Archives mensuelles : janvier 2016

Il n’ y aura pas de règlement de compte à OK Corral !

En juin de cette année, nous avions envoyé une lettre ouverte à Yannick Rousselet, responsable des campagnes sur le nucléaire à Greenpeace France. Plus qu’une adresse à Yannick Rousselet ou à Greenpeace, cette lettre était surtout un prétexte pour rappeler qu’il y a toujours des cogestionnaires, pompiers volontaires cherchant à circonscrire le moindre départ d’incendie, la moindre étincelle de révolte. (…)

En septembre dernier, alors qu’un train de déchets suisses provenant de Grande Bretagne était en partance au terminal ferroviaire de Valognes, un mystérieux dépôt de bonbonne de gaz sur la voix ferrée Cherbourg-Paris perturbe durant quelques heures le trafic. En gare de Valognes, des agents SNCF incitent des voyageurs excédés à s’en prendre à Greenpeace plutôt qu’à notre glorieuse et grande Société Nationale des Chemins de fer Français.(…) À cette occasion, Yannick Rousselet s’illustre à son tour. Devançant l’instruction que ne manquera pas de lancer la section antiterroriste, il désigne déjà sur la radio locale France Bleue Cotentin les fauteurs de trouble : une mystérieuse mouvance antinucléaire aux contours un peu flous. Bien évidemment, il n’oublie pas de se dissocier immédiatement de la dite mouvance :

« Bien évidemment, il y a un lien évident entre le départ du train au départ de Valognes et la présence de ce matériel sur les voies ferrées, (…)simplement nous avons clairement dit que nous ne nous opposerions pas à ce transport [1], que nous n’avons pas l’intention de perturber, maintenant il existe des mouvances différentes dans les mouvements antinucléaires et il n’est pas à exclure que des gens aient voulu exprimer leur désaccord avec le nucléaire par cette méthode, ce n’est pas la nôtre. »
[Interview de Yannick Rousselet à France bleue du 16 septembre 2015.]

Pour informer de l’acte dont la presse se fait l’écho en boucle et de la prise de position de notre « consultant », et prévenir de leurs éventuelles conséquences, nous décidons de faire suivre un article de la presse mainstream publié sur le site libertaire caennais Sous la cendre, et faisons suivre notre « prose » vieille de quelques mois – Il était une fois la cogestion -, non parce que nous tenions « absolument à faire de la publicité pour celle-ci à l’occasion d’événements d’actualité » comme le sous-entend aujourd’hui Rousselet, mais pour rappeler d’où notre salarié de la multinationale de l’écologie parle. Et comment il récidive.

À la suite de cet envoi, notre mail a été posté sur une liste de diffusion militante. Nous avons appris bien plus tard que l’intéressé avait envoyé sur cette même liste collective, une réponse qui ne nous a pas été adressée directement, comme notre propre lettre ouverte à son encontre ne lui était pas plus adressée quelques mois plus tôt. D’ailleurs, nous n’avons jamais reçu sa missive. Mais quelques « amis » énervés par son contenu nous l’ont fait suivre. Nous la joignons avec quelques précisions et remarques qu’elles ont suscitées chez nous. Pas seulement pour continuer à blablater, comme dirait notre cher Yannick Rousselet, mais pour lever quelques ambiguïtés que notre premier texte semblait avoir soulevé et qui nous sont revenues aux oreilles. Et ce, pas seulement de la part de notre professionnel de l’activisme.

Nous joignons à ce texte la réponse qu’il a cru bon de nous adresser, sur une liste de diffusion à laquelle nous ne participons pas.

Antinucléairement et anarchistement,
Laura Blanchard et Émilie Sievert
blanchard.sievert@riseup.net
note:
1] Greenpeace et une partie des opposants et opposantes locaux ne s’opposent pas aux retours des déchets nucléaires dans leurs pays d’origine.Lettre ouverte à Yannick Rousselet, porte parole de Greenpeace
texte en PDF
il n’y aura pas de règlement de compteà OK coralnt de compte à ok corral

IBM, de l’holocauste et de la réification

Après la publication du texte concernant la technoscience et la bionanotechnologie, nous avons poussé les recherches concernant IBM et sa place dans l’holocauste.
« A partir des recherches historiques d’Edwin Black concernant le rôle d’IBM dans l’Holocauste, nous avons proposé dans ce texte une réflexion sur le génocide juif perpétré par les Nazis et sur la « Solution finale » qu’ils avaient mise en place, à l’aide du concept marxiste de « réification ». »

Pour une lecture philosophique du livre D’IBM, de l’holocauste et de la réification
Le concept de réification dans la perspective d’une critique du capitalisme contemporain. Thématisée par Georg Lukács dans son recueil publié en 1923 Histoire et conscience de classe, et notamment dans l’essai « La réification et la conscience du prolétariat », la réification désigne d’une manière générale « le fait qu’un rapport, une relation entre personnes prend le caractère d’une chose »1. Cette image d’un devenir ou d’un apparaître « chose » de relations humaines ne doit cependant pas être comprise en un sens littéral : elle renvoie à l’analyse de la réduction des individus et des rapports sociaux à de simples fonctions de la reproduction sociale et de l’exploitation dans les sociétés capitalistes, ainsi qu’à la domination qu’y exercent la marchandise, la division du travail, le droit formel, l’État administré et bureaucratique, sur l’activité sociale et les formes de vie. Le concept de réification – qu’on l’interprète en termes de chosification, d’instrumentalisation ou de rationalisation – peut dès lors servir à critiquer les formes contemporaines de la marchandisation et de la déshumanisation des rapports sociaux et de la fétichisation du rapport aux produits du travail, de la pensée et de la culture. lire la suite
la lecture du texte diffusé à Turin pour la rencontre du 9 janvier à El Paso: »Livre et texte d’analyse sont important , malheureusement nous nous trouvons dans une période dans laquelle peu de gens lisent et approfondissent les problèmes »

pour lire le texte dIBM, de l’holocauste et de la réification

Moirans [Isère] vengeance de l’état contre les émeutiers (mise à jour)

La vengeance de l’état continue et prend de l’expansion. La gendarmerie a lancé, lundi 18 janvier au matin, une brève opération autour d’un camp de gens du voyage à Moirans (Isère), dans le cadre de l’enquête sur les violences qui avaient éclaté dans la ville au mois d’octobre. Des dizaines de personnes issues de la communauté des gens du voyage avaient alors bloqué la gare de la ville et incendié des véhicules, exigeant par la force la sortie temporaire de prison d’un homme afin qu’il puisse assister aux obsèques de son frère mort au volant d’une voiture volée après avoir commis un cambriolage.
les 300 gendarmes ont interpellé 15 personnes dans le village de Moirans
quelques nouvelles laissé sur france bleu isère
Un rappel des événements et le contexte de cette émeute du qui a secoué cette ville proche de Grenoble ( 20km) voir le texte publié en octobre 2015 sur le blog du laboratoire

Ces interpellations viennent dans un climat sécuritaire, continuation de l’état d’urgence jusqu ‘à la fin février: » Fermeté républicaine à Moirans : la justice, l’Etat sont au rendez-vous », Manuel Valls
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le dauphiné libéré du 19/01/2016

16 h 45 : le ministre de l’Intérieur est arrivé à la caserne de gendarmerie Ofner de Grenoble où il doit rencontrer les enquêteurs de la section de recherches et des compagnies territoriales qui ont travaillé sur l’enquête et sur l’intervention de ce matin à Moirans et dans les environs. Il doit également rencontrer les gendarmes qui ont travaillé aux secours et à l’enquête sur la tragique avalanche des Deux Alpes la semaine dernière.

12 h 15: le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve se rendra à Grenoble ce lundi après-midi, vient d’indiquer la préfecture de l’Isère. A 17h, il saluera à la caserne de gendarmerie de Grenoble les forces de l’ordre qui ont pris part à l’enquête et aux opérations d’interpellation menées ce matin à Moirans. Un point presse sera organisée à 17h15 avec le procureur de la République de Grenoble à l’issue. A 18h15, dans les salons de la Préfecture, le ministre de l’Intérieur remettra les insignes de la légion d’honneur au sapeur-pompier qui avait neutralisé l’homme qui avait commis l’attentat du 26 juin dernier à Saint-Quentin-Fallavier. A 18h30, le ministre de l’Intérieur prononcera un discours en préfecture sur la sécurité en Isère et sur l’agglomération de Grenoble.

8 h 35: 14 interpellations ont eu lieu ce matin, vient d’indiquer Jean-Yves Coquillat. le procureur de la République au Dauphiné Libéré. Lors des perquisitions, certains éléments ont été découverts qui intéressent l’enquête sur les événements du 20 octobre, annonce également le chef du parquet. Trois femmes font partie des personnes interpellées, dont la mère du jeune homme décédé dans l’accident et du jeune détenu qui avait demandé à être extrait pour assister aux obsèques.

7 h 50: Selon nos informations, une quinzaine de personnes ont été interpellées ce matin sur Moirans et sa région. Des perquisitions multiples sont en cours. Les gendarmes agissent dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violence volontaires contre les personnes ou de destruction ou dégradation de biens, vols aggravés, destruction ou dégradation de biens par un moyen dangereux, entrave à la circulation et à la circulation d’un train ». Le 20 octobre dernier, des émeutes avaient éclaté après le refus par la justice d’autoriser un détenu issu de la communauté des gens du voyage à assister aux obsèques de son frère mort quelques jours plus tôt à Saint-Joseph-de-Rivière dans l’accident d’une voiture volée. Pendant plusieurs heures, 35 véhicules avaient été incendiés sur la RD 1085, ainsi qu’à proximité de la gare. Cinq véhicules avaient été projetés et incendiés sur la voie ferrée Grenoble-Lyon. Une centaine de trains avaient été annulés et retardés. La SNCF, la mairie de Moirans et le département, notamment, avaient porté plainte.

7 h 35: Plusieurs objectifs ont été visés par les gendarmes à Moirans: le camp des gens du voyage et deux autres sites, a t-on pu constater. Vers 6 h 30, des gendarmes mobiles ont essuyé des jets de pierres et des insultes alors qu’ils sécurisaient le secteur du camp.

note: solidarité avec les émeutiers de moirans

Parce qu’une société qui a besoin d’enfermer est elle même un prison,

Parce que les murs carcéraux n’existent que pour que ceux qui n’y soient pas confinés se croient libres,

Brisons l’enfer carcéral !

Compil’ de textes contre la THT en Haute Durance

seul la lutte paye…..Il y a mille raisons pour se révolter , il n’existe aucune bonne raison pour s’arrêter….

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reçu par mail

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Compilation de textes sur la lutte : Automne 2015

pour télécharger la brochure : https://we.riseup.net/assets/267281…

Une précédente compilation de texte de l’hiver-printemps 2015 est disponible ici

La nouvelle brochure reprend des textes, un communiqué, une chronologie incomplète,et une liste incomplète des entreprises qui travaillent sur le projet.

Cette brochure ne se veut pas exhaustive, ni réprésentative du mouvement contre la THT. Elle en présente quelques facettes.

Si vous souhaitez en commander en version papier pour mettre dans vos infokiosques, écrivez à notht05@riseup.net avec comme objet “commande brochure THT”. Nous vous les enverrons par voie postale, punk post, ou autre.

Plus d’infos sur http://notht05.noblogs.org

[Lecce, Italie] Solidarité avec les trois compagnons arrêtés dans le cadre de la lutte contre le CIE de Brindisi

Arrestation de trois compagnons pour la lutte contre le CIE de Brindisi

Après une manif de solidarité devant le CIE de Brindisi – Restinco, trois compagnons de Lecce ont été arrêtés sur des accusations de « résistance à agents » et de « manifestation non-autorisée ». Ils sont désormais sous assignation à résidence. Ci-dessous le tract distribué pendant la marche qui a eu lieu le 10 janvier dans le centre-ville en solidarité avec les personnes arrêtées :

« Depuis début octobre 2015, dans le quartier de ‘Restinco’ à Brindisi, un CIE (centre d’identification et d’expulsion pour étrangers) est de nouveau ouvert après que plusieurs révoltes de ceux qui sont enfermés à l’intérieur l’aient rendu inapte à l’utilisation.

Les CIE sont de véritables camps dans lesquels sont enfermés des migrants sans-papiers. La vie dans un CIE est constituée d’harcèlements de militaires et de policiers et de gros bénéfices pour les organismes qui les gèrent : dans le cas de Restinco, c’est « Auxilium Società Cooperativa Sociale* ».

Depuis la réouverture du centre, des compagnons allaient régulièrement devant ses murs pour apporter de la solidarité aux retenus. Après de multiples détentions par la police, trois d’entre eux ont été arrêtés samedi 9 janvier, poursuivis pour « manifestation non-autorisée » et « résistance à agents de police ». Nous réaffirmons que le but principal de la répression est de s’assurer que ce camp reste un lieu de ségrégation totalement isolé et inconnu du plus grand nombre.

Qui est indifférent est complice de ces camps.

Contre les frontières, liberté pour tous, feu aux CIE !!“

[Traduit d’informa azione, Lundi 11/01/2016]

NdT: *Sur son site, cet organisme humanitaire se présente comme ceci : « Auxilium Società Cooperativa Sociale gère et développe des services sanitaires et d’assistance sociale et éducative, promouvant l’humain et l’intégration sociale… […] »
repris du chat noir émeutier

Valence [[Drôme] : des étudiants fleurtent avec le corps des spahis

Sous le titre «  48 h dans la peau du spahi » le dl du 6 décembre nous conte la merveilleuse et très tendance immersion de 18 étudiants de l’école de gestion et de commerce (EGC) de valence gérée par la CCI de la Drôme
Un défi que ce parcours du combattant « initiation militaire au management « ..la classe de troisième année comptant 30 élèves , le journaliste nous explique que « certains ne se sont pas senti capables de le faire, d’autres étaient blessés » il semble exclu que parmi les 12 non volontaires aient pu se trouver un-e ou plusieurs raisons hérétiques pour refuser l’uniforme, le réveil au son du clairon, le garde à vous, l’obéissance aveugle et le pataugeage dans la boue…….on apprendra par contre que la traditionnelle cérémonie des couleurs (….)a littéralement bouleversé les présents
Le lendemain 7 décembre , un deuxième article vantait de nouveau l’initiative , le sabre a ses fans ! Dont d’ailleurs le maire de valence, intronisé tout récemment ( DL du 17/:12) dans la  » réserve citoyenne » dont la mission consiste à « contribuer à la diffusion de l’esprit de défense » ( dont la meilleure est l’attaque, c’est bien connu ) « et au renforcement du lien entre la nation et son armée ».A ne pas confondre avec la réserve du même nom dans l’éducation nationale. Encore que!.. Dans l’EN, la caporalisation des enseignants est en marche  » réforme des colléges » oblige. Maréchal , les revoilà!
Mais j’ai gardé le meilleur pour le fin , avec l’édifiant article ( Ddl du 19/12) assorti de l’émouvante photo des quatre héros  » lourdement armés » de leu pétoires ,qui glorieusement terrassèrent le « dragon au canif »
Dans m folle jeunesse , on chantait une petite comptine dans les manifs contre la loi Debré ( rappel : l’amer michel, non content d’avoir inventé la république du coup d’état permanent et installé durablement le gras financement des écoles privés, avait voulu , en 1973, supprimer les sursis des étudiants pour le service militaire)LLes paroles étaient des plus sobres  » l’armée ça tue, ça pue et ça rend con »
texte d’un libre propos sous la plume de Jean Debraine paru dans le journal du 12/:1/ 2016 la libre pensée ardéchoise

Lecce (Italie) : attaque contre la machine à expulser

note: information à partir de brèves su désordre et pas mal d’informations en lien sur cette page

« Lecce – nous avons détruit deux distributeurs de billets de La Poste italienne, entreprise qui déporte les immigrés des centre de rétention avec sa compagnie aérienne Air Mistral.

Liberté pour ceux qui luttent dans et hors des centres de rétention
Liberté pour tous »

[Traduit de l’italien de informa-azione, Mer, 13/01/2016 – 20:15]

Le coup de la pastille d’iode: une stratégie autoritaire éculée

face à cette perpétuelle campagne de terreur des représentants de l’état se répètent à travers de la presse quotidienne locale : attention danger de catastrophe nucléaire mais on a la pillule miracle.. on le sait que ce comprimé d’iode sa prise et le fantasme qu’il colporte a été déjà dénoncé depuis des années par un texte diffusé par le collectif stop Nogent signé par Roger Belbéoch qu’on peut trouver ici.; On a organisé au laboratoire anarchiste une réunion et une projection d’un tract vidéo bulletin Louise Becquerel qui dans un espace du vidéo tract : « Alors qu’après Tchernobyl , la catastrophe fut nié , les différents pouvoirs orchestrent aujourd’hui sa prise en main. Au coeur d’un monde restructuré par la peur , du réacteur à la cour d’école, du travailleur aux populations.. la simulation nous dit que l’accident aura bien lieu.. Même lorsque la mise enscène semble ratée , elle atteint ses buts : la soumission des corps , l’habituation des esprits à un monde géré militairement , des individus acteurs de leur propre servitude ». Nous ne voulions pas ëtre dans le monde du nucléaire cette obligation nous oblige de réfléchir mais…. Se cacher la tête dans le sable comme les autruches nous indispose avec sa posture inconfortable.

Voici ce qu’écrivait David Macdonald après les bombardements nucléaire sur le sol japonais
« Ceux qui usent d’un tel pouvoir de destruction se retranchent du reste de l’humanité . Ce sont peut être des dieux , , ce sont des brutes mais ce ne sont pas des hommes »
et il continuait ainsi nous devons briser l’état avant qu’il nous brise celui qui veut préserver sa conscience _ et sa peau par la même occasion _ ferait bien de s’autoriser  » des pensées dangereuses » comme le sabotage , la résistance , la révolte et la fraternité.; la démarche intellectuelle qu’on nomme « esprit négatif » est un bon point de départ »
politics août 1945

des tranquillisants contre l’angoisse nucléaire

« La décision de distribuer des comprimés d’iode stable au voisinage des centrales nucléaires françaises a donné lieu à des commentaires d’experts médicaux très proches du lobby nucléaire, pour qui seuls les iodes radioactifs auraient des effets néfastes sur la santé (du moins, c’est ce qu’ils prétendent dans les médias). Ainsi, en prenant ces comprimés d’iode stable, en cas d’accident grave, la population serait totalement protégée. Tout se passe donc comme si le cocktail de radionucléides qui seraient rejetés en même temps que les iodes (césium, ruthénium, argent, strontium, plutonium et autres transuraniens), une fois inhalés et ingérés, n’avaient aucun effet sur la santé. Il est vrai que, contrairement aux iodes radioactifs, qui ont pour cible la thyroïde sur laquelle ils se fixent, ces radioéléments ne donneraient pas d’effets spécifiques facilement identifiables sur des organes particuliers. Il serait donc difficile pour les personnes contaminées de les discerner parmi les maladies « normales » et les experts pourraient facilement camoufler leurs effets.

S’il n’est pas possible pour les individus d’identifier les cancers radioinduits non spécifiques, alors il n’est pas nécessaire pour les gestionnaires et leurs conseillers scientifiques d’en tenir compte, d’autant plus que ces cancers n’apparaîtraient que plus tardivement. Les iodes radioactifs ayant un effet spécifique sur la thyroïde, et cela à relativement court terme (on l’a vu après Tchernobyl avec l’apparition des cancers chez les enfants biélorusses), il n’est donc pas possible de les négliger dans les gestions postaccidentelles. Ainsi, le comprimé d’iode stable devient miraculeusement l’antidote absolu contre les effets des rejets radioactifs en cas d’accident nucléaire grave.

Quelques précisions sur les prises d’iode stable

L’iode stable est administré préventivement pour saturer la thyroïde et empêcher qu’elle n’absorbe ensuite les iodes radioactifs rejetés dans les accidents nucléaires. Dans cette situation, la thyroïde serait protégée des effets du rayonnement causés par ces iodes radioactifs ingérés ou inhalés. (Nous ne discuterons pas ici des contre-indications médicales qui ne sont peut-être pas aussi anodines qu’on nous l’assure.)

Les experts de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR) dans la publication 63 de 1992 (Principes pour l’intervention pour la protection du public en cas d’urgence radiologique) donnent quelques indications sur les procédures à respecter pour que la prise d’iode stable soit efficace. Remarquons que ces experts ont attendu pour nous livrer leurs réflexions que Tchernobyl ait montré indiscutablement le développement de problèmes thyroïdiens, entre autres des cancers, chez les enfants des régions contaminées en Biélorussie, Ukraine et Russie. L’effet désastreux sur la population prenant directement conscience qu’elle avait été contaminée, malgré les dénégations officielles, n’est certainement pas étranger au souci soudain porté aux iodes radioactifs chez les experts internationaux et les gestionnaires nationaux.

La rapidité de la prise d’iode est le point important

La CIPR précise : « L’absorption d’iode radioactif est généralement stoppée cinq minutes après l’administration de cent milligrammes d’iode stable (pour les adultes). » (art. 70) Encore faut-il que cette ingestion d’iode stable soit faite avant que l’iode radioactif ait agi notablement en saturant la thyroïde, ce qu’indique l’article 71 : « Le bénéfice maximum est clairement obtenu en prenant les tablettes d’iode stable avant l’exposition aux iodes radioactifs ou le plus tôt possible après. L’administration quelques heures après l’exposition à une incorporation unique d’iode radioactif peut réduire l’activité de la thyroïde d’un facteur pouvant aller jusqu’à 2. Une petite réduction de la dose à la thyroïde pourrait être obtenue si l’administration d’iode stable est retardée au-delà de six heures et l’action protectrice est nulle au-delà de douze heures après que l’ingestion/inhalation d’iode radioactif a cessé. » Ainsi, la CIPR indique que l’efficacité d’une prise d’iode stable pour réduire les effets des iodes radioactifs est très petite après un délai de six heures pour les personnes sous un panache d’iodes radioactifs.

Prenons ces six heures comme référence. Pour les habitants proches du réacteur à problèmes, il faudrait que le directeur de la centrale donne l’alerte suffisamment longtemps avant le début des rejets pour que tous les gens concernés soient correctement informés (par exemple, qu’ils aient le temps de rentrer chez eux chercher leur comprimé) sinon leur protection serait réduite, voire illusoire, du moins pour le réacteur de leur voisinage, mais pas forcément pour un désastre sur les autres sites. Un vent normal de 20 à 30 km/h transporterait l’iode radioactif à une distance comprise entre 120 et 180 km en six heures. C’est la distance au-delà de laquelle il serait éventuellement possible de se protéger. Un vent plus violent de 40 km/h porte la distance à 240 km. Enfin, dans la vallée du Rhône particulièrement nucléarisée, si le mistral ou la tramontane soufflent à une vitesse d’environ 60 km/h, la distance que l’on pourrait protéger se situe au-delà de 360 km. On voit, compte tenu de l’implantation des centrales nucléaires dans notre pays, que c’est l’ensemble du territoire qu’il faudrait protéger et non pas la population des quelques kilomètres au voisinage des réacteurs.

Le Pr Schlumberger de l’Institut Gustave-Roussy concluait de la façon suivante son article intitulé « Les cancers de la thyroïde après Tchernobyl » publié dans la très officielle revue de la Société française de radioprotection, Radioprotection (1994, vol. 29, n° 3, p. 397-404) : « L’accident de Tchernobyl a montré que les populations vivant à plusieurs centaines de kilomètres de la centrale (région de Brest notamment) (il s’agit de la région de Brest-Litovsk en Biélorussie, à la frontière polonaise) peuvent être fortement contaminées et développer dans les années qui suivent un cancer de la thyroïde.

Ceci montre que les plans d’intervention doivent être établis au niveau d’un pays, voire d’un continent. » On voit que la distribution d’iode dans un périmètre de 5 km autour des centrales françaises est un signe de panique irrationnelle et d’incompétence notoire des autorités qui seraient chargées de gérer une « urgence radiologique » (terme pudiquement utilisé officiellement pour catastrophe nucléaire). Irrationalité non pas par rapport à l’éventualité d’un désastre nucléaire mais par rapport à l’efficacité de ces autorités pour gérer de tels événements. À moins bien sûr que ces distributions de comprimés d’iode stable ne soient pas envisagées pour protéger les thyroïdes de la population mais pour réduire ce que les experts en catastrophes industrielles nomment maintenant le « risque psychologique » qui pourrait conduire les habitants près des centrales nucléaires à exiger rapidement leur mise à l’arrêt. En cas d’accident grave, ce « risque psychologique » pourrait amener des « turbulences sociales » particulièrement redoutées des gestionnaires. Ils espèrent qu’une population qui se croit protégée demeure plus calme. En somme, ces comprimés d’iode stable n’auraient qu’un rôle de tranquillisant. De plus, on essaie par cette procédure de responsabiliser les gens. En somme, s’il leur arrive des ennuis de santé après un accident nucléaire, ce sera parce qu’ils n’ont pas pris correctement leur iode stable. C’est la victime qui devient responsable. Une trouvaille !

Quelques problèmes
– Faut-il donner les comprimés aux enfants quand ils vont à l’école ? Faut-il les confier aux enseignants ?
– Faut-il que les gens qui quittent leur habitation emportent les comprimés avec eux ?
– Faut-il que les étrangers aux communes concernées se déclarent à la mairie pour obtenir leurs comprimés ?
– Comment procéder pour les gens qui habitent hors de la zone concernée par les comprimés et vont travailler dans cette zone ? Devront-ils se déclarer dans les mairies, faudrait-il les ficher ?
– Faut-il avertir les touristes qui ont l’intention de se rendre dans des zones à haut risque qu’ils devront avoir leur comprimé ? Où pourront-ils l’obtenir ? Dans les agences de tourisme ? Dans les syndicats d’initiative ? Dans les mairies ? Ces organismes distributeurs devront-ils être ouverts en permanence 24 h/24 ?
– Si l’information pour la prise d’iode est faite par radio, ne faudrait-il pas fournir à la population des récepteurs à piles pour le cas où l’accident nucléaire s’accompagnerait d’une panne de courant ?

Finalement le système soviétique qui interdisait à la population de se déplacer hors du lieu de résidence sans une autorisation, simplifierait notablement la gestion de ces comprimés d’iode stable. L’organisation autoritaire de la société est probablement la meilleure solution pour gérer l’énergie nucléaire ! »

Roger Belbéoch

Travail et mépris.

juillet 2014 Venant Brisset
« Moi, je fais partie de ceux qui défen­dent que le rap­port au tra­vail n’est pas contin­gent, n’est pas acces­soire, n’est pas anec­do­ti­que, que tout être humain cher­che d’une cer­taine façon à tra­vers le tra­vail l’occa­sion de se mettre à l’épreuve de soi, pour deve­nir soi-même, pour s’accom­plir. Je pense que c’est un inva­riant humain. Le mépris dans lequel est tenu le tra­vail n’est pas d’aujourd’hui. Ça a existé déjà dans l’Antiquité, c’étaient les escla­ves, c’est passé par les serfs de l’Ancien régime, ça conti­nuait avec le tay­lo­risme et le for­disme, et aujourd’hui on est dans le suprême mépris du tra­vail. Cet écart, et cette mani­pu­la­tion qui est faite en faveur du patri­moine et des reve­nus spécula­tifs contre le tra­vail dont on est prêt à détruire toutes les caractéris­ti­ques, celles qui sont néces­sai­res à l’exer­cice de l’intel­li­gence et à l’exer­cice de l’accom­plis­se­ment de soi, oui, je pense que nous sommes dans une évolu­tion qui res­sem­ble beau­coup à une décadence de la civi­li­sa­tion. »

Christophe Dejours

1 Retranscription (par mes soins) de son inter­ven­tion orale dans le docu­men­taire « La mise à mort du tra­vail, com­ment les logi­ques de ren­ta­bi­lité pulvérisent les liens sociaux et humains », réalisé par Jean-Robert Viallet, 2009, France 3 éditions.
I

2 Le docu­men­taire « La mise à mort du tra­vail » est composé de trois par­ties inti­tulées « La des­truc­tion », « L’aliénation », et « La dépos­ses­sion ». L’inter­ven­tion de C. Dejours vient en conclu­sion de la troisième partie : on peut y voir légiti­me­ment le résumé-synthèse de l’enquête.

3 La première partie est consacrée aux trou­bles actuels éprouvés dans le monde du tra­vail : souf­france morale ou phy­si­que dans l’entre­prise, harcèlements, licen­cie­ments dis­ci­pli­nai­res, procédures aux prud’hommes. La deuxième partie est tout entière occupée par l’étude d’une entre­prise de ser­vi­ces, Carglass (réseau de points de répara­tion et de chan­ge­ment de pare-brise) et de ses tech­ni­ques per­ver­ses de mana­ge­ment pour pres­su­rer aussi bien ouvriers que cadres de base. La troisième montre le lien entre le rachat d’une vieille firme indus­trielle, Fenwick (cha­riots élévateurs), par un fond d’inves­tis­se­ment américain (KKR) et ce qui en résulte comme procédures d’extrac­tion de gise­ments de pro­duc­ti­vité, issues du « toyo­tisme », sur les ouvriers de la chaîne de mon­tage et d’exi­gence d’agres­si­vité com­mer­ciale accrue pour les cadres.
II

4 Les notes sui­van­tes pren­nent prétexte de l’inter­ven­tion citée en exer­gue pour dis­cu­ter de la posi­ti­vité du tra­vail face aux tur­pi­tu­des financières, telle que mise en scène dans la contes­ta­tion actuelle du capi­ta­lisme « néolibéral ». Le parti pris cri­ti­que qui sera développé a trouvé dans les apo­ries de C. Dejours une excel­lente occa­sion de se ravi­ver : il consiste à penser que le tra­vail est une acti­vité contrainte, mise en acte d’une domi­na­tion sociale et n’est pas le propre générique de l’homme. Une société humaine pour­rait par­fai­te­ment se repro­duire par la conju­gai­son des apti­tu­des et des affi­nités, avec les tâches col­lec­ti­ves néces­sai­res que l’on connaît ; pour cela il lui fau­drait se débar­ras­ser du fatras de la somme de tra­vail auto-entre­te­nue par et pour la faim tou­jours plus extra­va­gante, car sans limite, de sur­pro­duit/sur­va­leur. Mais ce serait une autre his­toire, celle d’une socia­lité qui aurait décroché du fétichisme du tra­vail et de sa magie pro­duc­tive nour­ris­sant l’aveu­gle­ment hal­lu­ci­na­toire qui ne sait pas per­ce­voir les conséquen­ces nui­si­bles de sa puis­sance illi­mitée. La pro­pa­gande de la société orga­nisée sur l’obli­ga­tion au tra­vail aime à oppo­ser, d’un côté, l’aiguillon réaliste de la nécessité et de la contrainte « extérieu­res », en fait la peur du manque socia­le­ment orchestrée, qui, seules, obli­ge­raient à pro­duire pour la satis­fac­tion des besoins sociaux, et de l’autre, l’utopie d’une acti­vité libre et concertée qui vire­rait vite au far­niente et au dénue­ment subi. Les thuriféraires du progrès et du marché ren­voient à de sim­ples dys­fonc­tion­ne­ments cor­ri­gi­bles les mani­fes­ta­tions en cas­cade engendrées par l’incons­cience qui gît dans le tra­vail : pour­tant, toutes les pol­lu­tions sont fruits du tra­vail et de l’emploi à tout prix…
III

5 La croyance en la « natu­ra­lité » évidente du tra­vail confond la capa­cité excep­tion­nelle de la vita­lité humaine à s’extério­ri­ser et à s’objec­ti­ver avec la pro­duc­tion néces­saire des condi­tions d’exis­tence, dont le niveau et l’étendue res­tent dis­cu­ta­bles. La conni­vence entre domi­nants et dominés inter­vient quand l’éthique du tra­vail adule le piège de l’objec­ti­va­tion débridée et valide l’illi­mi­ta­tion de la pro­duc­tion réclamée par l’accu­mu­la­tion capi­ta­liste. Or, « […] une société vrai­ment libre, une société auto­nome, doit savoir s’auto­li­mi­ter, savoir qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire ou qu’il ne faut même pas essayer de faire ou qu’il ne faut pas désirer. » (C. Castoriadis). Une société de pala­bres aux besoins fru­gaux n’est pas moins humaine. On ne peut cri­ti­quer complètement la sujétion au capi­tal si on ne met pas aussi en cause cette com­pul­si­vité du « faire » qui a refoulé d’autres modes de présence et de face-à-face humain. Car c’est la pro­pen­sion à la puis­sance pra­ti­que, engendrée par la guerre intra-humaine de l’appro­pria­tion et de la reconnais­sance, qui déferle et sac­cage le monde natu­rel.

6 Il n’est ni fatal, ni dans la nature de l’homme que la seule objec­ti­va­tion où il puisse s’accom­plir soit l’acti­vité dis­ci­plinée, systémati­que appelée tra­vail. On pro­duit certes rare­ment tout en jouant, mais effort, concen­tra­tion, ingéniosité sont bien davan­tage les caractéris­ti­ques d’une acti­vité libre que celles du tra­vail contraint-pour-la-paie.
IV

7 Cependant, il n’est pas ques­tion de désamor­cer la ques­tion de la cen­tra­lité supposée néces­saire du tra­vail en pro­po­sant de reléguer les tâches de pro­duc­tion de la richesse sociale, que les col­lec­ti­vités auraient jugées indis­pen­sa­bles, aux bons soins d’une machine sur­so­cia­lisée et auto­ma­tisée — il fau­drait tou­jours des dépan­neurs d’urgence d’astreinte. Et à l’inverse, on ne peut pas sortir de la problémati­que épineuse de la com­bi­nai­son sociale de tâches dis­tinc­tes et de l’échange de leurs fruits, en croyant tout faire par soi-même ou à défaut au sein de peti­tes col­lec­ti­vités autar­ci­ques. La nécessité rela­tive de pro­duire « les condi­tions d’exis­tence » et la mobi­li­sa­tion que cela requiert est sou­vent discutée sous l’angle de la pro­duc­ti­vité atteinte par les machi­nes qui épar­gne­rait du labeur, mais rare­ment sous l’angle de ce qui existe déjà, fruit de la longue his­toire humaine, des bâtiments aux ponts et aux four­chet­tes… qui ne néces­si­te­rait plus dans un monde sensé d’être fabriqué à nou­veau — alors que le capi­ta­lisme détruit cyni­que­ment pour pou­voir mettre en œuvre à nou­veau du tra­vail exploi­ta­ble. À rebours, on peut faire l’hypothèse qu’à des périodes his­to­ri­ques définies la cen­tra­lité de l’acti­vité pro­duc­tive a pu être légitime sans être tota­le­ment tri­bu­taire de l’extor­sion du sur­pro­duit par la classe domi­nante : par exem­ple, quand des popu­la­tions se séden­ta­ri­saient dans de nou­vel­les contrées, ou dans une phase de recons­truc­tion après tempêtes, séismes, etc. Désor­mais, cette cen­tra­lité est main­te­nue arti­fi­ciel­le­ment : on tente à toutes forces de main­te­nir le tra­vail comme seul medium de reconnais­sance sociale, alors que son inconsis­tance en qualité et en quan­tité atteint des som­mets ; en réalité, c’est la dépen­dance à la machine glo­bale sur­so­cia­lisée (concen­tra­tion urbaine, infor­ma­ti­sa­tion, etc.) qui est requise et effec­tive.
V

8 La dis­cus­sion néces­saire s’arti­cule à partir des deux ver­sants sui­vants de la ques­tion : premièrement, le tra­vail est his­to­ri­que­ment une acti­vité dirigée, dans une société de clas­ses, et sou­mise à des fina­lités qu’elle ne maîtrise pas : la pour­suite sans fin d’une richesse ou d’un dévelop­pe­ment, vola­tils ou abs­traits et sans rap­port avec l’épanouis­se­ment de la sen­si­bi­lité humaine ; deuxièmement, et même si est bien prise en compte l’acuité des problèmes que des popu­la­tions ren­contre­raient « libre­ment » pour s’appro­vi­sion­ner, la place de cette nécessité n’est pas fata­le­ment appelée à être reconduite comme cen­trale. C’est par la dis­pro­por­tion atteinte dans les sociétés humai­nes par le poids écra­sant d’une écono­mie folle et incontrôlable que l’on peut être porté au sen­ti­ment que cette énormité obs­true l’avenir, et ne peut plus être assumée que sous la contrainte — dont la situa­tion japo­naise post-Fukushima de ges­tion de la soi-disant « déconta­mi­na­tion » nous donne un aperçu.
VI

9 Revenons précisément aux incohérences « cohérentes » de C. Dejours, tant il est vrai que l’idéologie est tou­jours une fausse ratio­na­lité : en tant que psy­chia­tre-psy­cha­na­lyste Christophe Dejours est connu pour avoir été, dans les années 1990-2000, un des pion­niers de la recher­che sur la souf­france (moderne) au tra­vail. Mais il ne s’éloigne pas de la ligne théorique freu­dienne qui natu­ra­lise le tra­vail — puisqu’un des symptômes de la névrose se mani­fes­te­rait par la dif­fi­culté à tra­vailler —, sans même détailler l’his­toire de ses formes suc­ces­si­ves. Certes, le tra­vail peut être idéalisé dans la figure de l’arti­san ébéniste qui s’accom­plit dans son œuvre par exem­ple, sans même parler du tra­vail gra­ti­fiant du médecin, etc. mais ces formes de tra­vail sont si peu domi­nan­tes qu’elles n’ont pas grand-chose de commun avec le sala­riat généralisé. Néanmoins, dans son inter­ven­tion, il ouvre la boîte de Pandore à son détri­ment, puisqu’il place le tra­vail comme sup­port et fac­teur renou­velé d’un rap­port de mépris de la classe domi­nante envers la classe dominée, qui pour­tant la sert, mais sans qu’il nomme ce rap­port de clas­ses ; car c’est le tra­vail dans son essence huma­ni­sante qui parait méprisé et non les tra­vailleurs, acteurs concrets. La contra­dic­tion dans laquelle les êtres humains qui tra­vaillent « cher­che­raient d’une cer­tain façon à tra­vers le tra­vail l’occa­sion de se mettre à l’épreuve de soi, pour deve­nir soi-même, pour s’accom­plir » en s’y fai­sant mépriser n’est pas pensée par C. Dejours, et parait inso­lu­ble et fan­tas­ma­go­ri­que, puis­que « le mépris dans lequel est tenu le tra­vail n’est pas d’aujourd’hui. »

10 La courte argu­men­ta­tion orale de Dejours, forcément moins élaborée qu’une synthèse écrite, laisse de ce fait trans­paraître les fon­da­men­taux de sa pensée : par delà l’inva­riance du besoin de s’accom­plir dans le tra­vail poin­te­rait l’inva­riance de la domi­na­tion et donc la natu­ra­li­sa­tion de la scis­sion de la société en clas­ses. Ou bien, si peu que le tra­vail ne soit pas abso­lue contrainte, il en irait alors d’un maso­chisme fon­cier chez les tra­vailleurs à croire — et vou­loir — s’accom­plir là où ils sont méprisés. En défini­tive, le piège dans lequel s’entor­tille l’huma­nité pour extério­ri­ser sa vita­lité c’est de se cons­ti­tuer pri­sonnière dans des rap­ports de sujétion par les­quels il lui semble qu’il faut imman­qua­ble­ment passer pour expri­mer cette vita­lité.
VII

11 À suivre la cri­ti­que de la seule « finan­cia­ri­sa­tion » du monde, il ne pour­rait pas y avoir conni­vence entre tra­vail et domi­na­tion financière. À trop idéaliser ce qui reste de contenu du tra­vail (les savoir-faire, les com­mu­nautés et liens sociaux mis en place par le tra­vail) qui serait exploité et détourné de ses poten­tia­lités his­to­ri­ques (l’abon­dance dans la joie), cette cri­ti­que en vient à occulter la conni­vence dans la forme. Ainsi il est devenu admis par tout le monde qu’il suffit de tenir un seg­ment de la divi­sion du tra­vail si petit soit-il — par exem­ple, pour citer un tra­vail on ne peut plus hors sol et arti­fi­ciel, pro­gram­meur de jeux vidéos sur l’inter­net — pour avoir accès, par son revenu monétaire, à toutes les mar­chan­di­ses du monde, au point même de négliger toute repro­duc­tion par soi-même sans la média­tion de l’échange mar­chand : nour­ri­ture indus­tria­lisée, santé, jusqu’à la procréation main­te­nant bio­lo­gi­que­ment assistée… Pouvoir par­ti­ci­per soi-disant au monde par l’inter­net et ses lon­gues heures de surf vau­drait bien de négliger de faire sa cui­sine, a for­tiori si cela sup­pose d’avoir au préalable cultivé son jardin. La conni­vence inter­vient aussi à d’autres niveaux : la reconnais­sance de soi par les autres tra­vailleurs, voire même par les maîtres, et l’iden­ti­fi­ca­tion au statut socio-pro­fes­sion­nel, prévalent par rap­port au ques­tion­ne­ment sur la fina­lité de ce qui est pro­duit. Le temps libre est lui aussi colo­nisé par la com­pul­si­vité du faire — la grande dis­tri­bu­tion spécialisée dans le bri­co­lage, qui en jouit, en sait quel­que chose — au détri­ment du bavar­dage, du débat sur les orien­ta­tions com­mu­nes, de la médita­tion…
VIII

12 Le tra­vail serait mal­traité sans voir que c’est le tra­vail qui est mal­trai­tance en tant qu’il est acti­vité contrainte — ou auto-suggérée par impératif exis­ten­tiel sous condi­tion­ne­ment cultu­rel de « rem­plis­sage », selon lequel le tra­vail seul apporte consis­tance à l’exis­tence. La morale dif­fuse « qui ne tra­vaille pas ne mange pas1 » reste menaçante en Occident malgré les « amor­tis­seurs sociaux », et active là où le capi­ta­lisme pénètre encore sau­va­ge­ment à l’heure actuelle. Sous l’empire de cette sanc­tion sociale, se sura­jou­tent, au sein de cette acti­vité non-libre, les liens de subor­di­na­tion à la hiérar­chie, à la pro­duc­ti­vité socia­le­ment requise, etc.

13 La concep­tion de Dejours ne dépasse pas la représen­ta­tion citoyen­niste dif­fuse qui voit dans le tra­vail cet inva­riant « natu­rel » à la puis­sance pro­duc­tive magi­que, et au poten­tiel « socia­li­sant » mal­heu­reu­se­ment dépouillé et mar­ty­risé par la spo­lia­tion financière — au point de rendre aveu­gles ses contemp­teurs, oublieux des usines d’arme­ments, de l’indus­trie chi­mi­que nocive, etc. Dejours s’aide pour cela d’une ten­ta­tive d’his­to­ri­ci­sa­tion en opérant une césure entre un « avant » et ce « main­te­nant » où le mépris attein­drait un tel degré dans le mana­ge­ment des DRH (direc­tion des rela­tions humai­nes dans les entre­pri­ses, conseillées par tant de consul­tants) que cela enga­ge­rait « une décadence de la civi­li­sa­tion ». Le vieil illu­sion­nisme ata­vi­que bour­geois de la croyance quasi phi­lan­thro­pi­que de donner du tra­vail aux pau­vres, abou­ti­rait cette fois au cynisme. Comme si Dejours se rete­nait de conclure que tra­vail et mépris devien­nent d’autant plus consub­stan­tiels que le tra­vail est plus entièrement soumis à une fin « autre ». Flexibilité et précarité aidant, la force de tra­vail dis­po­ni­ble, deve­nue varia­ble d’ajus­te­ment, sans atta­che et sans base arrière, serait, aux yeux des décideurs rivés sur leur réalisme com­pu­ta­tion­nel, plus mépri­sa­ble du fait de cette dis­po­ni­bi­lité abs­traite.
IX

14 On est bien loin de la situa­tion décrite à la fin du XIXème siècle où les ouvriers pari­siens fiers de leurs métiers et de leurs savoir-faire, dans les­quels sub­sis­taient encore des restes de la sou­ve­rai­neté de l’arti­san, s’appe­laient entre eux Les Sublimes2, se repo­saient le lundi de leurs excès du diman­che et se fai­saient cour­ti­ser par des patrons en concur­rence entre eux, en fai­sant monter les enchères. À l’opposé, c’est la dis­po­ni­bi­lité comme force de tra­vail libre sur le marché libre, cette situa­tion d’avoir été arrachés à leurs condi­tions d’exis­tence ver­na­cu­laire, et donc d’être deve­nus sans atta­che, bientôt sans culture propre, réduits à n’être que du nerf et du muscle, qui pla­cent les prolétaires en quête de tra­vail dans cette situa­tion d’abais­se­ment. Autrement dit, la mise en dis­po­ni­bi­lité pour-le-tra­vail, par l’indi­vidu lui-même est, antérieu­re­ment à son exploi­ta­tion dans l’acte pro­duc­tif lui-même, son pre­mier abais­se­ment. S’il est sans atta­che en général, il est en revan­che rivé à cette dis­po­ni­bi­lité ; et d’autant plus que celle-ci ouvre sur toutes les média­tions socia­les domi­nan­tes (reconnais­sance, consom­ma­tion, rang hiérar­chi­que, etc.). Paradoxalement, cette capa­cité abs­traite de tra­vail3 peut jouer comme fausse uni­ver­sa­lité immédiate d’être prêt à tout, de savoir bouger, contre l’enfer­me­ment dans un savoir-faire par­ti­cu­lier. Les progrès de l’aliénation pren­nent le lan­gage de la désaliénation pour mieux se faire accep­ter.
X

15 Contrairement à ce que pou­vait penser la cri­ti­que sociale radi­cale de la fin du XXème siècle, ce n’est pas d’être sans atta­che et sans base arrière qui prédis­pose 1e plus celui qui « n’a aucun pou­voir sur sa vie et qui le sait » (défini­tion du prolétaire par l’Internationale situa­tion­niste) à voir dans son alter ego un com­plice pour la lutte. L’abais­se­ment et le mépris4 dans les­quels les prolétaires sont tenus leur font plutôt par­ta­ger une méses­time d’eux-mêmes. Corrélati­ve­ment, ils renon­cent à dis­pu­ter aux élites l’interêt pour les affai­res com­mu­nes et a for­tiori ne sont pas à même d’ima­gi­ner un projet col­lec­tif d’une vie digne d’être vécue. C’est d’ailleurs cette souf­france-là qui est le plus sou­vent com­bat­tue dans les situa­tions de conflit par l’exi­gence de « dignité ». Ce slogan apparût notam­ment à l’occa­sion de la grande grève des mineurs anglais (1984-85) où ceux-ci redécou­vri­rent qu’ils étaient non seu­le­ment exploi­ta­bles mais sur­tout jeta­bles. Ce même sen­ti­ment d’offense subie de par la vio­lence de la socia­li­sa­tion capi­ta­liste et de son échec crois­sant à intégrer par le tra­vail, ren­voie les gens à des cris­pa­tions et retraits iden­ti­tai­res et com­mu­nau­tai­res. De telles ten­sions et ten­ta­tions ne sont pas anta­go­ni­ques à l’immer­sion générale dans le spec­ta­cle des mar­chan­di­ses et de leurs signes, dont elles vou­draient juste cons­ti­tuer un contre­poids spi­ri­tua­liste.
XI

16 Parce que le tra­vail est une acti­vité hétéronome, c’est-à-dire régie par une fina­lité autre que celle de son propre accom­plis­se­ment (sou­mis­sion aux règles de la classe domi­nante ges­tion­naire de la valo­ri­sa­tion : ren­ta­bi­lité des capi­taux inves­tis, pro­duc­ti­vité imposée par la concur­rence, etc.), il porte en lui sa propre déchéance pro­grammée.

17 Une acti­vité auto­nome, quant à elle, se déploie animée de sa propre vita­lité com­mu­ni­ca­tive (le jardin pota­ger en est l’illus­tra­tion, vers quoi s’orien­tent de plus en plus de gens man­quant désespérément d’une acti­vité direc­te­ment nour­ricière qui ait du sens ; mais on ne refonde pas des rap­ports sociaux sur la mul­ti­pli­ca­tion des petits lopins de terre, même s’ils sont indis­pen­sa­bles !). La ques­tion du pas­sage d’une acti­vité auto­nome à une acti­vité hétéronome est cru­ciale et sauve du tra­vers d’idéaliser l’acti­vité auto­nome : celle-ci coexiste actuel­le­ment en effet avec le système global hétéronome (l’écono­mie folle régie par ses paramètres délirants) qui, du fait de son effi­ca­cité tech­no­lo­gi­que et de sa concen­tra­tion, sou­lage l’exis­tence de tâches ardues (la tronçonneuse pour le bois de chauf­fage ou le gaz natu­rel pour la cui­sine, par exem­ple) et main­tient para­doxa­le­ment la pos­si­bi­lité d’acti­vité auto­nome (cui­si­ner, par exem­ple). Le système hétéronome, qui se dirige tout seul parce qu’échap­pant à tout contrôle, ne « s’échappe » pas parce qu’il serait l’addi­tion enchevêtrée d’acti­vités auto­no­mes ; mais pour­tant il a bien fallu que des acti­vités auto­no­mes se sou­met­tent à des fins autres qu’elles-mêmes (la conver­ti­bi­lité en argent pour s’acquit­ter de frais fixes crois­sants) pour trans­mu­ter et s’amal­ga­mer en un système imbriqué et auto­di­rigé.
XII

18 La sou­mis­sion gra­duelle et pro­gres­sive de l’acti­vité auto­nome à des média­tions qu’elle ne contrôle pas est un pro­ces­sus qui cons­ti­tue le tra­vail comme dépense d’énergie étrangère à soi. À l’inverse, ce qu’on entend par acti­vité auto­nome ne peut pas être ramené à la seule acti­vité per­son­nelle de son goût. Activité auto­nome ne veut pas dire acti­vité régie par le seul libre arbi­tre indi­vi­duel. La « maîtrise de la fina­lité » n’est pas acquise avec la seule satis­fac­tion de besoins matériels intan­gi­bles : elle est atteinte quand l’acti­vité de pro­duc­tion et de trans­for­ma­tion ne sont pas dis­join­tes de la vie sociale, qu’elles en épou­sent les inflexions, les relâche­ments, les ryth­mes plutôt que l’inverse.

19 La résis­tance à l’indus­tria­lisme — pro­ces­sus au long cours — est la pro­tes­ta­tion de rap­ports com­mu­nau­tai­res que tente de défaire le surcroît de média­tions. Même les ouvriers liber­tai­res bar­ce­lo­nais en 1936-37-38 renâclèrent à conti­nuer de servir le même pro­ces­sus tech­ni­que indus­triel malgré le chan­ge­ment du statut juri­di­que de l’entre­prise (col­lec­ti­vi­sa­tion ou socia­li­sa­tion) et sa prise en main par la ges­tion syn­di­cale.
XIII

20 On ne peut pas plus évacuer, en l’incri­mi­nant, la nos­tal­gie du tra­vail arti­sa­nal et de la faible imbri­ca­tion d’acti­vités indi­vi­duel­les et col­lec­ti­ves jalou­ses de leur sou­ve­rai­neté. Nostalgie qui n’est pas dénuée de fon­de­ment. Pas plus qu’on ne peut igno­rer la contra­dic­tion pro­voquée par le haut degré atteint par la socia­li­sa­tion indus­trielle du tra­vail. Des théori­ciens socia­lis­tes se pre­naient à rêver de la voie royale qui enga­ge­rait l’huma­nité vers la socia­li­sa­tion auto­ma­ti­que de ses pro­duits, puisqu’on ne pour­rait plus détailler ce qui est tri­bu­taire de l’effort des uns ou des autres. Mais a contra­rio, la conséquence serait l’inévita­ble dépos­ses­sion par un pro­ces­sus intégré que les pro­duc­teurs de base ne maîtri­se­raient plus. L’inten­si­fi­ca­tion de la divi­sion du tra­vail et son arti­cu­la­tion tech­no­lo­gi­que éloi­gnent de plus en plus le rêve de cette maîtrise sou­haitée/regrettée. Le sub­ter­fuge théorique qui consiste à résoudre ce hiatus par la pos­si­bi­lité néces­saire de démocra­tie directe per­met­tant de réduire par le débat la dis­tor­sion entre la concep­tion et l’exécution, ne serait pos­si­ble que dans des rap­ports de temps et d’espace déjà jus­te­ment maîtrisés c’est-à-dire dégagés de la pres­sion d’un besoin immédiat (l’anti­que faim, par exem­ple, ou la pro­tec­tion moderne vis-à-vis des radia­tions nucléaires). L’aspi­ra­tion révolu­tion­naire recher­che les moyens de casser la double coer­ci­tion en cas­cade de l’argent sur l’acti­vité et de l’acti­vité conséquem­ment trans­formée en tra­vail sur l’indi­vidu. Disposer de temps pour la cons­cience, et jouir d’une rela­tive auto­no­mie locale qui évite d’avoir à tout mettre, tout le temps, les décisions en débat, voilà la liberté !
XIV

21 La maîtrise de la fina­lité de l’acti­vité exige que le pro­duit concret ne soit pas tourné contre les rap­ports com­mu­nau­tai­res (pro­duits chi­mi­ques nocifs, armes, etc.) et que sa des­ti­na­tion à l’usage cou­rant ne soit pas appro­priée que par quel­ques uns. Ce qui s’accom­pa­gne de cette autre ques­tion de la dépense sans comp­ter à laquelle pour­rait cor­res­pon­dre l’idée qu’on se fait de l’acti­vité vitale : chacun, au bout du compte, pou­vant se trou­ver déjà contenté par sa débauche d’énergie vitale et de ce qu’il aura reçu aussi bien dans le moment lui-même par la présence cha­toyante des autres, qu’ensuite, on allait dire « en retour », sans que pour autant se soit main­te­nue l’inquiétude sour­noise du calcul empreint de méfiance de qui donne quoi et en quelle quan­tité pour qui, et vice-versa. Au vu de l’embal­le­ment « en temps réel » de la comp­ta­bi­lité délirante du capi­ta­lisme tardif, il pour­rait deve­nir infi­ni­ment plus simple en se pas­sant du calcul d’évincer du même coup les acti­vités capi­ta­lis­tes qui ont besoin du calcul. L’abs­trac­tion fan­tas­ma­go­ri­que de valeur qui gît dans les pro­duits du tra­vail a perdu toute sub­stance et ne peut plus agen­cer les rap­ports sociaux. La complémen­ta­rité des tâches humai­nes dans leur diver­sité ne peut pour­sui­vre son cours qu’en désamorçant la stan­dar­di­sa­tion de la pro­duc­ti­vité et de ses cal­culs déments.
XV

22 La représen­ta­tion d’une huma­nité débar­rassée des exploi­teurs par­ti­cu­liers s’est tou­jours colorée d’une « sur­so­cia­li­sa­tion » où la vie indi­vi­duelle en de peti­tes col­lec­ti­vités devait être médiée par l’acti­vité sociale glo­bale (d’où la méfiance à l’égard du « petit-lopin-de-terre »), sous peine que res­sus­cite l’enri­chis­se­ment privé. Cette ten­dance à la bureau­cra­ti­sa­tion de l’exis­tence ne pour­rait être com­bat­tue que par la réappro­pria­tion la plus directe pos­si­ble des moyens d’exis­tence, d’autant plus faci­le­ment réali­sa­ble qu’on se sera débar­rassé du fatras de pseudo besoins aux­quels la pro­duc­tion indus­trielle a accou­tumé les popu­la­tions pour écouler ses mar­chan­di­ses. Pour rendre impos­si­ble l’enri­chis­se­ment matériel privé, il convien­drait de sous­traire l’échange à la quan­ti­fi­ca­tion et corol­lai­re­ment à tout inter­face qui contienne une fonc­tion de thésau­ri­sa­tion. Selon les mots de Lewis Mumford, la libération à l’égard du tra­vail pour­rait s’accom­plir « […] par­tout où l’acti­vité vitale est comptée pour une aussi grande récom­pense du labeur que le pro­duit. »
XVI

23 Cette crise du capi­ta­lisme donne le sen­ti­ment que tout paraît se dénouer : l’alibi du tra­vail et de ce qu’il pro­duit en devient même super­flu. Cette inconsis­tance du tra­vail, son caractère mobi­li­sa­ble ou jeta­ble à volonté court-cir­cui­tent en quel­que sorte les pers­pec­ti­ves his­to­ri­ques fondées sur une réorien­ta­tion « ration­nelle » du tra­vail. Ou bien engen­drent l’idéali­sa­tion d’un tra­vail peu socia­lisé (l’arti­sa­nat). La « capa­cité abs­traite de tra­vail », deve­nue visi­ble dans cette attente des chômeurs stockés en vue d’une tou­jours plus hypothétique reprise, para­lyse la mise en œuvre des tâches vita­les. Tout peut se jouer dans le mou­ve­ment par lequel les éner­gies vita­les pour­raient se sous­traire à cette « dis­po­ni­bi­lité » en sus­pens, feraient le compte de ce qui leur est vrai­ment néces­saire et enga­ge­raient sa réali­sa­tion non plus comme tâche cen­trale qui réunit, mais comme une des moda­lités qui accom­pa­gnent les inflexions, leur gravité ou leur fan­tai­sie, des rap­ports humains. C’est forte de cette cer­ti­tude que la séces­sion pour­rait se pro­pa­ger, tant il est vrai que c’est l’incer­ti­tude de l’entre-aperçu « révolu­tion­naire » qui fait encore adhérer les popu­la­tions au capi­ta­lisme et à son système de rançonne­ment et d’arrai­son­ne­ment.

24 Dès lors, la fonc­tion du tra­vail dans la domi­na­tion n’en n’apparaît que trop bien : sa cen­tra­lité est non pas celle de la nécessité pro­duc­tive de biens d’usage mais d’être « che­ville ouvrière » de la domi­na­tion : mobi­li­ser pour le tra­vail — et l’on a vu dans cette phase « finale » du capi­ta­lisme à quel type de pro­duc­tion imbécile et nocive on a pu mobi­li­ser les indi­vi­dus — c’est priver les indi­vi­dus de liberté et de leur capa­cité à faire monde par eux-mêmes.
XVII

25 Les présentes notes cri­ti­ques auront été réussies si on en retire l’assu­rance que ce n’est pas en confiant aux machi­nes les tâches pro­duc­ti­ves qu’on résoudra la ques­tion du tra­vail, ni en l’inno­cen­tant de son accou­ple­ment mor­bide avec le capi­tal. Alors que l’enchan­te­ment du monde était supposé découler d’une pro­duc­ti­vité ahu­ris­sante, le besoin de tra­vail, sous la forme d’emplois, se fait tou­jours autant lugu­bre­ment sentir. C’est dire si l’allègement de la charge pro­duc­tive dépend en fait de l’orga­ni­sa­tion, c’est-à-dire de la culture d’une société : rien d’éton­nant puis­que, à l’inverse, c’est le capi­ta­lisme qui a fait peser sur le tra­vail lui-même la charge d’être l’unique colonne vertébrale de la société. La dyna­mi­que incontrôlable et nocive du tra­vail est recelée dans la dis­jonc­tion à devoir obéir à une hiérar­chie ou aux nécessités désin­carnées du marché, ce qui mène à igno­rer ce que devien­nent le pro­duit du tra­vail ou les éléments du procès de tra­vail (com­po­sants chi­mi­ques, déchets, etc.). L’acti­vité vitale, en matière de pro­duc­tion de biens matériels et immatériels, peut deve­nir cons­ciente d’elle-même si elle sait s’auto-diri­ger et par conséquent, par exem­ple, modérer ses appétits, ce que l’attrait d’autres foyers de sen­si­bi­lité pro­vo­quera imman­qua­ble­ment.
XVIII

26 « […] l’argent a résolu cette tâche de réaliser la liberté de l’être humain pour ainsi dire au sens pure­ment négatif. Ainsi l’immense danger que la monétari­sa­tion représen­tait pour le paysan s’ins­crit dans un système général de la liberté humaine. Ce qu’il a gagné, assurément, c’est de la liberté, mais une liberté qui le libère de quel­que chose, au lieu de le libérer pour quel­que chose ; en appa­rence, assurément, la liberté de tout faire (puisqu’elle n’est jus­te­ment que négative), mais de ce fait, en réalité, une liberté sans la moin­dre direc­tive, sans le moin­dre contenu déterminé et déter­mi­nant, et qui dis­pose donc l’indi­vidu à cette vacuité et à cette inconsis­tance où rien ne s’oppose aux pul­sions nées du hasard, du caprice ou de la séduc­tion : conformément à la destinée de l’humain sans amar­res, qui a aban­donné ses dieux et dont la “liberté” ainsi gagnée n’est que la licence d’idolâtrer n’importe quelle valeur passagère. »

27 Georg Simmel, La Philosophie de l’argent▪

(à suivre)

Lozère, 4 octo­bre 2012

Notes

1 – Cette morale était aussi com­mune au mou­ve­ment ouvrier et on la trouve par exem­ple sous la plume de Marx dans un compte rendu du congrès de Genève de la Première Internationale (1865) in « L’Éman­ci­pa­tion des tra­vailleurs », une his­toire de la Première Internationale, Mathieu Léonard, La Fabrique, 2011.

2 – Le Sublime, ou l’ouvrier comme il est en 1870, et ce qu’il peut être, Denis Poulot, 1870, réédition Maspero, 1980.

3 – Selon le concept de Franck Fischbach dans : La Privation de monde. Temps, espace et capi­tal, 2011, Ed. Vrin.

« […] la réduc­tion du tra­vail aux seules acti­vités pro­duc­tri­ces de valeur engen­dre une muti­la­tion du tra­vail dans la mesure où il est, à l’inverse de cette res­tric­tion, une acti­vité sus­cep­ti­ble d’adop­ter une variété quasi infi­nie de formes ; soit, inver­se­ment, en mon­trant que cette réduc­tion a para­doxa­le­ment pour effet de conférer au tra­vail un rôle et une fonc­tion extra­or­di­nai­re­ment étendus qui consis­tent à faire de lui le por­teur et le vec­teur de toutes les média­tions socia­les. On montre alors, avec Moishe Postone, que dans une société fondée sur l’abs­trac­tion et la valo­ri­sa­tion de la valeur, il revient indûment au tra­vail, à la fois comme tra­vail abs­trait et comme capa­cité abs­traite de tra­vail, d’assu­mer le rôle de por­teur des média­tions socia­les dans leur ensem­ble. » (p. 132).

Lire aussi du même : « Libérer le tra­vail ou se libérer du tra­vail, Simone Weil lec­trice de Marx », in Cahiers Simone Weil, tome XXXII-no 4, décembre 2009.

4 – Axel Honneth, qui pour­suit l’acti­vité de l’Institut de recher­che sociale de Francfort, plus connu comme École de Francfort qui a donné nais­sance à la Théorie cri­ti­que (Adorno, Horkheimer, Marcuse, etc. ) a publié des études sur « la société du mépris » (tra­duit en France en 2006, éd. La Décou­verte, Paris) qui condui­sent à incor­po­rer la dimen­sion morale de rabais­se­ment ou de la reconnais­sance dans la sou­mis­sion de l’exploité.

Documents joints

Travail et mépris suivi de Quelques mots sur ton texte “Travail et mépris”
(Format livret recto/verso – 5 feuilles A4, PDF – 193.1 ko)

lu et copié collé à partir de temps critique