dose absorbée par la moëlle épinière, et le taux de mortalité par leucémie, lymphoma (tumeurs qui se développent sur les cellules lymphatiques) ou myelome multiple. Jusqu’à présent les données dont nous disposions provenaient essentiellement de la radiothérapie. On avait par exemple démontré que l’exposition annuelle à des doses de radiations ionisantes était passée de 0,5 mGy par personne en 1982 à 3,0 mGy par personne en 2006 aux Etats-Unis. Ce phénomène a été observé dans la plupart des pays à revenus élevés. D’autres données avaient été accumulées via le suivi épidémiologique des survivants des deux bombes atomiques larguées par les Etats-Unis à Hiroshima et Nagasaki en août 1945. Leur analyse a permis de démontrer le lien de cause à effet entre l’exposition à des radiations ionisantes et le développement de leucémie. Mais ces résultats ne concernaient que l’exposition à des niveaux élevés de radiation. Les auteurs n’évoquent pas les bases de données effectuées et analysées après Tchernobyl. L’étude menée par l’équipe de chercheurs de INWORKS quant à elle, prouve la corrélation entre le risque de mort par leucémie et l’exposition à de faibles doses de radiation, via un suivi des individus concernés sur une période de 60 ans.

La raison au service du devoir de soumission

Mais puisque rien n’arrête ceux qui vont se servir à la boucherie ALARA (As Low As Reasonably Achievable – aussi bas que raisonnablement possible)[7], c’est moins d’évidences épidémiologiques que de « raison » dont nos vies dépendraient. Ainsi, la démagogie en la matière aurait depuis peu remplacé le terme de victime par celui de « personnes affectées » dans ses documents. Ce changement de terminologie, notamment dans les rapports de l’ICRP[8] n’est pas sans conséquence car l’affect, est, en psychologie, ce qui est opposé à l’intellect, et en cela, induirait des comportements qui ne seraient pas rationnellement fondés. En psychologie, l’affectivité est opposée à la cognition, soit aux capacités d’un raisonnement rationnel bien que cette approche dichotomique tende à se nuancer au cours du temps. En outre, l’utilisation du terme d’affect ici renvoie au discours d’une peur irrationnelle d’un danger mal connu (le nucléaire) qui serait à l’origine d’une radio-phobie. Récemment, l’ICRP s’accorde à dire que ce terme de « radio-phobie » dont elle était l’auteur, est déplacé. Il serait, selon leur nouveau discours, normal que les personnes aient peur car elles seraient dans la méconnaissance. Il s’agirait donc de mettre en place un système d’éducation afin de remédier à l’ignorance régnante. Cette logique est néanmoins en contradiction avec celle développée par les mêmes personnes pour appliquer le principe ALARA, soit : « nous ne savons pas, scientifiquement, quels effets sanitaires ont les faibles niveaux de radioactivité, donc on ne peut que faire avec sur place ». Le tout sera donc de trouver la voie pour enseigner ce que l’on ne sait pas… Cela en dit long sur le poids donné à la simple communication en la matière. Par ailleurs, l’étude Inworks a désomrais démontré les conséquences sanitaires concrètes des faibles doses. Ainsi, on peut se demander si la communication mise en place par l’ICRP ne relève pas de l’endoctrinement publicitaire plus que de l’information scientifiquement fondée.

« Faire aussi bas que raisonnablement possible » (ALARA) signifie également, selon Jacques Lochard, que « Le droit au refuge ne peut être une des règles de la radio-protection. Nous devons accepter la situation et faire avec. »[9]. Deborah Oughton (CERAD) complète ces termes prononcés lors du symposium sur l’éthique en radio-protection par « nous devons éduquer les gens aux risques, afin de rendre ce risque plus acceptable ». Le tout est de savoir par qui ce risque devrait être accepté et pourquoi. Ces quelques extraits d’intervention choisis parmi d’autres, nous ont amené à nous interroger sur ce qui est très certainement l’une des préoccupations majeures de nos sociétés aujourd’hui, soit le fait que ceux qui effectuent la prise de risque sont rarement ceux qui reçoivent les bénéfices de cette prise de risque. En cela la situation devient inacceptable pour ceux qui en sont victimes. Cela se reflète concrètement par la déterioration de leur état psychologique et se traduit par un taux de suicide qui augmente de façon exponentielle.

Les effets psychologiques du nucléaire : un retour impossible

Nous avions établi un premier bilan en décembre 2014 du nombre de victimes de cette gestion aussi désastreuse que le désastre lui-même, comptabilisant 1170 décès relatifs à l’explosion de la centrale nucléaire de Tepco[10]. Les résultats d’une enquête récente menée auprès de 16 000 personnes réfugiées par l’équipe du professeur Takuya TSUJIUCHI, directeur de l’institut d’anthropologie médicale sur la reconstruction des désastres de l’université de Waseda[11], montre que plus de 40% d’entre elles sont atteintes de troubles de stress post-traumatique (PTSD). Le professeur Tsujiuchi, interviewé par la NHK le 27 mai 2015, précise que contraindre ces personnes au retour à la vie sur le lieu générateur du désordre psychologique alors même que cet environnement reste instable en raison du taux de contamination et de l’état de la centrale nucléaire en déliquescence, aurait des conséquences dramatiques. Celui-ci précise qu’à la différence des résultats des tests post-traumatiques effectués après des tremblements de terre, il ressort de cette enquête que les victimes ne sont pas confrontées à un simple stress dans la gestion de leur vie quotidienne, mais ressentent une véritable angoisse de mort face à la menace nucléaire. Selon le professeur Tsujiuchi : « aujourd’hui on fait comme si la catastrophe avait pris fin, alors que ça n’est pas le cas. On coupe l’aide au logement, puis, l’indemnité pour préjudice nerveux, puis les compensations financières pour perte de bien… il n’y aura bientôt plus d’aides au refuge. La situation est très dangereuse. »

Les enquêtes épidémiologiques à Fukushima : Il est toujours trop tôt à moins qu’il ne soit déjà trop tard…

Le 8 octobre 2015, lors d’une conférence de presse à Tôkyô au club des correspondants étrangers du Japon, le Professeur Toshihide TSUDA, épidémiologiste de l’université d’Okayama, spécialiste des retombées sanitaires des pollutions environnementales, exprime son désarroi quant à la manière dont les enquêtes épidémiologiques sont actuellement menées à Fukushima. L’université médicale de Fukushima ainsi que la Préfecture elle-même, deux acteurs à la tête des investigations menées depuis 2011, estiment encore aujourd’hui, qu’il est trop tôt pour tirer des conséquences sérieuses des résultats obtenus.

Quels sont ces résultats ?

Le professeur Tsuda et son équipe ont repris la totalité des données rassemblées d’octobre 2011 jusqu’en juin 2015. Soit, l’échographie de la thyroïde d’un échantillon de 370 000 personnes agées de moins de 18 ans au moment des faits. Ils ont mené une étude comparative prenant en compte la moyenne connue de développement de cancer de la thyroïde sur l’ensemble du Japon par classe d’âge par année afin de quantifier le rapport de causes à effets entre la pollution engendrée par les isotopes qui se sont répandus dans l’atmosphère après l’explosion de la centrale et l’accroissement du nombre de cancer de la thyroïde chez les enfants de moins de 18 ans dans la région.

« Si l’on fait une comparaison avec la moyenne nationalement connue, on en déduit, que le taux de cancer de la thyroïde des moins de 18 ans a été multiplié par 50. Dans les endroits où le taux est naturellement faible, on trouve une multiplication par 20 fois du nombre de cancer de la thyroïde. Dans les localités (au plan national) où le taux était le plus faible, nous n’avons pas encore détecté de cas de développement de cancer de la thyroïde. »

Le professeur Tsuda se porte en faux face au rapport de l’organisation mondiale de la santé de 2013 qui sous-estime considérablement les conséquences sanitaires de l’explosion de la centrale de Fukushima. Selon lui, il sera bientôt trop tard pour prendre les mesures qui s’imposent face à une multiplication importante des cancers (il s’agit en particulier de cancers de la thyroïde, de leucémies et de cancers du sein) dans les régions contaminées qui n’ont toujours pas toutes été évacuées, et dans lesquels, bien au contraire, on rappelle les familles réfugiées dites « volontaires » à revenir habiter. Le professeur Toshihide TSUDA a publié le 5 octobre 2015 les résultats de ses recherches dans la revue internationale Epydemiology[12] et les exposera à l’Institut des systèmes complexes (CNRS) à Paris le 9 novembre prochain.

Cécile Asanuma-Brice. (Adjointe au directeur du bureau CNRS Asie du Nord, chercheure associée université Lille-CLERSE, chercheurs associée centre de recherche de la Maison Franco – Japonaise (Tôkyô))

[1] Ionising radiation and risk of death from leukemia and lymphoma in radiation-monitored workers (INWORKS) : an International cohort study, Klervi Leuraud, David B Richardson, Elisabeth Cardis, Robert D Daniels, Michael Gillies, Jacqueline A O’Hagan, Ghassan B Hamra, Richard Haylock, Dominique Laurier, Monika Moissonnier, Mary K Schubauer-Berigan, Isabelle Thierry-Chef, Ausrele Kesminiene, 22 juin 2015.

[2] Agence Internationale à l’Energie Atomique

[3] NHK News, 25 Juillet 2015. 緊急時の被ばく線量 上限引き上げ案を審議

Nikkei, 15 août 2015, 原発作業員の被曝限度上げ、緊急時250ミリシーベルトに 規制委

http://www.nikkei.com/article/DGXLASDG08H1Q_Y5A700C1CR0000/

[4] Journal Nikkan Gendai du 26 août 2015 :

http://www.nikkan-gendai.com/articles/view/news/163113

[5] Ionising radiation and risk of death from leukemia and lymphoma in radiation-monitored workers

[6] dixit : National Registry for Radiation Workers in the UK.

[7] Principe de précaution en matière de radio-protection lorsqu’il y a incertitude sur la relation dose-effet.

[8] Commission internationale de Protection Radiologique. Symposium 2-3 juin 2015 à l’Université Médicale de Fukushima : workshop sur les questions d’éthique dans le domaine de la radio-protection, organisé par l’université médicale de Fukushima et l’ICRP

[9] Prononcé en anglais : « The right of refuge could not be one of radio-protection rules. We have to accept situation and deal with ». Ibid.

[10] Cécile Asanuma-Brice (2014) : Beyond reality: The management of migratory flows in a nuclear catastrophe by a pro-nuclear State, Japan Focus, nov. (en anglais)

[11] Waseda Institute of Medical Anthropology on Disaster Reconstruction.
source: sous la cendre