Archives mensuelles : décembre 2015

Athènes (Grèce) : saccage des bureaux de la banque Tiresias

Ce mercredi 16 décembre 2015, vers 9h du matin, au nord d’Athènes, 14 membres du groupe anarchiste Rubicon sont arrivés casqués sur des motos et ont rapidement dévasté les bureaux de « Tiresias ». Cette administration très spéciale recensait, dans une immense base de données, la liste des emprunteurs insolvables de façon à les expulser de leur logement et à saisir leurs biens, notamment depuis la récente réforme du code civil accordée par Tsipras à la Troïka.
(divers sites)
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Le groupe anarchiste responsable de l’attaque a posté une vidéo montrant exactement ce qui s’est passé

Traduit de l’anglais d’une agence de presse grecque
newsroom, Dec, 18 2015

Environ 15 assaillants inconnus aux visages masqués [par des casques de moto] ont attaqué les bureaux de Tiresias Bank Information Systems, située au coin des rues Alamanas et Premetis, à Marousi, en banlieue nord d’Athènes, ce mercredi 16 décembre.

Ils sont entrés dans les bureaux vers 9h30 et ont commencé à détruire les ordinateurs, les bureaux et autres objets avant de partir.

La police s’est rendue sur place, et a arrêté sept d’entre eux. Le groupe qui a organisé l’attaque est Rubicon, un groupe antiétatique connu pour de précédentes attaques contre Hellenic Republic State Asset Fund (HRSAF) et les bureaux de Syriza de la rue Koumoundourou.

source Brèves du désordre

Capitalisme et bizness maritime : le durable prend l’eau !

note du laboratoire:il y a aussi   le texte ici dans la réflexion sur les portes conteneurs

Ce texte qu’on peut trouver dans les bonnes librairies et qu’on va récupérer cette information participe à la critique du groupe  Bolloré en Afrique

Celui, ci dessous un texte récupéré sur la mouette enragée

 “ Le capitalisme bâtit ses fortunes, à l’instar des petits ruisseaux et grandes rivières, en creusant son lit dans les territoires qu’il traverse, entamant les reliefs jusqu’à l’usure. […] Déjà la fonte de la calotte glaciaire ouvre d’âpres bagarres pour le contrôle du passage du nord-ouest, tout autant que pour les gisements des terres qui vont devenir accessibles. ”  (1)

Ces lignes sont tirées de l’épilogue de l’ouvrage Fortunes de Mer que nous publiions en 2010 aux éditions Acratie.

Le capitalisme n’a pas attendu le dégel et le monde marchand, happé par sa course exponentielle, avance à la techno-machette au Moyen Orient et en Amérique Centrale. Des grands projets toujours encensés lors de leur avènement et assez peu discutés avant et au cours de leur réalisation.

 

Le texte est à télécharger ici.

Suez : le capitalisme double la mise

Ainsi, ce 6 août 2015, Hollande était en bonne place pour l’inauguration du doublement du canal de Suez, plus symboliquement en mémoire de Ferdinand de Lesseps qu’en référence à l’intervention militaire franco-britannique de 1956 contre la nationalisation du canal par Nasser. Trois Rafales et une frégate auront entériné l’a(r)mitié dûment contractualisée entre la France et l’Egypte. L’ensemble de la presse a déjà fait état de la cérémonie, des chiffres et des déclarations relatives à ce projet (forcément!) “pharaonique”.

On peut d’emblée se poser la question de l’achèvement à marche forcée – l’inauguration était initialement prévue en 2017 – et des conséquences pour les ouvriers du chantier et la population locale. Pour les délais, la réponse est simple : il ne s’agit que de la concurrence en économie de marché basique; une tentative de rogner sur le canal de Panama avant le… doublement de ce dernier, en profitant de la capacité actuelle de Suez à accueillir les cargos géants. Aussi le chantier a-t-il fonctionné jour et nuit, augmentant les risques et contraignant la main d’œuvre à des conditions de travail extrêmes. Officiellement, on compte trois morts en septembre 2014 (contre 100 000 lors de la percée du premier canal !) et le nombre de blessés reste inconnu. Des milliers d’habitants ont reçu un avis d’expulsion dix jours seulement avant la démolition de leur maison et de leurs champs et ne reçurent aucune compensation. (2) Malgré les déclarations officielles, le peuple Égyptien a commencé à subir avant même de pouvoir profiter (3) des retombées de l’opération.

Autre motif à la nécessité de faire fissa : la situation intérieure décourage le touriste, première ressource jusqu’alors de l’Égypte.

Car, au-delà de ces enjeux économiques évidents, des problèmes intérieurs, stratégiques et géopolitiques dominent en la circonstance les choix politiques du militaire Al Sissi. La menace du groupe islamiste du Sinaï est omniprésente; un tir de roquette sur une frégate qui naviguait à proximité de la côte. Aussi le canal sera-t-il un point crucial surmilitarisé – à l’instar des eaux somaliennes quand les actes de piraterie étaient réguliers – et l’“État islamiste “a menacé d’exécuter un otage croate travaillant pour une compagnie française. Le canal et toutes les infrastructures du pays, comme l’État et la population sont sous le contrôle direct de l’armée. Sur le plan intérieur, le projet aura également permis de rassurer et d’obtenir l’adhésion des “simples citoyens”, vraisemblablement en partie des classes moyennes (le salaire minimum des Égyptiens est de 120 euros; plus de la moitié des jeunes “vit” avec environ deux dollars par jour). De nombreux petits porteurs se sont rendus dans les banques, incités par les médias, pour acheter les certificats d’investissement. Les 6 milliards d’euros nécessaires ont été trouvés en dix jours. La propagande patriotique, la main de fer du pouvoir militaire et l’absence d’information ne permet pas de dire si quelque type de résistance a pu se produire.

Un petit rappel historique est ici nécessaire : démarré sous Moubarak, le chantier n’a évidemment pas échappé à la “Révolution” et quelques 6 000 ouvriers se mirent en grève dans les arsenaux de Port-Saïd, à l’entrée nord du canal de Suez, ainsi que chez plusieurs sociétés privées travaillant sur cet axe stratégique du commerce mondial, pour de meilleures conditions de travail et un meilleur salaire, ainsi que la démission du directeur opérationnel du canal. La grève coûtera environ 200 millions d’euros au gouvernement en manque à gagner – si la circulation est toujours ouverte sur le canal, (4) une autorité militaire spéciale est en charge de sa sécurité (ainsi que de l’oléoduc Sumed) – et l’Asie comme l’Occident commencent à s’inquiéter des conséquences sur le trafic et le prix des hydrocarbures. Des navires US seront même envoyés sur zone.

Aujourd’hui, l’opération de doublement du canal de Suez est donc vouée à conforter le pouvoir d’Al Sissi, à générer du profit et à renforcer ses liens militaires et économiques avec l’Occident. Le tout sur fond de paternalisme et de sentiment nationaliste, prétextes à élimination de toute forme d’opposition – amalgame oblige – avec le soutien bienveillant et les intérêts bien compris des États et compagnies occidentaux.

Rien ne vaut le béton et les dollars pour camoufler une “instabilité politique” mâtinée de totalitarisme.

Mon canal au Panama

L’élargissement du canal de Panama repose logiquement sur des considérations du même ordre : une nécessité d’augmenter le passage du Pacifique à l’Atlantique pour répondre aux besoins des pays producteurs asiatiques de faire circuler leurs porte-conteneurs et supertankers, dont le gigantisme ne cesse de croître. (5) les travaux démarrent donc en 2007 et devaient s’achever en 2014. Le 23 avril 2014. Le syndicat de la construction, Suntracs, réclame des augmentations de salaires de 20%, considérées comme excessives par les entrepreneurs.

Mais, à la différence de l’Égypte, la situation politique du Panama reste sûre puisque finlandisée par les États-Unis. (6) Les travailleurs du chantier panaméen moins soumis au “patriotisme”, ont, dès 2012 obtenu par la grève une augmentation de 12 (pour le personnel non qualifiés) à 15% (pour les OQ) et obtenu le paiement d’arriérés de salaires ainsi que des heures sup’ (7), ce qui avait représenté selon l’Autorité du canal de Panama un surcoût de 35 millions de dollars.

Aussi, le chantier panaméen est assujetti au jeu des intérêts multiples propre aux accords entre groupes capitalistes.

Si une partie des retards est comme de juste imputée aux grévistes, les économies classiques propres au BTP ont pesé : Une partie du retard accusé est due à une querelle sur la qualité du ciment que le consortium prévoyait d’utiliser, de mauvaise qualité (pour la construction d’écluses) selon l’autorité du canal. C’est un conflit financier entre l’ACP et le consortium chargé des travaux, Groupe Unis pour le canal (GUPC) (8), qui avait ralenti puis arrêté le chantier pendant deux semaines, tant que le surcoût estimé à 1,2 milliards d’euros ne lui serait pas alloués.

Une fois encore, la lutte interne entre entités capitalistes aura généré chaos économique et attaques contre les salariés. Démontrant pour le coup les motivations à se lancer dans de grands projets aux bénéfices matériel et politique à sens unique.

 

Nicaragua, Nicaragüita (9)

Le Nicaragua rêve éveillé de son canal depuis l’arrivée des conquistadors afin d’éviter le Cap Horn. Nous n’entrerons pas dans sa longue et tumultueuse histoire, (10) mais le projet actuel n’est pas le simple fruit d’une volonté de concurrence avec le canal de Panama, même si celle-ci est réelle.

Les options politiques actuelles du président Ortega , ouvertement débarrassé de son passé révolutionnaire marxiste-léniniste – un de ses candidat a à la vice-présidence était un ex Contras – cherchent à donner une image plus présentable de son parti ( le Fsln : Front sandiniste de libération nationale), allant jusqu’à s’allier aux chrétiens les plus radicaux.

Ortega, d’abord opposé au projet s’est plié à la “réal-économie”, le Nicaragua étant l’un des pays les plus pauvres du monde. Mais l’antagonisme avec les États-Unis demeure; le projet de construction du Grand canal du Nicaragua n’a fait l’objet d’aucun appel d’offres international. Le gouvernement nicaraguayen se tourne alors vers l’encore prometteuse République populaire de Chine, et la gestion du projet est confiée pour une centaine d’années au consortium “Hong Kong Nicaragua Development Group”, dirigé par un multimilliardaire chinois – personne ne sait qui est derrière ce consortium chinois, qui sont les investisseurs publics ou privés, et même si ce projet est viable -. L’accord, comme le stipule le site de HKND “accorde les droits exclusifs au Groupe HKND pour planifier, concevoir, construire et ensuite pour exploiter et gérer le Grand Canal du Nicaragua et d’autres projets connexes, y compris les ports, une zone de libre-échange, un aéroport international et d’autres projets d’infrastructures”. Le projet est estimé à 50 milliards de dollars. HKND qui investira cette somme a obtenu du gouvernement nicaraguayen une concession de 50 ans, renouvelable une fois. Ça c’est du PPP ! (ndla)

Concernant l’exploitation du canal, le contrat stipule également que HKND versera 10 millions de dollars par an pendant dix ans à l’État et lui cédera 1 % des revenus du canal, mais que HKND conservera le droit de vendre sa participation du Canal à qui elle l’entend. – et donc à quelqu’ennemi héréditaire -; les tarifs de passage seront à la discrétion du concessionnaire.

Par ailleurs, Le chantier menace de déplacer 30 000 paysans et indigènes ramas et nahuas qui vivent sur le tracé.

C’est pourquoi cet énorme chantier, censé faire la fortune du pays et le bonheur du peuple, soulève de très vives réactions et de nombreux mouvements de contestation. Une cinquantaine depuis l’ouverture du chantier. Celle du 13 juin dernier à Juigalpa, une ville du centre du pays, aurait rassemblé plus de 15 000 participants (chiffre non confirmé par les autorités) pour exiger l’arrêt immédiat des travaux, accusant le président Ortega de “vendre la patrie”, de détruire l’environnement, et demandant le départ des Chinois impliqués dans ce projet. (11)

La durée du mandat étant généralement de cinq ans en Chine et Li Jinping ayant été élu en 2013, on ne sait s’il paradera à l’ouverture du canal nicaraguayen en 2020…

 

We dig a port, cavamos un puerto… Nous aussi, creusons un port !

Il suffit de regarder une mappemonde et d’être un consommateur un minimum informé pour comprendre que les enjeux colossaux du trafic maritime sont primordiaux pour la France, qu’on sait portée sur les “Grands projets”. Pour le coup c’est à quelque 4200 miles à l’ouest que l’hexagone se jette à l’eau pour sauter dans le train des grands canaux : à la Guadeloupe évidemment ! Et de s’agiter dès février 2014…

En effet, l’ouverture proche du canal de Panama élargi et, plus hypothétique, de celui du Nicaragua ont déjà ébranlé la machinerie du BTP à la Jamaïque et à Cuba.

À la Jamaïque, c’est au consortium CMA CGM et Terminal link (12) qu’ a été confié le chantier d’élargissement du terminal conteneur de Kingston. La concession, d’une durée de 30 ans, va voir le nouveau gestionnaire investir pour développer les capacités du terminal. En plus des infrastructures et de l’outillage, d’importants travaux de dragage sont prévus dans le chenal d’accès au port de Kingston et dans le bassin bordant le KCT (Kingston containers terminal).

À Cuba, la fin de l’embargo et la promesse de reprise des échanges avec les USA suffisent à entreprendre la construction d’un “Méga Hub” à 45 km à l’ouest de La Havane. L’aménagement de ce port est le fruit d’une collaboration entre le Brésil (groupe Odebrecht ) et Cuba. Si le gouvernement castriste dénie tout concours implicite des États-Unis , “ en 2009 déjà, dans une des notes confidentielles dévoilées par Wikileaks, le chargé d’affaires américain à Brasilia transmettait à Washington l’insistance des Brésiliens à voir reprendre ces relations interrompues il y a cinquante ans. « Leur projet d’aider Cuba à construire un port en eaux profondes à Mariel n’a de sens que si Cuba et les États-Unis développent une relation commerciale. »”. C’était donc forcément par voie de mer que Cuba devait réintégrer le marché mondial en “s’adaptant” comme il se doit : pour attirer les investissements étrangers , la zone franche est dotée de règles spécifiques, avec une loi spécialement adoptée pour les faciliter, des me­sures spécifiques en matière d’imposition ou encore de réglementation du travail. (13)

Et il est à prévoir une ruée sur l’eau dans toute la caraïbe, dès lors qu’un port en eaux profondes est avéré dragable et les plates-formes extensibles (les ports mexicains de Lázaro Cárdenas et Manzanillo ou encore Cartagena en Colombie par exemple)…

La France, donc, se dotera de son hub à Jarry en Guadeloupe – tout en concédant l’aménagement de la Pointe aux Grives en Martinique ! (14) -. Là encore les travaux dragage se font jour et nuit, 7 jours sur 7. Les “gens de mer” et au premier rang les pêcheurs locaux sont entrés d’emblée en contestation. Leur crainte première : la pollution générée par les 7 millions de mètres cubes à draguer dont seuls 630 000 m³ doivent être réutilisés en remblai, tout le reste devant être « clapé », autrement dit rejeté en mer à 10 kilomètres de la côte (15). À peine consultés – “c’est en catimini et en plein carnaval (février mars 2013) que l’État a lancé une consultation publique autour du projet de grand port de Guadeloupe” – les pêcheurs ne se considèrent en rien représentés : “Le fameux comité de pilotage (qui ne s’est jamais réuni) ne regroupe quasiment que des structures contrôlées par les services de l’État qui ne représentent guère les intérêts des travailleurs, ni ceux du Peuple ni ceux de la Guadeloupe”.(16) Les pêcheurs dénoncent une volonté de faire de la Guadeloupe une zone franche sans droit des travailleurs, sans production locale ; une véritable colonie de consommation. Ils craignent donc leur disparition pure et simple ! Seules promesses annoncées pour l’heure : dédommagements et attention accrues sur les risques sanitaires et environnementaux. Avec ça…

 

Environronnement…

C’est un grand classique des grands projets : exploitation de la main d’œuvre plus ou moins dure selon le degré de résistance des travailleurs et du “Droits-de-l’Hommisme” des États ainsi que de leurs partenaires privés, déplacements de population, répression des opposants… Et toujours beaucoup d’argent pour fluidifier les relations.

Côté écologique : pollution, menaces d’extinction d’espèces, destructions de sites, au mieux artificialisation des biotopes… En l’occurrence mangroves, massifs coralliens et plaines herbacées marines seront au mieux “observées” voir déplacées (!), sans compter les dérèglements biologiques irréversibles que les espèces intrusives favorisent par la mise en communication de deux mers ou océans. S’ajoute le problème irrémédiable de la salinisation de la principale source d’eau douce d’Amérique latine : le lac Cocibolca.

Soyons rassurés : la course au gigantisme des profits et des structures qui les permettent seront à coup sûr tempérés par la COP21 autant que le nucléaire lors du Grenelle de l’environnement.

Et les mêmes novateurs éclairés paraderont en costard sous les flash au gré des inaugurations jusqu’en 2020. Et ils mettront une doudoune pour l’ouverture du passage du Nord-Ouest. Ça viendra vite.

 

GCA La Mouette enragée

Boulogne sur Mer, le 14 septembre 2015

 

 

Notes

  1. Voir l’article de l’université de Laval sur les risques sociaux et environnementaux dans l’Arctique : http://archives.contact.ulaval.ca/articles/passage-ouvert-contestation-184.html
  2. lire intégralement l’article de Séverinne Evanno sur http://orientxxi.info/magazine/egypte-canal-de-suez-encore-un,0727
  3. Le canal n’a été fermé qu’à deux reprises : en 1956-57 et en entre 1967 et 1975.
  4. Le nouveau canal de Suez, principale voie de transit pour le commerce maritime mondial pourrait bientôt rapporter 13,2 milliards de dollars de droit de passage. L’estimation des autorités égyptiennes se base sur l’augmentation attendue du trafic sur le canal.
  5. L’élargissement du canal de Panama permettra le passage de navires transportant jusqu’à 12 000 conteneurs, soit le double de la charge actuelle. Parallèlement, déjà saturé, le passage augmenterait de 3% par an jusqu’en 2025.
  6. Les États-Unis ont mené la construction du canal de Panama, sur lequel ils se sont arrogés une concession léonine à partir de son inauguration en 1914 jusqu’à sa rétrocession en 1999. Un accord leur permet encore aujourd’hui d’intervenir si la neutralité de la voie est menacée. Pour rappel, l’intervention militaire US en 1989 pour destituer l’ancien agent de la CIA Norirga alors au pouvoir et devenant encombrant. Détail notable : “Le 29 décembre 1989 l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, par 75 voix contre 20 et 40 abstentions, une résolution condamnant l’intervention militaire des États-Unis au Panama. Sept jours plus tôt, le 22 décembre 1989, l’Organisation des États américains (OEA) a, elle aussi, condamné  l’opération « Just Cause ». Par une autre résolution, l’OAE a condamné la violation de l’immunité diplomatique des locaux de l’ambassade de Nicaragua à Panama-City. Cependant, il n’y a eu aucune résolution à caractère contraignant. Plusieurs jours d’âpres débats au Conseil de sécurité des Nations unis n’ont abouti à rien : la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont utilisé leur droit de veto en estimant que 35 000 soldats américains déployés dans la zone du canal du Panama.” Source : http://fr.sputniknews.com/french.ruvr.ru/radio_broadcast/54259610/64183725/
  7. «Les travaux sont totalement paralysés, tant du côté Pacifique que du côté Atlantique», a déclaré à l’AFP Saul Mendez, secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du secteur de la construction admet ( Si,si!) le site http://www.batiactu.com le 1è janvier 2O12.
  8. Le consortium international (GUPC) conduit par le géant du BTP espagnol Sacyr, également composé de la firme italienne Impregilo, de la belge Jan de Nul et de la panaméenne Constructora Urbana. Source : http://geopolis.francetvinfo.fr/panama-lelargissement-du-canal-centenaire-subit-des-retards-34597
  9. Nicaragua, Nicaragüita est certainement la chanson la plus connue du Nicaragua. créée par Carlos Arturo Mejía Godoy, membre de la première période sandiniste, après l’insurrection de 1979. Elle est un hymne à la liberté datant de cette période et, parallèlement, fait référence au Diriangen, un chef indien qui a lutté contre les conquistadores espagnols.
  10. Sommaire historique (politique intérieure récente) : Anastasio Somoza est l’homme fort du Nicaragua sur lequel il règne de façon autoritaire de 1936 à 1956. Ses fils Luis et Anastasio lui succèdent avant que les rebelles du Front sandiniste de libération (FSL), qui dénoncent la corruption du régime, ne s’emparent du pouvoir à la fin des années 1970. L’adoption d’un modèle de développement socialiste, en pleine crise économique, s’avère difficile. De plus, le sandiniste Daniel Ortega, qui est élu à la présidence, doit composer avec une guérilla armée qui reçoit l’appui des États-Unis. Des négociations permettront d’apaiser les tensions et, éventuellement, de mettre fin au conflit. La victoire de l’opposition dirigée par une femme, Violeta Chamorro, lors des élections de 1990, précède un virage vers le libéralisme économique qui ne suffit toutefois pas à résoudre tous les problèmes du pays. Malgré une plus grande stabilité politique, le Nicaragua demeure un des pays les plus pauvres des Amériques, une situation avec laquelle Ortega, qui n’adhère plus au marxisme, doit composer à son retour au pouvoir, en 2006.

Source : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMHistoriquePays?codePays=NIC

  1. Infos largement puisées dans : http://www.rfi.fr/hebdo/20150626-nicaragua-grand-canal-chinois-amerique-centrale-social-environnemen
  2. le Groupe CMA CGM possède deux opérateurs portuaires : Terminal Link et CMA Terminals, formé de CMA CGM (60%) et Terminal Link (40%), société détenue à 51% par l’armateur français et à 49% par China Merchant Holdings International. CMA CGM fournit son expertise dans les terminaux pour un service optimum, Terminal Link, est un opérateur portuaire qui grandit grâce à une stratégie de développement consistant à : Fournir des terminaux avec un service de haute qualité pour chaque compagnie de transport maritime ; Optimiser la valeur financière et la profitabilité de chaque terminal ; Maintenir un portefeuille client diversifié.
  3. Détail dans http://www.meretmarine.com/fr/content/cma-cgm-fait-de-kingston-son-hub-dans-les-caraibes
  4. Jean-Rémy Villageois estime que le Grand Port maritime de La Martinique et celui de la Guadeloupe ont tout intérêt à établir des relations de coopération. « On ne sera plus en attitude d’observation l’un vis-à-vis de l’autre », décrit-il. Il indique qu’en attendant que le décret de création d’un conseil interportuaire, soit publié, les partenaires peuvent commencer à travailler. http://www.lantenne.com/Deux-des-trois-volets-de-la-reforme-en-place-enMartinique_a8683.html Réaction de Ségolène Royal : « C’est quand même curieux, cet argent engagé en même temps sur les deux ports, ces dégâts environnementaux… Les transporteurs risquent de faire jouer la concurrence. Et l’a-t-elle accepté de cofinancer deux fois ? », ( Sur la première tranche de travaux de Jarry évaluée à 87,7 millions d’euros, jusqu’en 2016, l’Europe apporte 18,7 millions.
    En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/03/07/en-guadeloupe-conteneurs-contre-pecheurs_4589299_3244.html#XZz92T4E4q3saw0q.99
  5. Source : http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/03/07/en-guadeloupe-conteneurs-contre-pecheurs_4589299_3244.html
  6. Lire le courrier adressé à François Hollande par le LKP le 9 février 2015 sur http://ugtg.org/article_2188.html

[Paris] Autolib’ en fumée, dans tes dents Bolloré

source inndymedia nantes, avec des informations du laboratoire

Malgré les sirènes alarmistes, l’état d’urgence ne nous a pas empêché ces derniers jours de porter notre modeste contribution à l’offensive anti-capitaliste, plus spécifiquement à une des prétendues solutions à la crise écologique, la filiale Blue Solutions du groupe Bolloré, qui fait la joie des investisseurs verdissant leur image tout en conquérant de nouveaux marchés.

Depuis quelques années, le groupe Bolloré porte-étendard de l’excellence française dans le domaine des innovations écologiques, signe de juteux contrats avec les municipalités et la RATP pour installer au fur et à mesure des stations d’Autolib’, alimentées par l’énergie mortifère qu’est le nucléaire, et prochainement des scooters, des bus et des tramways du même acabit.

Pour ceux qui ne savent pas qui est Bolloré, rappelons que c’est un des seigneurs français dans la finance, l’industrie, les réseaux de transports et la communication à l’échelle mondiale. Il s’est bati un empire grâce à de nombreuses filiales qui exploitent les ressources dans les ex-colonies françaises entre autres. Pour ne donner que quelques exemples récents des exactions de l’empire Bolloré on peut mentionner la spoliation de terre de peuples autochtones au Cambodge pour y cultiver des arbres à caoutchoucs; ou le projet de plantations de palmiers à huîle au Sierra Leone sur les terres de communautés locales opposés à la destruction de leurs cultures et des forêts. Aussi, combien de vies coûtera la construction de la boucle ferroviaire de 2700 kilomètres de la Bolloré Africa Logistics(1) pour relier la Côte d’Ivoire au Togo ?

C’est aussi parceque le projet d’Autolib’ s’inscrit dans le projet de smart city qu’est le Grand Paris, dans la restructuration et la revalorisation de quartiers entiers au détriment des pauvres qui y vivent pour les remplacer par une population plus friquée et plus docile, que nous avons décidés d’agir en conséquence.

Allumer une simple boîte d’allumes feux placée sous une des roues du véhicule suffit pour transformer une autolib’ en une carcasse, comme tout passant pouvait voir les jours précédents, avenue de Stalingrad à Montreuil, avenue Pasteur à Bagnolet et rue Mathis dans le 18ème arrondissement. Une méthode parmi tant d’autres pour les rendre inutilisables…

Tant qu’oxygène et détermination il y aura, le feu prendra, il n’y a pas de raisons pour que ça ne continue pas !
1- la construction de la voie de chemin de fer attise des conflits et surtout il y a des barbouzes qui travaillent pour le groupe Bolloré ( exemple au burkina Fasso)
t aussi ces terminaux porte conteneur

« Squatter… c’est lutter » (Paris, 1984)

Présentation d’une brochure publiée sur infokiosques.net, éditée en août 2015 par Zanzara athée. Il s’agit d’un texte parisien qui, bien qu’il date d’il y a plus de 30 ans, a gardé toute sa fraîcheur.

En 1984, des squatteur-euse-s parisien-ne-s affirment la nécessité de squatter, et la nécessité de lier le squat à la lutte. Plus de trente ans après, la question du logement est toujours actuelle …il suffit d’essayer de joindre le 115, parfois c’est Privas qui répond au lieu de Valence. Combien de femmes avec enfants en bas age sont rejetées par l’accueil d’urgence ( Valence au saint Didier par exemple) et asil .com qui vire à la rue des gens en plein hiver.

Brochure à lire et télécharger sur infokiosques.net. En PDF version cahier imprimable (pour brochure A6) et version page par page (à lire sur l’écran).

Extraits :

La galère. Être jeune et coincé chez ses parents faute de fric pour se louer une chambre. Être chômeur et dormir à la rue parce que les loyers sont trop chers. Bosser au noir ou en intérim et s’incruster chez les copains parce que les propriétaires exigent des feuilles de paye. Être immigré et devoir dégager en lointaine banlieue – quand ce n’est pas sous d’autres cieux – parce que dans le quartier, on restructure. La galère.

La galère pour 50 000 Parisiens sans maison. La galère pour 15 000 d’entre eux à qui il ne reste que les squares et les quais du métro. La galère pour 300 000 autres qui attendent depuis des mois d’improbables « logements sociaux ». Sans compter les millions qui crèvent la dalle pour se payer une piaule ou qui, faute de mieux, pourrissent dans des taudis.

La galère, et 300 000 logements vides rien qu’à Paris. Des vieux, des neufs, des grands, des petits, des propres et des crades. Tout ce dont ou pourrait rêver. Sauf que…

Sauf que la ville de demain, Ils la veulent propre, ordonnée, disciplinée et rentable. Tu passes là où on te dit de passer. Tu pointes là où on te dit de pointer. Tu payes là où on te dit de payer. Tu crèches là où on te dit d’habiter. Chacun dans son coin. Tous bien dispersés, bien isolés, bien surveillés, bien contrôlés. Inoffensifs.

(…)

Un squat, aujourd’hui, ça ne peut pas vivre seul. Ça ne peut pas tenir seul. Parce que loin d’être une simple question de logement, c’est aussi, nécessairement, une histoire de boulot, de chômage, de carte de séjour, de vie de quartier, de bouffe, de fête.

Un squat, aujourd’hui, ça ne peut survivre que si ça s’affronte aussi aux problèmes de taf, de fric, de contrôle, de vie collective. Ça ne peut survivre que si d’autres s’y reconnaissent, chômeurs, prolos, immigrés, squatteurs ou pas, s’ils sont là pour l’appuyer, pour le défendre.

Un squat aujourd’hui, si c’est un ghetto parmi les ghettos, ça crève. Pour que ça marche, une seule condition : que ça lutte.

Ce texte a été publié la première fois dans le zine Molotov & Confetti n°1 (Paris, 1984).
relu sur marseille information autonome et complété par nous

Valence TGV : le colis suspect était une batterie de la SNCF !

lu sur france bleu , vendredi 18 décembre 2015 à 18:20 :

La gare de Valence TGV a été évacuée ce vendredi après-midi pendant près de deux heures à cause d’un colis suspect qui était en fait une batterie rangée dans une boîte en plastique. Plus de sept cents passagers ont dû patienter sur place et le trafic a été très perturbé.

Vers 15h40, le TGV circulant de Genève à Nice s’arrête à Valence TGV. Ordre est donné à tous les passagers d’évacuer le train. Les autres voyageurs doivent également sortir de la gare et attendre sur les parkings adjacents. En cause : un colis suspect découvert par les contrôleurs de ce TGV, une mystérieuse boîte plastique placée sous leur siège. Les agents appliquent la procédure et le principe de précaution.
Une batterie rangée sous le siège des contrôleurs

Ce sont les démineurs venus de Lyon qui constatent finalement vers 17h30 que le paquet ne présente pas de danger. A l’intérieur se trouve une batterie utilisée par la SNCF pour les chariots élévateurs qui servent à faire descendre du train les handicapés en fauteuil. Pourquoi se trouvait-elle sous le siège des contrôleurs ? Qui a commis l’erreur ? La SNCF pourrait lancer une enquête interne pour comprendre l’anomalie et éviter un nouvel incident de ce type.
Deux heures d’attente pour plus de sept cents voyageurs

La circulation des trains a pu reprendre à Valence TGV vers 17h40. En ce vendredi de départ en vacances, ce sont plus de sept cents voyageurs qui se trouvaient dans la gare. Ils ont dû patienter deux heures. Sans compter les passagers des trains déviés sur la voie classique et qui ont eu de gros retards. Tout ça à cause donc d’une batterie mal rangée.

commentaire d’une voyageuse reçu par mail:
après avoir passé deux heures sur le parking devant la gare tgv pour alerte
à la bombe….avec pleins de contrôles aux facies devant tout le monde.

Brescia (Italie) : 200 flics réveillés de bon matin et de mauvaise humeur

source: Brèves du désordre

On apprend des médias locaux qu’à 4h37 de la nuit de vendredi 18 à samedi 19 décembre, un engin artisanal a explosé devant la porte de l’école de police de Brescia (Pol.G.A.I. – Scuola di Polizia Giudiziaria Amministrativa Investigativa). Une cocotte-minute remplie de poudre noire a détoné en dégradant la façade et, certainement, en réveillant en sursaut les près de 200 apprentis-policiers qui dormaient à l’intérieur de l’école. Le parquet a ouvert une enquête pour acte de terrorisme avec explosifs ; la Digos est en train de regarder les images de vidéosurveillance (sur lesquelles apparaît un individu seul et le visage couvert), tandis que des barrages routiers ont été immédiatement établis sur les routes nationales et les rocades de la ville. Les investigations se concentrent sur le mouvement anarchiste, et l’hypothèse court d’un lien entre cette action et le lancement de Décembre noir.

[Traduit de l’italien de informa-azione, Sab, 19/12/2015 – 11:43]

Emission de Radio:Lobbying et régulations 3 : La fabrication de l’ignorance

L’agnotologie, vous connaissez ? C’est la science de l’ignorance, appliquée avec méthode aux effets sur les populations du tabac, de la chimie, ou encore… d’un accident nucléaire, comme à Fukushima.

écoul’émission peut être écouter ici

Avec : Thierry Ribault, chercheur, CNRS-CLERSE-Université Lille 1 ; Cécile Asanuma-Brice, chercheur associée, CNRS-CLERSE-Université Lille 1, Maison franco-japonaise, Tokyo et Annie Thébaud-Mony, sociologue, directrice de recherches honoraire à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)

Dans l’angle mort du 13 novembre

note d’une personne du laboratoire anarchiste: la publication de ce texte est aussi pour préparer un futur débat .Nous contacter rapidement avec l’adresse mail: lelabo@riseup.net et aussi par courrier papier.Le laboratoire assurera toutes les permanences de la fin décembre 2015</

décembre 2015, Temps critiques

6-7 janvier 2015 – 13 novembre 2015 : une continuité ?

1 Sans vou­loir extra­po­ler ou sur-interpréter1, on peut remar­quer une cer­taine conti­nuité dans les objec­tifs des atten­tats de jan­vier et ceux de novem­bre 2015. Les pre­miers étaient étroi­te­ment ciblés (jour­na­lis­tes de Charlie et Juifs de l’hyper­marché casher) et hau­te­ment sym­bo­li­ques ; les seconds relèvent d’un ciblage beau­coup plus large sur les lieux de plai­sir de l’Occident2. Il s’agit d’une sorte d’« exten­sion du domaine de la lutte » quant à l’ampleur de l’entre­prise et ses résul­tats mortifères. On peut aussi remar­quer une conti­nuité au niveau du théâtre des opérations : la France cons­ti­tue une cible privilégiée et ce n’est pas nou­veau, même si des atten­tats au Liban et à Bamako au Mali ont eu lieu à peu près au même moment.

2 Les réactions sont aussi beau­coup plus una­ni­mes que pour Charlie, la preuve en est qu’il ne s’agis­sait pas, à l’époque, d’une réaction d’une quel­conque « com­mu­nauté natio­nale » et qu’il y avait bien un frac­tion­nement de la popu­la­tion sur des bases à la fois eth­nico-reli­gieu­ses (Arabes/musul­mans), socia­les (centre/périphéries) et poli­ti­ques (gêne à l’extrême gauche, chez les écolo­gis­tes et les « alter »). D’ailleurs, il sem­ble­rait que les lan­gues se délient. Beaucoup de ceux qui pen­saient que les mem­bres de Charlie et même peut-être que les Juifs de l’Hypercasher l’avaient bien mérité, mais qui ne vou­laient pas s’expri­mer à l’époque parce qu’ils y voyaient un man­que­ment au poli­ti­que­ment cor­rect, ou une marque d’absence d’empa­thie, ou encore une occur­rence de stig­ma­ti­sa­tion, ne se gênent pas aujourd’hui pour le faire. En mar­quant bien la différence entre les deux événements, ils jus­ti­fient ainsi, impli­ci­te­ment, un accord sur la légiti­mité des fins des atten­tats de jan­vier, si ce n’est sur les méthodes employées3. En fait, les atten­tats du 6-7 jan­vier n’ont pas tou­jours été perçus comme « ter­ro­ris­tes » parce que jus­te­ment ils étaient clai­re­ment ciblés et que fina­le­ment cer­tains pou­vaient y voir des objec­tifs poli­ti­ques (lutte contre l’isla­mo­pho­bie, anti­sio­nisme pri­maire). Les vic­ti­mes, dans cette pers­pec­tive, n’étaient donc pas vrai­ment « inno­cen­tes » alors que celles du 13 novem­bre le seraient parce que tout le monde, n’importe quel consom­ma­teur ou pas­sant, pou­vait être touché par les mitrailla­ges. La réaction n’est donc pas la même, plus poli­ti­que les 6-7 jan­vier, plus com­pas­sion­nelle le 13 novem­bre.

3 Par ailleurs, il est beau­coup plus facile aujourd’hui pour les per­son­nes qui par­ta­gent cette posi­tion, de dire qu’il n’y a pas de lien entre les actes de novem­bre et l’islam parce qu’on considère que leurs auteurs n’appar­tien­nent plus au genre humain, et que la légiti­mité de leurs motifs reli­gieux n’est pas reconnue. Ils ne seraient que des « mons­tres » ou des « fous » dont les bonnes âmes média­ti­ques ou poli­ti­ques se deman­dent bien quelle société a pu les pro­duire. Certains gau­chis­tes ou alter­na­tifs don­nent une réponse toute faite : c’est la société capi­ta­liste qui est fau­tive, c’est la « frac­ture sociale », etc., comme si tous les pau­vres étaient des ter­ro­ris­tes, comme si tous les pau­vres étaient musul­mans et donc comme si tous les musul­mans étaient ter­ro­ris­tes. Il est quand même éton­nant de voir que ceux-là mêmes qui cri­ti­quent tout amal­game sur la ques­tion comme poten­tiel­le­ment isla­mo­phobe, repren­nent incons­ciem­ment cet amal­game mais à rebours, trans­for­mant ainsi des corrélations forcément com­plexes à ana­ly­ser en sim­ples rela­tions de cause à effet ! Or cri­ti­quer cette référence au capi­ta­lisme en général n’expli­que pas ce qui réunit la dji­ha­diste diplômée de San Bernardino, les frères Kouachi, l’ex-offi­cier de Saddam Hussein, le converti de Toulouse parce qu’alors on ne tient pas compte d’un pro­ces­sus de glo­ba­li­sa­tion qui concerne des zones géogra­phico-poli­ti­ques dont la place dans le pro­ces­sus global n’est pas iden­ti­que. « La faute au capi­ta­lisme » n’est alors qu’une for­mule toute faite pour trou­ver une cohérence d’ensem­ble, une fois usée la vieille rhétori­que de la théorie de l’impéria­lisme, aujourd’hui contre­dite par la glo­ba­li­sa­tion. De même, rabat­tre systémati­que­ment tous ces événements sur des cau­sa­lités socia­les est devenu la « boîte à outils » de la socio­lo­gie de gauche utilisée pour l’ana­lyse de tous les faits ou actions. Elle serait un garde-fou contre les expli­ca­tions psy­cho­lo­gi­san­tes sans portée poli­ti­que parce qu’elles ont ten­dance à cir­cons­crire les oppo­si­tions ou la révolte à des com­por­te­ments de déviance.

4 Mais cette recher­che des causes socia­les reste pri­sonnière de son credo socio­lo­giste et pro­gres­siste qui la rend peu à même de déchif­frer le nou­veau à l’œuvre.

Une perspective politique introuvable

5 Ce qui est patent, mais bien évidem­ment dur à reconnaître, c’est que ce genre d’événements nous met tout sim­ple­ment hors-jeu et on peut dire ceux de novem­bre 2015 bien plus encore que ceux de jan­vier. Dans cette situa­tion que nous subis­sons au plus haut point, toute posi­tion « pro­gram­ma­ti­que », sous condi­tion même qu’elle puisse être fondée en prin­cipe, s’avère arti­fi­cielle et velléitaire. Il en est ainsi pour ceux qui défen­dent encore une posi­tion « défai­tiste révolu­tion­naire » dans la tra­di­tion des Gauches com­mu­nis­tes des années 1920-19304. Cela découle de ce qui précède. Pour eux, la guerre ne peut être qu’une guerre entre États dans laquelle les pays impéria­lis­tes ne peu­vent que l’empor­ter. Une vision théorique ren­forcée sur le ter­rain par le fait que les luttes de libération natio­nale qui avaient semblé inver­ser cette ten­dance, ne sont plus vrai­ment d’actua­lité, lais­sant place à une désagrégation des différents blocs issus de la Seconde Guerre mon­diale puis de la Guerre froide.

6 Pourtant, ce qui caractérise les actions mili­tai­res depuis 2001, c’est d’être bien plus des opérations de police5 que des guer­res asymétri­ques ou dissymétri­ques. Ces deux dernières caractérisa­tions en pro­ve­nance d’experts en stratégie mili­taire nous parais­sent en effet peu opératoi­res. Pour qu’il y ait guerre, il faut deux armées et des ter­ri­toi­res suf­fi­sam­ment définis pour qu’il y ait, par exem­ple, contes­ta­tion du tracé des frontières offi­ciel­les, ou alors il peut s’agir d’une guerre civile. Ce sont donc des termes très marqués idéolo­gi­que­ment met­tant sur le même plan arti­sans ter­ro­ris­tes, grou­pe­ments ter­ro­ris­tes très orga­nisés et dis­po­sant d’effec­tifs non négli­gea­bles, mou­ve­ments de libération natio­nale et armées impéria­lis­tes, à com­men­cer par l’armée américaine. C’est à la fois différent de la situa­tion algérienne pen­dant laquelle la France niait l’exis­tence de la guerre et trai­tait tout moud­ja­hid en ter­ro­riste et de la situa­tion au Vietnam où il n’y avait qu’un déséqui­li­bre entre des forces poli­ti­ques et mili­tai­res étati­ques (le Vietcong était sou­tenu par le Vietnam du Nord) visant à garan­tir ou au contraire à modi­fier des tracés de frontières.

7 C’est que du côté des puis­san­ces et du pou­voir la désigna­tion des enne­mis n’est plus claire ; l’ennemi est-il encore extérieur ou en partie intérieur ? En effet, si offi­ciel­le­ment les puis­san­ces occi­den­ta­les désignaient clai­re­ment leurs enne­mis de l’extérieur (bloc soviétique pen­dant la guerre froide) et de l’intérieur (prolétariat), la réalité s’avère beau­coup plus com­plexe aujourd’hui et les poli­ti­ques des gran­des et moyen­nes puis­san­ces (occi­den­ta­les et autres) res­sem­blent à un jeu d’échecs ou de go, où l’ennemi est moins fixe qu’il n’y paraît : États-amis hier–État-voyous demain pour ce qui est de l’extérieur ; « nou­vel­les tra­jec­toi­res révolu­tion­nai­res » des enne­mis de l’intérieur et enfin, un ter­ro­risme inter­na­tio­nal qui brouille les pistes entre intérieur et extérieur, ce qui n’était pas le cas des mou­ve­ments tra­di­tion­nels de lutte armée, qu’ils soient natio­na­lis­tes (ETA et IRA) ou prolétariens inter­na­tio­na­lis­tes (RAF et BR ou PL).

8 La dimen­sion poli­ti­que6 retrouve ici son caractère incontour­na­ble par rap­port à la dimen­sion mili­taire et au rap­port de forces brut. Mais la crise de la forme État-nation et la dif­fi­culté à affir­mer des posi­tions tra­di­tion­nel­les de sou­ve­rai­neté dans le cadre de la glo­ba­li­sa­tion (les décisions sont sou­vent interétati­ques ou le fait de conférences inter­na­tio­na­les) font que la posi­tion de faci­lité à court terme, pour chaque État, apparaît comme celle du tout sécuri­taire même si elle com­prend une grande part d’esbroufe et qu’elle est tech­ni­que­ment dif­fi­cile à mettre en place sans atta­quer les bases du double consen­sus libéral et démocra­ti­que. Pour ne pren­dre qu’un exem­ple actuel, ouvrir les frontières aux réfugiés et plus générale­ment aux migrants comme le préconi­sait encore l’Europe quel­ques jours avant les atten­tats n’est plus chose facile quel­ques jours après ces mêmes atten­tats, quand le prin­cipe de libre cir­cu­la­tion des mar­chan­di­ses et des hommes d’hier s’avère dif­fi­ci­le­ment com­pa­ti­ble avec la sur­veillance poli­ti­que et policière des flux aux frontières.

9 Mais, de « notre côté », les choses ne sont pas plus clai­res. S’oppo­ser direc­te­ment à la guerre comme ce fut le cas encore pour le Vietnam alors que la cons­crip­tion exis­tait tou­jours ne cons­ti­tuait déjà plus qu’une pos­si­bi­lité indi­recte au moment de l’inter­ven­tion en Irak de forces mili­tai­res pro­fes­sion­nel­les spéciales opérant sur le prin­cipe du zéro mort parmi les forces d’inter­ven­tion7. Cette pos­si­bi­lité est main­te­nant deve­nue très problémati­que dans une confi­gu­ra­tion où s’affron­tent pro­fes­sion­nels tech­no­lo­gisés et dronés d’une part, com­bat­tants fana­tisés, et bien armés aussi, d’autre part. Les « lois de la guerre » ne sont d’ailleurs plus res­pectées ni par les uns ni par les autres (sévices à Guantánamo et bom­bar­de­ments d’hôpitaux d’un côté, gazage des civils, viols, escla­vage, exécutions sau­va­ges de l’autre). En conséquence, pra­ti­quer le « défai­tisme révolu­tion­naire8 » s’avère sans objet sur lequel l’exer­cer ; et bran­dir le refus de l’unité natio­nale, comme si elle cons­ti­tuait un aspect cen­tral du problème, n’est plus qu’une ten­ta­tive de main­te­nir des prin­ci­pes inva­riants dans n’importe quel contexte alors que, dépour­vus d’effets pra­ti­ques du fait de l’absence de sujets à même de l’exer­cer, ils ne relèvent plus que du slogan poli­ti­que ou sec­taire.

10 C’est peut-être par cons­cience de ce décalage qu’Erri de Luca9, pour­tant peu soupçonna­ble de com­pro­mis­sion avec l’État vu ses posi­tions contre la ligne fer­ro­viaire à grande vitesse Lyon-Turin et ses démêlés avec la jus­tice à ce propos, en est venu à pren­dre une posi­tion alter­na­tive pour le moins trou­blante. Néanmoins, elle apparaît assez cohérente avec son actuel démocra­tisme-révolu­tion­naire si on nous permet cette for­mule qui frise l’oxy­more. Il pro­pose en effet, l’orga­ni­sa­tion d’une défense citoyenne sur le modèle anti­fas­ciste des rondes de quar­tiers dans l’Italie des années 1970, dont le but était de neu­tra­li­ser les fas­cis­tes ou les tra­fi­quants de drogue) par des actions à la base. S’il s’agit cette fois de neu­tra­li­ser des ter­ro­ris­tes et non pas des fas­cis­tes, la fina­lité est la même : éviter ce qu’il nomme un risque de mili­ta­ri­sa­tion exces­sive de l’État et donc sa droi­ti­sa­tion extrême. Les dis­po­si­tifs stratégiques imaginés par l’ancien diri­geant du ser­vice d’ordre de Lotta Continua refont sur­face, mais reconver­tis en usage citoyen dans l’État de droit, de façon à nous sauver de l’état d’excep­tion expérimenté un temps par l’État ita­lien au cours des « années de plomb10 ». Sans par­ta­ger ce propos, le réduire à un appel à la délation auprès de la police, comme le font déjà cer­tains, est un réflexe révolu­tion­na­riste qui consiste à penser qu’en rester à la dénon­cia­tion abs­traite de l’État, de la société capi­ta­liste, de Daech est bien supérieure à la délation concrète des ter­ro­ris­tes eux-mêmes, mais sans rien pro­po­ser d’autre qu’un mot d’ordre lui-même abs­trait qui présup­pose une guerre (de classe ?) entre deux enne­mis, d’une part un État-poli­cier et d’autre part des « révolu­tion­nai­res » qui le com­bat­tent. Mais qui peut croire à une telle fic­tion ?

Actes de radicalisation islamiste ou actes fascistes ?

11 Même s’ils n’y ont adhéré que de l’extérieur et s’ils connais­sent à peine l’islam, les tueurs de Paris ont agi en pen­sant accom­plir une mis­sion poli­tico-reli­gieuse qui mêle trans­cen­dance (la mys­ti­que sous-jacente à l’acte sans laquelle l’ori­gine de la vio­lence n’est pas reconnais­sa­ble) et imma­nence de l’acte de com­mando (un acte qui parle de lui-même comme dans l’atten­tat kami­kaze). À la limite, la signa­ture orga­ni­sa­tion­nelle de l’acte est superfétatoire comme on a pu le voir les 6-7 jan­vier, car la référence majeure est celle au djihad isla­mi­que vécu sur le mode intense (et hurlé), et non pas à une orga­ni­sa­tion spécifi­que, même s’il semble bien y avoir là aussi des enjeux poli­ti­ques de concur­rence entre les différents grou­pes11.

12 Que les com­man­dos d’Allah puis­sent, par ailleurs, pro­ve­nir de la petite voyou­cra­tie de ban­lieue et être rat­tachés à ce que Marx appe­lait le lum­pen­pro­le­ta­riat ne représente qu’une vue par­tielle, très influencée par le contexte français12 où la ten­dance domi­nante et récur­rente consiste à cher­cher des causes écono­mi­ques et socia­les aux actes perpétrés tant l’image des « clas­ses dan­ge­reu­ses » de la ban­lieue imprègne, posi­ti­ve­ment ou négati­ve­ment, les argu­men­tai­res depuis la révolte de 2005… Mais les ter­ro­ris­tes du 11 sep­tem­bre qui avaient des connais­san­ces scien­ti­fi­ques et des bre­vets de pilote d’avion ne fai­saient pas partie de la voyou­cra­tie ni ceux aujourd’hui de San Bernardino, près de Los Angeles, qui sont tech­ni­ciens13. Une partie des ter­ro­ris­tes européens qui par­tent en Syrie non plus et même en France, Coulibaly, l’assaillant de l’Hypercasher, gagnait 2200 euros par mois, était doté d’une voi­ture, avait voyagé dans plu­sieurs pays et tra­vaillait pour une mul­ti­na­tio­nale américaine ; deux des indi­vi­dus impliqués dans les tue­ries du 13 novem­bre étaient des petits patrons de bar.

13 Il ne faut pas que ce dis­cours, en grande partie convenu à gauche, nous fasse oublier la spécifi­cité his­to­ri­que et poli­ti­que de ce ter­ro­risme-là et donc son lien avec l’isla­misme mili­tant. On ne peut qu’être stupéfait des décla­ra­tions d’Alain Badiou sur les assas­sins du Bataclan qui ne seraient que les Lacombe Lucien d’aujourd’hui14. Les antien­nes sta­li­nien­nes sur l’impéria­lisme et le fas­cisme ne sont pas des sésames poli­ti­ques. L’appli­ca­tion du qua­li­fi­ca­tif de « fas­cis­tes » aux dji­ha­dis­tes actuels est un signe de cécité poli­ti­que. En effet, la défini­tion du fas­cisme par Badiou est fan­tai­siste et anhis­to­ri­que : « une pul­sion de mort arti­culée dans un lan­gage iden­ti­taire », avec en plus un caractère gangstériste, ce qui est fran­che­ment risi­ble. Si tout fana­tisme reli­gieux est « fas­ciste », on va en comp­ter beau­coup de par le monde, de ces fas­cis­tes, car les conflits reli­gieux, par­fois très vio­lents, sont légion. D’autre part, les mou­ve­ments isla­mis­tes ne se bat­tent pas sur le ter­rain du natio­na­lisme, contrai­re­ment aux États dic­ta­to­riaux (laïques ou reli­gieux) de la région15. Nous avons d’ailleurs parlé de ten­dance à la com­mu­nauté des­po­ti­que pour figu­rer l’objec­tif de ces mou­ve­ments et plus par­ti­culièrement de Daech (cf. op. cit.).

14 Il n’y a donc rien, dans ces mou­ve­ments, qui soit caractéris­ti­que du fas­cisme : natio­na­lisme et cor­po­ra­tisme, de même que fas­cisme ne peu­vent pas être assi­milés à un mou­ve­ment reli­gieux. Cette ana­lyse du « fas­cisme » anti-occi­den­tal est abra­ca­da­brante.

15 La mys­ti­que de la mort qui habite ces enga­ge­ments dji­ha­dis­tes sou­dains n’est d’ailleurs ni fas­ciste, ni reli­gieuse à pro­pre­ment parler — , même si on peut la retrou­ver dans le Viva la muerte des pha­lan­gis­tes espa­gnols ou dans le sacri­fice des mem­bres des com­man­dos d’Allah16.

16 Cette affir­ma­tion non fondée de Badiou sur un fas­cisme isla­miste occa­sionne quel­ques tours de passe-passe. Tout d’abord, celui de nier indi­rec­te­ment l’impor­tance de l’événement de Paris. En effet, pour Badiou, les vic­ti­mes de Paris ne sont que quel­ques morts qui ne représen­tent pas grand-chose par rap­port aux dizai­nes de mil­liers de vic­ti­mes de l’impé­ria­lisme au Moyen-Orient et ce ne serait que leur qualité d’Occidentaux qui leur conférerait une « sur­va­leur ». Il confond ici deux choses : d’un côté, les morts occi­den­taux au combat qui sont effec­ti­ve­ment « sur­va­lo­risés » alors que leur pro­por­tion n’est que de 1 pour 20 par rap­port aux autres com­bat­tants, et de l’autre les morts de Paris qui ne sont pas des com­bat­tants mais des civils. On voit mal la per­ti­nence d’une comp­ta­bi­lité maca­bre qui a pour fina­lité de com­pa­rer le nombre de ces vic­ti­mes à celui des der­niers atten­tats au Liban, en Tunisie, au Mali et main­te­nant à San Bernardino. Ensuite, celui d’exemp­ter l’isla­misme radi­cal de toute impli­ca­tion en Europe comme au Moyen-Orient dans les événements actuels.

17 Son nou­veau compère, Slavoj Žižek ne semble d’ailleurs pas en reste, même si sa démarche est plus sub­tile et son ques­tion­ne­ment plus fondé quand il déclare :

18 « Penser en réaction à la tuerie de Paris impli­que de lais­ser tomber l’auto­sa­tis­fac­tion du libéral laxiste et d’accep­ter que le conflit entre libéralisme et fon­da­men­ta­lisme reli­gieux soit au final un faux conflit, un cercle vicieux dans lequel deux pôles se génèrent et se présup­po­sent l’un l’autre. Ce qu’a dit Max Horkheimer, dans les années 1930, à propos du fas­cisme et du capi­ta­lisme — si l’on se refuse à cri­ti­quer le capi­ta­lisme, alors on devrait aussi se taire sur le fas­cisme — peut tout à fait s’appli­quer au fon­da­men­ta­lisme actuel : ceux qui ne sont pas prêts à cri­ti­quer la démocra­tie libérale devraient aussi se taire sur le fon­da­men­ta­lisme reli­gieux » (Slavoj Žižek17)

19 Est-ce si sûr qu’on puisse établir une telle sub­sti­tu­tion au-delà d’une faci­lité de lan­gage ou d’un schématisme sim­pli­fi­ca­teur ? Nous ne le pen­sons pas et pour une double raison. Tout d’abord le fon­da­men­ta­lisme musul­man n’est pas une nou­velle forme de fas­cisme. Nous nous en sommes déjà expliqués à propos de la prise de posi­tion de Badiou et aussi dans notre texte récent à propos du défai­tisme révolu­tion­naire. Même s’ils n’y ont adhéré que de l’extérieur et s’ils connais­sent à peine l’islam, les tueurs de Paris ont agi au nom de l’islam et non pas au nom d’une cer­taine vision de l’islam puis­que, pour eux, il n’y en a qu’une de légitime, celle qui cor­res­pond le plus à ce qu’il faut bien appe­ler leur rage. Tout juste peut-on leur nier la qua­li­fi­ca­tion d’isla­misme radi­cal puis­que le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils ne pren­nent pas les choses à la racine !

20 Ensuite, démocra­tie libérale et capi­ta­lisme sont-ils équi­va­lents ? Dans l’absolu, non. Le capi­tal peut se dévelop­per sous des dic­ta­tu­res et sans parler du lien avec les fas­cis­mes his­to­ri­ques, le « grand capi­tal », les firmes mul­ti­na­tio­na­les (FMN) peu­vent le tirer dans ce sens. Mais pour « faire système » il est néces­saire de répondre à cer­tai­nes condi­tions que favo­ri­sent effec­ti­ve­ment et la démocra­tie poli­ti­que et la démocra­tie écono­mi­que, c’est-à-dire le libre exer­cice des lois du marché. Que l’une et l’autre soient lar­ge­ment for­mel­les ne change rien à la chose. L’erreur du Marx com­mu­niste (il a été démocrate-révolu­tion­naire jusqu’en 1846) et du marxisme à sa suite, a été de ne considérer jus­te­ment cette démocra­tie comme n’étant que vir­tuelle parce que sou­mise aux rap­ports de force et fina­le­ment parce que n’étant que bour­geoise. C’est une posi­tion qui était à la rigueur tena­ble à l’époque du front classe contre classe décou­pant la société capi­ta­liste indus­trielle selon un anta­go­nisme supposé irréduc­ti­ble qui condui­sit les Gauches com­mu­nis­tes à refu­ser le par­le­men­ta­risme poli­ti­que (les Gauches ita­lienne et ger­mano-hol­lan­daise) et même le syn­di­ca­lisme (la Gauche ger­mano-hol­lan­daise des conseils ouvriers), mais qui n’est plus aujourd’hui que pro­gram­ma­ti­que.

Démocratie et société capitalisée

21 Force est de reconnaître aujourd’hui que cette démocra­tie s’est avérée beau­coup moins for­melle que nous ne l’avions prévu, qu’elle n’est pas une forme pas­sive au ser­vice d’une classe, mais une force poli­ti­que du capi­tal en général. C’est ce que Tronti a rappelé dans La poli­ti­que au crépus­cule (L’Éclat) en cher­chant à expli­quer les rai­sons des défaites des der­niers assauts prolétariens des années 1960-1970. Nous croyons l’avoir montré aussi avec notre concept de société capi­ta­lisée dans laquelle la démocra­tie est déconsidérée du point de vue poli­ti­que (le « déficit de démocra­tie » reconnu par tous les médias et poli­to­lo­gues, le « tous pour­ris » du peuple) mais plébiscitée dans sa forme sociétale parce qu’elle pousse à la créativité, à l’inno­va­tion et qu’elle per­met­trait la réali­sa­tion des désirs les plus fous, etc. Appuyée sur les NTIC et l’indi­vi­dua­lisa­tion accrue qui en est la conséquence, elle réali­se­rait, « à la base », une sorte de démocra­tie sociale et cultu­relle en dehors de tout projet de démocra­tie directe à caractère poli­ti­que. Cette basse ten­sion du rap­port indi­vidu/ com­mu­nauté pro­duit, entre autres, l’indi­vidu-citoyen­niste sur lequel, fina­le­ment, l’État a ten­dance à se déchar­ger comme on peut le voir sur les ques­tions envi­ron­ne­men­ta­les où il en appelle aux atti­tu­des citoyen­nes, de la part des entre­pri­ses comme des ménages.

22 La posi­tion d’Erri de Luca s’ins­crit bien dans cette pers­pec­tive à la différence près qu’elle ne cons­ti­tue pas une réponse à la demande de l’État, mais une ten­ta­tive de pren­dre les choses en mains, de pro­po­ser une alter­na­tive. Mais si on ne peut cau­tion­ner un « citoyen­nisme à la base », il faut pour­tant reconnaître que sa posi­tion ques­tionne notre rap­port à l’État, à la police et à la jus­tice. C’est déjà quel­que chose qu’Yves Coleman avait pointé dans un texte précédent en cri­ti­quant le fait qu’on puisse se réjouir par prin­cipe de la mort de flics18.

23 Dans le même ordre d’idées, le signe égal est à bannir. Il est au mini­mum source de schématisme, au pire erreur poli­ti­que. Ainsi du tract NPA de Montreuil signé du 14 novem­bre et ren­voyant « bar­ba­res impéria­lis­tes » et « bar­ba­res isla­mis­tes » ter­ro­ris­tes dos à dos (« deux vio­len­ces tout aussi aveu­gles »), avec quand même une condam­na­tion plus fran­che des impéria­lis­tes (« vio­lence plus meur­trière » en tenant la même comp­ta­bi­lité que chez Badiou). Toutefois la « ligne » du tract n’est pas claire puis­que c’est tantôt la bar­ba­rie impéria­liste qui est à l’ori­gine de tout parce qu’elle est « la cause » et donc engen­dre l’autre, tantôt elles se nour­ris­sent mutuel­le­ment ; et, en conclu­sion, comme le tract ne peut pas appe­ler à la lutte contre le ter­ro­risme (ce n’est qu’une méthode) ni contre l’isla­misme (l’islam est « la reli­gion des pau­vres »), il n’appelle qu’à la lutte contre l’impéria­lisme. Le dic­ta­teur Assad dénoncé en chemin comme « le plus grand res­pon­sa­ble du mar­tyre du peuple syrien », passe entre les gout­tes et sort quasi indemne de la dia­tribe finale du NPA.

Société capitalisée et religion

24 La société capi­ta­lisée est lar­ge­ment sécula­risée et son procès d’indi­vi­dua­lisa­tion, en sa phase actuelle, ne peut man­quer de trans­for­mer pro­fondément la place et le rôle des ins­ti­tu­tions reli­gieu­ses. En effet, celles-ci sont en voie de résorp­tion comme toutes les ins­ti­tu­tions dans la société capi­ta­lisée d’ailleurs. En effet, elles ne déter­mi­nent plus une norme fixe ser­vant de repère à tous et dans leurs formes offi­ciel­les, leurs dis­cours sont sou­vent inau­di­bles (cf. l’exem­ple de la Grande Mosquée de Paris, de celle de Mollenbeck qui fut l’objet de fortes luttes d’influence, mais aussi pour les catho­li­ques, la parole du Pape) par rap­port à ceux d’asso­cia­tions de ter­rain.

25 C’est aussi le rap­port des croyants à la reli­gion qui se trans­forme. Il passe de moins en moins par la média­tion des dites ins­ti­tu­tions, car même en ce qui concerne l’islam, la com­mu­nauté des croyants est de plus en plus une fic­tion, puisqu’elle ne cor­res­pond pas au nouvel agen­ce­ment des croyan­ces et des pra­ti­ques chez les croyants. Ceux-ci allient ten­dan­ces indi­vi­dua­lis­tes (le port d’un cer­tain type de voile comme signe de mode branché par exem­ple) et références com­mu­nau­tai­res reli­gieu­ses au sein d’une reli­gion cultu­ra­lisée très présente par exem­ple dans les pays anglo­pho­nes ou his­pa­ni­ques. D’où la dif­fi­culté, par­ti­culièrement pour les pou­voirs publics en France où la sépara­tion État/ reli­gion est stricte, à pro­mou­voir de réelles ins­ti­tu­tions pour une reli­gion comme l’islam, rela­ti­ve­ment nou­velle à l’échelle du pays. En effet, dans les pays anglo-saxons ou du nord de l’Europe, les ten­dan­ces mul­ti­cultu­ra­lis­tes domi­nan­tes per­met­tent une sorte d’adéqua­tion entre offre et demande reli­gieuse puis­que l’État ne s’inter­pose pas comme média­tion et que les asso­cia­tions reli­gieu­ses rem­plis­sent leur rôle dans ce qu’on appe­lait la société civile à l’époque de la société bour­geoise. Il n’y a donc pas dans ce cas de vérita­ble résorp­tion, car le mode de dévelop­pe­ment antérieur du capi­tal et de l’État ne l’impose pas. Ce n’est quand même pas un hasard si la « révolu­tion du capi­tal » à partir des années 1980 se fait sur les bases du modèle anglo-saxon. Il n’y a donc pas de « problème » tant que cette immédiateté pro­duit son « har­mo­nie natu­relle » entre tous les intérêts sur le modèle de l’échange sur le marché. Ce n’est pour­tant pas tou­jours le cas comme lors­que le livre de S. Rushdie Les ver­sets sata­ni­ques a été brûlé publi­que­ment à Bradford dans le Yorkshire.

26 D’ailleurs, dans cer­tains pays mul­ti­cultu­ra­lis­tes comme la Grande-Bretagne, la Suède19 ou le Canada, la reli­gion musul­mane est au centre des débats poli­ti­ques et crée des cli­va­ges dans les grands partis poli­ti­ques, etc. Ils concer­nent les faith schools (écoles confes­sion­nel­les) et la création de tri­bu­naux isla­mi­ques en Grande-Bretagne, les tri­bu­naux isla­mi­ques au Canada et les considérations des mul­ti­cultu­ra­lis­tes anti-isla­mo­pho­bes en Suède, cette dernière étant d’ailleurs en train de revoir (à contrecœur, mais pour cause d’atten­tats de Paris, cf. Le Monde du 10/ 12/2015) sa poli­ti­que tra­di­tion­nelle d’ouver­ture des frontières aux migrants en général et favo­ra­ble aux réfugiés en par­ti­cu­lier, depuis les Hongrois de 1956.

27 On s’aperçoit aujourd’hui que les pays qui ont épousé le plus précoce­ment les thèses et valeurs mul­ti­cultu­ra­lis­tes sont bien loin de gérer pai­si­ble­ment les ques­tions reli­gieu­ses. Seuls les États-Unis sem­blent cons­ti­tuer une excep­tion à cet égard. Et peut-être aussi le Danemark…

28 La situa­tion est différente en France dans la mesure où l’État se pose comme média­tion suprême et crée ses pro­pres ins­ti­tu­tions, y com­pris reli­gieu­ses, comme on a pu le voir pen­dant la Révolu­tion française, puis avec la sépara­tion offi­cielle État/reli­gion et l’édic­tion du prin­cipe de laïcité. Devant la situa­tion actuelle d’un écla­te­ment des asso­cia­tions reli­gieu­ses isla­mi­ques sous les coups de l’influence sala­fiste relayée par des pays comme l’Arabie saou­dite et trou­vant écho dans les lieux de culte auprès des jeunes des « quar­tiers », la ten­dance est alors forte, pour l’État de vou­loir créer une vérita­ble ins­ti­tu­tion isla­mi­que de France qui ne soit pas une émana­tion d’un État étran­ger alors que jusque-là il n’en finançait pas l’édifi­ca­tion et n’en avait pas le contrôle. Mais com­ment procéder alors que cela serait contra­dic­toire avec la ten­dance actuelle à la résorp­tion des ins­ti­tu­tions en général et non pas à leur création ou à leur crois­sance ?

29 On ne peut que faire le rap­port entre une société capi­ta­lisée qui pro­meut à différents niveaux des com­bi­na­toi­res plutôt que des pro­ces­sus spécifi­ques auto­no­mes et des pra­ti­ques reli­gieu­ses qui relèvent du bri­co­lage. Mais le phénomène de sécula­ri­sa­tion a trop été assi­milé à un pro­ces­sus inéluc­ta­ble et unilatéral de ratio­na­li­sa­tion alors que la réalité sociale sym­bo­li­que est irréduc­ti­ble à la réalité matérielle20.

Retour ou recours au religieux ?

30 Toutes les théories révolu­tion­nai­res moder­nes, à l’inverse des mou­ve­ments millénaris­tes, ont rabattu le reli­gieux sur le social, la poli­ti­que ou l’écono­mie et sont par­ties de l’hypothèse d’une dis­pa­ri­tion pro­gres­sive de la reli­gion et d’une sécula­ri­sa­tion des sociétés. La poli­ti­sa­tion du monde sem­blait devoir y succéder que ce soit à tra­vers le natio­na­lisme révolu­tion­naire, comme dans cer­tains pays arabes, ou en Turquie, ou encore à tra­vers l’inter­na­tio­na­lisme prolétarien censé remet­tre la reli­gion sur ses pieds en fai­sant des­cen­dre le ciel sur la terre, fût-ce au prix du recours à l’idéologie. La notion de « retour du reli­gieux » se com­prend en ce sens ; il y a retour parce qu’un sens de l’his­toire et du progrès allant vers tou­jours plus de ratio­na­lité apparaît main­te­nant pour ce qu’il a été. Une ten­dance de long terme certes, mais, dont la vigueur durant envi­ron deux siècles a masqué ses limi­tes et pro­duit nombre d’illu­sions quant aux pers­pec­ti­ves révolu­tion­nai­res qu’elle por­tait. Nous nous sommes déjà expliqués là-dessus en cri­ti­quant d’une part l’aspect som­maire de cette vision qui repo­sait sur une dia­lec­ti­que pri­maire du dépas­se­ment21 et en insis­tant, d’autre part, sur une pers­pec­tive de com­mu­nauté humaine et de révolu­tion à titre humain qui ne se limite ni à la simple défense d’intérêts, ni à l’abo­li­tion de la propriété des moyens de pro­duc­tion, pas plus qu’à la redis­tri­bu­tion des riches­ses.

31 Il nous faut ici appor­ter quel­ques précisions. Nous sommes d’accord avec la thèse de Georges Corm selon laquelle le reli­gieux n’a jamais dis­paru dans l’immense majo­rité des pays de la planète. Mais, d’après lui, l’aspect nou­veau ne tien­drait qu’à un recours au reli­gieux comme outil poli­ti­que. Il ser­vi­rait premièrement de solu­tion alter­na­tive à la faillite des popu­lis­mes pro­gres­sis­tes pra­tiqués par les États auto­ri­tai­res de l’aire musul­mane, deuxièmement de réponse par défaut aux déstruc­tu­ra­tions apportées par le pro­ces­sus de glo­ba­li­sa­tion dans ces mêmes régions et troisièmement de résis­tance à l’écla­te­ment de l’aire musul­mane sous les coups de bou­toir non seu­le­ment des gran­des puis­san­ces, mais aussi des puis­san­ces régio­na­les22. Il résulte de tout cela que la crise générale de la forme État-nation y prend un caractère encore plus tra­gi­que. Malheureusement ce n’est pas la fin de l’État et de la domi­na­tion qui l’emporte, mais le retour des tri­ba­lis­mes et des guer­res de reli­gion.

32 Parallèlement, en Europe et aux États-Unis, des phénomènes comme « la Manif pour tous » ou les Tea par­ties font fonc­tion de défense des « valeurs », ou de « nos valeurs », même si les per­son­nes qui y par­ti­ci­pent ne font pas appel direc­te­ment à la reli­gion, celle-ci étant incluse dans les valeurs tra­di­tion­nel­les occi­den­ta­les.

33 On peut douter qu’il y ait retour de la reli­gion en raison de sa nature propre, c’est-à-dire de la foi et du prosélytisme. Il s’agit plutôt du resur­gis­se­ment de posi­tion­ne­ments poli­ti­ques, pra­ti­ques de lob­bying et deman­des d’ordre juri­di­que visant à réduire la sépara­tion État/reli­gion. Cela vaut pour l’aire musul­mane après la chute des États laïques, l’appa­ri­tion de nou­veaux États peu conso­lidés issus de l’ancienne Yougoslavie (Macédoine et Kosovo par exem­ple dans les­quels les départs en Syrie sont nom­breux) et de l’ancienne URSS (Tchétchénie), régions dans les­quel­les l’acti­vité fon­da­men­ta­liste est forte ; mais aussi pour Israël où le poids des Juifs ultra-ortho­doxes pèse de plus en plus lourd au sein de l’État Cela vaut aussi, même si c’est dans une moin­dre mesure pour les pays qui for­ment le cœur du capi­ta­lisme, si l’on en croit, par exem­ple, les dernières mesu­res répres­si­ves prises dans le monde anglo-saxon sous la pres­sion d’ins­ti­tu­tions reli­gieu­ses qui élèvent la voix quand la parole poli­ti­que est grevée par les soucis d’ordre élec­to­ra­liste.

34 Il est très dif­fi­cile d’échap­per à ce cadre de réflexion. La réaction la plus cou­rante peut être de l’ordre du juge­ment régres­sif (on croyait en avoir fini, eh bien non, c’est le retour de l’obs­cu­ran­tisme), où alors va conduire à un aban­don total de toute posi­tion poli­ti­que (ben quoi, le voile intégral c’est pas pire que la mini-jupe !) au profit d’une équi­va­lence entre des pra­ti­ques diver­ses, inspirée, certes, par l’idéologie post­mo­derne, mais qui pousse en fait sur le ter­reau tou­jours fer­tile de la culpa­bi­lité judéo-chrétienne arrosé de quel­ques gout­tes d’idéologie vic­ti­maire.

35 On n’entend donc guère de com­men­tai­res sur les rai­sons de l’échec d’une cri­ti­que révolu­tion­naire de la reli­gion. Le même cons­tat peut être établi sur la ques­tion de la nation. En conséquence, la gauche n’existe plus sur ces ques­tions et l’extrême gauche fait n’importe quoi pour espérer exis­ter. Par contre, les ten­dan­ces post­mo­der­nes expli­quent la per­sis­tance de la reli­gion ou au moins du reli­gieux par sa trans­for­ma­tion en reli­gion civile comme aux États-Unis ou en une mani­fes­ta­tion comme une autre du « croire » mini­ma­liste d’aujourd’hui. Ce ne serait plus les reli­gions des grands récits dont le chris­tia­nisme fut un exem­ple, mais le reli­gieux sans rap­port obligé à une ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion. La reli­gion fonc­tion­na­lisée comme le tra­vail, en quel­que sorte. Ces idées sont en cohérence avec les thèses décons­truc­tion­nis­tes qui ser­vent, volon­tai­re­ment ou non, de sou­bas­se­ment idéolo­gi­que à l’indi­vi­dua­lisme démocra­ti­que.

36 Pourtant le dévelop­pe­ment de divers fon­da­men­ta­lis­mes reli­gieux montre que ce reli­gieux mini­ma­liste, mais supposé par­tout présent, sous forme cultu­relle sur le modèle fou­cal­dien ne représente qu’une dimen­sion des nou­vel­les formes de reli­gio­sité. Il y a bien aussi et à nou­veau, trans­for­ma­tion de forces reli­gieu­ses en forces poli­ti­ques, y com­pris dans des pays où il existe des cer­cles ratio­na­lis­tes impor­tants. C’est le cas depuis long­temps avec les Frères musul­mans dont le ter­rain d’opération res­tait celui des pays de reli­gion musul­mane domi­nante, mais cela a changé avec des stratégies de pénétra­tion au sein des immi­gra­tions européennes, telle celle des grou­pes pro­ches de Tariq Ramadan, dans les milieux intel­lec­tuels sur­tout, ou celle autour d’Hassan Iquioussen plutôt dans les milieux popu­lai­res. C’est aussi le cas plus récent de grou­pes sala­fis­tes qui peu­vent servir, même si la majo­rité d’entre eux res­tent quiétistes, de pas­se­rel­les vers une radi­ca­li­sa­tion poli­ti­que, voire dji­ha­diste ; c’est enfin le cas de l’EI dont le côté reli­gieux, voire mes­sia­ni­que (la vision d’une grande bataille finale contre les Croisés dans le désert de Syrie) ne semble destiné qu’à mieux asseoir une soif de puis­sance et de domi­na­tion des­po­ti­que23.

37 Mais c’est main­te­nant dans les pays anglo-saxons qu’on peut assis­ter à des phénomènes de même nature. Ainsi, les Églises pro­tes­tan­tes américai­nes sont des forces si puis­san­tes que, il y a quel­ques années, Time Magazine se deman­dait en Une de cou­ver­ture, s’il ne fal­lait pas remet­tre l’orga­ni­sa­tion de la Sécurité sociale entre les mains des Églises. En effet, les Églises et les convic­tions reli­gieu­ses struc­tu­rent la vie quo­ti­dienne d’une frac­tion impor­tante des Américains. Ce ne sont pas sim­ple­ment des bri­co­la­ges indi­vi­duels ou indi­vi­dua­lis­tes comme dans le phénomène new age. Les Églises dont les fidèles sont afro-américains jouent un rôle actif de pom­piers sociaux chaque fois qu’il y a des émeutes, etc.

38 Toutefois, si le prosélytisme reli­gieux se porte bien dans ses ver­sions les plus ortho­doxes ou rigo­ris­tes qui vien­nent com­pen­ser une ten­dance générale à l’aggior­na­mento pour ses ten­dan­ces les plus pro­ches de l’esta­blish­ment, il faut bien reconnaître que c’est uni­que­ment dans sa forme isla­miste radi­cale qu’est prônée la Guerre sainte.

39 On peut élargir cela à la ques­tion des iden­tités. Dans les bidon­vil­les du monde entier on meurt zoulou, indien ou afro-américain et non pas prolétaire. Si l’on éprouve à cet égard de l’indi­gna­tion ou de la révolte, cela ne doit pas se faire seu­le­ment au nom de valeurs huma­nis­tes uni­ver­sa­lis­tes, ce qui serait défensif, mais en se plaçant dans la pers­pec­tive de la com­mu­nauté humaine24. Et parallèlement au retour de la ques­tion reli­gieuse, on assiste aussi au retour du popu­lisme, autre forme dévoyée de la ten­sion indi­vidu/ com­mu­nauté. Il s’atta­que à l’État, mais conserve la nation comme concrétion d’une société glo­bale à portée de main en l’absence de toute pers­pec­tive uto­pi­que, cette dernière ayant un temps figuré l’unité du moi et du monde. Cette pers­pec­tive uto­piste a été entre­te­nue pen­dant long­temps par les mou­ve­ments millénaris­tes chrétiens ou juifs ; elle s’est par­fois trans­formée en une forme pro­fane (le « socia­lisme uto­pi­que », la « mis­sion » du prolétariat), mais c’est aujourd’hui dif­fi­cile de la main­te­nir, aussi bien dans sa pers­pec­tive poli­ti­que que reli­gieuse. Ainsi, un islam actuel dominé par ses pro­pres guer­res de reli­gion inter­nes ne peut res­sus­ci­ter aucune « com­mu­nauté des croyants » qui retrou­ve­rait ses caractères uni­ver­sa­lis­tes et ouverts (a-natio­naux et non racis­tes). En prônant une nou­velle Guerre sainte les grou­pes dji­ha­dis­tes essaient pour­tant de donner chair et force à une nou­velle com­mu­nauté des croyants. Cette com­mu­nauté serait non seu­le­ment débar­rassée de ses États cor­rom­pus (Ben Laden, d’ori­gine saou­dienne, accu­sait son pays d’ori­gine d’occu­per illégale­ment les lieux saints de La Mecque) et des « États impies » (les « croisés »), mais recons­truite en chas­sant, en chaque indi­vidu, tout ce qui rap­pel­le­rait la vie d’avant. C’est ce que veut réaliser Daech à tra­vers son projet de grand Califat, c’est-à-dire en bref, l’établis­se­ment d’une com­mu­nauté des­po­ti­que.

40 Pour de nom­breux indi­vi­dus se récla­mant de la « gauche », il n’est pas ques­tion d’abor­der cela de front, car ce serait ris­quer de tomber dans l’isla­mo­pho­bie. Il s’agit donc d’éviter de cri­ti­quer la reli­gion, mais de faire avec… Il leur faut alors cons­truire des expli­ca­tions socio­po­li­ti­ques per­met­tant de mettre en place des stratégies d’inter­ven­tion (cf. par exem­ple, la majeure partie des grou­pes trots­kis­tes anglo-saxons dans les mani­fes­ta­tions pro-pales­ti­nien­nes et anti­sio­nis­tes ; cf. aussi en France l’évolu­tion des posi­tions de la LCR puis du NPA sur ce point).

41 Pourtant, ce qui est urgent, c’est de reconnaître la réémer­gence du fait reli­gieux sous ses différentes formes.

Non, la religion n’a pas été dépassée

42 Beaucoup de cultes et pra­ti­ques reli­gieu­ses ne séparent pas forcément ce qui est de l’ordre du privé et ce qui est de l’ordre du public (fon­da­men­ta­lis­tes de diver­ses obédien­ces : chiite, sala­fiste, juive ortho­doxe) ; ce qui est d’ordre reli­gieux ou ce qui est d’ordre poli­ti­que.

43 La moder­nité capi­ta­liste détruit par­tout les ancien­nes com­mu­nautés et leurs média­tions, mais là où la des­truc­tion des anciens rap­ports sociaux est plus forte que la recons­truc­tion de nou­veaux modes de vie et de représen­ta­tions (autour du sala­riat, de l’indi­vidu, du bon­heur, de l’argent et de la consom­ma­tion), ou a for­tiori quand les pos­si­bi­lités mêmes de cette recons­truc­tion sont absen­tes (cf. actuel­le­ment en Libye, dans cer­tai­nes zones du Mali, de la Somalie, main­te­nant du Yémen) resur­git une ten­sion indi­vidu/ com­mu­nauté d’une inten­sité qui n’a rien de commun avec celle des sociétés capi­ta­lisées. Même si elle se trouve « polluée » à la fois par ses formes eth­ni­cis­tes, tri­ba­les, com­mu­nau­ta­ris­tes ou par un mélange de tout cela, c’est la com­mu­nauté des croyants qui apparaît comme à la fois la plus immédiate, la plus concrète et en même temps comme la plus indes­truc­ti­ble, car la plus abs­traite et qui par là même peut échap­per à toutes les des­truc­tions et guer­res.

44 Dans un monde sans cœur dans lequel règne la sépara­tion et l’ato­mi­sa­tion la reli­gion peut deve­nir, dans cer­tai­nes condi­tions, une des média­tions du vivre ensem­ble quand les soli­da­rités orga­ni­ques (au sens de Durkheim) censées lier les indi­vi­dus dans les démocra­ties moder­nes, entrent en crise ; quand les ins­ti­tu­tions sont résorbées25. La reli­gion retrouve alors son sens latin ori­gi­nel (reli­gare) qui est de relier les indi­vi­dus en dehors même d’un culte, mais dans le cadre com­mu­nau­ta­riste. Modernisée c’est alors sous la forme de la com­mu­nauté des croyants que se forme dans un cadre res­treint et par­ti­cu­la­riste cette liai­son qui permet de satis­faire et de détendre en quel­que sorte la ten­sion indi­vidu/ com­mu­nauté qui s’exprime plus ou moins intensément sui­vant les périodes his­to­ri­ques. Dans ses formes par­ti­cu­la­ris­tes et res­trein­tes, la ten­sion est tou­te­fois neu­tra­lisée par la sup­pres­sion d’un des deux termes. L’indi­vidu s’y retrouve de fait réduit au rang de simple atome sans indi­vi­dua­lité. Dans la com­mu­nauté des croyants cette ten­sion vers un deve­nir-autre (ce qu’on a pu appe­ler la com­mune, l’asso­cia­tion, le com­mu­nisme, la com­mu­nauté humaine) ne peut pas se mani­fes­ter puis­que la pers­pec­tive est bornée par l’adhésion à la croyance en une par­ti­cu­la­rité qui fait que le Nous des croyants s’oppose au Eux des impies, des mécréants et des infidèles.

L’appel à « nos valeurs » est aussi vain que l’appel au prolétariat…

45 … même s’il peut ren­contrer des points d’accro­che plus concrets sur le ter­rain. Mais vou­loir oppo­ser sim­ple­ment à cette puis­sance de cap­ta­tion de la reli­gion l’idée d’auto­no­mie des indi­vi­dus, la raison, etc. est de peu de secours quand cette auto­no­mie ne peut être que celle d’un sujet conçu sur le modèle du sujet bour­geois à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles, sujet dont la crise est annoncée depuis main­te­nant un siècle, que ce soit dans la littérature avec L’homme sans qualité de Musil ou par la psy­cha­na­lyse avec Freud ; ou d’un sujet de la révolu­tion doué lui-même d’une essence ou d’un mes­sia­nisme qui n’est pas sans rap­pe­ler la reli­gion qu’il cri­ti­que pour­tant au tra­vers de son athéisme mili­tant et pro­gres­siste, un sujet révolu­tion­naire devenu aussi introu­va­ble que la classe censée le représenter.

46 La plu­part des indi­vi­dus formés à l’huma­nisme des Lumières ont ten­dance à croire que les indi­vi­dus assu­ment leur huma­nité selon une concep­tion abs­traite de l’homme, alors qu’ils la vivent dans le cadre de ce que l’on appelle les cultu­res tra­di­tion­nel­les. Et ce n’est pas, comme le font les marxis­tes, en appréhen­dant les indi­vi­dus en fonc­tion de leur place dans les rap­ports sociaux de pro­duc­tion que l’on cor­rige cette erreur ; on ne fait alors que passer d’une forme de réduc­tion­nisme à une autre, qu’aban­don­ner le regis­tre anthro­po­lo­gi­que/natu­ra­liste pour celui de l’écono­mi­cisme. Reconnaître cette tri­via­lité, à savoir que tout homme est un être social his­to­ri­que et cultu­rel, devrait logi­que­ment conduire à repen­ser la ques­tion des luttes contre le rap­port social capi­ta­liste et à y intégrer différents niveaux de résis­tance à condi­tion qu’ils ne relèvent pas prin­ci­pa­le­ment du conser­va­tisme révolu­tion­naire comme ce fut par­fois le cas dans les années 1920-1930.

47 Il faut en pren­dre acte pour pou­voir repo­ser la ques­tion de la révolu­tion à titre humain et donc celle de la com­mu­nauté humaine. Mais dire cela est abs­trait et ne permet pas de préciser une « posi­tion » par rap­port au « retour » de la reli­gion ou de cer­tai­nes formes de reli­gio­sité et de saisir ce qu’elles disent du refus de ce qui serait un parachèvement de la société du capi­tal. Au mini­mum, il faut éviter d’hypo­sta­sier la reli­gion, au niveau théorique comme pra­ti­que, sous peine de se retrou­ver confronté au fon­da­men­ta­lisme reli­gieux d’un côté, au sec­ta­risme laïque de l’autre. Il faut se sou­ve­nir qu’une culture (et la reli­gion à l’époque moderne en est une) n’existe pas en soi et de façon désin­carnée, mais pour autant qu’elle est intériorisée par des indi­vi­dus ou grou­pes sous forme de tra­di­tions. La ques­tion reli­gieuse n’a jamais été absente du fond cultu­rel des sociétés, pas même des sociétés dites laïques et moder­nes qui se sont cons­trui­tes à partir des théolo­gies ration­nel­les. Le marxisme lui-même est escha­to­lo­gi­que et s’est développé sur la base du salut dans les pays catho­li­ques plus qu’ailleurs, ce qui n’est pas un hasard.

48 Nous ne pou­vons plus aujourd’hui nous ranger derrière ceux qui pen­sent que toute tra­di­tion doit être balayée par la moder­nité et a for­tiori par la néo-moder­nité qui s’affirme actuel­le­ment par un vide his­to­ri­que (la fin de la grande his­toire), poli­ti­que (la fin des gran­des idéolo­gies) et cultu­rel (puis­que tout serait cultu­rel). Mais il est très dif­fi­cile de réacti­ver des bases arrière his­to­ri­ques, poli­ti­ques et cultu­rel­les qui nous per­met­tent jus­te­ment de rendre moins abs­trai­tes les pers­pec­ti­ves de com­mu­nauté humaine, alors que leurs fon­de­ments matériels, qui déjà à l’époque ne représen­taient pas des garan­ties de réussite, n’exis­tent pra­ti­que­ment plus aujourd’hui et en tout cas pas dans les pays domi­nants. Il en était ainsi de formes d’agri­culture et de vie pay­sanne qui, sans remon­ter à la com­mune vil­la­geoise russe (mir) de la fin du XIXe, pou­vaient encore lais­ser penser qu’elles cons­ti­tue­raient peut-être les prémisses d’autre chose ; il en a été ainsi aussi des « for­te­res­ses ouvrières » des années 1960-1970 à partir des­quel­les cer­tai­nes frac­tions ouvrières ont poussé au plus loin l’insu­bor­di­na­tion.

49 Ces bases ont donc été lar­ge­ment sures­timées par un pro­gramme prolétarien repo­sant soit sur un essen­tia­lisme de la classe (sa mis­sion révolu­tion­naire), soit à l’inverse sur la seule cons­cience de ses intérêts ; et ses prin­ci­pes malmenés par l’his­toire comme nous pen­sons l’avoir montré dans notre texte précédent : « Vernissage d’une anti­quité : le défai­tisme révolu­tion­naire » en ce qui concerne la ques­tion du rap­port à la nation.

50 La théorie révolu­tion­naire et la dia­lec­ti­que des luttes de clas­ses nous ont fait croire au dépas­se­ment de toutes les entra­ves. Mais le capi­tal, même quand il se révolu­tionne, ne dépasse rien. Il intègre (d’abord la bour­geoi­sie puis la classe ouvrière) et englobe (la reli­gion). C’est pour cela que, par rap­port à ce der­nier point, nous nous sommes penchés depuis long­temps sur la ques­tion du rap­port entre com­mu­nautés de références, indi­vi­dus et références com­mu­nau­tai­res26 afin de dégager des pas­se­rel­les vers la com­mu­nauté humaine.▪

Temps critiques, décembre 2015.

Notes

1 – Le Bataclan avait été menacé dans un com­mu­niqué d’Al-Qaida de 2012 et le groupe cali­for­nien qui pas­sait ce ven­dredi venait de se pro­duire à Tel-Aviv, mais ce n’est pas, pour le moment du moins, une piste suivie par l’enquête alors pour­tant que la tournée du groupe avait été l’occa­sion d’atta­ques de la part des mem­bres du BDS (Boycott-Désin­ves­tis­se­ment-Sanctions) et de Roger Waters, musi­cien du Pink Floyd, le tout se ter­mi­nant en inju­res relayées par les médias.
En tout cas, ce que l’on peut dire sans trop s’avan­cer c’est que c’est la foule qui a été visée, pas les musi­ciens.

2 – Si on en croit le com­mu­niqué de l’EI du 14/11/2015 : « Dans une atta­que bénie dont Allah a faci­lité les causes, un groupe de croyants des sol­dats du Califat […] a pris pour cible la capi­tale des abo­mi­na­tions et de la per­ver­sion, celle qui porte la bannière de la croix en Europe, à Paris. » On remar­quera quand même le ton assez détaché lais­sant sup­po­ser une auto­no­mie des grou­pes, pour ne pas dire plus, car dans cette action on ne voit pas de rap­port avec les frap­pes récentes en Syrie puis­que les atten­tats ont été préparés avant l’inter­ven­tion. D’ailleurs aucun objec­tif mili­taire n’a été visé. On notera aussi une pau­vreté idéolo­gi­que de contenu qui trans­forme Paris en capi­tale de la croix alors que la France est dénoncée le plus sou­vent comme le pays de la laïcité et de l’athéisme !

3 – De la même façon que les com­mu­nis­tes non sta­li­niens disaient qu’il n’y avait pas de rap­port entre Marx et sa des­cen­dance marxiste-léniniste puis sta­li­nienne, beau­coup de musul­mans disent qu’il n’y a pas de rap­port entre l’islam et l’isla­misme radi­cal.

4 – Cf. un tract dis­po­ni­ble sur http://matie­re­vo­lu­tion.org/IMG/pdf/-58.pdf et notre cri­ti­que dans « Vernissage d’une anti­quité : le défai­tisme révolu­tion­naire », dis­po­ni­ble sur notre site ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle335

5 – Cf. dans le no 3 de Temps cri­ti­ques (1991), l’arti­cle de J. Wajnsztejn « Guerre du Golfe et nouvel ordre mon­dial » [temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php ?arti­cle19] et celui de Riccardo d’Este « La guerre du Golfe comme opération de police inter­na­tio­nale » [temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php ?arti­cle22].

6 – D’où, au niveau théorique, le retour en grâce des théories de Carl Schmitt sur l’état d’excep­tion per­ma­nent et leur mise en pra­ti­que dans le Patriot Act de 2001 et peut-être dans les pro­jets de réforme cons­ti­tu­tion­nelle du gou­ver­ne­ment français en cette fin d’année 2015.

7 – Bien sûr, un objec­tif inat­tei­gna­ble, néanmoins un nombre de morts bien inférieur à celui occa­sionné par la guerre du Vietnam, nombre de morts qui fut à la base d’abord d’un puis­sant mou­ve­ment anti-guerre et de déser­tion, puis d’une démora­li­sa­tion plus grande encore de la part des trou­pes et des famil­les. Nous disons pos­si­bi­lité indi­recte car il est beau­coup plus dif­fi­cile d’agir sur un corps qui fait pro­fes­sion des armes que sur une masse de cons­crits.

8 – Cf. Notre texte précédent : « Vernissage d’une anti­quité : le défai­tisme révolu­tion­naire ».

9 – Cf. Libération du 15/11/2015 « Il faut lancer l’alerte au niveau zéro de la société » http://www.libe­ra­tion.fr/france/2015/11/15/erri-de-luca-il-faut-lancer-l-alerte-au-niveau-zero-de-la-societe_1413478. Puis dans Le Monde du 12/12/15, il parle d’une néces­saire « mobi­li­sa­tion désarmée ».

10 – Sur cette ques­tion, on peut se rap­por­ter au livre de Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, La révolu­tion et l’État, Dagorno, Paris, 2000.

11 – Ceci est peut être amené à chan­ger en fonc­tion du deve­nir de Daech.

12 – En tout cas au Royaume-Uni la dis­cus­sion est bien différente. En témoigne l’arti­cle de Matt Carr sur le site de la Stop the War Coalition, coa­li­tion sou­te­nue par une grande partie de la gauche et de l’extrême gauche bri­tan­ni­ques. « Le mou­ve­ment dji­ha­diste qui a fini par engen­drer Daech est beau­coup plus proche de l’esprit de l’inter­na­tio­na­lisme et de la soli­da­rité qui ani­mait les Brigades inter­na­tio­na­les que la cam­pa­gne de bom­bar­de­ments de Cameron — sauf que le djihad inter­na­tio­nal prend la forme d’une soli­da­rité avec les musul­mans opprimés, plutôt qu’avec la classe ouvrière ou la révolu­tion socia­liste ». (cf. :
http://stop­war.org.uk/index.php/news/ground-hogday-as-uk-par­lia­ment-joins-syria-war-decla­ring-a-bogus-moral-pur­pose). Nous n’inven­tons rien, vous avez bien lu ! ; et d’autres voix, a priori d’un autre bord poli­ti­que vien­nent en fait conver­ger vers un sou­tien généralisé à la reli­gion en général et à l’islam en par­ti­cu­lier. « Ainsi, le car­di­nal catho­li­que Cormac Murphy-O’Connor se pro­nonce désor­mais sur les ques­tions poli­ti­ques, sans le moin­dre com­plexe. L’État bri­tan­ni­que dis­pose main­te­nant d’une loi qui élimine une grande partie des dis­tinc­tions entre les appels à la haine raciste et eth­ni­que à l’encontre des per­son­nes, d’un côté, et, de l’autre, l’expres­sion de l’hos­ti­lité à l’égard de leurs idées reli­gieu­ses. Cette loi a été adoptée sous l’influence d’un Premier minis­tre crypto-catho­li­que pour apai­ser l’islam bri­tan­ni­que ; sou­cieux d’apai­ser le fana­tisme isla­mi­que, cette loi fait partie d’une vaste offen­sive contre les libertés démocra­ti­ques bour­geoi­ses tra­di­tion­nel­les, prin­ci­pa­le­ment motivée par la guerre contre le ter­ro­risme isla­miste » (Sam Matgamma de l’AWL in « L’islam poli­ti­que, le fon­da­men­ta­lisme chrétien, le marxisme et la gauche aujourd’hui » sur : http://mon­dia­lisme.org/spip.php?arti­cle2397). L’AWL est un petit groupe trots­kiste auto­nome.

13 – Un arti­cle du jour­nal Le Monde sur les habi­tants d’ori­gine soma­lienne ins­tallés dura­ble­ment à Minneapolis montre un chan­ge­ment entre les jeunes sou­vent désocia­lisés partis rejoin­dre le djihad des che­babs il y a dix ans et les départs pour la Syrie d’aujourd’hui qui sont le fait d’indi­vi­dus beau­coup mieux intégrés socia­le­ment.

14 – Cf. son inter­ven­tion publi­que du 23 novem­bre à son séminaire sur les der­niers « événements » de Paris, dis­po­ni­ble : https ://sound­cloud.com/sofie­pe­tri­dis191/23-novem­bre
C’est tou­jours le même vice de rai­son­ne­ment sur l’État chez les marxis­tes, « alter » et autres mou­van­ces « d’extrême gauche ». Badiou nous expli­que que : 1) L’État est faible écono­mi­que­ment et poli­ti­que­ment. Il déplore le « dépéris­se­ment » de l’État à cause des « puis­san­ces trans­na­tio­na­les » qui n’aiment pas l’État. Et d’ailleurs, l’État ne peut rien contre elles. 2) L’État est fort écono­mi­que­ment et faible poli­ti­que­ment. Les États sont « les ges­tion­nai­res locaux » de ce vaste réseau mon­dial, les « fondés de pou­voir du capi­tal » et ils sau­vent des ban­ques d’une taille considérable « too big to fail » au lieu de les lais­ser som­brer. 3) L’État est fort écono­mi­que­ment et poli­ti­que­ment. L’État est une puis­sance redou­ta­ble : les États riches détrui­sent les États pau­vres pour s’empa­rer de leurs riches­ses. L’État a pour fonc­tion de « dis­ci­pli­ner la classe moyenne », classe qui est le vec­teur de l’arro­gance occi­den­tale sur laquelle s’appuient nos États pour légiti­mer leurs guer­res et mas­sa­crer mas­si­ve­ment à coups de drones des civils inno­cents. On retrouve là encore le para­lo­gisme cité par Freud : un homme emprunte un chau­dron, et il le rend fêlé. Devant le tri­bu­nal sa défense se résume en trois points : 1) je n’ai jamais emprunté le chau­dron ; 2) il était fêlé au moment de l’emprunt ; 3) je l’ai rendu intact. Si la clé de voûte du texte de Badiou (de son « éluci­da­tion intégrale »), c’est la frus­tra­tion que crée le « désir d’Occident », la moti­va­tion pro­fonde de son auteur est peut-être aussi de l’ordre du désir : celui d’un État qui réponde à l’Idée pure (pla­to­nico-badiou­sienne) qu’il s’en fait.

15 – Tout au plus cer­tains par­tent-ils d’un ancrage par­ti­cu­la­riste régional comme les tali­bans ou le Hamas et le Hezbollah.

16 – Si on en croit Farad Khosrokhavar dans Les nou­veaux mar­tyrs d’Allah, Flammarion, coll. « Champs », 2002, « Une mino­rité des mar­tyrs de type Al-Qaida s’y reconnaît [il veut dire socia­le­ment, ndlr]. Mais une grande partie des mem­bres de ce réseau ne peut être rangée dans cette catégorie. Leur sub­jec­ti­vité n’est pas celle d’indi­vi­dus mar­gi­na­lisés, ou misérables, exclus ou rejetés par la société. Ils sont sou­vent issus des cou­ches moyen­nes et n’ont aucun problème majeur d’intégra­tion. Ils sont dans la plu­part des cas bien au-delà et non en deçà de la moyenne de nos conci­toyens. » p. 10. Khosrokhavar sou­li­gne l’impor­tance de la tra­di­tion du mar­tyre en islam. Cette tra­di­tion n’est pas née au XIXe siècle, elle existe dans le sun­nisme comme dans le chiisme. Et elle ne se limite pas au mar­tyre défensif. L’islam a tou­jours valo­risé le mar­tyre offen­sif contre d’autres musul­mans (chii­tes contre sun­ni­tes) et contre les infidèles.
Pour lui depuis les années 70, avec la révolu­tion ira­nienne notam­ment, une « nou­velle dia­lec­ti­que s’ins­taure entre la per­sonne et la com­mu­nauté » (cf. p. 50-51). « Shariati (mili­tant chiite d’extrême gauche qui va influen­cer d’abord le Hamas et le Hezbollah) mêle cons­tam­ment deux regis­tres qu’il lie étroi­te­ment. D’une part prévaut chez lui l’appel direct à l’indi­vidu, à la per­sonne res­pon­sa­ble. Les notions de « cons­truc­tion de soi révolu­tion­naire » ou de « cons­cien­ti­sa­tion » sont pri­mor­dia­les dans sa vision mili­tante de la reli­gion où le rôle de l’indi­vidu est essen­tiel. En second lieu il lie cet indi­vidu à qui il confie la tâche de mener à bien la révolu­tion à un islam qu’il appelle maktab et qui se caractérise par l’exi­gence du sacri­fice de soi pour un idéal placé au-dessus de la vie. ». Il s’agi­rait d’acquérir une « dignité dans la mort » quand elle est déniée aux musul­mans dans la vie.

17 – Cf. Slavoj Žižek, Quelques réflexions blasphématoi­res. Islam et moder­nité, Paris, Jacqueline Chambon, 2015.

18 – « Camarades, votre loi du talion ne sera jamais la mienne ! », NPNF no 48/49, avril 2015 :<a href=« http://mondialisme.org/spip.php?article2228 »> http://mon­dia­lisme.org/spip.php?arti­cle2228.
19 – C’est ainsi que le socio­lo­gue Ahe Sander écrit : « Les Suédois doi­vent se rendre compte que la Suède va accueillir un nombre crois­sant d’indi­vi­dus et de grou­pes que l’on ne pourra pas fondre dans le creu­set suédois, et dont les musul­mans et les grou­pes isla­mi­ques offrent d’excel­lents exem­ples ; toute ten­ta­tive de les assi­mi­ler par la force, de les couler dans le moule tra­di­tion­nel suédois sera contre-pro­duc­tif car cela ne fera que les pous­ser à s’agréger plus for­te­ment autour de leur reli­gion et de leur eth­ni­cité, ce qui — du point de vue des arti­sans de la forge natio­nale suédoise — aggra­vera encore le problème » (cita­tion extraite de son arti­cle « The status of Muslim com­mu­ni­ties in Sweden », dans l’ouvrage col­lec­tif Muslim com­mu­ni­ties in the new Europe, Gerd Nonneman, Tim Niblock et Bogdan Szajkowksi (dir.), Ithaca Press, 1997).
Face à un flou cer­tain, plutôt bien­venu d’un point de vue athée, ce n’est pas aux socio­lo­gues dits « non musul­mans » de rajou­ter encore une couche d’obs­cu­ran­tisme au nom de la « tolérance ». Or, dans son arti­cle, Ahe Sander prend la peine de nous décrire en détail les opi­nions les plus réaction­nai­res, anti-laïques, des musul­mans qu’il a ren­contrés en Suède comme si ces opi­nions pou­vaient représenter celles de tous les « musul­mans » vivant dans son pays ! Selon lui, on devrait lais­ser les « diri­geants » les plus conser­va­teurs des com­mu­nautés musul­ma­nes entre­te­nir leurs pro­pres « tra­di­tions col­lec­ti­ves », comme si ces « tra­di­tions » ne menaçaient pas les libertés indi­vi­duel­les des citoyens musul­mans qui vivent en Suède !

20 – Le sym­bole n’est pas la réalité mais un rap­port étroit avec elle qu’il exprime d’une autre façon (cf. Shmuel Trigano, Qu’est-ce que la reli­gion ?, Flammarion, 2001, p. 50).

21 – Cf. sur notre blog la dis­cus­sion en cours sur ce sujet ainsi que le der­nier texte de Jacques Guigou sur Hegel et la dia­lec­ti­que. [http://blog.temps­cri­ti­ques.net/]

22 – Pour un « digest » de ses posi­tions, cf. : « Des conflits géopo­li­ti­ques sous cou­vert de reli­gion », in Le Monde des reli­gions.fr :
http://www.lemon­de­des­re­li­gions.fr/a… ; et sur le blog de Mediapart :
https://blogs.media­part.fr/seges­ta3… (20/10/2015). Et sur le lien entre gran­des puis­san­ces et puis­san­ces régio­na­les dans la ten­ta­tive d’abou­tir à un nouvel ordre mon­dial, cf. note 5 et les deux arti­cles cités du no 3 de Temps cri­ti­ques.

23 – Cf. le texte de Jacques Guigou : État isla­mi­que ou com­mu­nauté des­po­ti­que ?, dis­po­ni­ble ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle334.

24 – Dans l’his­toire des mou­ve­ments révolu­tion­nai­res les termes les plus sou­vent utilisés pour désigner l’ensem­ble des êtres humains — autre­ment dit l’espèce humaine — étaient ceux d’huma­nité et de genre humain (cf. « … L’Internationale sera le genre humain », par exem­ple). Pour l’inter­na­tio­na­lisme prolétarien seule l’éman­ci­pa­tion du genre humain pou­vait per­met­tre de com­bat­tre et de dépasser les valeurs bour­geoi­ses du peuple et de la nation. Le fon­de­ment théorique de cette pers­pec­tive com­mu­niste se trou­vant dans les écrits de Marx de 1848 où l’on lit ceci : « L’être humain est la vérita­ble com­mu­nauté des hommes ». Mais les échecs du pre­mier grand assaut prolétarien et l’adhésion des clas­ses ouvrières aux natio­na­lis­mes, notam­ment français et ger­ma­ni­que, puis les fas­cis­mes et le sta­li­nisme s’accom­pagnèrent d’un effri­te­ment et sou­vent de la quasi-dis­pa­ri­tion de la référence au genre humain comme deve­nir-autre de la société dominée par le capi­tal.
Pourtant, les luttes des Gauches com­mu­nis­tes (en Italie et en Allemagne) dans les bou­le­ver­se­ments poli­ti­ques engendrés par les deux conflits mon­diaux se réfèrent au com­mu­nisme comme « la vérita­ble com­mu­nauté des hommes ». C’est le cas de Jacques Camatte après son départ du PCInternationaliste (bor­di­guiste) en 1966. Il donne à la notion de com­mu­nauté humaine une exten­sion et un appro­fon­dis­se­ment tels qu’ils l’ont conduit à faire de l’Homo Gemeinwesen (com­mu­nauté humaine en alle­mand) le suc­ces­seur d’un Homo sapiens complètement capi­ta­lisé selon lui. On lira sur le site de la revue Invariance les défini­tions que Jacques Camatte donne de la notion d’indi­vi­dua­lité/Gemeinwesen. Dans sa théorie il n’y a pas de sépara­tion entre l’indi­vi­dua­lité et la Gemeinwesen. C’est d’ailleurs dans cette lignée qu’à Temps cri­ti­ques, nous avons développé la notion de ten­sion indi­vidu/ com­mu­nauté. Camatte se dis­tin­gue par là même de la phi­lo­so­phie poli­ti­que, des reli­gions et du sens commun pour qui les indi­vi­dus exis­tent d’abord en dehors du social puis seu­le­ment dans les rap­ports sociaux. Pour le chris­tia­nisme et les reli­gions monothéistes, par exem­ple, la « créature de Dieu » existe d’abord en dehors du social dans la création divine, puis dans la société. C’est le sens du mot d’ordre évangéliste « ren­dons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». C’est aussi le cas du diktat : « l’indi­vidu n’est rien en dehors du Parti, il est tout dedans », utilisé dans ses varian­tes suc­ces­si­ves léniniste, trots­kiste, sta­li­nienne et maoïste. Dans un texte récent Temps cri­ti­ques revient, sur le par­cours théorique de la revue Invariance et le confronte aux thèses défen­dues par Temps cri­ti­ques :
[http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle306]

25 – Cf. l’arti­cle de Jacques Guigou : « L’ins­ti­tu­tion résorbée », Temps cri­ti­ques no 12, dis­po­ni­ble ici : http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle103

26 – Cf. Temps cri­ti­ques no 10 (automne 1996) : Phil Agri et Léon Milhoud, « Sur les rap­ports indi­vi­dus/com­mu­nauté, le temps des confu­sions » :
http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle216.

Contre le nucléaire et son monde:La fin de la réalisation du réacteur de recherche Jules hobrowitz retardée

Le réacteur de recherche Jules Horowitz est un projet de réacteur nucléaire de recherche en cours de construction sur le centre CEA de Cadarache, Les premiers travaux ont démarré en 2007
Le refroidissement de l’installation Jules Horowitz nécessite un maximum de 40 millions de mètres-cubes par an. Il est alimenté par le canal de Provence. L’eau est ensuite rejetée dans le canal EDF, utilisé pour l’irrigation et l’alimentation en eau potable d’un million et demi de « clients ».
Selon les concepteurs du projet, le réacteur Jules Horowitz pourrait réaliser simultanément vingt expériences différentes. Il proposerait un spectre neutronique à la fois intense en neutrons thermiques et en neutrons rapides, ce qui lui permettrait des études sur les filières nucléaires actuelles (2ème et 3ème génération : Réacteur à eau pressurisée et Réacteur pressurisé européen) et futures (4ème génération : Réacteur à neutrons rapides, soit Astrid).

le réacteur de recherche Jules Horowitz. ,le projet Jules Hobrowitzdont les budgets ont totalement dérapé. Le démarrage initialement prévu en 2014 n’est plus attendu avant 2019 ou 2020. Quant à la facture, elle pourrait tourner autour de 1,5 milliard d’euros, le double de ce qui était envisagé.
Derière le nucléaire se cachent les militaires. toute notre énergie est contre ce monde qui veut nous prendre comme des cobayes
Contre la THT en haute Durance et ailleurs
L’État fait ainsi Les habitants de Marseille des cogestionnaires du désastre

Quand la science justifie la domination sociale.

Face à la propension de certaines et certains de psychologiser notre vie quotidienne. Par exemple un débat qui a lieu au café assiociatif de valence: »le cause toujours »( atelier découverte psychogénéalogie)on confond pas la sociobiologie à la psychogénéalogie mais pour nous cette pratique porté par une psychologue, qui justifie la pratique du nouveau Centre éducatif Fermé de valence( dont le programme éducatif intense lié à une approche “santé mentale”) et aussi celle du nouveau centre pénitentiaire (Ce centre pénitentiaire de valence se veutà »réinsertion active »). Les deux lieux d’enfermement cités(on a repris des publicités parues dans le journal local .Face à ce débat du 15/12/2015, que nous avons volontairement ignoré car ce n’est pas dans un café associatif café associatif là qu’on a choisi de batailler contre ces structures d’enfermement et domination dont le système a besoin. Voici une réponse.Nous on publie ce texte.
trouvé dans non fides:

[Voici quelques notes à l’occasion de la discussion « Sociobiologie : quand la science justifie la domination sociale », qui a eu lieu à la bibliothèque anarchiste La Discordia le mercredi 28 octobre 2015. Vu l’intérêt que le sujet a suscité, on les partage ici par écrit.]

Précisons tout de suite que nous ne sommes pas des experts en la matière et que les questions d’ordre technique ne seront pas traitées par nous. Tout simplement parce que ça ne nous intéresse pas ; notre intention est de nous libérer des entraves de ce monde de merde, y compris de celles qui nous sont imposées par la science. Dans ce cadre nous voulions proposer de discuter de la sociobiologie, qu’on pourrait décrire comme une manière d’expliquer nos rapports sociaux, nos émotions et nos comportements par des facteurs biologiques. Les discours défendus par les idéologues de ce discours scientifique – des chercheurs aux journalistes, des corporations aux politiques – portent souvent sur un gène particulier ou sur le fonctionnement de certaines zones du cerveau (neurosciences) ou de certaines hormones qui sont supposées identifier une cause matérielle précise comme étant à l’origine de phénomènes qui les dépassent grandement. On cherchera ainsi, par exemple, le gène du délinquant, l’hormone de la fidélité, ou les phéromones de l’instinct maternel, et une fois qu’on aura « identifié » cette cause on proposera d’y palier, puisqu’elles posent problème, par des moyens eux aussi biologiques, par exemple par des produits proposés par des labos qui financent ces mêmes recherches.

Un texte nommé « L’obscurantisme triomphant des neurosciences » donne un bon exemple de ce type de discours scientifique. Il porte sur une conférence donnée à Genève dans le cadre de La Semaine du cerveau par Larry J. Young, en 2014, sur le thème de l’amour et de la fidélité. Des souris et des campagnols soumis aux effets de certaines hormones sont répartis ensuite entre fidèles ou volages selon la nature des produits employés et servent d’exemples au conférencier pour parler des mêmes comportements chez les humains. Ainsi la cause identifiée de l’adultère se réduira à une surproduction ou un déficit d’une certaine hormone, et Young proposera des produits commerciaux tels que le spray nasal chargé d’ocytocine pour y palier, garantissant les mêmes effets que la morale conjugale, mais sans la contrainte qui y est associée. Déjà, précisons que, pour nous, les normes sociales humaines dont celles portant sur le désir, la fidélité, l’amour ou la sexualité, c’est-à-dire les vraies causes des problèmes, ne peuvent se voire opposer de critique valable si on ne tente pas de les comprendre dans leur contexte trivial, celui des individus appartenant à l’espèce humaine et de leurs spécificités (historiques, culturelles). Et non pas par les rapprochements possibles chez les différents animaux entre la production d’une certaine hormone et de certains comportements qui y sont associés, tout simplement parce qu’elles n’ont pas les mêmes incidences, ni les mêmes significations chez les différentes espèces. Ce faisant, la sociobiologie sert à donner des réponses à toute une masse de gens crédules attendant ce qu’ont à dire les « experts » du comportement pour prendre leurs décisions et régler leurs problèmes émotionnels ou affectifs au moyen de thérapies et d’ordonnances, exactement comme des croyants attendant les sermons des prêtres, dont la compréhension du divin permet de mieux connaître les spécificités de l’âme humaine. On utilisera pour cela de mêmes images de conte de fée ; une fois que tout le monde vivra dans le fabuleux royaume de l’état psychique parfait, on pourra trouver princes ou princesses tout aussi émotionnellement régulés, avec lesquels croître et multiplier.

En plus de son rôle d’autorité morale, rappelons que la sociobiologie fournit également les armes nécessaires au contrôle social moderne. On peut prendre comme exemple, certes un peu facile car cela se fait souvent plus subtilement, l’idée du gène du délinquant ou des signes biologiques (comme la production de testostérone) qui permettraient d’opérer une sélection et un contrôle le plus tôt possible de potentiels fauteurs de troubles. Au sujet de telles prédispositions, on peut songer au ridicule de la phrénologie au XIXe siècle qui tâchait d’identifier les types particuliers de criminels selon la forme de leurs crânes, et ignorait tout simplement les conditions d’existence des personnes et leur histoire personnelle. Pour résumer, l’arme principale de la science est comme toujours l’exploitation de l’ignorance et si on veut prouver que tel gène est à l’origine de comportements agressifs, il suffira pour les comités d’experts, ou les politiques, d’aller trouver le bon article, montrant le résultat qui les intéresse sur des rats ou des humains de laboratoire et d’étendre cette « étude » à une explication universelle et par conséquent incritiquable de comportements jugés déviants.

Rappelons-nous qu’à vouloir toujours identifier une racine du mal (l’âme mauvaise, l’humeur bilieuse, l’excès de telles hormones, le gène du délinquant) on retombe facilement sur un moralisme quasiment religieux servant à justifier la résignation : « Je voulais me révolter mais on me dit que le problème c’est moi, mon comportement, mon mauvais gène et non la société qui fonctionne parfaitement » ou, au contraire, mon manque d’emprise sur moi-même : « J’ai un problème indépassable, je suis violent, je ne peux rien y faire, hormis prendre un traitement ». L’eugénisme qui opère un départage des individus selon la « qualité » de leur matériel génétique n’est que la continuation de cet esprit de correction des corps par des moyens extérieurs. Afin d’éviter les problèmes possibles liés aux « mauvais gènes », qu’ils agissent sur la santé, le caractère ou les capacités des personnes, autant les sélectionner avant afin d’éviter tout problème, ce qui repousse encore toutes les excuses et possibilités d’une vie meilleure à un avenir hypothétique : « Attendons encore quelques décennies que les recherches avancent et il n’y aura plus que des humains sains, proches de la perfection. »

La sociobiologie, en particulier lorsqu’elle s’appuie sur la génétique, peut toujours être utilisée pour appuyer n’importe quel discours en recherche de vérité comme les différentes formes de racisme ou de racialisme. (Rappelons que Watson qui a proposé le modèle de la molécule d’ADN en double-hélice avec Crick l’avait fait afin de déterminer la supériorité de la race blanche.) Ou bien elle peut servir aussi des visions bien arrêtées sur les genres, comme celle des néo-évolutionistes pour lesquelles les divergences entre hommes et femmes dépendent d’une mythologie anthropologique d’hommes chasseurs et de femmes au foyer. Ce qu’on peut y voir en résumé, c’est qu’il est facile de calquer des modèles complètement construits, vite observés et ne comportant rien d’autre qu’une vieille morale de comptoir sur l’ensemble de la vie humaine lorsqu’on se réclame de vérités scientifiques et de prendre les effets que nos corps subissent confrontés à cette société de merde comme étant la cause des problèmes.

Aussi, en guise de questionnement, et pour laisser la parole à qui veut la prendre, la question serait : comment s’en prendre au monde scientifique concrètement mais sans se présenter soi-même comme un porteur de vérité ?