Valence, france: rencontre discussion autour de l’ouvrage « Ma peste de vie » le 14 mars

Rencontre & discussion autour du livre Ma peste de vie autobiographie de Claudio Lavazza le jeudi 14 Mars à 19h30 au laboratoire anarchiste 8 place Saint jean 26000

Si au laboratoire anarchiste avec notre intérêt pour toute les montées à l’assaut du ciel, des exploité-e-s qui font l’Histoire c’est bel et bien au présent que nous entendons parler d’une des personnes de l’autonomie italienne

Suite au transfert de l’anarchiste claudio Lavazza vers une prison française en août 2018 devra affronter un procès à Paris pour le braquage de la banque de France à saint Nazaire en 1986 . pour cette inculpation claudio avait été condamné par contumace à 30 ans de prison..

Claudio Lavazza a déjà passé 24 ans derrière les barreaux en Espagne où il a participé activement aux luttes contre les modules d’isolement mortifères Fies

A21h repas avec boissons à prix libre

qui sera suivi d’une projection ,avec la présence de l’interlocuteur de claudio, d’un film réalisé lors d’un interview téléphonique de claudio Lavazza

une caisse de solidarité aux anarchistes incarcérés sera mis en place avec une discussion.

Pour écrire à Claudio (il parle italien, espagnol et français) :

Claudio Lavazza
n° 445097 (D5-2G-₵44)
MAH de Fleury-Mérogis
7, avenue des Peupliers
91700 – Fleury-Mérogis

Saint-Étienne : Vous étiez filmés, vous serez bientôt écoutés

 

Saint Etienne Metropole et Serenicity, une filiale du marchand de mort Verney Carron, sont heureux de vous annoncer l’installation prochaine de micros dans le quartier Beaubrun Tarentaize.

Une expérimentation grandeur nature de la Smart City.
Cela va permettre d’appeler directement les pompiers s’il y a un accident sur la route, et ainsi la mamie du 3e n’aura plus à composer le 18. Quelle révolution !
Ce n’est pas pour fliquer, c’est pour améliorer nos vies. Nous rendre joyeux en quelque sorte. On pourra même enregistrer le chant des oiseaux, enfin s’il en reste encore…

La Smart City, quel merveilleux filon pour ces villes à la recherche d’un développement économique infini et ces startuppers en mal de reconnaissance.
La ville va être intelligente, car nous sommes trop cons. Alors il y a des gens bien intentionnés qui ont tout prévu pour nous rendre la vie facile et heureuse.
Eduquer ces pauvres qui gaspillent l’eau et l’électricité, en les équipant de mouchards. Imposer le numérique dans notre quotidien, en le rendant incontournable.
En attendant le tram, tu te reposais sur un vulgaire banc en bois. Maintenant tu poses ton cul sur un siège design connecté. Merci la smart city, merci la vie.

Serenicity

La Smart City est un vrai projet politique. Le déploiement massif des technologies numériques permet d’asservir et contrôler davantage la population. C’est aussi extraire des matières premières rares, polluer la Terre et consommer toujours plus d’énergie. […]

Sainté Smart city, non merci !

[Repris de Numéro Zero.]

il lu sur non fides

 

Béziers (Hérault) : Les chantier de la gentrification à peine démarré est déjà stoppé

France Bleu / mercredi 27 février 2019

À peine démarré, déjà stoppé. Le chantier de renouvellement urbain dans le quartier de la Devèze à Béziers qui a débuté lundi est à l’arrêt depuis ce mercredi matin. La faute à un incendie probablement criminel qui a détruit mardi soir une pelleteuse déchiqueteuse. C’est elle qui grignote le premier bâtiment de l’îlot Boniface. Une enquête est ouverte. Les travaux doivent détruire au total 581 logements.

Le maire de Béziers en appelle à l’état pour sécuriser le quartier de la Devèze. « Ça suffit ! Nous nous apprêtons à investir des dizaines de millions d’euros à La Devèze, mais si on ne nous donne pas les moyens de maintenir l’ordre, ça ne sert à rien » déplore Robert Ménard dans un communiqué. Même son de cloche du côté du président de l’Agglomération. Plus tôt dans la journée, Frédéric Lacas a dénoncé « une violence aveugle ».


 

 

Grèce : Affrontements suite à la mort d’un migrant

samedi 2 mars 2019

Des manifestants se sont affrontés hier à la police anti-émeute à Athènes lors du rassemblement pour dénoncer la mort de Ebuca Mama Subek, 34 ans. Ce Nigérian, père de deux enfants, décédé dans un poste de police de la capitale particulièrement connu pour ses violences contre les migrants, celui du quartier d’Omonia. Les policiers ont d’abord niés avoir arrêté Ebuca Mama Subek, puis ont changé de version en affirmant qu’il était venu s’effondrer dans la salle d’attente… Les manifestants ont érigé des barricades en flammes et lancé des pierres en se dirigeant vers le poste de police mercredi soir. Les policiers ont tiré des gaz lacrymogènes et chargés les manifestants.

repris de non fides

Lyon, france:AG Gilets jaunes Bourse du travail de Lyon le 25 février

AG Gilets jaunes Bourse du travail de Lyon le 25 février
120-150 personnes.

Les commissions rendent compte.

La commission action fait état de la marche pour le RIC qui arrive à Lyon ce jeudi soir à 19H place Guichard. La manifestation qui suivra a été déclarée pour permettre d’assurer une sécurité minimum à des marcheurs fatigués. Petite fête conviviale prévue après.
Il y aurait eu 1500 personnes à la manifestation devant l’ONU à Genève le mercredi 20 février. Pas de délégation reçue.
Une action sous-marin de blocage des flux de marchandises est annoncée, mais sans dévoiler le fond de l’affaire, avec appel aux personnes intéressées de prendre contact avec la commission.

La commission RIC signale un tractage (texte sur le CICE ?) qui a déjà commencé sur le marché de la Croix-Rousse et sur celui de Villeurbanne. Bon accueil. A propos de tractage, celui effectué par l’UPR au cours de la manif de ce dernier samedi, rue de la République, est dénoncé comme récupération partisane qui ne doit plus se reproduire.

La commission convergence des luttes lit un tract à diffuser en direction des usines. Le tract est correct et accepté, mais quand il s’agit de savoir vers qui concrètement il sera dirigé, on s’aperçoit que l’AG n’est en contact qu’avec quelques entreprises, dont la SNCF évidemment. Difficile dans ces conditions d’en appeler à nous rejoindre et ainsi de préparer le terrain pour la prochaine manifestation du jour de grève générale annoncée par les syndicats. Il y a aussi une grève étudiante prévue, mais on ne sait rien du niveau de mobilisation et si cette grève est le début d’une lutte ou un simple appel coup d’épée dans l’eau. C’est toujours la même chose, dans « convergence des luttes », lutte est souvent de trop par rapport à la réalité et convergence un vœu pieu car qui aurait voulu converger avec les Gilets jaunes l’aurait déjà fait depuis trois mois que le mouvement a commencé. Et l’exemple des « stylos rouges » le confirme par défaut.

Un copain (longtemps cégétiste lui-même) fait remarquer que rechercher à se lier avec la base ouvrière et salariée des entreprises d’accord, mais il n’y a pas à s’adresser à des directions syndicales pour leur demander de nous soutenir. La réponse outrée d’un cégétiste sur le fait que le syndicat n’est pas l’ennemi et qu’il faut faire front tous ensemble se termine en dialogue de sourds car de toute façon, le mouvement des GJ n’a jamais eu vocation à une liaison avec les directions syndicales, sa caractéristique étant justement de ne pas être un mouvement social centré sur le travail. Il y a de nombreux syndiqués chez les GJ point.

Toujours, dans l’idée de la convergence, une manifestation des femmes pour la journée de la femme est annoncée, mais le fait qu’elle soit déclarée non mixte entraîne de nombreuses réactions hostiles dans la salle.

La commission justice annonce la mise en place d’un collectif d’avocats pour le développement de dépôts de plainte collectifs. Appel à l’aide financière pour les frais de procès. Une coordination nationale des street medics est aussi en train de se mettre en place.
Pour les actions à venir, la « marche noire » organisée par le groupe Article 35 – insurrection, au niveau interrégional, démarrera à 13H aux 24 colonnes et vise un parcours des lieux de pouvoir. Elle ne se substitue néanmoins pas au rassemblement rituel de Bellecour à 14H.
Un projet de reprise des ronds-points dans toute la France est annoncé, par exemple dans les grandes villes, à partir de nos quartiers. En l’état actuel du mouvement (pas de comités de quartier Gilets jaunes) cela apparaît comme un vœu pieu. Il vaudrait sans doute mieux se concentrer sur quelques ronds-points « tenables ».

Un projet de « ville en jaune » est aussi présenté à partir de voitures qui sillonneraient la ville (bombes de peinture ?). Dans le même ordre d’idée, des craies pourraient être utilisées pendant les manifestations afin de mieux faire connaître les slogans des Gilets jaunes. Cette action présente aussi l’avantage de ne pas encourir de poursuite judiciaire.

Ensuite la parole libre s’oriente sur le problème des manifestations, sur les meilleurs trajets à déterminer avec toujours les mêmes oppositions entre ceux qui sont pour des trajets unifiés pour montrer la force d’ensemble et ceux qui préfèrent la multiplicité des formes, débat assez vain, faisons-nous remarquer puisque chacun fait un peu « comme il le sent » et parfois avec réussite comme ce dernier samedi, ce qui limite toute ambition de l’AG à vouloir contrôler le tout. La discussion s’oriente ensuite sur les conséquences de la déclaration de manifestation pour ceux qui la font et qui pourraient en être tenus responsables. Mais en fait l’argument ne tient pas au niveau juridique et de plus, dans ce cas là, raison de plus pour continuer, sauf exception, à ne pas les déclarer. De toute façon, fait remarquer un intervenant, déclarée ou pas la manif est gazée à un moment ou un autre.

Des propositions de nouvelles commissions sans utilité évidente et correspondant plutôt à des envies individuelles sont faites (toujours la récurrence du « style Nuit debout ») et j’interviens (J) pour dire qu’il y a quand même une grande incohérence entre, d’un côté, dire en début d’AG qu’il faut que le mouvement des GJ, face aux attaques qu’il subit de toute part, se recentre sur ce qui a fait sa force à son moment le plus haut, c’est-à-dire la dimension de justice sociale et tout ce qui lui est attenant ; et puis de l’autre donner l’impression que le mouvement est surtout l’occasion de brasser de grandes (ou petites) idées.

on relaie http://blog.tempscritiques.net/

Milan (Italie) : Une agence de la Poste attaquée en solidarité

Round Robin / vendredi 1er mars 2019

Dans la nuit du 26 au 27 février, on a détruit deux distributeurs de billets, les vitres et la porte de la Poste de la Via Franco Tosi, à Milan.

Liberté pour Nicco, Larry, Silvia, Giada, Antonio et Beppe.
Liberté pour Rupert, Agnese, Stecco, Giulio, Nico, Sasha et Poza.

[Pour d’autres exemple de solidarité face à ces dernières vagues répressives, voir par exemple iciici, ici ou encore ici; NdAtt.]

À propos de projectualité

cracherdanslasoupe

L’anarchisme… Est une manière de concevoir la vie, et la vie… N’est pas quelque chose de définitif : c’est une mise que l’on doit rejouer jour après jour. Lorsque l’on se réveille le matin et que l’on pose les pieds au sol, on doit avoir une bonne raison de se lever. Si ce n’est pas le cas, que l’on soit anarchiste ou non ne fait aucune différence… Et pour avoir une bonne raison on doit savoir ce que l’on veut faire…”

Alfredo M. Bonanno

Peut-être que l’un des concepts les plus compliqués que j’ai essayé d’exprimer dans mes projets est celui de projectualité anarchiste. La difficulté dans le fait d’exprimer ce concept ne résulte pas simplement du fait que ce mot est inhabituel, mais surtout du le fait qu’il est en totale opposition avec la manière dont l’ordre social nous incite à vivre.

Dans cette société, on nous apprend à voir la vie comme quelque chose qui nous arrive, quelque chose qui existe en dehors de nous, dans laquelle nous sommes jetés. On ne nous dit pas, cependant, qu’il s’agit de la conséquence d’un processus de dépossession, et donc cette aliénation nous semble naturelle, une conséquence inévitable du fait d’être vivant. Lorsque la vie est perçue de cette manière, la grande majorité des gens font face aux situations comme elles arrivent, acceptant pour la plupart leur sort, protestant parfois contre des situations spécifiques, mais toujours dans les limites fixées par l’acceptation d’une vie prédéterminée et aliénée. Quelques personnes ont une approche plus gestionnaire de cette vie aliénée. Plutôt que de simplement prendre les choses comme elles viennent, elles cherchent à réformer la vie aliénée avec des programmes, en créant des plans pour une existence modifiée, mais qui reste déterminée par avance et à laquelle les individus doivent s’adapter.

On peut trouver des exemples de ces deux tendances au sein du mouvement anarchiste. On peut voir la première tendance avec ces anarchistes qui considèrent la révolution comme un événement qui avec un peu de chance finira par arriver lorsque les masses se soulèveront, et qui en attendant gèrent leur vie avec une sorte “d’immédiatisme” pragmatique de circonstance. Une pratique anarchiste de principe est considérée comme “impossible” et est sacrifiée au bénéfice de l’amélioration des conditions immédiates “par tous les moyens nécessaires” – parmi lesquels les procès, les pétitions aux autorités, la promotion de la législation, etc. La deuxième tendance se manifeste dans des perspectives s’appuyant sur des programmes comme le platformisme, le municipalisme libertaire ou l’anarcho-syndicalisme. Ces perspectives tendent à réduire la révolution à la considération de la manière dont les institutions économiques, politiques et sociales qui contrôlent nos vies doivent être gérées. Étant donné qu’elles reflètent les manières avec lesquelles les gens font face à une vie aliénée, aucune de ces méthodes ne remet réellement en cause une telle existence.

La projectualité anarchiste part de la décision de se réapproprier sa vie ici et maintenant. Ainsi, elle met au jour et remet en cause directement et puissamment le processus de dépossession que cette société impose et agit pour détruire toutes les institutions de la domination et de l’exploitation. Cette décision ne se base pas sur la question de savoir si cette réappropriation est actuellement possible ou non, mais sur la reconnaissance du fait qu’elle est le premier pas absolument indispensable pour ouvrir les possibilités d’une transformation totale de l’existence. Ainsi lorsque je parle de projectualité anarchiste, je parle d’une manière de faire face à la vie et de lutter dans laquelle le refus actif d’une existence aliénée et la réappropriation de la vie ne sont pas des buts futurs, mais sont une méthode pour agir tout de suite sur le monde.

La projectualité anarchiste n’existe pas en tant que programme. Les programmes sont basés sur l’idée d’une vie sociale séparée des individus qui la composent. Ils définissent comment la vie doit être et font leur possible pour faire tenir les individus dans cette définition. Pour cette raison, les programmes sont peu en capacité de prendre en considération les réalités de la vie quotidienne et tendent à se confronter aux conditions de vie d’une manière ritualisée et formalisée. La projectualité anarchiste existe au contraire comme une tension vécue consciemment vers la liberté, comme une lutte quotidienne continue pour découvrir et créer des manières de déterminer son existence avec les autres et dans une opposition sans compromis à toute domination, à toute exploitation.

Donc la projectualité anarchiste se confronte aux conditions immédiates d’une vie quotidienne aliénée, mais refuse le pragmatisme de circonstance du “par tous les moyens nécessaires”, usant à la place de moyens qui portent déjà en eux les fins. Pour être plus clair, je vais donner un exemple hypothétique. Prenons le problème de la police. Nous savons toutes et tous que la police s’immisce dans les vies de tous les exploités. Ce n’est pas un problème qu’on peut ignorer. Et, bien sûr, en tant qu’anarchistes nous voulons la destruction du système policier dans sa totalité. Une approche programmatique à cela a tendance à partir de l’idée que l’on doit déterminer les taches utiles principales que la police doit prétendument exécuter (contrôler ou supprimer les comportements “anti-sociaux”, par exemple). il faudrait ensuite essayer de créer des moyens autogérés de réaliser ces taches sans la police, la rendant ainsi inutiles. Une approche pragmatique, de circonstance, étudierait simplement tous les excès et les atrocités commis par la police et essaierait de trouver des manières de limiter ces atrocités — par le biais d’actions en justice, la mise en place d’observatoires citoyens de la police, de propositions pour un contrôle législatif des activités policières plus strict, etc. Aucune de ces méthodes ne remet en réalité en question le maintien de l’ordre en tant que tel. La méthodologie programmatique appelle simplement à ce que le maintien de l’ordre devienne une activité de la société dans son ensemble menée de manière autogérée, plutôt que la tache d’un groupe spécialisé. L’approche pragmatique, de circonstance, revient quant à elle à contrôler la police, et ainsi élever le niveau de contrôle dans la société. Une approche anarchiste projectuelle partirait d’un rejet sans concession du contrôle en tant que tel. Le problème avec la police n’est pas que c’est un système séparé du reste de la société, pas plus qu’elle tombe dans l’excès et les atrocités (ainsi importantes que soient ces choses). Le problème avec la police est inhérent à ce qu’elle est : un système fait pour contrôler ou supprimer les comportements “anti-sociaux”, c’est-à-dire, conformer les individus aux besoins de la société. Ainsi, l’enjeu est celui de la destruction du système policier dans sa totalité. C’est le point de départ pour le développement d’actions spécifiques contre l’activité policière. Des connexions claires doivent être faites entre toutes les branches du système de contrôle social. Nous devons faire le lien entre les luttes en prison et les luttes des exploités là où ils vivent (y compris la nécessité de l’illégalité comme moyen de survivre avec un tant soit peu de dignité dans ce monde). Nous devons mettre au clair les liens entre la police,la justice, la prison, la machine de guerre — autrement dit, entre tous les aspects du système de contrôle à travers lequel le pouvoir du Capital et de l’État est maintenu. Ceci ne signifie pas que chaque action et chaque déclaration devrait exprimer explicitement une critique complète, mais plutôt que cette critique serait implicite dans la méthodologie utilisée. Ainsi, notre méthodologie serait celle de l’action directe autonome et de l’attaque. Les instruments du contrôle sont partout autour de nous. Les cibles ne sont pas difficiles à trouver. Remarquons, par exemple, la prolifération des caméras de surveillance d’un bout à l’autre de l’espace publique.

Mais ce n’est là qu’un exemple pour clarifier ce dont on parle. La projectualité anarchiste est, en fait, une confrontation à l’existant “à couteaux tirés”, comme un compagnon l’a si joliment dit, une manière de faire face à la vie. Mais étant donné que la vie humaine est une vie avec l’autre, la réappropriation de la vie ici et maintenant doit aussi signifier la réappropriation de nos vies ensemble. Cela implique le développement de relations d’affinité, de trouver des complices pour mener nos projets selon nos conditions. Et comme l’objectif premier de la projectualité est de nous libérer nous-mêmes ici et maintenant de la passivité que cette société nous impose, nous ne pouvons pas simplement attendre que la chance place ces gens sur notre route. Ce point est particulièrement important dans l’époque qui est la nôtre, où l’espace publique est de plus en plus surveillé, privatisé ou placé sous le contrôle de l’État, et où les individus au sein de ces espaces ont tendance à s’immerger dans l’univers virtuel de leurs téléphones et de leurs ordinateurs portables, réduisant presque au néant les chances de rencontres. Ce désir de trouver des complices est ce qui m’a amené à publier Willful Disobedience. Mais il appelle aussi d’autres projets. Reprendre l’espace — que ça soit pour une soirée ou de manière plus permanente — pour se rencontrer et discuter, créer des situation où la vraie connaissance mutuelle peut naître et se développer, est essentiel. Et cela ne peut se restreindre à celles et ceux qui se considèrent anarchistes. Nos complices peuvent se trouver n’importe où parmi les exploités, où il y a des individus lassés de leur existence qui n’ont plus aucune foi dans l’ordre social actuel. Pour cette raison, découvrir des manières de s’emparer d’espaces publiques pour interagir face-à-face est essentiel au développement d’une pratique projectuelle. Mais la discussion dans ce cas ne vise pas essentiellement à la découverte d’un “terrain commun” entre les personnes concernées. Elle vise plutôt à la découverte d’affinités spécifiques. La discussion doit donc être la franche et claire expression des projets et des buts, des rêves et des désirs de chacun.

Pour résumer, la projectualité anarchiste est la reconnaissance pratique dans sa vie que l’anarchie n’est pas juste un but dans un futur éloigné, un idéal que l’on espère vivre dans une utopie lointaine. Beaucoup plus fondamentalement, c’est une manière de se confronter à la vie et de lutter, un chemin qui nous met en opposition avec le monde tel qu’il est. C’est se saisir de sa propre vie comme d’une arme et comme d’une mise à jouer contre l’existence qui nous est imposée. Lorsque l’intensité de notre passion pour la liberté et de notre désir de nous réapproprier notre vie nous pousse à vivre d’une autre manière, tous les outils et les méthodes que ce monde nous offre cessent d’être d’être attrayants, parce que tout ce qu’ils peuvent faire est d’ajuster la machine qui contrôle nos vies. Lorsque nous faisons le choix de ne plus être un rouage, lorsque nous faisons le choix de briser la machine plutôt que de continuer à l’ajuster, la passivité s’arrête, et la projectualité commence.

À propos de la projectualité

Texte: critique du RIC

[[reçu par mal]]
Bonsoir,

Après réunion et discussions entre une quinzaine de personnes au plus 
près du mouvement des Gilets jaunes et trois mois de maturation 
politique, il nous est apparu nécessaire de commencer une critique 
interne de certains aspects du mouvement. Celle-ci en est la première 
expression.

Pour Temps critiques

Jacques W

Dans les rets du RIC

Remarques sur les faiblesses politiques d’une revendication

Après avoir élargi ses revendications de départ et continué à refuser de négocier, ce dernier point étant essentiel dans le maintien d’un rapport de force avec les pouvoirs en place, la difficulté qu’a le mouvement à s’étendre sur cette base (voir le caractère éphémère de la jonction du 5 février, l’échec de la liaison avec le mouvement lycéen en décembre, le peu d’empressement qu’ont les habitants des banlieues à le rejoindre), le conduit à se refermer sur lui-même dans une revendication qui fait peut être son originalité, mais qui n’est que la sienne. Certes, le mouvement des Gilets jaunes a raison de vouloir garder son autonomie en se plaçant comme une sorte d’avant-garde de masse de fait (« Tous Gilets jaunes », sous-entendu, nous les gens de peu). Il n’a rien à attendre de l’appel traditionnel et volontariste à une « convergence des luttes », car c’est quand on agit ensemble contre la société capitaliste qu’on converge et non pas en agissant séparément d’abord pour converger éventuellement ensuite (cf. le contre-exemple des « stylos rouges », à la notable exception de ceux de l’Ille-et-Vilaine). Mais le problème est là. L’avant-garde de masse ne se justifie que si elle fait véritablement masse, c’est-à-dire si elle est suivie et pas simplement par procuration, mais sur le terrain.

Or si les premiers gestes de recul de Macron et le fait que le mouvement ait perduré au-delà de la période des fêtes ont été vécus comme une victoire, le mouvement en est objectivement et subjectivement aujourd’hui à son étiage avec l’impression d’être face à un mur qui ne cède pas. Le risque est d’y répondre non pas en cherchant à reprendre l’action directe, même en variant les formes dans un tout ou rien qui peut-être clarifierait ce que veut vraiment le mouvement, mais en cherchant à tout prix à perdurer quitte à plus ou moins s’institutionnaliser. En effet, même si le RIC a été présent dès le départ dans les objectifs (il n’y a donc pas « ricupération » comme l’ont dit des prétendus radicaux), la prégnance de plus en plus forte qu’il a prise, depuis quelques semaines, comme revendication unique pouvant pleinement le satisfaire est sans égale, loin devant l’autre forme d’institutionnalisation rampante que constitue l’idée du « Vrai débat » en réponse au « Grand débat » de Macron ; une idée qui place le mouvement dans une contre-dépendance à l’égard du pouvoir.

C’est à ce changement de fusil d’épaule que nous assistons depuis quelques semaines avec parallèlement, un certain recul de l’action directe et des « Macron-démission » puisque le RIC peut aussi représenter l’espoir d’une lointaine destitution du président (et de la présidence pour certains) qui viendrait remplacer la croyance un peu écornée en une démission immédiate. Une référence appuyée au RIC qui, pourtant, ne trouve grâce dans aucune autre fraction de la population démunie et travailleuse et qui, par ailleurs, n’est pas véritablement discutée, sur le fond, au sein des différents Gilets jaunes. Elle fonctionne le plus souvent comme une sorte de « sésame ouvre-toi » censé régler tous les problèmes à partir du moment où le RIC serait compris par tous après une divulgation de ses principes (cf. Les « marcheurs » du RIC).

Pour certains militants du RIC, celui-ci serait même tellement efficace qu’il éliminerait toutes les sources de conflit. Il suffirait en effet de voter, évitant ainsi tous les troubles que représentent les manifestations et les grèves. C’est un fantasme bien connu en politique : certains protagonistes pensent que l’on peut couper l’histoire en deux, ils veulent changer les choses pour ne plus avoir à les changer. Le RIC est ici le fétiche de ce fantasme. En fait, nombre de Gilets jaunes ne doutent pas de l’intelligence de leurs dirigeants politiques (ou patronaux). Ils ne font pas non plus de critique de leur expertise supposée ; ce qu’ils critiquent principalement, c’est que cette intelligence soit mal orientée et pas en direction du « peuple » ou des pauvres. De ce point de vue, le RIC ne relève que d’un raisonnement technique (ce serait un outil) de résolution des problèmes et non pas un principe politique de l’identification des problèmes à résoudre. Ainsi, si le peuple peut décider de tout, il faudra aussi qu’il s’appuie sur la compétence (là encore une notion jamais questionnée) d’experts pour le guider dans ses décisions. L’appareil d’État est perçu essentiellement comme politicien et bureaucratique sans que ses fonctions politiques, administratives ou judiciaires soient clairement identifiées et distinguées. Ainsi, les États-Unis sont-ils parfois cités en exemple parce que les juges sont élus et non pas nommés comme en France, alors pourtant que cela les transforme en objet de luttes politiques clientélistes et les expose au pouvoir des lobbies industriels et financiers. Tout ce qui fait l’objet d’un vote semble privilégié comme si celui-ci réglait tous les problèmes parce qu’il serait constituant, législatif, abrogatoire et révocatoire. (Avec le RIC) « Manifestations et grèves n’auront plus lieu d’être, un vote décidera » comme nous avons pu le lire sur un flyer de présentation circulant dans le Doubs et le Jura. Bravo la convergence !

Avec le RIC en tête d’affiche ce serait une coupure entre révolution démocratique et révolution sociale à laquelle on assisterait. Le RIC ne peut en effet rien contre le patronat, les licenciements, la fixation des revenus autres que le salaire minimum. C’est cette lutte-là qui serait délaissée au profit de la lutte contre la corruption, la prévarication, le revenu trop élevé des députés, alors que la bande a Macron a été entièrement débauchée du privé et comme la plupart étaient déjà des « premiers de cordée » dans leurs domaines respectifs, ils gagnent plutôt moins en tant que députés et ministres ! Ce qui est paradoxal c’est que la critique des Gilets jaunes porte finalement bien plus sur l’ancien personnel politique, celui qui faisait carrière par la politique, que sur le nouveau qui a pour programme implicite de détruire la politique au profit d’une prétendue expertise (cf. : l’utilisation des neurosciences pour résoudre les problèmes dans l’Éducation nationale).

Ce qui apparaît ici, c’est la contradiction entre l’action collective des Gilets jaunes et un RIC qui repose sur l’acte individuel même s’il est une proposition reprise collectivement. Il n’y aurait même plus besoin d’un isoloir pour isoler, le clic informatique suffirait. Par quel mystère celui qui vote « mal » aujourd’hui votera « bien » demain ? On ne sait pas ; ce qu’on sait seulement c’est qu’il pourra destituer celui pour qui il va voter s’il ne se conduit pas bien, s’il ne respecte pas ses engagements ou s’il fait des « bêtises ». Et plus généralement, la faiblesse politique du RIC c’est, dans ces échanges au moins, le fait que le pouvoir lui-même (la question de la souveraineté, qu’elle soit nationale ou populaire) n’est pas posée. C’est comme si toute la problématique rendant possible le RIC (l’idée de démocratie directe et de contrôle populaire immédiat) faisait oublier aux Gilets jaunes la nature de l’État qu’ils ont pourtant découvert pendant leur mouvement.

Le fait que ce sujet ne soit pas abordé a pour corollaire de ne pas aborder non plus la question de la citoyenneté et surtout le sens de celle-ci. Cela saute particulièrement aux yeux quand on aborde le RIC. La question du droit de vote n’est absolument pas abordée, car elle fractionnerait la solidarité des Gilets jaunes à partir du moment où il faudrait prendre une position sur le qui est citoyen et surtout qui ne l’est pas, au risque du désaccord. Dans les AG, il est ainsi souvent nécessaire d’intervenir déjà pour faire corriger l’appellation « assemblée citoyenne » qui spontanément vient souvent court-circuiter celle « d’assemblée populaire », mais il faut aussi rappeler qu’il paraît difficile d’être sur un barrage ou un rond-point avec un « étranger » qui se bat contre l’injustice fiscale à côté de vous et de lui dire que le RIC ce n’est pas pour lui ! Pourtant la référence à la Révolution française que partagent nombre de Gilets jaunes devrait ici servir : est citoyen celui qui participe à la révolution (on peut prendre ça au sens large de la lutte contre l’ordre en place) quelle que soit sa nationalité. Nous ne savons pas si ça vaut le « Grand débat » ou le « Vrai débat », mais ce qu’il a de sûr, c’est que cela ferait avancer le débat et permettrait aussi de régler, non pas la « convergence des luttes » avec la banlieue ou avec les luttes d’entreprise, mais l’incompréhension qui a régné jusqu’à maintenant à propos du RIC.

Temps critiques, le 28 février 2019

Site : http://tempscrtiques.free.fr/ Blog :http://blog.tempscritiques.net/

Gilets jaunes : « une République du genre humain* »

La projection  au cinéma les navires de »J’veux du soleil »   le premier Mars à valence nous a incité de publier ces textes  de temps critique et peut être un discussion  avec la revue  bientot  laboratoire anarchiste


Un caractère d’événement

Alors que le pouvoir en place et l’État attendent toujours plus ou moins une petite révolte paysanne encadrée par la FNSEA, un mouvement de cheminots ou d’enseignants encadrés par les syndicats de salariés qui savent ne pas dépasser la ligne jaune ou même un mouvement lycéen ou une révolte des banlieues qu’ils savent plus difficile à contrôler, c’est du côté d’une population majoritairement rendue invisible qu’est venue la surprise en des temps qui sont ceux où les différentes forces de pouvoir cherchent à faire une place aux « minorités visibles ».

L’événement, au sens fort, c’est ce qui marque une rupture avec ce qui est attendu, que ce soit du point de vue de sa composante (ce n’est pas une classe ni même une catégorie ou une corporation), de ses objectifs (ils peuvent être aussi bien globaux que paraître dérisoires aux personnes extérieures) de son organisation (les médiations habituelles, syndicales ou politiques sont ignorées, l’attaque contre l’État est frontale) ou encore de ses moyens de lutte (action directe, occupation et blocages de lieux inhabituels comme les ronds-points, manifestations urbaines non déclarées, détermination à la mobilité non entravée dans les centres-villes au cours des manifestations).

L’événement, c’est aussi ce qui marque une rupture entre l’avant et l’après. L’avant parce que pas grand-chose ne le laissait présager (les Gilets jaunes sont une caricature de majorité silencieuse pour le pouvoir) et l’après parce que rien ne préfigure ce qui va suivre le soulèvement. Par rapport à la simple émeute, il perdure (trois mois maintenant), c’est en cela qu’il fait événement, mais la dynamique qui l’anime pendant ce temps n’est pas gage de transcendance ou de dépassement. Pour prendre un exemple, il y a des points communs entre l’événement Mai-68 et l’événement Gilets jaunes parce que dans les deux cas il y a bouleversement des comportements pratiques dans un déroulement qui n’est pas linéaire et qui peut très bien connaître son acmé au début, au milieu ou à la fin du mouvement qui fait événement. Dans tous les cas, il fait qu’on ne peut faire de la question : « Quelle perspective ? » ou « Comme cela va-t-il finir ? » la question essentielle. L’événement se suffit à lui-même et ne préjuge pas de son devenir et des risques encourus, de ses dérives, de son résultat (Mai-68 n’est pas réductible à Grenelle, le mouvement des fourches au parti Cinq étoiles, les Gilets jaunes au RIC, etc.).

Il est dans sa nature d’événement de se poser les questions dans des termes nouveaux d’où son allure « sauvage », de groupe en fusion, sa désinvolture par rapport à toutes les règles sociales de bienséance envers les différents pouvoirs, qu’ils soient politiques, économiques ou médiatiques et évidemment par rapport aux forces de l’ordre une fois qu’il en a compris la fonction répressive à son encontre en tant que corps particulier de l’État (cf. infra). Le choix entre respect de la légalité ou passage à l’illégalité n’est alors plus pour lui un principe défini à l’avance, comme dans l’action syndicale et politique, mais un sujet à traiter de façon pragmatique, au coup par coup et si passage à l’acte il y a il est assumé sans crier au loup ! Ainsi des milliers de gardes à vue signifiées aux Gilets jaunes, sans autre forme de procès, ne le pousse pas à se poser de façon essentiellement victimaire.

Une composition sociale diverse…

Le mouvement ne se laisse pas saisir aisément. Dans un premier temps sociologues, politiques et médias ont entonné l’antienne des classes moyennes, celles qui se sentiraient déclassées, qui jugeraient payer trop d’impôt, à la fois parce les pauvres n’en paieraient pas et parce que les puissants y échappent aussi par évasion fiscale. Et puis devant le peu de réalité de la chose, les commentateurs sont passés à la notion de « classe moyenne inférieure », regroupant par là un vaste magma qui serait composé des 50 % de ménages qui ne se situent pas dans les 25 % les plus riches ou les 25 % les plus pauvres. Le peu de sérieux de ces tentatives a conduit ensuite à privilégier finalement la notion de « classes populaires » qui permettrait de mieux rendre compte de ce que ressentent les protagonistes (« Nous sommes le peuple ») sans donner l’air de céder à une lecture populiste du mouvement. Un analyste qui se prétend géographe (C. Guilluy) s’est même saisi de ce dernier qualificatif pour désigner un ensemble surdéterminé par la division spatiale du territoire entre centre et périphérie, oublieux du fait que les « classes populaires » peuplent aussi les HLM des banlieues des grandes métropoles. Quant aux marxistes orthodoxes, ils ont campé sur leur lutte de classe éternelle, la plupart pour refuser un mouvement au mieux interclassiste au pire petit-bourgeois et réactionnaire comme si les événements révolutionnaires du passé avaient été mis en jeu par des classes « pures » (Canuts lyonnais mêlant salariés et artisans, paysans anarchistes ukrainiens de 1917 et d’Andalousie de 1936 côtoyant les conseils ouvriers). Pour rester au plus près de notre époque, dans les années 1960-70, en France et en Italie c’est justement le mixage entre souvenirs des révoltes paysannes de l’Ouest de la France ou du Mezzogiorno italien qui a produit cette insoumission à l’usine et la mise à feu et à sang d’une usine de la dimension de FIAT par les jeunes ouvriers insoumis à la discipline d’usine.

Et là, avec les Gilets jaunes, au niveau de « l’impureté », on est servi : 33 % se disent employés, 14 % ouvriers, 10 % artisans, commerçants ou auto-entrepreneurs, 10 % professions intermédiaires, 25 % inactifs ou retraités. Mais c’est quand on leur demande, dans des sondages et enquêtes, qu’ils répondent en ce sens, car l’une des caractéristiques premières du mouvement est de ne jamais aborder une discussion par le biais du travail concret effectué, mais par celui des conditions de vie. C’est d’ailleurs comme cela qu’il constitue son unité. Celle d’une commune condition de vie, difficile ou précaire. Par rapport à ces analyses en termes de classes nous pensons justement que la caractéristique du mouvement des GJ est d’être a-classiste, parce que ni l’analyse sociologique ou statistique en termes de catégories socioprofessionnelles ni l’analyse marxiste en termes de bourgeoisie et prolétariat ne sont pertinentes. Il n’y a plus de classes antagonistes au sens de Marx parce que les éléments objectifs (le nombre d’ouvriers et son enfermement dans les forteresses ouvrières et ses quartiers), comme subjectifs (la conscience de classe et de l’antagonisme capital/travail) se sont évanouies avec les restructurations et ce que nous avons appelé la « révolution du capital ».

S’il ya donc bien encore lutte, ce n’est plus d’une lutte de classes dont il s’agit et qui avait sa ou ses théories, ses perspectives inscrites de longue date et sur lesquelles se jouaient diverses partitions, mais avec les mêmes instruments.

Une lutte sans classe donc, au sens d’absence d’un sujet historique, même de rechange (l’étudiant, l’immigré, le sans-papiers) plutôt qu’une lutte de classes.

…Qui doit trouver ses propres références

Que le mouvement des GJ ne se rattache pas au fil rouge historique des luttes de classes ne signifie pas qu’il est dans un pur présentisme parce qu’il serait « mouvementiste » avant tout. En effet, il a tendance à ressusciter les grandes révoltes populaires du passé contre l’impôt et les taxes (cf. les Cahiers de doléances de 1788-89). Paradoxalement, c’est l’affaiblissement des États-nations (« à la française ») censés assurer l’égalité des conditions (Tocqueville et les révolutions américaine et française) et la fin des privilèges, qui, dans sa crise, produit à nouveau des inégalités sociales et de nouveaux privilèges (relations sociales, procédures de cooptation et clientélisme sous la forme du lobbysme, se substituent au régime méritocratique). Ainsi, de la même façon que sous l’Ancien Régime des charges étaient achetées aujourd’hui elles redeviennent héréditaires de fait si ce n’est de droit. C’est donc une remise en cause du pacte social en général auquel on aboutit et finalement autour de ce qui symbolise son financement, condition d’une reproduction plus ou moins satisfaisante du rapport social : l’impôt. Que la goutte d’eau qui fait déborder le vase soit fiscale n’est pas innocent dans un pays dont les pouvoirs publics refusent une réforme fiscale jugée pourtant nécessaire par tous, mais considérée comme une véritable usine à gaz. La grogne vis-à-vis de l’impôt déjà fort présente ne pouvait donc pas rester lettre morte à partir du moment où des mesures aussi provocatrices que la suppression de l’ISF sur la fortune et la hausse des carburants pour les ménages étaient prises sans justification légitime. Crispation contre l’impôt en général donc (c’est ça qui a fait parler en termes de mouvement de classes moyennes ou poujadisme à l’origine), mais révolte contre la spécificité française en matière de fiscalité qui fait que l’impôt sur le revenu progressif rapporte peu en France et que c’est par les taxes et la CSG non progressives que l’État engrange la majorité de ses recettes, taxes qui grèvent proportionnellement beaucoup plus les budgets modestes que les autres vu la structure des dépenses dans les budgets de ces ménages (le poids relatif des « dépenses contraintes » y est plus fort).

La Révolution française, la Marseillaise comme chant révolutionnaire des citoyens, les cahiers de doléance, les montées à Paris sur les lieux de pouvoir, le rappel au droit à l’insurrection de l’article 35 de la Constitution de l’an III, le RIC qui rappelle le droit de pétition de 1791, l’appel à une Constituante, voilà donc aujourd’hui les références que le mouvement se réapproprie, même s’il a parfois du mal à en saisir la dimension d’universalité dans toute son ampleur, universelle justement et donc non nationale, sa dimension citoyenne au sens de 1789-94, c’est-à-dire révolutionnaire et non pas citoyenniste qui elle répond à l’appel de responsabilité que l’État adresse à ses sujets quand il leur demande en fait d’obéir à ses règles (cf. l’instruction civique).

Trouver ses propres références et ses propres supports, c’est cela qui est difficile, car les regroupements de ronds-points ne sont pas des conseils ouvriers, l’assemblée de Commercy n’est pas l’assemblée ouvrière autonome de l’Alfa-Romeo de 1973, le RIC n’est pas le programme d’un parti communiste prolétarien.

En effet, le mouvement naît et se développe dans le procès de circulation plus que de production et pose la question de la reproduction des rapports sociaux d’ensemble (d’où son rapport conflictuel immédiat à l’État) plutôt que celle de la production et du rapport au patronat. Cela s’explique, entre autres, par la baisse de centralité du travail productif dans le procès de valorisation du capital avec l’inessentialisation de la force de travail qui en résulte et la tendance à la substitution capital/travail dans le procès de production. Il en découle, au niveau de la structure même du capital une importance accrue du procès de circulation et une tendance à la totalisation du procès production/circulation qui rend l’action de blocage des flux au moins aussi importante que la forme historique que constituait le blocage de la production par la grève et l’occupation des usines. Or, cela ne mobilise pas forcément les mêmes protagonistes (retraités, chômeurs femmes au foyer, étudiants, auto-entrepreneurs) et les GJ ont su se glisser dans cette configuration pour porter leur action là où ça fait mal sans pourtant enclencher un processus de grève.

Enfin, ces changements entérinent l’idée que tout se jouerait au niveau de l’hyper-capitalisme du sommet et ses représentants visibles : État, GAFAM, banques, Commission européenne, etc.

Un mouvement d’insubordination

De la revendication particulière (la lutte contre les taxes) à une révolte contre l’injustice fiscale puis, plus généralement contre l’injustice sociale avec des revendications de plus en plus proches de celles des salariés (augmentation des salaires et du SMIG, halte à la précarité, retour de l’ISF, fin de la CSG), le particulier tend vers l’universel.

Le mouvement n’est pas mû par une critique des conditions de travail et du travail, mais par une référence aux conditions de vie. Il est certain qu’auparavant, dans les luttes ouvrières, les conditions de vie jouaient leur rôle, mais étaient comme incluses dans les conditions de travail, car c’est la professionnalité qui déterminait le reste (la fierté d’être mineur ou docker et non pas la vie de misère qui leur était attenante). Alors qu’aujourd’hui, cette professionnalité a été en grande partie détruite et elle n’est plus qu’une composante (avec les conditions de travail) des conditions de vie plus générales. D’ailleurs les GJ ne se présentent guère par leur profession d’origine. C’est aussi cette caractéristique qui fait l’unité au-delà des différentes conditions. En effet, préalablement, c’est le collectif de travail qui faisait l’unité et l’idée d’une classe particulière dans son opposition à la classe dominante ; or aujourd’hui, cette unité n’est plus donnée directement par le capital qui a d’abord corporatisé les segments de la force de travail salarié, puis atomisé cette force de travail qui ne trouve plus guère son unité qu’idéologiquement dans les grandes messes syndicales. L’unité, si unité il peut y avoir ici ne peut donc qu’être reconstruite sur la base des conditions de vie, ce à quoi les Gilets jaunes se sont attachés. « Tous Gilets jaunes » en représente la formule la plus adéquate et récurrente qui dit la façon de faire des Gilets jaunes : l’idéologie et le politique ne sont pas les filtres qui guident le mouvement, malgré tous les risques que cela comporte.

Plus concrètement et à l’origine, ces conditions de vie sont marquées par les dépenses contraintes qui absorbent une part grandissante du budget des ménages pauvres ou modestes d’où l’accent mis sur les prix et les taxes jugées abusives, le pouvoir d’achat, le « reste à vivre » au 15 du mois et le « pouvoir vivre ».

Tous ces prix sont perçus comme un arbitraire de l’État qui fixe des prix administrés ou des grands monopoles/oligopoles qui fixent des prix mondiaux. Tous ces prix apparaissent arbitraires car sans rapport avec une « valeur » quelconque. Une chose facile à constater même pour des personnes peu versées vers l’analyse économique quand on voit le peu de rapport entre les variations de prix du baril de pétrole et celles du prix à la pompe à essence.

Dans cette mesure et à l’opposé de ce que l’on entend souvent, la conscience du mouvement des GJ n’est pas forcément moins avancée que celle des ouvriers ou salariés s’attaquant à des patrons précis. Les premiers s’attaquent directement à l’hyper-capitalisme, via l’État, alors que les seconds en restent encore à une conception de la domination reposant sur les mécanismes de l’exploitation. De cela peut naître l’illusion qu’il n’y a que peu de puissants (les fameux 1 %) et une immense majorité de dominés (les 99 %) ce qui occulte complètement la complexité de la hiérarchisation sociale des rapports sociaux capitalistes. Une des faiblesses du mouvement des GJ, mais déjà présente dans des mouvements censément plus conscientisés comme les « Occupy Wall Street ». Or, la plupart des Gilets jaunes n’ont que trois mois au compteur !

Le mouvement des Gilets jaunes n’est pas « social » au sens des mouvements sociaux traditionnels, mais il a une nature sociale.

Il n’est pas non plus directement politique, mais il a une âme politique parce qu’il déconstruit immédiatement l’évidence d’une soumission naturelle au pouvoir de la part des dominés par rapport aux dominants. C’est dans ce soulèvement qu’il produit sa propre violence, violence de détermination plus que violence effective parce qu’il ne veut pas de cadre et surtout, plus concrètement, qu’il déborde les cadres de la légalité républicaine. Le refus de déclarer les manifestations et leur parcours, les occupations de ronds-points et de plateforme sont les signes concrets de ce passage en force par l’action qui délimite un nouveau rapport de force. Là aussi nouvelle pratique par rapport aux mouvements sociaux habituels encadrés : ce n’est pas le mouvement qui s’adapte à un rapport de force établi qu’il prend en compte en phase statique, c’est lui qui produit le rapport de force « qui fait mouvement ». Son refus de négocier et sa critique de toute représentation, y compris en son sein, place alors la barre très haut et rempli de désarroi les différentes formes de pouvoir en place (gouvernements, médias, partis et syndicats), d’où la violence de la répression par les forces de l’ordre et la virulence du discours anti-mouvement dans les médias sérieux et la « pédagogie » par les images de la part des télés poubelles.

Mais tout cela ne doit pas occulter le fait que, malgré ses références récurrentes à la démocratie, le mouvement s’affirme bien plus comme un mouvement d’action directe que comme un mouvement pour la démocratie directe, même s’il n’y a pas forcément de contradiction entre les deux tendances. L’auto-organisation du mouvement, tant que les ronds-points en ont été l’axe majeur, est restée une auto-organisation de proximité sans formalisme, loin, par exemple, de l’assembléisme de Commercy qui, avec le RIC comme revendication unitaire apparaissent plutôt comme des recettes pour une porte de sortie par le haut d’un mouvement né par le bas, qu’une véritable perspective de développement et d’approfondisse­ment du mouvement…

Une communauté de lutte

Pour passer du virtuel des réseaux sociaux au réel du terrain de lutte, les GJ ont dû construire leur propre corps collectif à partir, pourtant, de l’éclatement produit par l’atomisation sociale et géographique. C’est de là que se sont dégagées des subjectivités elles aussi collectives au-delà des fragmentations objectives du corps social dans son entier. La communauté du travail, comme à Lip, qui s’érigeait en communauté de lutte n’est plus possible et s’y substitue la communauté de lutte directement comme seule communauté immédiate, mais en tant qu’elle n’existe que par la lutte (sinon, retour à l’atomisation et en conséquence à l’individualisme). Une communauté de lutte dont la perspective est universaliste (celle de la perspective d’une communauté humaine qu’anticipait déjà Anacharsis Cloots, révolutionnaire allemand de la Révolution française en en appelant en 1794, juste avant d’être guillotiné, à une « République du genre humain »), au sens où elle n’est pas exclusive (« Tous gilets jaunes »), même si elle peut parfois être tentée de se référer à une communauté nationale des gens d’en bas (elle bute sur l’ambiguïté et la polysémie de la référence citoyenne). Ce corps antagonique se fait peuple, mais celui-ci n’est pas essentialisé, même si, là encore, la référence à la communauté nationale et à la Révolution française ne sont pas véritablement « pensées » et questionnées). Corps antagonique qui s’oppose aux différents corps de l’État et à celui qui, tout à coup, lui est apparu comme son auxiliaire, à savoir le corps des forces de l’ordre, accusé, dès l’acte III de « collaboration » avec l’État. Il n’y a donc pas, à proprement parler, de demande par rapport à l’État, comme par exemple dans le cas des luttes dans la fonction publique, parce que l’État apparaît ici comme l’ennemi… sans que soit produite une claire critique de l’État en tant que pouvoir, que ce soit à la façon anarchiste ou à la façon américaine conservatrice.

Le « Tous ensemble » que l’on entend crier comme en 1995, n’est donc pas une demande de restauration de l’État-providence de la période des Trente glorieuses, mais un « “Tous ensemble” contre ce monde » qui peut effectivement s’ouvrir à toutes les problématiques autour de la question du climat et de l’écologie, des « grands travaux », etc.

Cette communauté de lutte est communauté de pratiques collectives proche de celle des ZAD avec l’expérience des cabanes de ronds-points. C’est fort, mais limité car le mouvement n’a pas de pensée de l’émancipation à portée de main. C’est la solidarité (fraternité) présente sur ses lieux d’action et les désirs d’égalité et de liberté qui l’animent. La tension individu/communauté s’y dévoile. Point.

Temps critiques, février 2019

Affiche – Gilets jaunes « une République du genre humain »