[[reçu par mal]] Bonsoir, Après réunion et discussions entre une quinzaine de personnes au plus près du mouvement des Gilets jaunes et trois mois de maturation politique, il nous est apparu nécessaire de commencer une critique interne de certains aspects du mouvement. Celle-ci en est la première expression. Pour Temps critiques Jacques W
Dans les rets du RIC
Remarques sur les faiblesses politiques d’une revendication
Après avoir élargi ses revendications de départ et continué à refuser de négocier, ce dernier point étant essentiel dans le maintien d’un rapport de force avec les pouvoirs en place, la difficulté qu’a le mouvement à s’étendre sur cette base (voir le caractère éphémère de la jonction du 5 février, l’échec de la liaison avec le mouvement lycéen en décembre, le peu d’empressement qu’ont les habitants des banlieues à le rejoindre), le conduit à se refermer sur lui-même dans une revendication qui fait peut être son originalité, mais qui n’est que la sienne. Certes, le mouvement des Gilets jaunes a raison de vouloir garder son autonomie en se plaçant comme une sorte d’avant-garde de masse de fait (« Tous Gilets jaunes », sous-entendu, nous les gens de peu). Il n’a rien à attendre de l’appel traditionnel et volontariste à une « convergence des luttes », car c’est quand on agit ensemble contre la société capitaliste qu’on converge et non pas en agissant séparément d’abord pour converger éventuellement ensuite (cf. le contre-exemple des « stylos rouges », à la notable exception de ceux de l’Ille-et-Vilaine). Mais le problème est là. L’avant-garde de masse ne se justifie que si elle fait véritablement masse, c’est-à-dire si elle est suivie et pas simplement par procuration, mais sur le terrain.
Or si les premiers gestes de recul de Macron et le fait que le mouvement ait perduré au-delà de la période des fêtes ont été vécus comme une victoire, le mouvement en est objectivement et subjectivement aujourd’hui à son étiage avec l’impression d’être face à un mur qui ne cède pas. Le risque est d’y répondre non pas en cherchant à reprendre l’action directe, même en variant les formes dans un tout ou rien qui peut-être clarifierait ce que veut vraiment le mouvement, mais en cherchant à tout prix à perdurer quitte à plus ou moins s’institutionnaliser. En effet, même si le RIC a été présent dès le départ dans les objectifs (il n’y a donc pas « ricupération » comme l’ont dit des prétendus radicaux), la prégnance de plus en plus forte qu’il a prise, depuis quelques semaines, comme revendication unique pouvant pleinement le satisfaire est sans égale, loin devant l’autre forme d’institutionnalisation rampante que constitue l’idée du « Vrai débat » en réponse au « Grand débat » de Macron ; une idée qui place le mouvement dans une contre-dépendance à l’égard du pouvoir.
C’est à ce changement de fusil d’épaule que nous assistons depuis quelques semaines avec parallèlement, un certain recul de l’action directe et des « Macron-démission » puisque le RIC peut aussi représenter l’espoir d’une lointaine destitution du président (et de la présidence pour certains) qui viendrait remplacer la croyance un peu écornée en une démission immédiate. Une référence appuyée au RIC qui, pourtant, ne trouve grâce dans aucune autre fraction de la population démunie et travailleuse et qui, par ailleurs, n’est pas véritablement discutée, sur le fond, au sein des différents Gilets jaunes. Elle fonctionne le plus souvent comme une sorte de « sésame ouvre-toi » censé régler tous les problèmes à partir du moment où le RIC serait compris par tous après une divulgation de ses principes (cf. Les « marcheurs » du RIC).
Pour certains militants du RIC, celui-ci serait même tellement efficace qu’il éliminerait toutes les sources de conflit. Il suffirait en effet de voter, évitant ainsi tous les troubles que représentent les manifestations et les grèves. C’est un fantasme bien connu en politique : certains protagonistes pensent que l’on peut couper l’histoire en deux, ils veulent changer les choses pour ne plus avoir à les changer. Le RIC est ici le fétiche de ce fantasme. En fait, nombre de Gilets jaunes ne doutent pas de l’intelligence de leurs dirigeants politiques (ou patronaux). Ils ne font pas non plus de critique de leur expertise supposée ; ce qu’ils critiquent principalement, c’est que cette intelligence soit mal orientée et pas en direction du « peuple » ou des pauvres. De ce point de vue, le RIC ne relève que d’un raisonnement technique (ce serait un outil) de résolution des problèmes et non pas un principe politique de l’identification des problèmes à résoudre. Ainsi, si le peuple peut décider de tout, il faudra aussi qu’il s’appuie sur la compétence (là encore une notion jamais questionnée) d’experts pour le guider dans ses décisions. L’appareil d’État est perçu essentiellement comme politicien et bureaucratique sans que ses fonctions politiques, administratives ou judiciaires soient clairement identifiées et distinguées. Ainsi, les États-Unis sont-ils parfois cités en exemple parce que les juges sont élus et non pas nommés comme en France, alors pourtant que cela les transforme en objet de luttes politiques clientélistes et les expose au pouvoir des lobbies industriels et financiers. Tout ce qui fait l’objet d’un vote semble privilégié comme si celui-ci réglait tous les problèmes parce qu’il serait constituant, législatif, abrogatoire et révocatoire. (Avec le RIC) « Manifestations et grèves n’auront plus lieu d’être, un vote décidera » comme nous avons pu le lire sur un flyer de présentation circulant dans le Doubs et le Jura. Bravo la convergence !
Avec le RIC en tête d’affiche ce serait une coupure entre révolution démocratique et révolution sociale à laquelle on assisterait. Le RIC ne peut en effet rien contre le patronat, les licenciements, la fixation des revenus autres que le salaire minimum. C’est cette lutte-là qui serait délaissée au profit de la lutte contre la corruption, la prévarication, le revenu trop élevé des députés, alors que la bande a Macron a été entièrement débauchée du privé et comme la plupart étaient déjà des « premiers de cordée » dans leurs domaines respectifs, ils gagnent plutôt moins en tant que députés et ministres ! Ce qui est paradoxal c’est que la critique des Gilets jaunes porte finalement bien plus sur l’ancien personnel politique, celui qui faisait carrière par la politique, que sur le nouveau qui a pour programme implicite de détruire la politique au profit d’une prétendue expertise (cf. : l’utilisation des neurosciences pour résoudre les problèmes dans l’Éducation nationale).
Ce qui apparaît ici, c’est la contradiction entre l’action collective des Gilets jaunes et un RIC qui repose sur l’acte individuel même s’il est une proposition reprise collectivement. Il n’y aurait même plus besoin d’un isoloir pour isoler, le clic informatique suffirait. Par quel mystère celui qui vote « mal » aujourd’hui votera « bien » demain ? On ne sait pas ; ce qu’on sait seulement c’est qu’il pourra destituer celui pour qui il va voter s’il ne se conduit pas bien, s’il ne respecte pas ses engagements ou s’il fait des « bêtises ». Et plus généralement, la faiblesse politique du RIC c’est, dans ces échanges au moins, le fait que le pouvoir lui-même (la question de la souveraineté, qu’elle soit nationale ou populaire) n’est pas posée. C’est comme si toute la problématique rendant possible le RIC (l’idée de démocratie directe et de contrôle populaire immédiat) faisait oublier aux Gilets jaunes la nature de l’État qu’ils ont pourtant découvert pendant leur mouvement.
Le fait que ce sujet ne soit pas abordé a pour corollaire de ne pas aborder non plus la question de la citoyenneté et surtout le sens de celle-ci. Cela saute particulièrement aux yeux quand on aborde le RIC. La question du droit de vote n’est absolument pas abordée, car elle fractionnerait la solidarité des Gilets jaunes à partir du moment où il faudrait prendre une position sur le qui est citoyen et surtout qui ne l’est pas, au risque du désaccord. Dans les AG, il est ainsi souvent nécessaire d’intervenir déjà pour faire corriger l’appellation « assemblée citoyenne » qui spontanément vient souvent court-circuiter celle « d’assemblée populaire », mais il faut aussi rappeler qu’il paraît difficile d’être sur un barrage ou un rond-point avec un « étranger » qui se bat contre l’injustice fiscale à côté de vous et de lui dire que le RIC ce n’est pas pour lui ! Pourtant la référence à la Révolution française que partagent nombre de Gilets jaunes devrait ici servir : est citoyen celui qui participe à la révolution (on peut prendre ça au sens large de la lutte contre l’ordre en place) quelle que soit sa nationalité. Nous ne savons pas si ça vaut le « Grand débat » ou le « Vrai débat », mais ce qu’il a de sûr, c’est que cela ferait avancer le débat et permettrait aussi de régler, non pas la « convergence des luttes » avec la banlieue ou avec les luttes d’entreprise, mais l’incompréhension qui a régné jusqu’à maintenant à propos du RIC.
Temps critiques, le 28 février 2019
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