Déclaration d’Emile Henry devant ses juges

(27 avril 1894)
« Messieurs les jurés,

Vous connaissez les faits dont je suis accusé : l’explosion de la rue des Bons-Enfants qui a tué cinq personnes et déterminé la mort d’une sixième, l’explosion du café Terminus, qui a tué une personne, déterminé la mort d’une seconde et blessé un certain nombre d’autres, enfin six coups de revolver tirés par moi sur ceux qui me poursuivaient après ce dernier attentat.

Les débats vous ont montré que je me reconnais l’auteur responsable de ces actes.

Ce n’est pas une défense que je veux vous présenter. Je ne cherche en aucune façon à me dérober aux représailles de la société que j’ai attaquée. D’ailleurs je ne relève que d’un seul Tribunal, moi-même ; et le verdict de tout autre m’est indifférent. Je veux simplement vous donner l’explication de mes actes et vous dire comment j’ai été amené à les accomplir.

Je suis anarchiste depuis peu de temps. Ce n’est guère que vers le milieu de l’année 1891 que je me suis lancé dans le mouvement révolutionnaire. Auparavant, j’avais vécu dans des milieux totalement imbus de la morale actuelle. J’avais été habitué à respecter et même à aimer les principes de patrie, de famille, d’autorité et de propriété. Mais les éducateurs de la génération actuelle oublient trop fréquemment une chose, c’est que la vie, avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices et ses iniquités, se charge bien, l’indiscrète, de dessiller les yeux des ignorants et de les ouvrir à la réalité. C’est ce qui m’arriva, comme il arrive à tous. On m’avait dit que cette vie était facile et largement ouverte aux intelligents et aux énergiques, et l’expérience me montra que seuls les cyniques et les rampants peuvent se faire une place au banquet. On m’avait dit que les institutions sociales étaient basées sur la justice et l’égalité, et je ne constatais autour de moi que mensonges et fourberies. Chaque jour m’enlevait une illusion. Partout où j’allais, j’étais témoin des mêmes douleurs chez les uns, des mêmes jouissances chez les autres. Je ne tardais pas à comprendre que les grands mots qu’on m’avait appris à vénérer : honneur, dévouement, devoir, n’étaient qu’un masque voilant les plus honteuses turpitudes. L’usinier qui édifiait une fortune colossale sur le travail de ses ouvriers, qui eux, manquaient de tout, était un monsieur honnête. Le député, le ministre dont les mains étaient toujours ouvertes aux pots-de-vin, étaient dévoués au bien public. L’officier qui expérimentait le fusil nouveau modèle sur des enfants de sept ans avait bien fait son devoir et, en plein Parlement, le président du Conseil lui administrait ses félicitations ! Tout ce que je vis me révolta, et mon esprit s’attacha à la critique de l’organisation sociale. Cette critique a été trop souvent faite pour que je la recommence. Il me suffira de dire que je devins l’ennemi d’une société que je jugeais criminelle.

Un moment attiré par le socialisme, je ne tardai pas à m’éloigner de ce parti. J’avais trop d’amour pour la liberté, trop de respect de l’initiative individuelle, trop de répugnance à l’incorporation pour prendre un numéro dans l’armée matriculée du quatrième Etat.

D’ailleurs je vis qu’au fond le socialisme ne change rien à l’ordre actuel. Il maintient le principe autoritaire, et ce principe, malgré ce qu’en peuvent dire de prétendus libres penseurs, n’est qu’un vieux reste de la foi en une puissance supérieure. Des études scientifiques m’avaient graduellement initié au jeu des forces naturelles. Or j’étais matérialiste et athée ; j’avais compris que l’hypothèse Dieu était écartée par la science moderne, qui n’en avait plus besoin. La morale religieuse et autoritaire, basée sur le faux, devait donc disparaitre. Quelle était alors la nouvelle morale en harmonie avec les lois de la nature qui devait régénérer le vieux monde et enfanter une humanité heureuse ?

C’est à ce moment que je fus mis en relation avec quelques compagnons anarchistes , qu’aujourd’hui je considère encore comme les meilleurs que j’ai connu. Le caractère de ces hommes me séduisit tout d’abord. J’appréciais en eux une grande sincérité, une franchise absolue, un mépris profond de tous les préjugés, et je voulus connaitre l’idée qui faisait des hommes si différents de tous ceux que j’avais vu jusque-là. Cette idée trouva en mon esprit un terrain tout préparé, par des observations et des réflexions personnelles, à la recevoir. Elle ne fit que préciser ce qu’il y avait encore chez moi de vague et de flottant. Je devins à mon tour anarchiste. Je n’ai pas à développer ici la théorie de l’anarchie. Je ne veux en retenir que le côté révolutionnaire, le côté destructeur et négatif pour lequel je comparais devant vous. En ce moment de lutte aigüe entre la bourgeoisie et ses ennemis, je suis presque tenté de dire avec le Souvarine de Germinal : « Tous les raisonnements sur l’avenir sont criminels, parce qu’ils empêchent la destruction pure et simple et entravent la marche de la révolution. »

Dès qu’une idée est mûre, qu’elle a trouvé sa formule, il faut sans plus tarder en trouver sa réalisation. J’étais convaincu que l’organisation actuelle était mauvaise, j’ai voulu lutter contre elle, afin de hâter sa disparition. J’ai apporté dans la lutte une haine profonde, chaque jour avivée par le spectacle révoltant de cette société, où tout est bas, tout est louche, tout est laid, où tout est une entrave à l’épanchement des passions humaines, aux tendances généreuses du cœur, au libre essor de la pensée. J’ai voulu frapper aussi fort et aussi juste que je le pouvais. Passons donc au premier attentat que j’ai commis, à l’explosion de la rue des Bons-Enfants.

J’avais suivi avec attention les évènements de Carmaux. Les premières nouvelles de la grève m’avaient comblé de joie : les mineurs paraissaient disposés à renoncer aux grèves pacifiques et inutiles, où le travailleur confiant attend patiemment que ses quelques francs triomphent des millions des compagnies. Ils semblaient entrés dans une voie de violence qui s’affirma résolument le 15 août 1892. Les bureaux et les bâtiments de la mine furent envahis par une foule lasse de souffrir sans se venger : justice allait être faite de l’ingénieur si haï de ses ouvriers, lorsque des timorés s’interposèrent. Quels étaient ces hommes ? Les mêmes qui font avorter tout les mouvements révolutionnaires, parce qu’ils craignent qu’une fois lancé le peuple n’obéisse plus à leurs voix, ceux qui poussent des milliers d’hommes à endurer des privations pendant des mois entiers, afin de battre la grosse caisse sur leurs souffrances et se créer une popularité qui leur permettra de décrocher un mandat – je veux dire les chefs socialistes- ces hommes, en effet, prirent la tête du mouvement gréviste. On vit tout à coup s’abattre sur le pays une nuée de messieurs beaux parleurs, qui se mirent à la disposition entière de la grève, organisèrent des souscriptions, firent des conférences, adressèrent des appels de fonds de tous les côtés. Les mineurs déposèrent toute initiative entre leurs mains. Ce qui arriva, on le sait. La grève s’éternisa, les mineurs firent une plus intime connaissance avec la faim, leur compagne habituelle ; ils mangèrent le petit fonds de réserve de leur syndicat et celui des autres corporations qui leur virent en aide, puis au bout de deux mois, l’oreille basse, ils retournèrent à leur fosse, plus misérables qu’auparavant. Il eût été si simple, dès le début, d’attaquer la compagnie dans son seul endroit sensible, l’argent ; de brûler le stock de charbon, de briser les machines d’extraction, de démolir les pompes d’épuisement. Certes, la compagnie eût capitulé bien vite. Mais les grands pontifes du socialisme n’admettent pas ces procédés là, qui sont des procédés anarchistes. A ce jeu il y a de la prison à risquer, et, qui sait, peut être une de ces balles qui firent merveille à Fourmies. On y gagne aucun siège municipal ou législatif. Bref, l’ordre un instant troublé régna de nouveau à Carmaux. La compagnie, plus puissante que jamais, continua son exploitation et messieurs les actionnaires se félicitèrent de l’heureuse issue de la grève. Allons, les dividendes seraient encore bons à toucher.

C’est alors que je me suis décidé à mêler, à ce concert d’heureux accents une voix que les bourgeois avaient déjà entendue, mais qu’ils croyaient morte avec Ravachol : celle de la dynamite. J’ai voulu montrer à la bourgeoisie que désormais il n’y aurait plus pour elle de joies complètes, que ses triomphes insolents seraient troublés, que son veau d’or tremblerait violemment sur son piédestal, jusqu’à la secousse définitive qui le jetterait bas dans la frange et le sang. En même temps j’ai voulu faire comprendre aux mineurs qu’il n’y a qu’une seule catégorie d’hommes, les anarchistes, qui ressentent sincèrement leurs souffrances et qui sont prêts à les venger. Ces hommes là ne siègent pas au Parlement, comme messieurs Guesde et consorts, mais ils marchent à la guillotine. Je préparais donc une marmite. Un moment, l’accusation que l’on avait lancée à Ravachol me revint en mémoire. Et les victimes innocentes ? Mais je résolus bien vite la question. La maison où se trouvait les bureaux de la compagnie de Carmaux n’était habitée que par des bourgeois. Il n’y aurait donc pas de victimes innocentes. La bourgeoisie, tout entière, vit de l’exploitation des malheureux, elle doit toute entière expier ses crimes. Aussi, c’est avec la certitude absolue de la légitimité de mon acte que je déposais la marmite devant la porte des bureaux de la société. J’ai expliqué, au cours des débats, comment j’espérais, au cas où mon engin serait découvert avant son explosion, qu’il éclaterait au commissariat de police, atteignant toujours ainsi mes ennemis. Voilà donc les mobiles qui m’ont fait commettre le premier attentat que l’on me reproche.

Passons au second, celui du café Terminus. J’étais venu à Paris lors de l’affaire Vaillant. J’avais assisté à la répression formidable qui suivit l’attentat du Palais-Bourbon. Je fus témoin des mesures draconiennes prises par le gouvernement contre les anarchistes. De tous côté on espionnait, on perquisitionnait, on arrêtait. Au hasard des rafles, une foule d’individus était arrachée à leur famille et jetés en prison. Que devenaient les femmes et les enfants de ces camarades pendant leur incarcération ? Nul ne s’en occupait. L’anarchiste n’était plus un homme, c’était une bête fauve que l’on traquait de toutes parts et dont toute la presse bourgeoise, esclave vile de la force, demandait sur tous les tons l’extermination. En même temps, les journaux et les brochures libertaires étaient saisis, le droit de réunion était prohibé. Mieux que cela : lorsqu’on voulait se débarrasser complètement d’un compagnon, un mouchard déposait le soir dans sa chambre un paquet contenant du tanin, disait-il, et le lendemain une perquisition avait lieu, d’après un ordre daté de l’avant-veille. On trouvait une boite pleine de poudres suspectes, le camarade passait en jugement et récoltait 3 ans de prison. Demandez donc si cela n’est pas vrai au misérable indicateur qui s’introduisit chez le compagnon Mérigeault ? Mais tous ces procédés étaient bons. Ils frappaient un ennemi dont on avait eu peur, et ceux qui avaient tremblé voulaient se montrer courageux. Comme couronnement à cette croisade contre les hérétiques, n’entendit-on pas M. Raynal, ministre de l’Intérieur, déclarer à la tribune de la Chambre que les mesures prises par le gouvernement avaient eu un bon résultat, qu’elles avaient jeté la terreur dans le camp anarchiste. Ce n’était pas encore assez. On avait condamné à mort un homme qui n’avait tué personne, il fallait paraître courageux jusqu’au bout : on le guillotine un beau matin. Mais, messieurs les bourgeois, vous aviez un peu trop compté sans votre hôte. Vous aviez arrêté des centaines d’individus, vous aviez violé bien des domiciles ; mais il y avait encore hors de vos prisons des hommes que vous ignoriez, qui, dans l’ombre, assistaient à votre chasse à l’anarchiste et qui n’attendaient que le bon moment pour, à leur tour, chasser les chasseurs. Les paroles de M. Raynal étaient un défi jeté aux anarchistes. Le gant a été relevé. La bombe du café Terminus est la réponse à toutes vos violations de la liberté, à vos arrestations, à vos perquisitions, à vos lois sur la presse, à vos expulsions en masse d’étrangers, à vos guillotinades. Mais pourquoi, direz-vous, aller s’attaquer à des consommateurs paisibles, qui écoutent de la musique et qui, peut-être, ne sont ni magistrats, ni députés, ni fonctionnaires ? Pourquoi ? C’est bien simple. La bourgeoisie n’a fait qu’un bloc des anarchistes. Un seul homme, Vaillant, avait lancé une bombe ; les neuf dixième des compagnons ne le connaissaient même pas. Cela n’y fit rien. On persécuta en masse. Tout ce qui avait quelque relation anarchiste fut traqué. Eh bien ! Puisque vous rendez ainsi tout un parti responsable des actes d’un seul homme, et que vous frappez en bloc, nous aussi, nous frappons en bloc. Devons-nous seulement nous attaquer aux députés qui font les lois contre nous, aux magistrats qui appliquent ces lois, aux policiers qui nous arrêtent ? Je ne pense pas. Tous les hommes ne sont que des instruments n’agissant pas en leur propre nom, leurs fonctions ont été instituées par la bourgeoisie pour sa défense ; ils ne sont pas plus coupables que les autres. Les bons bourgeois qui, sans être revêtus d’aucunes fonctions, touchent cependant les coupons de leurs obligations, qui vivent oisifs des bénéfices produits par le travail des ouvriers, ceux-là aussi doivent avoir leur part de représailles. Et non seulement eux, mais encore tous ceux qui sont satisfaits de l’ordre actuel, qui applaudissent aux actes du gouvernement et se font ses complices, ces employés à 300 et à 500 francs par mois qui haïssent le peuple plus encore que le gros bourgeois, cette masse bête et prétentieuse qui se range toujours du côté du plus fort, clientèle ordinaire du Terminus et autres grands cafés. Voilà pourquoi j’ai frappé dans le tas, sans choisir mes victimes. Il faut que la bourgeoisie comprenne que ceux qui ont souffert sont enfin las de leurs souffrances ; ils montrent les dents et frappent d’autant plus brutalement qu’on a été brutal avec eux. Ce n’est pas aux assassins qui ont fait la semaine sanglante et Fourmies de traiter les autres d’assassins. Ils n’épargnent ni femmes ni enfants bourgeois, parce que les femmes et les enfants de ceux qu’ils aiment ne sont pas épargnés non plus. Ne sont-ce pas des victimes innocentes que ces enfants qui, dans les faubourgs, se meurent lentement d’anémie, parce que le pain est rare à la maison ; ces femmes qui dans vos ateliers pâlissent et s’épuisent pour gagner quarante sous par jour, heureuses encore quand la misère ne les force pas à se prostituer ; ces vieillards dont vous avez fait des machines à produire toute leur vie, et que vous jetez à la voirie et à l’hôpital quand leurs forces sont exténuées ? Ayez au moins le courage de vos crimes, messieurs les bourgeois , et convenez que nos représailles sont grandement légitimes.

Certes, je ne m’illusionne pas. Je sais que mes actes ne seront pas encore bien compris des foules insuffisamment préparées. Même parmi les ouvriers, pour lesquels j’ai lutté, beaucoup, égarés par vos journaux, me croient leur ennemi. Mais cela m’importe peu. Je ne me soucie du jugement de personne. Je n’ignore pas non plus qu’il existe des individus se disant Anarchistes qui s’empressent de réprouver toute solidarité avec les propagandistes par le fait. Ils essayent d’établir une distinction subtile entre les théoriciens et les terroristes. Trop lâches pour risquer leur vie, ils renient ceux qui agissent. Mais l’influence qu’ils prétendent avoir sur le mouvement révolutionnaire est nulle. Aujourd’hui, le champ est à l’action, sans faiblesse, et sans reculade. Alexandre Herzen, le révolutionnaire russe, l’a dit : « De deux choses l’une, ou justicier et marcher en avant ou gracier et trébucher à moitié route. » Nous ne voulons ni gracier ni trébucher, et nous marcherons toujours en avant jusqu’à ce que la révolution, but de nos efforts, vienne enfin couronner notre œuvre en faisant le monde libre. Dans cette guerre sans pitié que nous avons déclaré à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune pitié. Nous donnons la mort, nous saurons la subir. Aussi, c’est avec indifférence que j’attends votre verdict. Je sais que ma tête n’est pas la dernière que vous couperez ; d’autres tomberont encore, car les meurt-de-faim commencent à connaître le chemin de vos grands cafés et de vos grands restaurants Terminus et Foyot. Vous ajouterez d’autres noms à la liste sanglante de nos morts. Vous avez pendu à Chicago, décapité en Allemagne, garroté à Jerez, fusillé à Barcelone, guillotiné à Montbrison et à Paris, mais ce que vous ne pourrez jamais détruire, c’est l’anarchie. Ses racines sont trop profondes ; elle est née au sein d’une société pourrie qui se disloque, elle est une réaction violente contre l’ordre établi. Elle représente les aspirations qui viennent battre en brèche l’autorité actuelle, elle est partout, ce qui la rend insaisissable . Elle finira par vous tuer.

Voilà, messieurs les jurés, ce que j’avais à vous dire. Vous allez maintenant entendre mon avocat. Vos lois imposant à tout accusé un défenseur, ma famille a choisi Me Hornbostel. Mais ce qu’il pourra dire n’infirme en rien ce que j’ai dit. Mes déclarations sont l’expression exacte de ma pensée. Je m’y tiens intégralement. »

Le pot-pourri d’Alain Lallemand – Le journaliste, le romancier et sa mise en garde

 lu et repris sur la cavale contre la prison et son monde

Le pot-pourri d’Alain Lallemand
Le journaliste, le romancier et sa mise en garde

« Humains ! Vous n’avez qu’un ennemi. C’est le plus dépravé de tous. La tuberculose et la syphilis sont des fléaux terribles qui font souffrir l’homme. Mais il existe un fléau plus dévastateur que la peste qui ravage le corps et l’âme de l’homme, une épidémie incomparablement plus terrible, plus sournoise et plus pernicieuse : j’ai nommé la presse, cette catin publique. Toute révolution, toute libération de l’homme manque son but si on ne commence pas par anéantir sans pitié la presse. Tous les péchés seront remis à l’homme, mais le péché contre l’esprit ne lui sera jamais pardonné. Anéantissez la presse, chassez de la communauté des humains ces maquereaux à coups de fouet, et tous vos péchés vous seront remis, ceux que vous commettez et ceux que vous n’avez pas encore commis. Pas une réunion, pas une assemblée d’êtres humains ne doit se dérouler sans que retentisse la déflagration de votre cri : Anéantissez la presse ! »
- Ret Marut, dans Der Ziegelbrenner, n° 15, 30 janvier 1919.

Difficile par les temps qui courent d’encore rencontrer un professionnel de la plume muni d’un minimum de perspicacité. Quand Alain Lallemand, « grand reporter » au Soir, dont il anime depuis des années notamment la section « Sécurité », se lève le matin et se regarde dans le miroir, il est sans doute convaincu du contraire. Lui, non, il n’est pas comme ses confrères qui sont devenus de simples perroquets du pouvoir. Lui, non, ses sources ne se limitent pas à un copier-coller entre les communiqués de presse officiels et les opinions glanées ici ou là sur les réseaux sociaux. Lui, non, il n’a pas abandonné toutes valeurs et toutes convictions.

Non, Alain Lallemand se regarde dans le miroir et se dit : Moi, je cherche à comprendre le monde, c’est pourquoi je lis l’économiste Piketty. Moi, j’entretiens des rapports avec le monde souterrain de la guerre sociale, c’est pourquoi je suis allé dans la jungle colombienne rencontrer… les FARC, ces narco-révolutionnaires. Moi, je déchiffre les colonnes de faits divers, depuis des années habillement gérés, déformés et généralement omis, dans le Soir comme dans tous les autres médias qui indiquent la présence active de révoltés et de révolutionnaires sur le sol belge. Alain Lallemand se croît certainement plus lucide que la majorité de ses confrères. Ce qui ne l’a pas empêché de signer plusieurs articles alarmants sur la « menace anarchiste » en Belgique ces dernières années, reproduisant fidèlement ce que les autorités attendent de tout journaliste s’aventurant sur ce terrain.

Il vient de sortir un nouveau roman, notre journaliste du Soir. L’idée lui serait venue en apprenant que cinq bombes artisanales avaient été retrouvées sur le chantier de la nouvelle prison de Marches en 2012. La question que cette tentative de sabotage a soulevé chez lui n’était, évidemment pas, de se demander pourquoi quelqu’un a voulu saboter l’élargissement de la capacité répressive de l’État, ou pourquoi les investissements dans la répression et l’enfermement vont bon train depuis des années, ou pourquoi il y a eu tant de mutineries dans les prisons belges, ou pourquoi la prison constitue l’arme par excellence de l’État pour gérer la conflictualité sociale, … Non, la question qu’il s’est posé, à l’instar des enquêteurs de la police fédérale et des services de renseignements, n’était pas le pourquoi, mais le qui. Il était le premier à pointer du doigt les anarchistes qui se battent contre la prison, les qualifiant de « particulièrement actifs sur le Net » – voilà pour ce qui est de ses « sources sur le terrain » (car on se doute bien qu’il ne s’aventure pas dans les quartiers de Bruxelles, où il n’est pas difficile de trouver les traces de l’agitation contre les prisons : journaux subversifs, affiches anarchistes, cercles de lutte contre l’État,…). Et outre la question du qui, ne pas oublier le quoi si… . Quoi si un ouvrier avait été blessé par ces bombes (car il est bien connu que les milliers d’accidents de travail, les mutilés dans les centres de production, les morts dans les usines et sur les chantiers ne sont évidemment pas dû au rythme effréné de l’exploitation capitaliste, ni à la production nocive et morbide de marchandises, mais bien plutôt aux attentats anarchistes qui visent les prolétaires) ? À notre « grand reporter » qui veut trouver des morts, des mutilés et des blessés, on lui conseillera d’aller voir surtout dans les prisons, dans les commissariats de la police belge et dans les territoires dévastés par le capitalisme empoisonneur. Mais bon, entre la réalité de la guerre sociale et la fiction d’un journaliste, universitaire de surcroît, le fossé ne peut qu’être énorme et infranchissable. Pourtant, il serait grand temps que quelque chose change : qu’on arrête de compter les millions de corps des opprimés, exploités et révoltés déchiquetés par les bombes des armées, empoisonnés par la production capitaliste, tués par la famine, noyés dans la Méditerranée, et qu’on commence à voir tomber quelques têtes responsables de ce monde morbide.

Mais alors, qu’est-ce qu’il veut ce journaliste ? Malgré ses déclarations (toujours faciles quand elles n’impliquent aucun engagement réel, aucune mise en jeu) sur sa préférence pour une jeunesse enragée plutôt que l’apathie généralisé, il n’hésite pas a nous avouer le but de son livre : mettre en garde contre la possibilité que des jeunes veuillent prendre les armes pour lutter contre l’oppression et l’exploitation, suggérer les voies pour désamorcer cette « escalade de la violence » qui s’annonce, ouvrir le dialogue avec les jeunes révoltés afin de « les comprendre ». En d’autres mots, récupérer et intégrer. Par la voie gauche, bien sûr, car Lallemand est profondément indigné par le fait que les richesses ne sont pas équitablement distribuées (la propriété privée et le capitalisme, cela vous rappelle encore quelque chose au-delà de vos lectures postmodernes ?). Il croit à la nécessité d’avoir un futur qui brûle dans les cœurs, mais en bon démocrate, il fera tout pour éviter que le monde nouveau que nous portons dans nos cœurs ne germe sur les ruines de l’ancien. Lallemand est un réformiste d’un genre devenu obsolète depuis quelques décennies, mais il partage avec les défenseurs du capitalisme et de l’État l’horreur des ruines, de l’attaque destructrice qui en finit avec les bavardages et qui comprend que l’avènement d’un monde nouveau, l’avènement de nouveaux rapports, libres et auto-détermines, doive passer par la destruction de toutes les structures qui nous oppriment, en assumant la nécessité de l’attaque contre ceux qui en sont responsables et ceux qui les défendent.

On peut être sûr que son livre, version romancée de la mise en garde contre la menace subversive, ne pourra pas faire ravaler la rage qui couve ni désamorcer l’explosion potentielle des contradictions sociales dans les méandres institutionnelles. Par contre, il réussira sans doute à rajouter une couche à la propagande terroriste de l’État et de ses chiens de garde. Lors d’une émission radio à propos de son livre, l’un de ses confrères du Vif sautait déjà dans le train en racontant tout et n’importe quoi au sujet d’une bombe incendiaire qui a explosée devant la maison de l’architecte principal de la maxi-prison. Il ne s’agit évidemment pas pour ce journaliste du Vif de prononcer le moindre mot sur la responsabilité personnelle et individuelle de l’architecte dans la construction de la nouvelle prison, ce nouveau lieu de souffrance et de torture, mais bien de débiter sur sa situation personnelle : il nous apprend que l’architecte est un père de famille. Combien de tortionnaires dans le monde avaient une famille ? Combien de policiers qui tabassent et tuent dans les commissariats sont mariés ? Combien de chefs d’entreprises qui exploitent férocement les ouvrières et ouvriers, de tous les âges, dans des camps de travail au Bangladesh, au Vietnam, en Inde, au Cambodge ont des enfants ? On ne mangera pas de ce pain-là.

Non seulement les services de police ont demandé et obtenu de la part de journalistes le silence absolu concernant les centaines de sabotages et d’attaques (au-delà de savoir si oui ou non elles sont l’œuvre d’anarchistes ou de révolutionnaires), ils l’ont aussi demandé et obtenu concernant tous les mouvements de révolte dans les prisons, les émeutes et les explosions de rage dans les quartiers. Cela s’appelle aujourd’hui peut-être « gestion des informations », en d’autres époques, on l’aurait tout simplement qualifié de censure et de manipulation. Mais ne nous comprenez pas de travers, pour nous anarchistes, les professionnels de la presse ont toujours fait partie de l’ordre établi, et les médias ont toujours fait partie des stratégies contre-insurrectionnelles, ici comme ailleurs. On ne se lamente donc pas : l’autisme des révoltés nous protégera quelque peu de toute la racaille journalistique, les incursions sociologiques, les chercheurs dont les rapports finaux servent avant tout la police et la gestion de l’ordre.

Prenons un exemple. Qu’a fait la presse devant la lutte contre la construction de la maxi-prison à Bruxelles ? Mise à part aller consulter de temps en temps l’opposition institutionnelle, elle n’a remué la sauce que lorsqu’il s’agissait de lancer un cri d’alarme pour les dizaines, ou centaines, d’actions directes de différentes formes qui ont eu lieu dans le cadre de cette lutte. Alors, nos journalistes titraient « Les anarchistes terrorisent la ville de Bruxelles ». Et un mois plus tard, la section anti-terrorisme est venue toquer à la porte de quelques anarchistes. Coordination parfaite, mais sans le résultat espéré : dans les quartiers, le rejet de la maxi-prison est resté très fort, le soutien à l’action directe pour empêcher sa construction reste vaste et la révolte ne se limite aucunement à la bataille d’une poignée d’anarchistes en duel avec l’État. Alors, retour au silence. Mieux vaut se taire qu’inciter malgré soi à davantage de lutte, davantage de prise de conscience, davantage de soutien à l’action directe. Et Lallemand dans tout ça ? Et bien, il suffit d’aller regarder (si vous avez bon estomac) les articles de sa main publiés dans Le Soir pour se faire une idée de sa démarche. Et comme nos estomacs sont déjà fort fragilisés par le dégoût que nous inspire ce monde, on se passera volontiers d’aller éplucher son dernier roman.

Lallemand ferait mieux d’en rester aux activités dans lesquelles il brille. La médiocre description de ces voyages vers une exotique guérilla qui a le malheur d’accueillir de gens de son allure. Ses vaines lamentations sur sa sphère privée menacée par la surveillance désormais généralisée. Son boulot pas trop exigeant de copier-coller les communiqués du Parquet et les tuyaux que lui file l’OCAM. En cherchant trop à faire mieux, il risquerait de prendre ses ambitions pour des réalités, et se persuader qu’il fait une incursion sérieuse dans ce qui restera toujours une jungle impénétrable pour lui et ses confrères : la lutte anarchiste et la révolte des opprimés.

Yourna Kass’ez-Ous
Bruxelles, 15 février 2016

[Repris de Indymedia Bruxelles, http://bxl.indymedia.org/spip.php?article10123]

L’idéologie de la non-violence en question

repris et copié  sur le site lepartage

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(TIMULT)

Nous republions un excellent article publié par la revue française Timult, à forte sensibilité féministe (notamment mais pas seulement). Un texte d’une grande intelligence, qui défriche fort bien la question. Une « critique de l’idéologie de la non-violence » qui ne manque pas de pointer également son envers tout aussi erroné, la fétichisation de « la violence ». À lire


Colères inaudibles, privilèges silencieux et bruits de vitrine brisée

« La soumission de l’opprimé relève de l’ordre établi. Qu’il rompe cet ordre en brisant ses chaînes et en frappant le maître, voilà le scandale. Dans la langue des maîtres devenue langue commune, le violent n’est pas celui qui fait violence, mais le vilain qui ose se rebeller. » [1]

« L’efficacité de l’action directe n’est pas exprimée par le degré de violence qu’elle contient, mais plutôt sur la capacité à identifier une route praticable par tous, à construire une force collective en mesure de réduire la violence au plus petit niveau possible au sein du processus de transformation révolutionnaire. La violence érigée en système engendre l’État. » (Fédération Anarchiste Italienne)

Dans chaque lutte, chaque mouvement auquel j’ai pris part, les mêmes questions se sont posées, les mêmes points de vue se sont opposés en ce qui concerne l’usage de « la violence ». La plupart du temps j’ai été agacé. Souvent, la façon d’aborder les divergences, les angles choisis et, ajouté à ça, certaines généralisations, n’ont fait que biaiser le débat et le rendre stérile. La discussion s’est rarement posée en termes de stratégies, de pertinence, de contexte politique mais plus souvent dans l’opposition « violence / non-violence ». La plupart du temps, deux camps émergent, ceux et celles qui soutiennent des actions « violentes » et ceux et celles qui les condamnent. Et on peut observer d’un côté les fauteurs de troubles, les casseuses, les méchantes anarchistes fouteuses de merde, et de l’autre les hippies non-violent.es, les sociaux-démocrates, les citoyennistes.

S’opposer en se renvoyant des identités aussi superficielles et médiatiques ne fait que renforcer les clivages et les postures identitaires. Il est plus facile de catégoriser des personnes et de les enfermer dans une pensée plutôt que d’essayer de confronter ses idées à celles des autres.

Des pratiques de lutte sont pointées du doigt, considérées comme violentes et desservant la lutte ou décrédibilisant le mouvement. Quelles sont ces pratiques ? Quelles sont les critiques ? Quelles visions du monde et des luttes suggèrent-elles ? Et comment subissons-nous ou utilisons-nous certaines analyses politiques, selon la place que nous occupons dans une lutte ? Évoluant moi-même depuis plusieurs années dans des milieux anarchistes et féministes, il me semble important de comprendre les enjeux politiques de l’idéologie non-violente, de la critiquer en tant que vision du monde et de montrer en quoi le débat violence/non-violence est un débat biaisé.

 

howard

La non-violence, une histoire des puissants

Dans un ouvrage intitulé How the Non-violence Protects the State [2], Peter Gelderloos montre comment l’idéologie non-violente s’est construit une crédibilité sur des victoires politiques qu’elle s’est réappropriées, ainsi que sur les leaders charismatiques de ces luttes. Il apporte ainsi une critique approfondie de l’idéologie non-violente au sein des milieux activistes anti-autoritaires et anticapitalistes, plus particulièrement nordaméricains. Il soutient que cette idéologie va à l’encontre d’un activisme révolutionnaire, dans le sens du renversement des structures d’oppression. Et même, qu’elle aide le capitalisme, le patriarcat, le racisme, etc. à se maintenir en offrant des arguments pour délégitimer toute tentative de renversement.

Peter Gelderloos conteste notamment la récupération de certaines luttes en tant que victoires de la non-violence, affirmant que la « non-violence est basée sur une histoire falsifiée des luttes ».

Parlant de l’indépendance de l’Inde, il rappelle des éléments mis de côté par l’Histoire officielle : « La résistance au colonialisme britannique [comprenait] suffisamment d’actions offensives et combatives pour que la méthode de Gandhi puisse être considérée plus précisément comme une, parmi plusieurs formes rivales de résistance populaire. […] Ainsi sont ignorés d’importants leaders prônant une résistance plus offensive, tels que Chandrasekhar Azad qui s’était engagé dans une lutte armée contre les colons britanniques et des révolutionnaires comme Bhagat Singh, qui a gagné un soutien massif par des attentats à la bombe et des assassinats. […] De manière significative l’Histoire se rappelle de Gandhi plus que tous les autres, non pas parce qu’il représentait la voix unanime de l’Inde, mais surtout grâce à toute l’attention que lui portait la presse britannique et au rôle majeur qui lui était attribué du fait d’avoir participé à d’importantes négociations avec le gouvernement colonial britannique. Quand nous nous rappelons que l’Histoire est écrite par les vainqueurs, une autre couche du mythe de l’indépendance s’éclaircit. »

Le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, pour sa part, « n’a été ni une victoire, ni non-violent ». La fin de la ségrégation a été acquise mais pas « l’égalité réelle au niveau politique et économique », ni l’indépendance face à « l’impérialisme blanc », qui faisaient aussi partie des revendications. Et même si des groupes pacifistes comme celui de Martin Luther King Jr. avaient beaucoup de pouvoir, de nombreux.ses Noires ont soutenu des groupes révolutionnaires armés, comme le Parti des Blacks Panthers. « Dans les faits, la lutte armée a pendant longtemps fait partie de la résistance des personnes noires contre la suprématie blanche. » Mumia Abu-Jamal a largement documenté cette histoire dans son livre We Want Freedom. Il écrit: « Les racines de la résistance armée sont profondément ancrées dans l’histoire afro-américaine. Seules des personnes qui ignorent ce fait voient le Parti des Blacks Panthers comme étranger à notre héritage historique commun. »

Dernier exemple développé par Peter Gelderloos, le mouvement pour la paix, mené aux États-Unis pendant la guerre du Vietnam, n’a pas mis fin à cette guerre. « Avec une complaisance impardonnable, les activistes pour la paix ne tiennent pas compte des trois à cinq millions d’Indochinois.es mort.es en combattant l’armée US ». La résistance du peuple vietnamien a largement contribué au retrait des troupes états-uniennes, et cette résistance n’était pas non-violente, Il aborde aussi un autre aspect peu connu, « les rébellions croissantes à l’intérieur des troupes, portées avant tout par des soldats Noirs, Latinos et Indigènes. […] Assassinats d’officiers, sabotages, refus de participer aux combats, mutineries dans les campements et aide à l’ennemi, toutes ces activités de soldats américains ont contribué de manière significative à la décision du gouvernement US de retirer l’armée de terre. » En sachant que le Vietnam du Sud a ensuite connu « une dictature militaire entraînée et financée par les États-Unis », peut-on dire que le mouvement pour la paix ait fait reculer l’impérialisme américain ?

Sur le plan théorique, il y a un manque de clarté dans la définition des termes employés. La violence ne peut être définie en tant que telle. La violence n’a pas un sens absolu, c’est une notion abstraite qui nécessite pour chaque situation d’être replacée dans son contexte. La violence s’appréhende subjectivement, parce que l’objectivité et la neutralité n’existent pas. Des pensées dominantes qui assènent ce qui est « neutre » et « vrai » refusent d’être ramenées au rang de simples interprétations du monde et méprisent toutes autres approches. Elles rejettent d’autant plus fort ces interprétations divergentes que celles-ci contestent l’ordre établi. Ainsi, sur le terrain du racisme, le Blanc est le neutre, les Autres sont « de couleur ». On peut décliner ce mécanisme sur le genre, la classe, le validisme… au final, « le groupe adulte blanc, de sexe mâle, catholique, de classe bourgeoise, sain d’esprit et de moeurs, est donc cette catégorie qui ne se définit pas comme telle et fait silence sur elle-même. Elle impose aux autres cependant, à travers la langue, sa définition comme norme, dans une sorte d’innocence première, croyant que « les choses sont ce qu’elles sont. » [3]

La définition « objective » ou « neutre » de la violence est donc influencée, voire dictée, par un cadre de pensée le plus souvent dominant, capitaliste, patriarcal, raciste, etc. Est-il possible alors de se positionner face à une situation selon sa supposée violence ? Je préfère m’intéresser aux rapports de force qui se jouent, â l’analyse des relations de pouvoir entre les parties concernées, aux enjeux et aux conséquences de l’action, aux choix stratégiques ou encore à son efficacité tactique. La violence du système est souvent niée, pour ne relever que ce qui est visible. L’opposition violence/non-violence est au final bien utile pour masquer le rapport dominant.es/dominé.es.

Non-violence comme idéologie

Même si le débat autour de la violence a pour but de définir si des actes sont acceptables selon leur « degré de violence », en réalité la non-violence est une idéologie qui va au-delà de la critique des pratiques. C’est une certaine conception des luttes et des manières de les porter, basées une vision précise du monde. Autrement dit, un groupe politique qui n’a pas recours à des pratiques dites « violentes », n’est pas forcément non-violent.

Se considérer comme « non-violent.e », c’est penser qu’on ne fait rien qui alimente les systèmes d’oppression. C’est voir la violence uniquement dans ce qui est visible, directement conflictuel et spectaculaire et omettre le côté diffus et permanent des rapports d’oppression. Un tel raisonnement est réservé à des personnes à la position sociale privilégiée, comme le souligne Gelderloos : « Le pacifisme en tant qu’idéologie vient lui-même d’un contexte privilégié. Il ne prend pas en compte que la violence est déjà ici;  que la violence est inévitable parce qu’elle fait structurellement et pleinement partie de la hiérarchie sociale actuelle ».

En l972, Angela Davis est incarcérée à la prison d’État de Californie. Un journaliste lui rend visite et braque la caméra sur elle : « Mais comment y parvenez-vous [à mener une action révolutionnaire] ? Par la confrontation ? Par la violence ? » Angela Davis, visiblement en colère, lui répond :

« C’est ça, votre question ? C’est un autre problème. Pour les gens, révolution est souvent synonyme de violence. Mais ils ne comprennent pas que la vraie nature d’une action révolutionnaire réside dans les principes et les buts que l’on s’impose, pas dans la façon d’y parvenir.

D’un autre côté, en raison de la façon dont cette société est organisée et de la violence présente partout et à tous les niveaux, il faut s’attendre à des débordements et à des réactions démesurées. Imaginez que vous êtes Noir, vous avez toujours vécu dans la communauté noire et que tous les jours en sortant de chez vous, des policiers Blancs vous contrôlent. Quand je vivais à Los Angeles, bien avant qu’aient lieu les émeutes dans la ville, j’étais sans cesse arrêtée.Je n’étais pas connue de la police mais j’étais une femme Noire, et j’étais naturellement perçue comme une militante potentielle.

Cette situation, c’était mon quotidien. Et maintenant, vous me demandez si oui ou non, j’approuve la violence. Cette question n’a vraiment aucun sens. […] Aujourd’hui, quand on me parle de mon côté violent, je trouve ça tout simplement incroyable. Cela signifie que la personne qui pose cette question n’a absolument aucune idée de ce que les Noirs ont traversé, de ce qu’ils ont vécu dans ce pays depuis le jour où le premier Noir a été arraché aux rivages d’Afrique. » [4]

Comment imaginer, dans le cadre d’une domination, créer un dialogue avec les oppresseur.euses en leur expliquant tranquillement leur position, en quoi elles et ils exploitent, dominent ?

Au fond, l’idéologie non-violente porte une vision des dominations selon laquelle elles pourraient se renverser grâce à la mobilisation « non-violente » qui créerait un rapport de force capable d’ouvrir un dialogue avec l’oppresseur et d’en faire un partenaire. Selon laquelle il faudrait réunir les conditions nécessaires à ce rapport de force grâce à des méthodes non-violentes. Le but étant de parler avec les dominant.es et de trouver ensemble « un compromis qui respecte les droits de chacun » [5].

Mais un rapport de domination est une situation où les dominant.es détiennent le pouvoir ainsi que les structures nécessaires à son maintien, refusant de reconnaître leurs privilèges et de les abandonner. Il me semble qu’en général, ils et elles ne sont pas prêt.es à y renoncer, ni même à les partager avec le sourire. Quand des ouvrier.ères en viennent à séquestrer leur patron pour se faire entendre ou seulement entamer des négociations, comment croire qu’un dialogue constructif pourrait exister dans le cadre d’une relation de pouvoir déséquilibrée ? C’est bien là qu’il s’agit d’instaurer un rapport de force, par la lutte, la pression jusqu’à ce qu’en face ils et elles cèdent. Il n’y a pas de dialogue, il y a une tentative de renversement des pouvoirs par les dominées qui cherchent à poser leurs propres règles.

 

Gj

Violence « située »

L’idéologie non-violente s’appuie en premier lieu sur le désaveu des actions « violentes » et même sur la critique de celles et ceux qui ne les condamnent pas assez fermement. Ce qui est « violent » serait à bannir de toute lutte. Certaines actions seraient donc mauvaises en soi, en « contradiction fondamentale [avec les] aspirations profondes de l’humanité. » [6]. Elles seraient l’arme de l’oppresseur. Se les réapproprier serait voué à l’échec : il serait toujours plus fort, disposerait des moyens de coercition et de répression toujours supérieurs (police, armée, justice, milices etc). Et surtout, l’usage de « la violence » engendrerait plus de répression. Au fond, certaines pratiques de luttes seraient à éliminer radicalement, car elles desserviraient et décrédibiliseraient toujours les luttes.

Affirmer que la « violence » ne sert à rien parce que « les riches et les puissants auront toujours beaucoup plus d’armes et des armes beaucoup plus destructrices que les pauvres » [7], c’est oublier que, dans le cadre du capitalisme et de l’impérialisme, ceux et celles qui dominent sont beaucoup moins nombreux que ceux et celles qui sont exploité.es. C’est nier la capacité d’organisation et de détermination des personnes. C’est oublier l’histoire de la guerre du Vietnam, de la guerre d’Algérie… et plus récemment les révoltes des peuples Arabes. Ces luttes n’ont-elles pas été « gagnées » en combattant de terribles adversaires, plutôt qu’en dialoguant gentiment avec eux ?

Et pour les conséquences répressives qu’entraîneraient ces actions, autrement dit « l’engrenage de la violence », pourquoi se focaliser sur les actions alors que le problème réside dans le fait qu’elles soient réprimées ? Il me semble que c’est bien contre cela qu’il faut lutter. Car la répression est fonction des lois en vigueur, autant que de l’identité assignée aux personnes qui en sont cibles. C’est un outil dont l’État se sert pour diviser et catégoriser des groupes afin de mieux régner. Les gouvernants décident à un moment T qui va être réprimé.e et pour quelles pratiques. Pour une même action, des agricultrices ne subiront pas la même répression que des anarchistes, et elles et eux-mêmes ne seront pas confrontées aux mêmes ripostes que des personnes issues de quartiers populaires, et encore plus si elles sont Noires ou Arabes, ou catégorisées comme telles. Il s’agit de refuser la création de catégories de population, la diabolisation de certaines pour justifier l’extension du système répressif, au sein duquel les plus stigmatisées sont de toute manière réprimé.es, humiliées et rabaissées, même s’ils et elles ne franchissent pas le cadre de la loi. Cette loi qui s’adapte aux circonstances et décrète de nouvelles illégalités dès que nécessaire (loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école 2004, décret sur le port de la cagoule 2009, loi sur les violences en bandes 2010, loi sur l’interdiction du port du voile intégral 2011…). Brandir des figures monstrueuses d’ennemies intérieures et agiter l’épouvantail terroriste (figure du monstre par excellence) permet d’effrayer les « honnêtes citoyen.nes » et de les faire adhérer à la logique répressive.

Il s’agit de rester attentif.ves à ce que les structures d’oppression contre lesquelles nous nous révoltons ne définissent pas le cadre de nos luttes. Et bien sûr, si les personnes en lutte ne sont pas responsables de la répression qu’elles subissent, cela ne nous dispense de réfléchir nos actions avec stratégie, de prendre en compte la répression et de savoir la déjouer pour mieux agir.

Je voudrais aussi porter une critique aux milieux que j’ai fréquentés, qui méprisent la non-violence : « la violence » y est souvent valorisée, à tel point que, pour certaines, elle devient la mesure de la radicalité politique et un objectif en soi dans des cadres de luttes. Singulièrement, ces raisonnements s’appuient sur des bases très semblables à l’idéologie qu’illes rejettent ici encore, les pratiques en elles-mêmes se suffisent à elles-mêmes, sans que la question de la stratégie soit posée. Ici encore, la violence est réduite à la spectacularité des actions.

Une violence, toujours bonne à prendre pour les un.es ou fondamentalement mauvaise pour les autres… la destruction d’un campement de Roms et celle de vitrines de banques n’ont pas le même sens, même si il s’agit de destruction de biens dans les deux cas. Les deux actes ne prennent pas du tout le même sens ; ils n’ont pas du tout les mêmes conséquences.

Il est primordial, pour analyser une situation et ses enjeux, de la replacer dans son contexte et de se positionner. Se positionner signifie définir la place que l’on a dans des circonstances précises et d’en tirer des conclusions pour nos actes. Des féministes ont développé le concept de « savoirs situés » [8], nous montrant que « toute connaissance est partielle, partiale et située » [9] dans le sens où selon nos assignations sociales et les constructions qui vont avec, nous n’aurons pas la même approche de la réalité, ni la même prise dessus. Se positionner permet de clarifier quelle est notre place au sein d’une lutte pour choisir comment y contribuer.

 

Exotisation des luttes : plus la violence est lointaine, plus elle serait acceptable ?!!

« L’exotisation est un processus de construction géographique de l’altérité propre à l’Occident colonial, qui montre une fascination condescendante pour certains ailleurs. » Jean-François Staszak [10].

L’exotisation des luttes est un travers courant. Cela consiste à ne pas considérer les luttes de la même façon selon la proximité culturelle ou la distance à notre propre point de référence, la démocratie occidentale. Comment réagir à la valorisation d’une lutte dans tel ou tel pays dits du « sud » y compris dans ses dimensions dites « violentes », quand les mêmes personnes condamnent avec la plus grande fermeté des pratiques similaires en France, sous l’argument de la violence ? [11]

J’ai déjà vu des personnes enthousiastes de telle lutte en Amérique du Sud, où les gens faisaient des barricades enflammées pour bloquer les routes, pour être entendu.es et établir un rapport de force avec les autorités. Mais lorsque, dans le mouvement social du CPE, après les manifestations légales, des cortèges sauvages parcouraient la ville pour exprimer une rage trop contenue et encadrée par les organisations officielles, renversaient des poubelles sur les routes et y mettaient le feu, ces mêmes personnes criaient aux casseurs, à la violence gratuite et au vandalisme et dépolitisaient ainsi ces pratiques de luttes. Replacées dans une démocratie occidentale comme la nôtre, certaines formes de luttes deviennent sûrement moins exotiques.

L’exotisation est problématique en soi dans ce qu’elle suppose de vision post-coloniale du monde. C’est une vision paternaliste et raciste qui place la société blanche occidentale sur un piédestal, comme l’incarnation de la meilleure civilisation existante (Progrès, Démocratie, Émancipation, Liberté…) et qui exotise tous les autres modèles de société comme « cultures », les excluant par là de la sphère politique [12].

Le débat est partout

Le débat violence/non-violence émerge souvent à l’occasion de mouvements et d’actions dirigés contre l’État, ses institutions, les politiques publiques, bref des luttes tournées vers l’extérieur ou ce que certaines pourraient appeler la « Lutte Prioritaire ». Mais on retrouve ces tensions dans des luttes souvent considérées comme secondaires, celles qui visibilisent des systèmes de domination, mettent en lumière leurs mécanismes et les privilèges des personnes dominantes de par leur position sociale d’hommes, de blanches, de bourgeois.es, de valides. Ces bagarres sont souvent dépréciées car elles amènent de la complexité (en montrant que l’oppression est diffuse, intégrée en chacun.es et qu’il serait simpliste de la combattre uniquement chez nos « ennemis »). Il n’y a plus un seul front, ni une seule cible contre laquelle lutter. Ces luttes ébranlent les groupes activistes et militants eux-mêmes, mettent à mal leur cohésion. Les réactions qu’elles suscitent renvoient à cette division très genrée extérieur/intérieur, masculin! féminin : les luttes tournées vers l’extérieur sont valorisées et validées, tandis que la dénonciation des rapports de domination et de pouvoir internes est vue comme secondaire voire néfaste. Il n’est pas rare que les collectifs politiques et les personnes qui portent ces luttes soient taxé.es de violentes, d’extrémistes, voire de fascistes (qui n’a jamais entendu parler de « féministes fascistes » ou « féministes nazies » ?). Certaines de leurs prises de positions et de leurs actions sont qualifiées de violentes, parce qu’elles brisent l’unité d’un milieu face aux Grands Méchants (flics, État…). Bref, cela desservirait la lutte !

Le rejet de la « violence » est une fois de plus invoqué, car ces luttes bousculent la normalité des rapports sociaux, les non-dits évidents, les privilèges des un.es et des autres. Et il est plus facile de renvoyer à l’Autre qu’il ou elle est violent.e et donc que son discours n’est pas entendable, plutôt que de se remettre en question. Je trouve toujours étonnant que des personnes qui n’ont par ailleurs pas de problème avec des actes « violents », considèrent comme violente l’exclusion d’un homme qui a commis un viol d’un espace où la personne agressée ne veut pas être en sa présence. Cet exemple est assez simpliste mais malheureusement très fréquent. Encore une fois, la violence est ambivalente et analyser une situation uniquement par ce biais, sans la replacer dans le contexte, a peu d’intérêt.

Comment veut-on lutter ? Sortir de la dichotomie

Enfermer nos luttes dans des catégories ne me paraît pas très pertinent, que ce soit pour les critiquer à cause de leur violence supposée, ou pour en mépriser d’autres à cause de leur manque de radicalité supposée. Comme si la radicalité se mesurait au purisme angélique de la non-violence ou au nombre de vitrines brisées. Cet état d’esprit est plus proche du folklore romantique que de pratiques révolutionnaires. La propagande politico-médiatique tente de semer la confusion entre illégalité, radicalité des idées et « violence ». Même si ça n’est pas toujours évident, il me semble important de ne pas entrer dans ce jeu, pour que la légalité ne devienne pas un cadre qui limite nos moyens d’actions. Il n’y a pas de hiérarchie entre un tract, un sabotage, un débat public, un affrontement avec la police, un rassemblement, le fait de prendre soin les un.es des autres. L’important est de réfléchir en amont à nos motivations et aux moyens et stratégies que nous pouvons articuler pour y parvenir.

Parvient-on à nommer des objectifs ? A-t-on l’envie et le temps d’échafauder des stratégies ? Que veut-on défendre et que veut-on attaquer ? Dans quels horizons lointains inscrire notre lutte ? Quels sont les besoins immédiats ? Comment exprimer notre détermination à atteindre nos buts ? Quels sont nos imaginaires d’actions ? Comment choisir nos moyens d’actions ? Qu’est-ce qui nous fait pencher pour telle ou telle pratique ? Avec qui désire-t-on lutter ? Quelles actions porter ensemble ? Et quelles sont les bases communes nécessaires ? Quels sont les fondements éthiques de notre agir politique ? Comment se sentir bien et rester ensemble ? Comment partager nos enthousiasmes et dépasser nos découragements ? Comment trouver du plaisir dans les luttes ?

Se mettre en lutte c’est se sentir vivant.e, c’est ne pas se résigner à avoir la vie qu’on nous impose, à rester à la place qu’on nous a assignée, c’est tenter de renverser les systèmes qui nous mettent en rage, c’est se renforcer et se faire plaisir. Diffuser des réflexions théoriques et essayer de les concrétiser, expérimenter des pratiques, explorer nos imaginaires, apprendre à s’organiser collectivement. Se planter et apprendre de nos erreurs ou de celles des autres, arracher un bout de victoire, imposer un rapport de force. Même construire et vivre une lutte collective est déjà une victoire en soi.

MILO

TIMULT n°6, septembre 2012


Notes :

[1] Igor Reitzman : Longuement subir puis détruire (De la violence des dominants aux violences des dominés), 2002, Éditions dissonances ou sur le web lmsi.net/De-la-violence-des-dominants-aux

[2] How Nonviolence Protects the State, de Peter Gelderloos, actuellement publié en anglais aux éditions South End Press, 2007 et accessible en pdf sur zinelibrary.info/ [Note de VPO : voir également la traduction en français de l’introduction et des deux premiers chapitres du livre de Gelderloos sur https://violenceparfoisoui.wordpress.com]

[3] Colette Guillaumin, L’idéologie raciste, 1972, Éditions Mouton and Co

[4] À voir dans The Black Power mixtape, de Goran Olson (2011)

[5] Jean-Marie Muller, « Un autre monde est possible. Le choix de la non-violence dans les conflits sociaux et politiques », 2005, intervention au forum social mondial de Porto Alegre.

[6] Jean-Marie Muller, Signification de la non-violence, Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits, www.irnc.org

[7] Voir note [5]

[8] Pour approfondir cette notion, voir notamment les travaux du courant Black Feminism et de Donna Haraway

[9] Horia Kebabza, « L’universel lave-t-il plus blanc ? » : « Race », racisme et système de privilèges, 2006, Les cahiers du CEDREF, http://cedref.revues.org/428

[10] Jean-François Staszak, Qu’est-ce que l’exotisme, 2008, département de géographie, université de Genève

[11] Il ne s’agit pas de dire que toutes les pratiques de luttes déployées dans le monde seraient opportunes ici. Mais si elles ne le sont pas, c’est pour des raisons de stratégies, de contexte politique… et non pas parce qu’elles seraient violentes.

[12] Dans la même logique, certain.es anarchistes exotisent les révoltes des quartier populaires avec une « fascination condescendante » pour leur côté insurrectionnel. Souvent, ils et elles retiennent uniquement les pratiques employées (incendies de voitures, de bâtiments publics,…) sans les contextualiser et sans se positionner. Par exemple, pendant les émeutes de Villiers-le-Bel en 2007, lors d’une manifestation organisée en soutien, j’ai vu un jeune homme blanc issu de classe moyenne supérieure porter une pancarte qui disait « Ils [la police] tuent nos frères, c’est la guerre ». Par le mot « frères », la personne semblait se retrouver dans une même réalité de vécu que les émeutiers.es. Ou en tout cas pensait qu’une telle situation de révolte (à laquelle il ne participait pas) unit tout le monde dans une sorte de communauté de lutte qui transcenderait tous les rapports structurels.

[Gênes, Italie] Aucune paix pour ceux qui font la guerre

lu et recopié sur le Chat Noir Emeutier

Carlo, un compagnon de Gênes, va passer en procès pour « incitation à commettre des crimes ou des délits, avec la circonstance aggravante de la finalité terroriste » (art. 414 du Code Pénal) à cause d’un texte en solidarité avec l’action d’Alfredo et Nicola [1].

Dans l’affiche il y a aussi une référence à la condamnation en appel de trois personnes (dont Alfredo) à trois ans, dans le cadre du procès qui a suivi l’Opération Shadow, toujours pour l’art. 414 du CP, avec la circonstance aggravante de l’article 1, pour la publication du journal anarchiste KNO3.

Nous rappelons aussi qu’en mars 2016 Nicola Gai et Sergio Maria Stefani passeront en procès à Bologne, toujours pour tentative d’« incitation à commettre des crimes ou des délits », à cause d’un texte de Nicola de 2014 [2].

Voilà la traduction de l’affiche :

Aucune paix pour ceux qui font la guerre
Complicité avec ceux qui luttent

Avec la déclaration d’une soi-disant guerre de civilisation, voulue pour renforcer leur hégémonie, les puissants de la terre appellent à eux leur sujets, au nom de la nation ou de la religion.
Avec la création d’états d’urgence permanents, l’État renouvelle ses codes pénaux pour verrouiller encore plus les espaces de liberté qui restent.

Dans un climat de paranoïa sécuritaire, alimenté encore plus par le massacre qui a eu lieu à Paris, un compagnon anarchiste de Gênes passera en procès pour avoir critiqué publiquement les auteurs d’une prise de distance face à l’attaque contre l’ingénieur Roberto Adinolfi, blessé aux jambes le 7 mai 2012 par Nicola et Alfredo, anarchistes enfermés encore aujourd’hui dans la prison de Ferrara. Ce monsieur était à l’époque PDG d’Ansaldo Nucleare, tentacule de la pieuvre Finmeccanica, intéressée depuis toujours par le marché de la guerre et de la répression, au point d’avoir un rôle fondamental dans le développement des théâtres de guerre internationaux.

Le compagnon de Gênes a été mis sous enquête pour incitation à commettre des actes de terrorisme, un délit dont la possibilité d’application est de plus en plus élargie à chaque décret d’urgence. Ces dernières années, d’autres compagnons ont été frappés par le même type d’accusation et certains condamnés pour avoir diffusé publiquement des textes, des articles et des communiqués qui sont de toute évidence intolérables pour l’État et ses serviteurs fouineurs… Forces de l’Ordre, services secrets et Justice s’attachent, avec les nouveaux décrets antiterrorisme, à arracher tout désir d’offensive pour la liberté.

Du Califat à l’OTAN,
ce sont les États  qui utilisent la violence aveugle contre les populations !
Désertons la guerre [3] !
Sabotons l’ordre mortifère de la guerre permanente !
Détruisons la machine du contrôle social !

Solidarité avec Carlo !
Solidarité avec les compagnons et les compagnonnes qui luttent dans et hors des prisons !

Des solidaires de Gênes

[Traduction anonyme de Croce Nera Anarchica reçue par mail]

NdT:

[1] Le compagnon est mis en examen pour le texte « A ceux qui ne se dissocient pas », une réponse à la dissociation publique du texte « Les points sur les i », peu après l’attaque contre Adinolfi.

[2] En italien ici

[3] En italien « Disertiamo il fronte occidentale », jeux de mot entre le titre du fameux livre d’E.M.Remarque « A l’Ouest rien de nouveau », qui en italien est traduit comme « Niente di nuovo sul fronte occidentale » (rien de nouveau sur le front de l’Ouest) et le concept géo-politique (et journalistique) d’Occident.

solidaliGenovesi

[Montoison ] (26) soirée de soutien le16/02 à la Zone A Défendre de NDDL

reçu par mail

Pour celleux qui souhaitent participer à une discussion/infotour des habitant-e-s/occupant-e-s de la ZAD de Notre dame des landes

RDV MARDI 16 FÉV – 19H À L ‘HICAM 0 Montoison (26)
REPAS SOUPE-CRIQUES & BUVETTE
discussion autour de l’histoire des actions directes contre l’aéroport, l’organisation collective
et/où la diversité des composantes…

Sortie de « Séditions » n°6 (février 2016)

lu et recopié de Brèves du désordre

Vous trouverez sur le blog le dernier numéro de ’Séditions’ de ce mois
de février 2016 : https://seditions.noblogs.org/post/category/n6/.

Au sommaire :

Dossier : Pour « votre sécurité », qu’ils disent…
- Les riches et l’Etat nous veulent à genoux : soyons leur pire cauchemar
- Leur « sécurité dans les transports » : l’autre nom de la guerre aux pauvres
- A Calais, l’État et ses larbins mènent une guerre acharnée contre les migrants
- La mairie nous fait chantier… Semons le désordre ! (quelques réflexions au sujet de la guerre aux pauvres menée par la mairie)
- A l’assaut du vieux monde (brèves d’agitation à Besançon et ses environs)


Le journal ‘Séditions” part avec l’idée de renouer avec l’agitation urbaine dans une perspective anarchiste. Il n’a pas vocation à promouvoir une quelconque organisation, qu’elle soit formelle ou informelle, fusse-t-elle anarchiste. Il ne rentre pas non plus dans la démarche qui consiste à créer des alternatives au sein d’un monde qui nous écrase sous son autorité. Nous luttons pour la liberté totale de tous les individus et donc en dehors du champ de la politique : nous ne cherchons pas à rendre ce système de fric et d’autorité plus juste.

La ville change. Promoteurs immobiliers, entreprises du BTP, architectes, mairie, commerçants et associations d’artistes investissent les quartiers dans l’intérêt des riches et de l’Etat. Le besoin se faisait ressentir de mettre au centre des discussions les restructurations de l’Etat et du capitalisme qui, jour après jour, modifient notre environnement, nos lieux de vie et d’errance, nos trajets quotidiens.

Afin que tout ce système d’exploitation et d’oppression soit bien huilé, l’Etat déploie sans cesse plus de moyens – tant technologiques qu’humains – de contrôle et de surveillance sur chacun d’entre nous, tout en cherchant à diviser les exploités et dominés en catégories et à les monter les uns contre les autres (communautarismes religieux, ethniques) pour mieux les souder autour de ses concepts merdiques de nation et de patrie (« Unité Nationale » de l’après-« Charlie » et autres exacerbations patriotiques).

Souffler sur les braises encore chaudes d’attaques qui visent concrètement à se débarrasser de l’autorité du fric et de l’Etat, tel est le projet de ce journal.

lire

  • Séditions (Besançon) n°6, février 2016, 2

[ Italie] Nouvelle publication anarco queer

Ultime pubblicazioni dal sitnous


LUPE LA CAMELINA – Commando Femminista Informale di Azione Antiautoritaria

Au Mexique, au printemps 2015, un nouveau groupe informel d’action a commencé à se faire connaître par des communiqués et des actions, dont la première remonte au mois d’août de l’année précédente : cinq … explosifs placés pour frapper ceux identifiés comme des symboles de l’oppression contre les femmes et tous les exploité/es : l’Église, l’État et le Capital. Puis, d’autres actions ont provoqué des dégâts matériels … aux objectifs choisis. Dans leur communiqué, ce groupe de femmes signe « Louves la Camelina – commando féministe informationnel d’action antiautoritaire (COFIAA) » expose dans un long texte leur vision d’ensemble et ce qui les a poussé à l’action. Dans cet opuscule, tous leurs communiqués sont réunis.

FORBICI PER TUTTE -⁠ Testi sulla violenza machista nei movimenti sociali

La volonté de traduire « Tijeras pour toutes » naît de l’exigence que nous avons comme des compagnes féministes, queer et antisexistes, à contribuer au développement d’un raisonnement partagé sur le thème de la violence de genre dans les espaces occupés, dans les squats et dans tous les lieux que nous traversons et que nous désirons vivre comme espaces safe. « Tijeras pour toutes » est un recueil de textes élaborés par les compagnes de Barcelone : même si les paroles que vous trouverez se réfèrent à d’autres lieux et d’autres personnes, elles ne concernent de près et nous touchent au profond de nos expériences quotidiennes. Nous diffusons ce fanzine avec la volonté de ne pas toujours partir de zéro dans nos réflexions et de profiter de la réflexion d’autres compagnes et d’autres collectifs.

DES ESPACES DANGEREUX

résistance violente , autodéfense, lutte insurrectionnelle contre le genre

« Nous ne demandons pas le droit de marcher dans la rue, nous prenons les rues;nous ne demandons pas que les  annonces publicitaires ne nous transforment pas en femme objet, nous détruisons les mécanismes commerciaux qui nous déshumanisent en tant que femme; nous n’appelons pas au pouvoir machiste afin que les viols s’arrêtent, mais nous les menaçons: »si tu me touche, je te tue ». Pour une fois les mécanismes qui créent et maintiennent les identités féminines furent refuser et nos désirs furent les nôtres,  nos corps furent les nôtres, et notre violence fut la notre.Nous vous  ferons voir,  les rates folles »

NDTR pris sur informa azione

Concert punk rock et repas vegan au Parpaing Paillette

reçu par mail:Concert punk rock et repas vegan au Parpaing Paillette
Vendredi 12 février 2016
Entrée & repas prix libre / bar _
19h30 : repas végétalien (sans aucun produit d?originale animale)
à partir de 21h : concerts avec trois orchestres de musiques amplifiées
:

PINKU SAIDO (Lyon/Tokyo, sans déc !) –
http://pinkusaido.bandcamp.com/releases
FAUX DÉPART (Lyon) – http://fauxdepart.noblogs.org
LA CRÈVE (SMH/Fontaine/Romance sur Misère) – http://lacrevepunk.free.fr

Le Parpaing Paillette
104, avenue Ambroise Croizat
38400 Saint-Martin d?Hères
Tram Maison Communale (D) ou Neyrpic Belledonne (C)

Lieu d?activité, occupé et persécuté depuis septembre 2015. Les
bénéfices financiers de la soirée serviront à financer les autres
activités du squat.

Le Parpaing Paillette est un lieu de vie et d?activité autogéré et
squatté au 104, av. Ambroise Croizat à Saint-Martin-d?Hères. Il y a une
bibliothèque, une zone de gratuité (vêtements, objets divers), un point
de mise en commun et redistribution de nourriture de récup, une salle
très polyvalente qui héberge la plupart des activités proposées, un
dortoir pour les personnes de passage et une salle non-mixte (sans mecs)
d?activité/sleeping. _
Toutes nos activités sont gratuites ou à prix libre. Nous développons
depuis plusieurs années un mode de vie communautaire et des activités en
lien avec nos valeurs anarchistes et libertaires. Nous expérimentons,
avec d?autres lieux/collectifs, des alternatives aux différents systèmes
de domination : sexisme, capitalisme, spécisme?

Pour nous contacter : 06 41 18 41 61
Notre site internet : parpaing-paillette.net

ville de Mexico [Mexique], D.F. : Actions solidaires avec les compagnon(e)s emprisonné(e)s

contra info
et aussi Croce Nera Anarchica
Communiqué reçu le 3 février

Le 31 janvier nous avons coordonné des actions solidaires avec les camarades emprisonné-e-s, non seulement les prisonnier-e-s anarchistes mais aussi tou-te-s ceux/lles qui sont enfermé-e-s dans les prisons de la démocratie ou qui fuient sa répression.

Nous avons posé simultanément deux banderoles sur les avenues Xola et Tlalpan :
« SOLIDARITÉ AVEC LES PRISONNIERS ANARCHISTES » et « BRÛLER LES PRISONS ET TOUS LES JUGES », qui ont flotté durant un temps indéfini. Au même moment, nous avons brûlé une voiture de la compagnie TELMEX, propriété du magnat Carlos Slim, au sud de la ville de Mexico.

Nous ne sommes pas retournés sur les lieux ; cette action vient de nos coeurs ardents et sincères, en complicité avec ceux/lles qui assument une guerre frontale contre l’état et le capital.

LA SOLIDARITÉ EST L’ATTAQUE

DÉTRUISONS LA SOCIÉTÉ CARCÉRALE

TOUS LES JOURS SONT DES OPPORTUNITÉS DE RÉVOLTE

Quelque anarchistes

Espagne : sur le procès de Mónica et Francisco

Brèves du désordre
Mercredi 3 février a été fixée la date de procès des anarchistes Mónica Caballero et Francisco Solar, qui devront affronter des réquisitions du procureur s’élevant à 44 ans de prison [pour chacun-e d’entre eux] pour « appartenance à une organisation terroriste, massacres, blessures et conspiration ». Le procès aura lieu au siège de l’Audiencia Nacional de San Fernando de Henares les 8, 9 et 10 mars et ils seront transféré-e-s vers des prisons madrilènes dans les jours qui viennent.

Presque six ans après la construction du dit « Caso Bombas » par l’Etat chilien, pour lequel ils ont tou-te-s deux été incarcéré-e-s, jugé-e-s, condamné-e-s puis finalement relaxé-e-s, et plus de deux ans après leur arrestation dans l’Etat espagnol, Mónica et Francisco vont à nouveau se retrouver dans un tribunal, face à des juges et des procureurs. Le processus légal contre les compagnon-ne-s a mis en évidence le travail de gestion commun des Etats chilien et espagnol en matière d’antiterrorisme, accompagné de l’habituel lynchage médiatique caractéristique de ce genre d’affaires. Celle-ci a aussi été le fer de lance de l’actuel contexte répressif lancé contre les luttes, puisqu’il s’est agi de la première d’une série d’opérations antiterroristes préparées par l’Etat contre des anarchistes et des antiautoritaires ces dernières années et qui ont mené à la mise en examen une quarantaine de personnes pour terrorisme.

Face aux brutales attaques de l’Etat et à ses différentes manières d’isoler , d’intimider ou de poursuivre les luttes avec celles et ceux qui y participent, nous, anarchistes et personnes en lutte, avons la capacité d’aiguiser nos mots et nos pratiques en remettant en question leurs modèles citoyens, en trouvant notre propre abécédaire pour dépasser le langage de l’ennemi et en défendant nos luttes et nos liens tout en évitant de tomber dans des postures victimistes pour aller au-delà de la logique innocentiste et/ou culpabilisatrice. C’est en partant de là que Mónica et Francisco ont affronté l’enfermement et c’est de cette manière que nous impulsons la solidarité.

Dans la négation de l’autorité et de sa légitimité créée pour nous juger, dans la réaffirmation des idées, des pratiques et des complicités rebelles, pour l’agitation constante et la solidarité combative. Toujours avec celles et ceux qui luttent.

Force, [Solidarité] et Liberté pour Mónica et Francisco, ainsi que toutes les personnes en lutte emprisonnées et poursuivies !
Liberté pour toutes et tous !
A bas tous les murs !

Barcelone, Février 2016

[Traduit de l’espagnol de Indy barcelone, 08 /02 2016]