Archives de catégorie : General

Paris, France : Incendie de véhicules de la mairie en solidarité – 26 mars 2019

Répandre la RAGE

S. est en taule depuis un an. Il est accusé de l’incendie de plusieurs véhicules de la gendarmerie, à Limoges le 18 septembre 2017, pendant le procès Quai de Valmy.
Nous sommes parmi celles et ceux qui ne sont pas rester en silence face à cette affaire répressive. Aujourd’hui nous n’abandonnerons pas un compagnon qui est dans les mains de l’Etat.

Comme petit geste de solidarité avec lui la nuit du 26 mars on a mis le feu à deux camionettes et une voiture de la Mairie de Paris, rue Corvisart (13ème).
Parce que toute structure de l’état doit être détruite, que ce soit une caserne ou une école, une prison ou une CAF, une centrale nucléaire ou un hôpital, une voiture des flics ou de la Mairie, pour créer la possibilité de la liberté pour chacun.e

Solidarité aussi avec les compagnon.ne.s sous procès en Italie pour l’opération Scripta Manent (et celleux qui font face aux autres opérations répressive).

Liberté pour tous et toutes !
Vive l’anarchie !

[Publié sur Attaque, 27.03.2019]

Brosso,Piémont, Italie: Dimanche 31mars Sole et Baleno vivre dans la lutte

le 31 à  9 heure on se retrouve sur la place de Brosso

à 10 heure des interventions et après départ de la marche vers la Cavallaria (repas tiré du sac)

porter des vêtements de montagne.. au cas  de mauvais temps on se retrouvera dans un lieu à couvert


Retour sur la lutte en Val Susa et sur la mort des compagnons Sole et Baleno

Le 28 mars 1998 mourait Edoardo Massari dans la prison des Vallette. Baleno [1], comme l’appelaient les amis et les compagnons, était retrouvé pendu au lit de sa cellule. L’anarchiste, le poseur de bombes, le voleur, le « terroriste » s’en est allé, vivant dans le feu d’une existence hors-la-loi. L’État pensait alors avoir éteint avec un cercueil l’étincelle de la révolte que Baleno attisera pourtant à jamais dans le cœur de ceux qui luttent.
Edoardo avait été arrêté chez lui le 5 mars, pris à l’aube avec son ami Silvano et sa compagne Sole (Soledad Rosas) par la police de Turin. Tous trois ont été accusés de faire partie d’une fantomatique association subversive.
Quelques mois après la mort de Baleno, Sole a décidé de le suivre. Le 11 juillet au matin, elle s’est ôtée la vie en se pendant dans les WC de la communauté dans laquelle elle était en résidence surveillée : elle avait 24 ans.

Les juges turinois Laudi et Tatangelo, avec les pontes du commissariat, avaient décidé d’attribuer aux anarchistes la responsabilité des nombreux sabotages survenus en Val Susa contre le projet d’un train à grande vitesse (TAV). Ils avaient décidé de faire carrière, de devenir célèbres. Ils avaient décidé d’assassiner Edoardo et Sole. La capture des trois anarchistes a déclenché une salve d’applaudissements.
Tous –des politiciens aux industriels, des journalistes aux spéculateurs– avaient intérêt à trouver des responsables (peu importe qu’ils soient vrais ou présumés) aux attaques survenues en Val Susa. Les premiers pas de ce qui, des années plus tard, allait devenir la lutte emblématique contre les nuisances imposées par le progrès, le « David contre Goliath » qui inspirera tant de mouvements dans toute l’Italie, devaient être tués dans l’oeuf. L’hostilité des habitants de la vallée ne pouvant être achetée, il fallait au moins la priver d’une partie des armes auxquelles elle aurait pu avoir recours. En particulier, d’une des pratiques les plus craintes par les puissants et constituant depuis toujours le patrimoine des exclus : le sabotage.

Nier, y compris face à l’évidence, que les actions accomplies en Val Susa aient été l’expression d’un mépris collectif face à l’énième abus de pouvoir ; taire le fait évident que les sabotages aient été le fruit de mains et d’esprits différents, pas forcément « politisés » ; enfermer l’affrontement et le mal-être diffus au sein d’une guerre « privée » : d’un côté l’État, les entrepreneurs, les financiers du TAV, et de l’autre, les anarchistes. La population locale ? Ceux qui subiront directement les conséquences du train ? Hors-jeu.
Le piège tendu par les enquêteurs a fonctionné et l’attention générale –y compris celle des mouvements « antagonistes »– s’est déplacée du Val Susa aux rues de Turin. Immédiatement après les arrestations, une grande « campagne de solidarité » en faveur des trois anarchistes accusés a démarré à Turin. Une mobilisation qui a réussi à faire descendre dans la rue des centaines de manifestants. Dans d’autres villes d’Italie, les initiatives n’ont pas manqué : des manifs improvisées aux rassemblements, des blocages de rue aux actions de perturbation, et jusqu’aux sabotages de différentes structures de dévastation et d’oppression. Ce furent des jours d’intense activité, suivis de dizaines de plaintes, vérifications d’identité et perquisitions.
Les contrôles de police se sont resserrés sur chaque anarchiste, sur les amis des trois arrêtés et sur leurs familles. Les organes de presse –des plus conservateurs aux plus progressistes– se sont déchaînés en une meute visant à isoler totalement aussi bien les trois subversifs incarcérés que toute personne qui se solidarisait avec eux. Les anarchistes étaient présentés –en fonction de la « couleur » du journaliste– comme des êtres sanguinaires, des fous, des provocateurs, ou plus simplement comme des inadaptés sociaux. C’est à ce moment-là qu’a été créée la catégorie sociologique du « squatteur » : terroriste ou paria.

Les positions des anarchistes, et en particulier celle d’Edoardo, ont été mystifiées ou tues, au point même d’être effacées de la scène : le spectacle médiatique triomphait. Les idées, ces mêmes idées au nom desquelles « les trois » étaient arrêtés, pour lesquelles Edo et Sole mourront, ne réussissaient pas à émerger, étaient complètement étouffées par un croassement de corbeaux qui –de part et d’autre de la barricade– concourrait à vouloir faire oublier les événements déclencheurs de ces jours-là : c’est-à-dire les attaques contre le projet du TAV, c’est-à-dire le fait que l’État commençait à craindre une hostilité qui, dépassant pour une fois les illusions du dialogue et du dissensus en paroles, passait à la pratique.
Oui, l’État avait peur… après tout ce temps. Il avait peur des mains inconnues : des mains avec des piolets, avec des allumettes, avec de la poudre noire. Des mains qui remettaient en lumière non pas une simple opposition, une révolte individuelle, un acte symbolique, mais, et c’est bien plus important, qui redécouvraient l’espoir de pouvoir changer, de pouvoir reprendre le destin de sa propre existence, de sentir à nouveau –en chacun– le sens d’une justice dont ce monde est privé depuis toujours.
Parce qu’ils sont plus d’un à vouloir défendre leur terre et leurs affects ; beaucoup désirent vivre dignement et ne pas mourir empoisonnés et détruits par une poignée d’affairistes – de la politique, de l’entreprise et de l’industrie. Parce que beaucoup d’hommes et de femmes ressentent le désir de vivre enfin libres… libre comme l’a été Baleno jusqu’au bout.

Dix années ont passé depuis ce 28 mars où Baleno a été suicidé. Pourtant, ces luttes et ces pratiques –comme celles des compagnons morts avant et après lui– continuent de vivre dans les batailles de ceux qui incendient le monde. Les Tatangelo et Laudi (juges), les Genco (journalistes), les Petronzi (flics), ont assassiné Edo et Sole mais ne sont pas parvenus à endiguer leurs idées, nos idées. Baleno parlait et écrivait librement et –malgré la répression toujours plus acharnée– les anarchistes continuent de parler et d’écrire ; Baleno occupait des maisons vides pour se moquer de leur vie, et il y a toujours beaucoup de personnes qui, se foutant de la propriété, décident d’arracher à la spéculation un toit par leurs propres moyens ; Baleno a été arrêté (à Ivrea en 1993) parce qu’il construisait un engin explosif, et il y a encore beaucoup d’esprits et de cœurs courageux qui aiment s’adonner à la pratique méritoire de la destruction et de l’attaque contre les ouvrages du pouvoir. Baleno détestait le progrès technologique, le bétonnage des montagnes, la séparation de la vie dans des rôles préconçus et l’aliénation progressive dans laquelle l’être humain se précipite. Un être humain civilisé, moderne, auquel on a arraché toute autonomie, tout savoir et tout rapport de réciprocité. Aujourd’hui, la tension et l’obstination d’Edoardo –qui l’ont conduit à cultiver les montagnes aussi bien qu’à construire des machines à laver à pédales– sont partagées par de nombreux individus qui cherchent encore, malgré l’idéologie dévastatrice de la consommation, à recréer des rapports réels, à inventer, à reconquérir cette autonomie que l’industrie de la marchandise nous a ôté, nous abandonnant seuls dans un océan de gens, nous abandonnant seuls
parmi une montagne d’objets.
Enfin, Edoardo Massari détestait et combattait la guerre, les frontières, les patries. Face aux massacres perpétrés aujourd’hui partout dans le monde, face à une idéologie patriotarde renaissante, face au mythe des bons Italiens qui exportent la démocratie, nous devrions tous nous rappeler d’un petit geste accompli par Baleno il y a tant d’années… Il n’avait pas de drapeau, ne saluait pas le drapeau tricolore…
mais se torchait le cul avec – et pas de façon métaphorique. Pour toutes ces raisons, après toutes ces années, nous continuons de revendiquer notre complicité avec ces compagnons disparus – qu’ils aient été coupables ou innocents. Nous sommes encore là pour répéter qu’Edo et Sole continueront à vivre dans nos luttes, dans nos
idées et… que nous n’avons pas oublié leurs assassins.


La Vie en un éclair

Baleno a été à nos côtés lors des nombreuses initiatives qui ont marqué le parcours de la pensée et de l’action anarchiste à partir de la fin des années 80, et pas uniquement dans le Canavese où il habitait. Il s’agit de déplacements fréquents d’un lieu à l’autre pendant des années, entre manifestations, occupations, mobilisations antimilitaristes et contre les dévastations de l’environnement, d’initiatives de solidarité contre la répression et de critique de la prison, de réunions et d’actions contre les diverses tentacules de l’Autorité et du Capital. Nous nous sommes rencontrés dans les charges policières lors de la manifestation contre l’ACNA à Savona en 1989, et puis encore à l’ex-Ilsa de Pont St. Martin, un centre social de la Val d’Aoste, première occupation d’une longue série.
En avril 1991 dans le Canavese, la piscine de Caluso est occupée : il y avait aussi Baleno parmi les occupants, au milieu de beaucoup d’autres personnes du coin qui trouvaient là pour la première fois l’occasion de s’exprimer et de se confronter librement dans un lieu libéré. Cette année-là, des occupations, des expulsions auxquelles résister ainsi que des initiatives en solidarité avec les insoumis au service militaire se sont succédées dans de nombreuses villes et villages. Toutes ont vu la présence de Baleno avec ses « balenate » [sorties ; NdNF.] parfois géniales et parfois lourdes, avec ses exhortations permanentes à faire plus : « … ben quoi, t’as peur… ».
En décembre de cette même année, quelques occupants de la Piscina et plusieurs personnes solidaires venues d’autres régions se sont mobilisées en vue de l’expulsion imminente : une quarantaine d’entre elles a occupé la mairie de Caluso, dont Baleno. En janvier 92, la piscine est expulsée par des carabiniers venus en force.
Entre janvier et avril 93, deux autres occupations seront tentées dans le Canavese. Les maires et les carabiniers interviendront quelques heures après et en chasseront les occupants.
Le procès suite à l’occupation de la Piscina se termine par une condamnation sans précédent dans le Piémont pour un délit de ce genre : 7 mois de prison pour tous les accusés. Quelques jours plus tard, quelques individus parmi lesquels Baleno s’enchaîneront à une estrade lors d’un rassemblement public présidé par le maire d’Ivrea.
Le 19 juin 93, Baleno est arrêté à Ivrea. Il était allé faire soigner à l’hôpital une légère blessure qu’il s’était faite en s’adonnant à des expériences de chimie anarchiste dans son atelier de réparation de vélos. Une fois à l’hôpital, les carabiniers ont perquisitionné l’atelier et trouvé 46 grammes de poudre noire : c’est ainsi qu’a commencé la tentative de montage judiciaire contre lui. Non contents de l’enfermer en préventive pendant 7 mois (jusqu’au procès de janvier 94), puis de lui infliger un an de prison le 31 mars 95, ils tenteront en vain de l’incriminer avec d’autres anarchistes pour « bande armée ».
Parmi les nombreux rassemblements et initiatives de solidarité dans toute la péninsule, une manifestation s’est déroulée à Ivrea le 22 décembre 93. Elle a démarré tranquillement mais, quelques centaines de mètres plus loin, le préfet a donné l’ordre aux manifestants de ranger les drapeaux noirs et de ne plus jeter de pétards : les participants ont refusé d’obéir et il a ordonné la charge. Les forces de l’ordre ont eu le dessous, et huit flics seront hospitalisés. L’un d’eux restera à terre, gravement blessé. C’est ainsi que la manifestation a réussi à aller de l’avant puis s’est terminée sans autre incident.
Sorti de prison, Baleno a repris ses activités habituelles et son attention s’est portée sur la défense du territoire montagnard, de ses espaces de liberté, de sa nature relativement non contaminée par les tentacules de la société industrielle. Tous les regards se sont tournés vers le Val Susa, où l’hostilité contre la dévastation du futur train à grande vitesse (TAV) appelait les ennemis de l’autorité à se rendre sur place.


Ça s’est passé en Val Susa

1996


23 août. Début des attaques contre les entreprises chargées de préparer les chantiers de la Grande Vitesse. Dans la nuit, deux molotov sont lancés près de Bussoleno contre une foreuse, utilisée pour vérifier la conformité du sous-sol. Sur place, on retrouve deux tags contre la Grande Vitesse.

27 novembre. Une cabine électrique désactivée de la ligne ferroviaire Turin-Modane est incendiée à hauteur de Bruzolo. Là-aussi, on retrouve des tags contre le TAV.

24 décembre. Un relais de télévision RAI et une centrale de téléphone portable Omnitel qui se trouvent l’un à côté de l’autre sont pris pour cible près de Mompantero. Après avoir taillé le grillage de protection, les saboteurs ont mis le feu au transformateur de l’ENEL [EDF italienne] qui alimente la centrale de téléphone et à un autre qui contient du matériel électronique. Des coups de fusil sont également tirés contre les deux cabines. Sur le mur d’une église voisine on retrouvera un tag : « Val Susa libera », avec le symbole de la faucille et du fusil. Les enquêteurs trouveront des restes de molotov sur place. L’existence d’un tract de revendication est démentie.

1997

26 janvier. Du liquide inflammable est jeté sur les parties électriques et sur le tableau de commande d’une foreuse dans la bourgade de Crotte di Chianocco, près de la route départementale. Sur place sont retrouvés des tags contre le TAV et les Mondiaux de ski, suivis de symboles avec une faucille et un fusil. Après cette attaque,
le procureur Maurizio Laudi, chargé des enquêtes, commence à désigner ouvertement les anarchistes comme possibles auteurs des sabotages.

6 février. Le générateur de courant d’un chantier où opère une foreuse explose près de Mompantero à l’aide de liquide inflammable et de poudre à cartouche. Sur place, on retrouve des tags contre le TAV et les Mondiaux de ski. Un proche relais de téléphone Omnitel est également pris pour cible : le coffre de son alimentation électrique est criblée de coups de fusil.

21 février. Un molotov est jeté contre la centrale électrique dont dépendent les installations du tunnel de Prapotin. Cette fois, on retrouve des tags contre la SITAF et contre plusieurs personnalités locales (Tessari, Fuschi et Lazaro). Les enquêteurs annoncent quelques jours plus tard la découverte de tracts signés « Front Armé Val
Susain » : « Le front armé de Valsusa remercie l’opposition violente et non-violente contre la taupe à grande vitesse. Continuez comme ça les gars ! Défendre notre terre est un devoir sacré par tous moyens et à tout prix. Même si on ne veut pas la violence, lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens, il en va ainsi ». Ils ne lui accordent pas trop de crédit.

10 mars. Le portail de l’église San Vincenzo est incendié à Giaglione. Cette fois, on ne retrouve pas de tags sur place mais, pour la première fois, deux tracts signés « Loups Gris, armée des ténèbres et vendetta des pauvres » et « Loups Gris, solidarité contre le TAV, les impôts, l’Église, la mafia, le capital de la consommation, la faussed émocratie, la taule, l’école, la caserne ».

18 mars. Après avoir pénétré de nuit dans la centrale électrique du tunnel autoroutier de Giaglione, sur l’autoroute A32, des saboteurs anonymes font sauter de la dynamite placée dans une conduite où passent les câbles électriques. Aucune revendication.

8 avril. A Chianocco, un puits de la Telecom situé le long d’une route de campagne saute à l’aide d’un engin artisanal. 40 000 lignes téléphoniques sont hors d’usage. Black-out également des téléphones portables Telecom et Omnitel, ainsi que des lignes de transmission de données. Des tracts signés « Loups Gris » et « Val Susa libera » sont accrochés à un arbre. Selon la presse, ils passent de la lutte des partisans à Fra Dolcino [célèbre hérétique du coin brûlé par l’Inquisition], allant jusqu’à invoquer, en citant Battiato [chanteur intello de gauche], le « retour de l’ère du sanglier blanc ».

21 mai. Deux autres attaques dans la zone de Mompantero. Les câbles d’un relais de télévision sautent à la dynamite dans la région de Bianco, tandis qu’une foreuse de prospection est incendiée dans la localité de Moetto. Aucun tag ni tract de revendication.

15 octobre. Ugo Iallasse, dirigeant de la SITAF, directeur de service du tunnel de Fréjus, se prend une bomba carta [puissant pétard de stade] contre son domicile de Chianocco.

2 novembre. Des tracts signés « Loups Gris » sont retrouvés à Vaie sur la porte de l’église de San Pancrazio.

4 novembre. Une explosion endommage deux relais au-dessus de Borgone di Susa. Les antennes transmettaient le signal de plusieurs chaînes de télévision et de radio, mais hébergeaient aussi un pont hertzien des carabiniers. Aucune revendication.

10 novembre. Une bonbonne de gaz est placée près d’une cabine électrique le long de la ligne ferroviaire Turin-Modane, près de Rosta. La bonbonne n’explose pas parce que le feu appliqué à des tissus imbibés de liquide inflammable s’est éteint. Un tag anti-TAV qui ne paraît pas récent est retrouvé sur place.

29 novembre. Une manifestation est organisée à Bussoleno par les partis, les syndicats et l’Eglise pour protester contre les attentats contre la Grande Vitesse. Il n’y a que les maires et les membres des partis qui défilent, vu que la grande masse des Valsusains reste chez elle. Même les journaux locaux sont contraints d’admettre que « les citoyens qui ont répondu à l’appel des institutions sont peu nombreux ».

1998

20 janvier. Après avoir prélevé plusieurs machine-outils, des inconnus incendient la mairie de Caprie. Une explosion qui provoque de gros dégâts à tout l’édifice advient dans le garage. Ce sera l’unique fait spécifique valsusain attribué par les enquêteurs aux trois anarchistes arrêtés au mois de mars.

5 mars. Sur mandat des procureurs Maurizio Laudi et Marcello Tatangelo, les anarchistes Silvano Pelissero, Edoardo Massari et Soledad Rosas sont arrêtés par les carabiniers du ROS [2], accusés d’appartenir à l’organisation des « Loups Gris ». Silvano est arrêté peu après avoir découvert par hasard la présence d’un micro espion sur sa voiture. Cette circonstance imprévue
contraint les carabiniers à mener une opération complètement improvisée. Edoardo et Soledad sont arrêtés après un assaut de plusieurs heures à l’intérieur de la Casa occupata de Collegno, qui est perquisitionnée et expulsée. Selon les carabiniers et la presse, on découvre dans la cave un véritable « arsenal » : un feu de bengale déjà
utilisé qui deviendra une « pipe bombe » et plusieurs bouteilles de carburant qui deviendront des « molotov ». Au même moment sont perquisitionnés deux autres espaces occupés de Turin, l’Asilo de via Alessandria et l’Alcova de corso San Maurizio. L’Asilo est expulsé après avoir été dévasté par les forces de l’ordre (il sera vite réoccupé), tandis que l’Alcova sera défendu in extremis par les occupants.


Enquête judiciaire et mobilisations

Les arrestations
Le 5 mars 1998, trois anarchistes (Silvano Pelissero, Edoardo Massari et Maria Soledad Rosas) qui vivaient ensemble dans la maison occupée de Collegno (Turin) sont arrêtés sur mandat des procureurs Maurizio Laudi et Marcello Tatangelo
Le soir même à Turin, les flics et les carabiniers expulsent l’Asilo Occupato et l’Alcova Occupata. Ils détruisent tout, brisent les fenêtres, les salles de bain et tout ce qui leur tombe sous la main. Les trois anarchistes sont placés à l’isolement sans qu’il leur soit communiqué la gravité de l’accusation : « association subversive à finalité terroriste ».
Le 7 mars, le juge pour les enquêtes préliminaires, Fabrizia Pironti, confirme l’arrestation et l’accusation. Depuis le début, les enquêtes partent du présupposé que les coupables sont les trois anarchistes et qu’il est donc juste nécessaire de trouver des preuves contre eux. Malgré l’usage immodéré de micros, de caméras et de perquisitions fréquentes, aucun élément accablant n’est pourtant retrouvé. Les juges continuent tout de même la procédure, surtout « grâce » au soutien médiatique.

Le rôle des mass-média
Le travail des journalistes se révélera décisif pour discréditer et calomnier les trois arrêtés. La presse et la télévision commencent une campagne visant à alimenter la peur des anarchistes et à construire un procès médiatique dans lequel « la condamnation est déjà écrite ».
Jusqu’au 7 mars, des quotidiens turinois sortent avec des titres étourdissants : « Blitz contre les éco-terroristes », « Les Loups gris attrapés dans les centres sociaux », « Longue enquête à l’aide d’un infiltré, des bombes et des mèches mises sous scellé », « Squatteurs anarchistes avec la passion des armes », « Trois subversifs arrêtés », « Une piste à propos des attentats anti-TAV en Val Susa », etc.

La solidarité
Juste après l’arrestation de Sole, Baleno et Silvano, un rassemblement de protestation contre les arrestations et les expulsions est organisé devant la mairie de Turin. Ceux qui participent à l’initiative sont chargés par la police et, lors des affrontements, plusieurs vitrines de boutiques de riches tombent en morceau.
Dans plusieurs villes d’Italie démarrent des mobilisations en faveur des anarchistes arrêtés : manifestations, rassemblements, blocages et sabotages se succèdent.

La farce judiciaire continue…
Le 26 mars, le tribunal repousse le recours de mise en liberté, « parce qu’il existe une forte proximité entre les trois inculpés et les auteurs des attentats » et que « le risque de récidive de délits de nature identique est très élevé ».
Samedi 28 mars à l’aube, selon la version officielle, Edoardo Massari est retrouvé agonisant, pendu au lit par un drap dans la prison turinoise des Vallette.

Les funérailles
Après le « suicide-assassinat d’État » de Baleno, la morbidité des médias explose dans toute sa misère. Beaucoup de journalistes refusent de respecter le désir exprimé publiquement par la famille Massari de pouvoir enterrer leur proche en paix, uniquement en présence des parents et des amis, déchaînant la rage plus que légitime des amis d’Edoardo : le chroniqueur Daniele Genco en fera les frais, ainsi que la voiture de Paolo Grisieri, envoyé spécial de Il manifesto, et certains caméramans.
Ce qui s’est passé au cours des funérailles devient pour les chacals de l’information une occasion supplémentaire d’attaquer les anarchistes. Le mouvement réagit en rompant tout contact avec la presse, excepté une conférence provocatrice lors de laquelle quelques anarchistes lancent des carcasses de poulets et des restes de boucherie sur des journalistes avides de nouveauté.
Le 15 avril, le parquet d’Ivrea lance trois mandats d’arrêt contre autant d’anarchistes de la région pour « tentative de meurtre » (requalifiée plus tard en « coups et blessures graves »), liés à l’agression du journaliste Daniele Genco (balance de la police et fameux pour ses calomnies contre Baleno et ses compagnons). Un seul sera arrêté, tandis que deux autres entrent en clandestinité.

La manifestation du 4 avril
Le 4 avril se déroule à Turin une manifestation « unitaire » de toutes les aires antagonistes italiennes. Un cortège de 9000 personnes défile dans les rues pour demander la libération des incarcérés et exprimer sa rage suite à l’assassinat de Baleno. La prison des Nuove et le Palais de Justice reçoivent des centaines de pierres et sont assaillis par les manifestants : les dégâts causés au Palais sont de plusieurs centaines de millions de lires. Suite à la manifestation, la police lancera
plusieurs plaintes avec l’accusation de « dévastation ».

Le suicide de Soledad
Soledad est arrivée en Italie en juin 1997 et, selon l’accusation, elle « aurait commencé » en moins de quatre mois à faire partie du mouvement anarchiste turinois, devenant une des responsables de l’organisation subversive clandestine (même si, entre autre, les sabotages en Val Susa ont eu lieu alors qu’elle vivait encore en Argentine).
Samedi 11 juillet 1998, Sole meurt suicidée. Elle est retrouvée pendue dans les locaux du foyer [comunità à l’italienne] Sottoiponti de Benevagienna, où elle était enfermée en résidence surveillée.

Les colis piégés et l’isolement des anarchistes
Début août, cinq colis piégés sont envoyés par la poste. Leurs destinataires sont : le procureur Maurizio Laudi, le journaliste Genco, le conseiller régional des Verts Pasquale Cavaliere, le député Giuliano Pisapia et le conseiller municipal de Rifondazione Comunista Umberto Gay. Ces colis n’explosent pas et ne feront ni dégâts, ni victimes.
Suite à ces attaques, l’isolement des anarchistes n’est pas seulement venue de la gauche modérée, mais aussi de celle qui est plus « alternative » et extraparlementaire, y compris la plus grande partie des centres sociaux italiens
et des squats turinois, gobant de cette manière la division du mouvement entre « bons et méchants » et favorisant ainsi la répression d’une partie du mouvement anarchiste : la quasi totalité de ceux qui ont choisi (par principe) de ne pas prendre publiquement position sur les colis piégés ont été inculpés et perquisitionnés les mois suivants.
Il manifesto, l’Unità, Liberazione, juste pour citer les journaux plus fameux, contribueront à diffuser des nouvelles sans aucun fondement, comme celles qui attribuaient à Silvano Pelissero un passé de militant d’extrême-droite et même des collusions avec les services secrets.

Les sentences
Le procès en première instance s’est terminé le 21 janvier 2000 par une condamnation à 6 ans et 10 mois pour Silvano : vol et dévastation de la mairie de Caprie, association subversive, attentat contre le transformateur de Giaglione, détention d’explosifs, etc.
Le procès en appel, qui s’est déroulé en une seule journée (18 janvier 2001), ne fait qu’une concession aux thèses de la défense : l’acquittement pour fabrication d’engin explosif. La peine est réduite à 6 ans et 1 mois.
Le 21 novembre 2001, la cour de cassation invalide l’accusation d’activité terroriste à finalité subversive.
Le 4 mars 2002, au bout de quatre années de détention préventive, la magistrature émet un mandat de libération de Silvano « pour épuisement du délai maximum de détention » : l’anarchiste ne sera effectivement libéré que le 12, parce que les carabiniers ont laissé passer une semaine entière avant de communiquer la nouvelle à l’intéressé.
En 2002, la Cour de Cassation de Rome démonte les thèses des procureurs turinois Maurizio Laudi et Marcello Tatangelo. Il ne s’agissait pas d’une association terroriste, mais de trois personnes qui, au maximum, s’étaient adonnées à des délits communs. L’accusation la plus grave (la finalité subversive et terroriste des délits contestés) étant tombée, la Cour d’Appel de Turin réduit la peine de Silvano à 3 ans et 10 mois.


Sabotage et luttes sociales

Dans les luttes sociales, il y a souvent des refoulements. Des épisodes et des situations inconfortables, dangereux, encombrants, qu’on préfère oublier.
Un cas de refoulement est celui qui concerne le sabotage apparu en Val Susa entre 1996 et 1997. Avant les batailles de 2005, on préfère uniquement se souvenir de conférences, de comités institutionnels et de manifestations. Deux jeunes sont morts, certes, mais c’est une histoire louche de services secrets, de trafic d’armes…
L’hôte ingrat qu’on voudrait ainsi mettre à la porte a un nom bien précis : le sabotage. L’accepter à la maison est en effet difficile. On risque de perdre le consensus et de ruiner le travail accompli. On risque de fissurer le front du « Non » – et arrêter le TAV est un objectif qui tient à cœur, justement.
C’est comme lorsqu’on se souvient de 68. Quelques mois de joie, de mouvement, d’assemblées universitaires… puis rien : après, il n’y a que le « terrorisme ». C’est ainsi que disparaît une décennie de luttes dures, de répressions brutales, d’expériences très importantes. Il existe même désormais des dirigeants de la CGIL [CGT italienne] qui se vantent d’avoir participé à ces années de luttes syndicales sans n’avoir jamais rien fait d’illégal. Comme si l’histoire du mouvement ouvrier n’était pas constellée d’épisodes sans fin d’illégalité de masse (blocages, piquets, manifestations sauvages et spontanées, affrontements avec la police, etc.). Pas mal comme coup d’éponge ! S’il n’y avait pas eu l’illégalité ouvrière –une réponse au fait que les lois ne font que formaliser les rapports de force au sein de la société– on en serait encore à la journée de 12 heures !
Mais pour en revenir au Val Susa, qu’y a-t-il d’effrayant dans le sabotage ? Certainement pas son illégalité : les blocages, les barricades, la libération de Venaus1 ont toutes été des pratiques illégales. Pas non plus son caractère nocturne : de nombreux barrages contre le TAV se sont produits une fois la nuit tombée. La violence ? Il n’est pas moins « violent » d’endommager un chantier à plusieurs milliers de personnes que de détruire une foreuse à quelques uns. Ce qui effraie est ailleurs. Les sabotages ne sont pas des gestes publics. Ils ne sont pas légitimes –voilà le mot– parce qu’ils ne peuvent pas compter sur un consensus vaste et visible. Lutter à quelques uns est moins efficace que lutter à nombreux. Et donc…
C’est donc une question de nombre ? Une action juste accomplie par des centaines ou des milliers de personnes devient-elle erronée lorsqu’elle est réalisée par un ou une poignée d’individus ? Les décisions collectives sont-elles une garantie en soi ? (Dans la Val Susa, beaucoup de personnes ont voté pour les partis de gauche aux dernières élections, des partis qui faisaient mine de s’opposer au TAV. Ce fut une illusion collective pernicieuse, bien vite rompue par l’expérience directe et la lutte).
Outre que l’histoire des opprimés est remplie d’exemples d’un usage collectif du sabotage (dans la Résistance, dans les pratiques d’autoorganisation en usine et dans les quartiers), on peut aussi remarquer que le passage de « quelques uns » à « beaucoup » ne se fonde sur aucune certitude mathématique.
A l’intérieur du cimetière symbolique érigé dans le pré du premier rassemblement de Venaus, une croix portait l’inscription suivante : « ici repose en paix la conscience de celui qui disait “ça sert à quoi, de toute façon ils feront passer le train“ ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela veut dire que les luttes ne naissent pas belles et soudées. Cela veut dire que la conviction de pouvoir y arriver opère des sauts imprévisibles. Les premiers chantiers du TAV ont été occupés par 100 personnes. Le dernier par 30 000. Encore une fois : ce n’est qu’une question de nombre ?
On peut partager plus ou moins la pratique du sabotage, mais son refus ne répond pas à des critères éthiques, comme on le prétend souvent, mais bien à des calculs politiques. Attaquer à quelques uns une foreuse qui porte en elle la dévastation de l’environnement et la misère sociale est aussi juste que de l’attaquer à des milliers. D’un point de vue pratique, on peut seulement dire que le sabotage à petits groupes est plus risqué pour ceux qui l’accomplissent, et souvent plus facile à criminaliser pour le système qui le subit. Mais, comme on peut le remarquer, il ne s’agit pas de jugements moraux. La légitimité éthique du sabotage devrait même être défendue par ceux qui en critiquent l’utilité pratique. (Sans compter qu’il est toujours mieux de défendre certaines possibilités de lutte, même lorsqu’on y a pas recours). En général, ils préfèrent pourtant la condamnation et la mystification (du genre : il s’agit toujours et partout d’« actions contre le mouvement »).
La tendance à voir des complots partout est malheureusement banale. La réalité semble toujours propice à suggérer d’« étranges coïncidences » les plus incroyables à ceux qui en cherchent, comme un chien débusque des truffes. Pour les spécialistes de la suspicion, tout devient obscur.
Mais qu’y a-t-il par exemple d’obscur dans des sabotages contre des foreuses et des chantiers du TAV ?
Là où certains ont suspecté de mystérieuses volontés de rendre la lutte No TAV criminelle, l’appareil d’État a vu quelque chose de bien trop clair : la révolte possible d’une vallée. Et pour l’empêcher, ils étaient prêts à tout. Y compris à suicider deux personnes. « Même les morts ne seront pas à l’abri de l’ennemi, si celui vainc. Et cet ennemi n’a jamais cessé de vaincre ». Réexhumer un morceau de notre histoire signifie leur rendre un précieux service.
Lorsque les nuisances sont stoppées par la lutte populaire, il ne fait aucun doute que c’est mieux pour tous. Parce que ce qui se passe au cours de la lutte, en plus d’obtenir des résultats plus durables, libère les femmes et les hommes de l’habitude de la délégation, élève le plaisir de vivre, ouvre un plus vaste horizon de possibilités. Mais lorsqu’il n’y a pas de lutte populaire, devient-il juste de laisser les montagnes
se faire éventrer et les humains se faire dégrader ? Qu’est-ce que la légitimité, une question statistique ?
L’histoire devrait nous enseigner que les luttes ont besoin de mille éléments à mêler avec passion et habileté. Mais il est impossible d’en prescrire les doses exactes pour que s’enflamme la rébellion. Ce n’est qu’en prenant des risques qu’on apprend. C’est-à-dire en vivant.

Extrait de Cette Semaine N°97.


[Traduit de l’italien. Tiré de Un pugnale e un talismano. Sole e Baleno,
1998-2008. Materiali della mostra ed allegati
, mars 2008, pp. 2-15 et
20-22]

Pour approfondir, une brochure éditée par Mutines Seditions revient sur la lutte du Val Susa contre le TGV Lyon-Turin : A Toute Allure. Vous pouvez la lire ou la télécharger sur infokiosques.net.

non- fides.fr.


20-22]

Lettre de Gabriel Pombo da Silva et d’Elisa : « Libres et dangereux

Ardire, Scripta Manent, opération Bujo… ça vous dit quelque chose? Voilà seulement quelques-unes des “opérations” judiciaro-policières que notre « clan » a vécues dans sa chair, en raison du fait que nous sommes anarchistes et que nous le restons, jusqu’au bout.

Nous sommes un clan nomade, qui va de pays en pays à la recherche de complices qui pratiquent l’anarchisme sans demander approbation ni consensus, qui agissent sans se soucier des discours « politiquement corrects » (si en vogue à notre époque) qui hantent nos chapelles. Ce n’est pas non plus l’« esthétique » qui nous intéresse, mais plutôt l’« éthique », le concret, le réel…

Nous sommes à la recherche d’un anarchisme qui se salit les mains, qui nous maintient éveillé.e.s et toujours sur nos gardes (contrairement à toute autosatisfaction) ; cet anarchisme qui ne plaît pas et qui dérange les serviteurs de l’État, qui n’épargnent pas leurs efforts pour nous emprisonner.

Ce n’est pas facile d’aller d’un endroit à un autre. C’est d’autant plus difficile avec notre fille, cette petite beauté qu’on a appelée Iraultza, et avec une compagnonne canine qu’on renoncera jamais à amener avec nous, puisqu’elle fait partie intégrante de notre clan.

Apparemment, l’État espagnol n’a pas encore renoncé à vouloir m’emprisonner, à cause d’une peine qui me reste à purger, et qui existe seulement dans son esprit pourri et dans ses papiers de merde.

Ceci étant, nous avons décidé de vivre dans l’ombre, en apportant notre modeste contribution invisible à tous ces projets qui ont de l’intérêt pour nous et dont nous nous sentons complices.

Nous exprimons toute notre solidarité subversive avec les compagnon.ne.s dignes en procès en Italie et dans le monde entier. Nous n’avons aucune déclaration à faire dans les salles des tribunaux, parce que nous chions sur leurs théâtres et leurs mascarades, leurs accusations et leurs acquittements.

La meilleure façon de propager l’Anarchie est de la vivre intensément, et non de la représenter. Mascarades et comédies ne nous vont pas.

Il n’y aura plus de « communiqué » de la part de notre clan : nous sommes libres et nous sommes dangereux.ses.

Pour l’Anarchie !

Le clan nomade-anarchiste
Elisa-Gabriel-Iraultza et la quadrupède

 

[Traduit de l’espagnol de Contramadriz, Marzo 15, 2019]

Lyon : Communiqué de l’attaque de l’ISSEP dans la nuit du 26 au 27 Mars 2019

Attaque

Dans la nuit du 26 au 27 Mars 2019, nous avons attaqué l’ISSEP, Institut des sciences sociales, économiques et politiques.

Cette école créée par Marion Marechal Le Pen a ouvert en cette rentrée 2018, au sein du quartier de la confluence, dans le but de former la future élite de l’extrême droite identitaire.
Considérez cette attaque comme une réponse à tous les actes racistes, sexistes, homophobes, transphobes, ainsi qu’aux politiques meurtrières anti-migratoires et à l’attentat de ChristChurch perpétré dernièrement.

Nous attaquons la montée en puissance dans le monde entier de l’extrême droite et du populisme.
Nous attaquons les laboratoires institutionnels des théories qui influencent ce climat nauséabond et mortifère.
Nous attaquons le renforcement sécuritaire dans nos villes, nos quartiers, nos mouvement sociaux, aux frontières de leur monde.
Nous attaquons tout ce qui sert et alimente le maintien du capitalisme par des moyens totalitaires et répressifs.
Nous attaquons cette pensée bourgeoise qui maintient et alimente les oppressions tout en développant leurs privilèges.
Nous attaquons ce qui neutralise toute perspective d’une émancipation commune, nous retranche dans nos individualités, nous pousse à la concurrence entre peuples et au sein de nos classes.

Nous ne cesserons jamais d’attaquer toutes les faces du fascisme que ce soit dans le centre historique du vieux Lyon ou dans la smart city de Confluence, nous continuerons de combattre les groupuscules violents qui usent de traditionalisme à des fins communautaires et identitaires ainsi que cette élite pensante qui se fait une place dans un quartier aseptisé, ultra sécurisé, ultra libéral, réel prototype d’un monde Orwellien.

Des gen.te.s dynamiques et motivé.e.s

*****

Selon Le Progrès, « Ce mercredi matin, l’Institut des sciences sociales, économiques et politiques (ISSEP), l’école créée par Marion Maréchal et installée rue Denuzière, dans le 2e arrondissement de Lyon, était méconnaissable. La devanture était entièrement recouverte de peinture noire, les vitres fissurées, la serrure forcée. « 

Et quelques autres photos, tirées des médias :

Villeneuve de Berg, Ardèche En 1897 un anarchiste condamné pour avoir crié « vive l’anarchie »

Dans les années 1890 suite au vote des lois scélérates la répression s’abat sur les anarchistes français Pendant la messe dans l’église de Villeneuve de Berg  au moment du Te Deum un individu crie » vive l’anarchie » La presse Catholique  qui relate les faits  écrit     » Par Bonheur »  celui-ci sera condamné à 5 ans de bagne »

source Archives départementales de l’Ardèche

 

 

Roche-de-Glun, Drôme: la répression s’accélère contre les gilets jaunes.( mise à jour)


radio france bleu Drôme Ardèche

Ils avaient décidé de dégrader le radar de La Roche-de-Glun (Drôme) le long de la Nationale 7 mardi soir un peu avant 22 heures. Ces deux gilets jaunes ont été interpellés et placés en garde à vue à Tain-l’Hermitage. Il faut dire qu’ils ont bien mal choisi leur moment pour sortir leur bombe de peinture. Une patrouille de Gendarmerie circulaient le long de la nationale pile à cette heure là. Les deux « gilets jaunes » ont été pris en flagrant délit alors qu’ils commençaient à masquer la vitre du radar en pulvérisant leur peinture.

Comité de soutien devant la gendarmerie de Tain-l’Hermitage

L’homme de 36 ans et la femme de 39 ans habitants de la plaine de Valence, ont bien sûr dû reconnaître les faits. Tous deux ont expliqué qu’ils sortaient d’une réunion de « gilets jaunes » à Valence-Sud. Une réunion pour discuter des futures actions à mener pour la suite du mouvement. Celle-ci a-t-elle été décidée le soir même collectivement, ou est-ce une initiative personnelle des deux « gilets jaunes » interpellés ? Impossible à savoir pour l’instant. Mais dès leur placement en garde à vue l’homme et la femme ont reçu le soutien d’une quinzaine d’autres gilets jaunes qui se sont rassemblés dans le calme pendant une heure devant la gendarmerie de Tain.

Garde à vue prolongée pour l’homme

Ce radar de La Roche-de-Glun était l’un des rares à flasher encore dans l’agglomération de Valence. Il n’avait pas été touché par la vague de dégradations que ces appareils automatiques ont subi depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». La femme a été remise en liberté, elle sera convoquée plus tard par la justice. La garde à vue de l’homme devrait être prolongée ce mercredi soir.

Les deux personnes passeront en procès au tribunal correctionnel le 15 mai

Publication : Attaque !

Chaque matin, la sonnerie du réveil m’arrache de mon sommeil. Premier acte : j’allume mon téléphone portable.

Avec les satellites, les nœuds de communication, les antennes etc, mon portable se synchronise avec ceux de tous les autres. Nous vivons la même vie en même temps. Connecté à internet, quelque chose d’invisible me transperce, mon téléphone envoie et reçoit en permanence. Une fois que le rythme de la nuit est tué par la sonnerie et que je me synchronise avec le monde connecté, un autre temps domine. Le staccato des émissions en direct, de la disponibilité ininterrompue, celui de la mise à disposition permanente, des emplois du temps et des rendez-vous, des plannings et des impératifs. Deuxième acte : je débranche mon portable de sa prise. Sans électricité, il ne serait rien, juste du plastique et de la ferraille avec quelques éléments faits de métaux rares. Cet appareil peut fonctionner à l’aide de spécialistes et grâce à une production d’électricité dépendante du nucléaire et du charbon, à un réseau mondial, à cette infrastructure critique qui garantit jour après jour notre quotidien, protégée par la police et l’armée. Après avoir utilisé divers appareils qui ont eux aussi besoin d’un réseau – sans quoi ils seraient complètement inutiles-, je pose un pied dans la rue.

Marchant le long des lampadaires – dans cette ville où l’obscurité n’existe plus, où aucun endroit n’échappe à la vue –, des boîtiers électriques et des répartiteurs téléphoniques, des sucettes publicitaires, des commerces avec leurs systèmes de surveillance – me vient en tête une pensée évidente : l’électricité sert les relations fondées sur la propriété à travers des milliers de kilomètres de câbles en fibre optique et en cuivre qui ne se trouvent qu’à 50 centimètres en-dessous de mes pieds ; je passe aussi sur des plaques qui donnent accès à des puits au fond desquels reposent les artères du monde moderne. Assis dans le train, me saute à l’esprit que sous les rigoles en béton courant le long des voies serpentent à nouveau des câbles, et que des systèmes de signalisation sont installés à peu près tous les 100 mètres : sans tout cela plus rien ne marcherait, le capital humain comme les biens morts ne parviendraient plus là où ils sont censés être consommés ou produire une plus-value.

Abandonnant mon observation de fourmi, je regarde en hauteur et aperçois sur les toits les antennes pour la radio, pour internet, pour le téléphone, ainsi que pour les ondes radio… dont celles de la police. Le maintien de la misère quotidienne a ses canaux, il faut les interrompre pour que les gens puissent transformer leur quotidien. La communication de ceux qui défendent la propriété dans les rues – les flics et l’armée – passe par les antennes sous lesquelles nous défilons du matin au soir. Lorsqu’une antenne-radio tombe, qu’un faisceau de câbles se consume à petit feu, qu’il y a la moindre coupure dans un câble en fibre optique ou à travers le cuivre des réverbères, apparaît tout à coup une zone d’ombre, un moment de confusion pour ceux qui n’ont pas appris et ne veulent pas apprendre à agir et à penser de façon autonome, qui obéissent et attendent toujours ordres et directives, mais cela peut aussi permettre à d’autres de faire des choses qui semblent souvent impossibles.

Si ce monde devient toujours plus une méga-machine, si les artères de la domination deviennent de plus en plus subtiles et qu’elles recouvrent tout le territoire de leur toile, nous devons – pour attaquer – être en mesure de tourner nos regards loin des choses les plus apparentes et tenter d’incorporer notre analyse des évolutions actuelles au sein des perspectives que nous voulons nous donner. Plus le monde est tissé de mailles, plus il est vulnérable aux perturbations. Ces nœuds de communication et les connexions entre eux, que l’on peut trouver partout et peu protégés correspondent aux points sensibles à couper. A un moment où même l’air brûle, cela n’a aucun sens de mettre le feu là où les flammes dansent déjà et où tous les regards sont fixés. Le silence radio, la coupure des communications, l’interruption des chaînes de commandement – et bien plus encore – sont les possibilités que l’on peut trouver avec un regard de créativité et d’analyse lorsqu’on cherche des objectifs à attaquer.

« Feu aux prisons! – C’est l’arrestation d’un compagnon anarchiste à Zurich qui a conduit à la parution de ce journal »

[Traduit de l’allemand du journal anarchiste ‘Feuer den Knästen’ via Act for Freedom Now, März 2019]

Transféré* à Condé-sur Sarthe.

Salut,

Un mail pour faire état de la détérioration des conditions de détentions
des détenus suite au mouvement de maton-ne-s qui sévit depuis l’attaque
de deux matons à la prison haute-sécurité de Condé-sur-Sarthe.

Le 05 mars dernier Mickael Chiolo et sa compagne attaque à l’aide de
deux couteaux céramiques deux matons de la prison. Condé c’est une
prison ultra-moderne, à quelques pas d’Alençon dans l’Orne. Y sont
enfermés à l’isolement les détenus jugés les plus dangereux par la
pénitentiaire, et pas mal de longues peines. On y trouve entre autres
quelques cellules et une unité dédiée aux détenus dits » radicalisés ». La
prison n’est pas contrairement à d’autres surpeuplée. Les détenus sont
confinés dans leur cellules individuelles de 9 m2. Ce qui n’est pas gage
de meilleures conditions de détention mais d’isolement des taulards.

Dans les heures qui suivent les matons et les matonnes de Condé entrent
en grève et bloquent les parloirs. Sur place on voit encore pas les
traces de suie sur le bitume due à l’occupation du rond point jouxtant
l’entrée du site. Durant une quinzaine de jours, le mouvement mené par
différents syndicats dont la CGT-pénitentiaire et soutenus par leurs
collègues de plusieurs taules, mais également par les gilets jaunes
locaux, réclament des revalorisations salariales, un recrutement, un
durcissement des moyens répressifs ( tasers, fouille à corps des détenus
et des visteur-se-s, renforcement des ERIS ), mais également
vidéosurveillance et écoute des unités de visite familiale dans lesquels
les détenus peuvent rencontrer leurs proches, la suppression des espaces
de « convivialité » et d’activités aussi dangereuses que la jardinage ou
la boxe. Bref, il s’agit de réduire encore plus drastiquement les
maigres libertés que les détenu-e-s réussissent à arracher à
l’administration pénitentiaire et de faire payer aux engeolés et à leurs
proches l’attaque. Durant cette grève et dans les jours qui suivent, les
détenus ne peuvent sortir de leurs cellules individuelles, accéder aux
promenades, aux activités. Plus de 20 jours sans pouvoir sortir de leur
9 m2.

Finalement, après une quinzaine de jours de lutte l’administration et le
ministère cède sur pas mal de revendications. Mais seulement sur Condé.
Ce qui ne manquera pas d’irriter les collègue de Caen, du Havre, de
Cherbourg et de tas d’autres taules. Les matons en lutte de Condé sont
des « traitres » : ils et elles n’ont lutté que pour leur gueule !

Vendredi dernier, le syndicat PRP – syndicat pour la protection et le
respect des prisonniers – qui réunit quelques proches de détenu-e-s
appellent  un rassemblement. Nous ne sommes qu’une dizaine dont 4
proches de détenus. Elles veulent alerter sur les conditions de
détention à l’intérieur du centre. Ces proches, dont certaines s’étaient
déplacées de plusieurs centaines de kilomètre n’ont pu avoir accès aux
parloirs. L’administration refuse même de communiquer avec elles. Elles
n’apprendrons qu’en fin de journnée qu’elles ne pourrons voir leur
proches. Larbitraire de la taule dans toute sa splendeur. Sur les
réseaux sociaux, des matons nomment les plus militantes « putes à
parloir ». L’une d’entre elles nous balance ironiquement : « si j’avais pu
toucher de la thune à chaque fois, ça m’aurait arrangé ! »Elles attendent
de savoir si elles pourront les voir ce mercredi 27.

Tout celà aurait mérité un beau parloir sauvage. Mais ni le nombre, ni
le lieu ne s’y prête réellemnt. Entre une quatre voix toute proche, une
zone indutrielle, les grillages qui repoussent les murs d’enceinte d’une
bonne centaine de mètre, des murs d’enceinte bien haut difficile
d’espérerse faire entendre. Juste quelques coup de klaxon lors de notre
départ en convoi. Tandis qu’autour du site, entre les enceintes de
confinement et les barbelés extérieurs, paissent quelques dizaines de
moutons que la pénitentiaire a posé là, tout aussi enfermés que les
détenus qui peuvent les observer. Le meilleur des mondes écologique en
quelques sorte.

Bref, ce mouvement de matons et de matonnes aura permis de légitimer et
durcir encore davantage la torture pénitentiaire. Vient s’y ajouter
aujourd’hui un durcissement des conditions de détention dans l’ensemble
des mitards de France.

Pour prolonger la réflexion et peut-être motiver certains et certaines
d’entre vous à passer à la discussion contre la construction de la
nouvelle prison de Ifs le vendredi 05 avril prochain à 18 heures au
local Apache, voici quelques liens :

Sur le durcissement du mitard :
https://paris-luttes.info/le-durcissement-du-mitard-11826
L’appel du 22 :
https://paris-luttes.info/appel-a-rassemblement-devant-la-11838
Le texte de l’Envolée sur la question :
http://lenvolee.net/le-vrai-drame-de-conde-sur-sarthe-cest-son-existence-meme/

Contre toutes les prisons,
Un d’Apache avec la complicité de quelques autres.

[reçu par mail]]
 Note du laboratoire: * Depuis deux ans  les émeutes du centre pénitentiaire permettent à France  bleu  Drome Ardèche de faire la propagande anti prisonniers révoltés , le laboratoire etc.. est solidaire du prisonnier transféré à condé sur Sarthe..

France : Aperçu de l’acte XIX des « Gilets jaunes » – 23 mars 2019

Lille (Nord) : « Plus de monde, plus de radicalité, plus de débordements » (La Voix du Nord, 23.03.2019)

Lille a été sans conteste la ville où, avec Montpellier, il y a eu le plus de désordres pour ce 19ème acte. Plus de 2000 personnes ont pris part à la manifestation. Parmi les vitrines prises pour cible, celles des banques et des panneaux publicitaires, mais aussi des agences immobilières, deux écoles de commerce et chaîne de fast-food : « Un premier incident éclate boulevard Lebas, où deux policiers en civil des renseignements doivent fuir la manifestation sous les projectiles (une nouvelle fois, après la sortie de Papineau à la manif du 2 mars, lors de l’acte XVI). Mais c’est surtout rue de Tournai, près de la gare Lille-Flandres, que la situation dégénère. Derrière une banderole, les Black Blocs s’approchent de la police en jetant des projectiles et fumigènes. Les forces de l’ordre répliquent avec du gaz lacrymogène. Un peu plus loin, rue Faidherbe, nouveaux affrontements. À différents endroits du parcours, des vitrines sont taguées ou cassées (banques, assurances, panneaux publicitaires, assurances, école de commerce, bars…). La police intervient à plusieurs reprises. Un important dispositif filtre l’arrivée place de la République, où quelques heurts finaux surviennent. En tout, sept personnes ont été interpellées ».

L’école de commerce


Metz (Moselle) : Tensions au centre-ville

« Des affrontements, mais pas de casse » (Le Républicain Lorrain, 24.03.2019). La manifestation de ce jour avait été déclarée en préfecture.

« Il est 15h. Le défilé tourne en rond en hyper-centre puis s’oriente rapidement vers la Préfecture. Sur le pont, des barrières et des CRS empêchent toute progression vers le quartier des Îles. Quelques projectiles sont lancés mais les manifestants n’insistent pas. Dans l’impossibilité de franchir la Moselle, ils repartent en ville. Devant la cité administrative, un petit groupe de Gilets jaunes s’en prend aux policiers en faction devant les bâtiments publics. Les premières grenades lacrymogènes sont tirées. Une femme au moins est touchée au bras. Les GJ infirmiers prennent également en charge deux personnes atteintes de crise d’épilepsie. C’est le début de l’affrontement entre gilets jaunes et gilets bleus. Ces derniers délogent les manifestants de la place d’Armes avec des bombes lacrymogènes. Les manifestants sont repoussés, en ordre dispersé, vers la place de la République […] Il est 18h à présent. 700 GJ sont rentrés à la maison. Les 300 qui restent sont confinés sur la place, retenus à l’entrée de la rue des Clercs. L’un d’eux a lancé une bouteille d’excrément sur un CRS. Quelques radicaux dépavent la voie du Mettis ».

L’après-midi s’est soldé par une quinzaine d’interpellations. « En matinée, des contrôles avaient déjà été effectués par les gendarmes sur les axes routiers en périphérie de Metz. Une deuxième salve de contrôles a été menée par la police en ville. Trois personnes ont été interpellées, l’une d’elle avait un sac à dos rempli de pierres, l’autre apportait sa collection de clous ».


Dijon (Côte-d’Or) : tentative d’ouverture de squat

Selon la préfecture de la Côte-d’Or, il y a eu une tentative d’ouverture de squat rue Pierre-Curie condamnée par le préfet, qui parle « d’un coup de force de la mouvance anarcho-libertaire qui a noyauté le cortège ». Il a été expulsé par les forces de l’ordre dans le délai de flagrance avec toutefois un retour des manifestants durant la manifestation. Un policier a été blessé à cet endroit à la main par un jet de pavé vraisemblablement. Autre échauffourée à noter rue Bannelier au niveau de la place de la banque avec là encore des jets de projectiles et des tirs de mortiers. Pour le moment, quatre personnes ont été interpellées mais le bilan est évolutif. » Selon la source officielle, les manifestants auraient été moins de 1000 ; selon les estimations du Bien Public, ils étaient entre 1500 et 2000 ».

Lyon (Rhône) : affrontements au centre-ville, péage et autoroute bloqués à Tarare et à Villefranche-sur-Saône

Pour ce 19ème acte, les forces de l’ordre quadrillaient entièrement la place Bellecour. Quelques centaines de gilets jaunes ont manifesté dans le Vieux-Lyon en début d’après-midi mais elles n’ont pas pu aller au-delà du pont Bonaparte. Des affrontements ont eu lieu aux alentours de la rue et de la place de la République, les flics recevant des « cacatov ». Trois personnes ont été interpellées pour « jets de projectiles », cinq blessées.

A Tarare, des dizaines de personnes ont rendu gratuit le péage d’autoroute, tandis qu’à Villefranche-sur-Saône, d’autres ont bloqué l’autoroute pendant quelques minutes.


Montpellier (Hérault) : ça part en affrontements et en saccage dès le début

Comme chaque samedi, le rencart était fixé à 14h, place de la Comédie. Après un rapide passage dans le centre-ville, le cortège de 5000 personnes est retourné place de la Comédie où les premiers affrontements avec les flics éclatent.

S’en suivent des heures de batailles de rues, pavés, bouteilles et cocktails Molotov répondant aux salves de lacrymo, au milieu des barricades de poubelles et de mobilier urbain en feu.

Vitrines de banques, DABs, stations de tramway et distributeur de tickets (cf ci-contre) panneaux de pub sont attaqués et détruits. Rue Chaptal, deux voitures sont incendiées.

Les affrontements se termineront vers 18h avec deux CRS et un flic de la CDI34 blessés et une vingtaine d’interpellations.


Toulouse (Haute-Garonne) : une barricade et une voiture en feu

Après quelques heurts par ci par là entre manifestants et uniformes de l’ordre et l’interpellation d’une manifestante une demi-heure avant pour « port de cagoule », la situation s’est tendue vers 16h40 sur l’avenue Camille Pujol, où plusieurs poubelles ont été brûlées et une barricade dressée au milieu de la chaussée. Quelques minutes plus tard, une voiture est incendiée sur l’avenue de la Gloire. A 18h, des manifestants parvenaient à atteindre la place du Capitole, où toute manifestation est interdite. Pour répondre à cet affront fait à l’ordre démocratique, les flics évacuent violemment la place et la BAC procédera à deux interpellations. Quelques heurs se poursuivront en début de soirée au niveua de la station de métro Jean Jaurès.

Bordeaux (Gironde) : des heurts en fin de journée à proximité de la place interdite.

Plus de 2500 personnes ont manifesté ce samedi 23 mars.

Des échauffourées ont éclaté peu avant 18 heures à proximité de la place Pey-Berland (qui fait l’objet d’un arrêté d’interdiction de manifestation), notamment après l’arrivée de militants des « black blocks » en milieu d’après-midi. La police a fait usage de gaz lacrymogène. Repoussés, les derniers manifestants ont ensuite reflué vers la place de la Victoire. Les forces de police se sont déployées, appuyées par des canons à eau dont il a été fait usage pour évacuer la place. Au moins une douzaine d’interpellations ont eu lieu au cours de la journée à Bordeaux. Dans la soirée, les policiers continuaient à procéder à des interpellations. » (Sud-Ouest, 22.03.2019)

Nantes (Loire-Atlantique) : plus de 400 personnes tentent d’investir le centre commercial de la route de Vannes et se replient au centre-ville

« L’objectif des « Gilets » était de bloquer la route de Vannes, la « plus grosse zone économique de la région ». Mais avant 13 h, l’heure du rassemblement au Mac Do de la Porte de Vannes, les forces de l’ordre contrôlaient chaque rond-point, multipliant les fouilles de sacs. 400 personnes ont ensuite bloqué l’avenue principale menant aux commerces. De nombreux commerces ont temporairement fermé leurs portes tandis que les pastilles de gaz tombaient en pluie sur leurs parkings vides. D’autres rassemblements se sont tenus plus tard dans l’après-midi, ponctués d’échauffourées avec les flics. » (Ouest-France, 23.03.2019)

« Sur les 25 interpellations réalisées par les policiers ce samedi 23 mars à Nantes […], 17 personnes ont été placées en garde à vue. Ce dimanche, seuls trois manifestants restaient dans les geôles. Ils ont été déférés devant un magistrat du parquet. L’un, âgé de 20 ans, devrait être jugé en comparution immédiate, ce lundi à 14h. On lui reproche sa participation « à un attroupement formé en vue de commettre des violences ou des dégradations ». Un adolescent de 17 ans et demi, poursuivi sous ce même chef d’inculpation fourre-tout et généralisée, devait être déféré devant un juge des enfants en vue d’une éventuelle mise en examen. « Enfin, le troisième, âgé d’une vingtaine d’années, sera jugé ultérieurement devant le tribunal correctionnel pour entrave à la circulation. Il aurait positionné son véhicule au milieu d’un rond-point, samedi, route de Vannes, empêchant ainsi les automobilistes de passer ».

Hérouville-Saint-Clair (Calvados) : tentative de blocage du centre commercial et affrontements

Alors que tout était (bien trop) calme, une partie des manifestants (environ 200) ont décidé de quitter la marche mollassonne pour aller tenter d’envahir le centre commercial de Carrefour Saint-Clair.

Vers 16h30, des affrontements ont éclaté entre les immeubles du quartier des Belles-Portes Après avoir essuyé des jets de projectiles, les gendarmes mobiles ont bombardé la foule de gaz lacrymogène à l’approche du périphérique pour disperser les manifestants et les empêcher de se rendre vers le centre commercial Carrefour Saint-Clair. Quelques poubelles ont été incendiées sur le passage du cortège et la tension est redescendue vers 18h. Trois personnes ont été interpellées.

Paris : Plus une manif sans enfoncer le pare-brise d’une Porsche…


Saint-Dizier (Haute-Marne) : manif nocturne et sauvage la veille

600 personnes sont parties en cortège du rond-point des Nations. « Alors que le défilé avait débuté dans une ambiance bon enfant, des échauffourées ont éclaté aux alentours de 20h entre certains manifestants et les forces de l’ordre en queue de cortège : jets de pavés et de plaques d’égout contre tirs de gaz lacrymogène devant l’Hôtel de Ville. Vers 21h30, cinq poubelles ont été incendiées et plusieurs abris de bus détruits alors qu’un hélicoptère avait été déployé dans le ciel bragard par les autorités. A l’issue de cette marche nocturne, trois personnes ont été placées en garde à vue pour ces dégradations. L’une d’entre elles est sortie après avoir reconnu les faits : elle sera convoquée ultérieurement par le tribunal correctionnel. » (France 3 Grand-Est, 22.03.2019)

Gilets jaunes : Sur la ligne de crête

vendredi 22 mars 2019, par Temps critiques

Une ligne de crête qui accompagne tous les soulèvements car, par définition, on ne sait pas quand et comment va se faire la bascule. Ce qui nous fait entrevoir cette phase, c’est que le mouvement des Gilets jaunes s’échoue aujourd’hui sur plusieurs écueils qui ont pourtant fait sa force hier.

S’il ne se laisse pas définir, il ne se définit pas lui-même

Si le mouvement des Gilets jaunes ne se définit pas par ce qu’il n’est pas (antisémite, anti-migrant, sexiste, homophobe), ce qui serait se mettre dans la contre-dépendance des attaques de ses ennemis ou des médias, il ne se définit pas non plus par ce qu’il est. Comme dans tout mouvement qui possède une véritable dynamique propre, des clivages présentés comme une réalité incontournable par l’État, les sociologues et les médias, n’en sont plus pour lui. Pour « les gens d’en bas » qui se soulèvent contre l’ordre des dominants, les fractionnements entre « quartiers sensibles » et communes périurbaines sont relativisés lorsque les lycéens de Mantes-la-Jolie montrent qu’en banlieue aussi la survie n’est plus supportable ; fractionnement réduit entre assistés et chômeurs ciblés par la phrase assassine de Macron « il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver un emploi » puisque de nombreux chômeurs, présents sur les ronds-points, développent solidarité et convivialité ; fractionnement effacé entre travailleurs pauvres (l’emploi n’est plus gage de vie décente) et petits salariés, artisans ou auto-entrepreneurs.

Par sa dynamique propre, par l’action directe, le mouvement des Gilets jaunes a réfuté pratiquement les reproches idéologiques que lui adressent abstraitement les milieux politico-médiatiques dominants. 

Au sein d’une frange de la population, qui n’a pas toujours été la plus active dans les mouvements sociaux précédents, parce qu’elle a à la fois voulu et subi les processus d’individualisation, se fait jour la bonne vieille idée redécouverte dans chaque lutte d’importance, celle que le pouvoir divise pour mieux régner. Mais force est de reconnaître qu’après trois mois de lutte, ces avancées politiques sont insuffisantes. En effet, alors qu’il a aussi connu une certaine maturation dans le discernement de ses objectifs (de la lutte antifiscale à la lutte pour la justice sociale, par exemple), le mouvement ne parvient toujours pas à véritablement se définir. Cela nuit non seulement à son extension vers les marges de sympathisants hésitants, mais rend abstraite l’idée souvent mal comprise à l’extérieur du « Tous Gilets jaunes » puisque sans définition plus précise de ce qu’il est, toutes ces franges proches devraient l’intégrer et, à l’inverse, au nom de qui ou à partir de quel principe pourrait-il dire : « non, vous, vous n’êtes pas Gilets jaunes » ? Ni l‘appel de l’assemblée des assemblées à Commercy ni les communiqués du groupe Gilets jaunes Lyon-centre n’ont réussi à lever cette équivoque par rapport, par exemple, à la présence de l’extrême droite à l’intérieur du mouvement.

C’est que la communauté de lutte pose comme première valeur politique la solidarité dans le désaccord, c’est-à-dire l’inverse de l’appréhension traditionnelle de la politique, y compris à l’extrême gauche qui, quant à elle, pose au contraire le désaccord comme principe premier et « ligne » de partage. Cette disposition première, en faveur de la communauté de lutte et de la solidarité qui en découle, amène le mouvement à ne pas aborder ou à reléguer au second plan « les sujets qui fâchent ». Ne pas trop en dire pour pouvoir continuer à se dire les choses. Ainsi, alors que les Gilets jaunes parlent beaucoup de votes et les utilisent pour prendre des décisions, alors que nombreux sont ceux qui, parmi eux, mettent en avant le vote par RIC, la question du droit de vote n’est absolument pas abordée, car elle fractionnerait la solidarité des Gilets jaunes à partir du moment où il faudrait prendre une position sur le qui est citoyen et surtout qui ne l’est pas, au risque du désaccord.

Dans les AG, il est ainsi souvent nécessaire d’intervenir déjà pour faire corriger l’appellation « assemblée citoyenne » souvent utilisée dans les assemblées issues de ronds-points pour coordonner action et réflexion entre communes périurbaines. Car le flou persiste souvent sur les contours de la citoyenneté d’autant que dans ces actions, les Gilets jaunes n’hésitent pas à faire appel à des salles de mairie et à y accepter des élus municipaux ou même des députés, ce qui fait qu’on a parfois du mal à distinguer ces débats du « Grand débat ».

Ce n’est peut-être qu’un pis-aller, mais en l’état actuel des choses la notion « d’assemblée populaire » utilisée dans les assemblées de Commercy et celles (plus urbaines) qui les ont rejointes reste dans le vague. Malgré tout, cette dénomination d’assemblée populaire prête moins à confusion tout en étant fort paradoxale. En effet, les « assemblées citoyennes » sont d’une composition sociale bien plus populaire que les « assemblées populaires » qui sont, elles plus « citoyennes » au sens Révolution française du terme. Pourtant, à l’origine, sur le terrain des ronds-points, la question ne s’était pas posée abstraitement, mais de façon pratique, car il paraissait difficile d’être sur un barrage ou un rond-point avec un « étranger » qui se bat contre l’injustice fiscale à côté de vous et de lui dire que le RIC ce n’est pas pour lui… parce qu’il n’a pas la nationalité française et qu’il ne peut pas voter ! La référence à la Révolution française devrait ici encore servir : est « citoyen » celui qui participe à la « révolution », quelle que soit sa nationalité.

Si, pour beaucoup de Gilets jaunes, la référence à la Révolution française est réelle et profonde, alors il faut que le mouvement assume sa part de sans-culotterie sans qu’elle soit sans cesse rabattue sur celle d’un citoyen juste conçu comme sujet du pouvoir d’État en remplissant des devoirs qui donnent lieu à des droits. Par ailleurs, cela mettrait fin pratiquement à cette idée saugrenue, partagée par certains Gilets jaunes, d’un vote considéré comme obligatoire et donc comme un devoir plus qu’un droit. Mais ce serait faire preuve d’optimisme de penser que le mouvement pourrait en quatre mois acquérir une conscience de la communauté (humaine) qui efface toute frontière. La communauté de lutte trace, consciemment ou non, ses frontières dans la lutte. L’exemple frappant en est de la distinction qui apparaît dans des discussions entre Gilets jaunes « de base » sur la question des migrants1. Si les immigrés sont bien reconnus et acceptés par les Gilets jaunes — d’autant qu’il s’en trouve un nombre non négligeable parmi eux — ils le sont sur la base de l’ancienne figure du travailleur immigré. Des descendants de travailleurs immigrés et qui sont Gilets jaunes par ailleurs, considèrent que leurs parents et eux sont devenus ou sont français parce qu’ils ont contribué à la construction et à la prospérité du pays, alors qu’à leurs yeux les migrants d’aujourd’hui ne cherchent pas à se fixer et s’établir (cf. Calais et tous ceux qui veulent absolument passer en Angleterre) et relèveraient d’une gestion internationale de crise qui échappe à la communauté de lutte2. En conséquence, cela restreint considérablement le champ de sa tension vers la communauté humaine. Plus concrètement, c’est aussi une situation à courte vue, car si la force de travail est globalement surnuméraire aujourd’hui dans le procès de valorisation du capital, le surnombre n’est pas toujours là où on le croît, comme le montrent les efforts actuels d’entreprises comme MacDo, Starbucks et autres grossiums de l’hôtellerie-restauration ou du BTP, qui vont jusqu’à proposer à des migrants fraîchement arrivés3, des cours accélérés de français parce qu’elles recherchent des « petites mains » à des conditions tellement à la marge du droit du travail que personne ne les acceptent.

Un discours plus protestataire que révolutionnaire ou réformiste

Si l’expression d’une juste colère a fait la force du mouvement à ses débuts, il cherche aujourd’hui un second souffle qui le transformerait en une lutte sociale plus globale contre un ensemble structuré par l’État et le capital. Ce qu’il a tendance à résumer par les termes de lutte contre le « système », sans chercher à davantage le définir. Faute d’y parvenir, cette colère a tendance à se transformer en haine contre l’oligarchie (le « je vous hais compris » écrit parfois sur des gilets jaunes dénote en passant d’une certaine culture politique et d’un humour de bon aloi), elle-même réduite à quelques grandes entreprises ou banques et à quelques individus (politiques, journalistes influents) « que l’on va aller chercher » comme le disent les manifestants. C’est comme s’il fallait leur faire payer individuellement leur forfaiture, alors pourtant que les Gilets jaunes ont pris conscience progressivement qu’ils ont affaire à un « Système ». En cela Macron est victime de son propre « dégagisme ». Il croyait avoir fait le plus dur en se débarrassant de l’ancien monde politique et c’est l’ancien monde populaire qui lui tombe sur le dos ; un monde nettement plus difficile à faire disparaître.

Cette colère anti-Système des Gilets jaunes est confortée par une vision oligarchique du pouvoir, vouant à la vindicte populaire seulement les 1 % les plus riches qui opprimeraient les 99 % autres, alors que tous les rapports sociaux sont traversés par des hiérarchies et des inégalités qui divisent et fragmentent ; le procès de domination parcourt l’ensemble du rapport social. Reconnaître cela, ou au moins en tenir compte, serait reconnaître que la notion de peuple n’existe pas en soi, qu’elle se construit dans le conflit et la tension entre ceux qui dirigent, à quelque titre que ce soit (économique, politique, culturel) et ceux qui n’ont aucun titre pour le faire. Mais il n’y a pas non plus de raison de faire porter aux Gilets jaunes le poids d’une supposée inexpérience politique alors que c’est une opinion bien partagée, aussi bien par les Occupy Wall Street américains que par un parti politique comme La France insoumise ! 

Il s’ensuit que le mouvement est souvent guetté par la recherche du bouc émissaire ou par les thèses complotistes d’autant que les réseaux sociaux cultivent facilement l’entre-soi et particulièrement Facebook qui est leur relai le plus utilisé. Cela a été le cas, plusieurs fois, quand, dans certaines villes, le mouvement a projeté de lancer des actions contre la banque Rothschild, une cible privilégiée parce qu’elle serait un symbole du capitalisme mondialisé et aussi parce que Macron y a été associé-gérant. Que ce type d’action soit repris par un groupe spontané comme Article 35–Insurrection est une chose, puisque sa révolte se situe dans l’immédiatisme et l’action directe. Mais que l’on en arrive à devoir expliquer en AG, où des représentants des divers groupes de Gilets jaunes sont présents, qu’il faut arrêter avec les symboles et regarder plutôt la réalité du système bancaire dans le fonctionnement global du capitalisme est le signe d’une réelle faiblesse théorique. Sur ce point comme sur le rôle des actionnaires dans la formation du capital, la critique du « système » est biaisée par le fantasme d’une finance qui représenterait le mal absolu. 

Nous l’avons déjà dit, on ne peut reprocher aux Gilets jaunes dont la maturité politique est de quatre mois de commettre les mêmes simplifications que celles produites par des organisations politiques d’extrême gauche confirmées ou par des journaux comme Le Monde diplomatique. La difficulté consiste à essayer de corriger le tir sans jouer aux experts… et en tenant compte du fait que l’analyse des Gilets jaunes est limitée d’entrée de jeu par le fait qu’elle isole le procès de circulation du capital du procès de production alors que le capital justement tente, à travers les réformes libérales, de l’unifier.

Pour rester concrets les Gilets jaunes ont parfois tendance à se rattacher à des chiffres censés parler par eux-mêmes, mais qui donnent lieu à une surinterprétation proche du contresens. Par exemple dans un tract Gilets jaunes sur la finance, dont une partie est consacrée aux actionnaires et aux dividendes. La présentation qui en est faite pour la France tend à accréditer l’idée que c’est en France que les dividendes atteignent la meilleure rémunération en pourcentage pour les actionnaires, ce qui serait absolument scandaleux et ferait de celle-ci un modèle de capitalisme spoliateur. Or, c’est justement parce que jusqu’à maintenant la France a mieux résisté au modèle anglo-saxon de capitalisme et à ses exigences, que la France a plus besoin d’attirer de capitaux. Ainsi, elle a refusé le passage aux retraites par capitalisation, ce qui la prive de ses propres fonds de pensions et l’amène à rétribuer davantage les placements. Le problème n’est pas tant que cette approche est fausse, mais qu’elle empêche de comprendre le fonctionnement d’ensemble du capitalisme au niveau théorique et au niveau pratique, ce qui bloque souvent les discussions. Le mouvement ayant tendance à porter une attaque « morale » plus que politique cela inclut l’idée d’une moralisation possible des choses et des rapports sociaux. Cette tendance ne peut être contrecarrée que par des actions qui commencent juste, mais se développent en soutien à des conflits sociaux, dans des secteurs qui sont demandeurs parce que les syndicats y sont peu présents, comme les entreprises de sous-traitance de la grande distribution. Elles complètent les actions premières de blocage de la circulation en direction des plateformes en ce qu’elles mettent l’accent sur la dénonciation de l’exploitation et qu’elles peuvent jouer dans un sens favorable sur le rapport de force.

Un universalisme contradictoire au risque de l’isolement

Après avoir élargi ses revendications de départ et continué à refuser de négocier, ce point étant essentiel dans le maintien d’un rapport de force antagonique avec les pouvoirs en place, le mouvement rencontre des difficultés à s’étendre sur cette base initiale. Difficultés rencontrées dans la jonction du 5 février et avec l’échec de la liaison avec le mouvement lycéen en décembre, qui conduisent le mouvement à faire retour sur lui-même, dans des revendications qui font peut-être son originalité, mais qui ne sont plus que les siennes propres. Le mouvement des Gilets jaunes a certes raison de vouloir affirmer à la fois sa préséance dans la lutte et son autonomie par rapport aux autres forces. Par là, il s’est placé comme une sorte d’avant-garde de masse (« Tous Gilets jaunes ») dans la mesure où le fait d’enfiler le gilet jaune devenait tout à coup un acte de résistance en lui-même, un signe de reconnaissance ensuite et enfin le premier pas vers autre chose. De ce fait, il n’avait rien à attendre de l’appel traditionnel et le plus souvent « bidon », à une « convergence des luttes », tarte à la crème des années 2000 ayant succédé au « Tous ensemble » des années 1990. Le fiasco de la manifestation commune du 16 mars entre Climat et Gilets jaunes montre que le chemin sera long avant que tout le monde devienne « Gilets jaunes » où que les Gilets jaunes se fondent dans la révolution ou la République du genre humain ». Mais il n’est pas dit que certains de ceux-là ne se retrouvent pas plus facilement sur des actions de blocage de l’économie (énergie) ou dans des actions de soutien aux salariés en lutte ; autant d’interventions qui peuvent profiter de la déstabilisation générale des pouvoirs en place. Le problème est alors de savoir quel rôle y jouer. Sans vouloir trancher définitivement, notre expérience actuelle de la chose nous montre qu’il serait dommage qu’on y rejoue le soutien aux luttes du peuple tenu par les maos dans les années 1970. Les Gilets jaunes, sous prétexte qu’ils sont mobilisés et déterminés ne doivent pas être une sorte de bras armé (même sans arme) des salariés ou de n’importe quelle autre lutte.

C’est quand on agit ensemble contre la société capitalisée qu’on converge et non pas en agissant séparément d’abord, pour converger éventuellement ensuite (cf. à ce sujet, le contre-exemple des « stylos rouges4 »).

Si les Gilets jaunes font ressortir aujourd’hui un autre « Tous ensemble », il n’est pas de même nature que celui de 1995. Le premier était un appel à toutes les fractions de salariés, mais avec l’idée que la classe ouvrière et des catégories particulières comme les cheminots, en étaient la pointe avancée ; avec le second celui des Gilets jaunes, le « Tous ensemble » est posé au-delà du fractionnement. Étant potentiellement tout le monde, on ne voit pas qui pourrait les rejoindre, mais la conséquence en est que ce sont les Gilets jaunes qui finalement se posent ou sont perçus comme cette pointe avancée, ce qui évidemment n’est pas fait pour plaire à tout le monde et explique en partie les atermoiements de la CGT et de ses différentes fractions par rapport au mouvement, chose qui est apparue encore plus clairement le 19 mars que le 5 février.

Ce « Tous ensemble » est donc plus potentiel que réel et ajouté à la répétitivité usante des manifestations du samedi avec leur cortège de blessés, de condamnations et d’arrestations préventives, le mouvement a été amené à se tourner davantage vers des actions institutionnelles. Des actions qui visent d’un côté l’affirmation de la nécessité du RIC, non pas, comme à l’origine, une revendication parmi d’autres, mais comme remède miracle à la crise de la représentation politique, modèle de démocratie directe ; et de l’autre côté, la tentative de répondre au « Grand débat » du gouvernement par la supposée alternative que représenterait un « Vrai débat », animé cette fois par les Gilets jaunes. Pour nous une fausse alternative car finalement elle reste dans une sorte de contre-dépendance avec le Grand débat, puisque concrètement et même si les formes en sont plus libres, l’idée d’origine des Cahiers de doléances se retrouve bel et bien retournée, à son profit, par le pouvoir politique.

C’est bien au recul d’une action directe appuyée sur la base la plus large et la plus compréhensible pour tous du slogan « Macron-démission » auquel nous assistons. Un recul par rapport au défi à l’État que représentaient les blocages des ronds-points et les manifestations non déclarées. Dans cette mesure, le RIC semble maintenant représenter l’espoir d’une lointaine destitution venant remplacer la croyance en une démission immédiate.

Une référence appuyée au RIC qui pourtant ne trouve grâce dans aucune autre fraction de la population et qui, par ailleurs, n’est pas véritablement discutée au sein des différents groupes de Gilets jaunes. Par exemple, il n’y a pas véritablement accord sur le fait de savoir si le RIC est une revendication et dans ce cas là à quelle place il se trouve dans le vaste catalogue des revendications ou des propositions parcellaires que sont souvent chacune des 42 propositions d’origine ; ou bien s’il n’est qu’un outil permettant de satisfaire les revendications ou les propositions constituantes. Or, le RIC est censé régler tous les problèmes à partir du moment où il serait compris par tous après une popularisation de ses principes (cf. Les « marcheurs » du RIC). Ce qui apparaît ici, c’est la contradiction entre l’action collective des Gilets jaunes et un RIC qui repose sur l’acte individuel du vote dans l’isoloir ou même d’un simple clic d’ordinateur à effectuer chez soi les pieds dans les pantoufles.

Et surtout, avec le RIC en tête d’affiche, on aurait une coupure entre révolution politique et révolution sociale, une coupure déjà présente au moment de la Révolution française5.

Le pouvoir lui-même n’est pas questionné, ni d’ailleurs la nature de l’État. C’est comme si toute la problématique rendant possible le RIC faisait oublier aux Gilets jaunes la nature de l’État qu’ils ont pourtant découverte, ou redécouverte, pendant leur mouvement. Il s’ensuit un danger qui est de trop personnaliser la fonction politique et de ne pas tenir compte du lien contradictoire qui existe entre personnalité individuelle et fonction publique. Pour une majorité des Gilets jaunes, personnel politique et oligarchie font « Système » et ne sont donc pas dissociables. Il semble alors peu cohérent de ne s’attaquer qu’au personnel politique (Macron, Castaner) et à ses sous-fifres (Benalla, etc.), comme s’il fallait les punir en tant qu’individus plutôt que de lutter contre le fait même qu’il existe un personnel politique professionnel dont la fonction est séparée, cette séparation des activités, une parmi tant d’autres, étant une caractéristique du « Système »… capitaliste. Il en est de même quand le RIC veut réaliser son opération mains propres en demandant à ce que les casiers judiciaires des représentants du peuple soient vierges. Or, cette proposition risque de conduire à la situation italienne d’aujourd’hui survenue en partie grâce à l’opération « main propre » (mani pulite), même si le mouvement est très différent du Cinq étoiles.

Certes les Gilets jaunes demandent l’amnistie pour les Gilets jaunes condamnés, mais ils ne pensent pas à étendre cela à des faits préalables, commis au cours des manifestations contre la loi-travail, alors qu’ils étaient un peu du même ordre avec arrestations préventives, interdictions de manifester et peines disproportionnées. Même si beaucoup de Gilets jaunes disent regretter leur passivité de l’époque, ils ne semblent pas vouloir raccorder les événements et sont peut-être victimes de leur « présentisme ».

Dans leur colère ciblée sur les personnes, même si ce ne sont plus les mêmes, les Gilets jaunes marchent toujours sur les traces de la Révolution française. En effet, si la prise de la Bastille fut suivie d’une ouverture de la prison, elle fut très vite remplie à nouveau et même sur-remplie par ceux qui ne furent pas guillotinés. D’ailleurs, sur les ronds-points des Gilets jaunes, on pouvait trouver, pendant tout un temps, des panneaux figurants des guillotines et des manifestants ont même été traduits en justice pour avoir mimés, par figurines interposées, l’exécution publique de Macron. Toujours la symbolique de la Révolution française. Le problème est quand même qu’aujourd’hui, le « Système » est un peu plus détaché de ses « porteurs » qu’à l’époque. Cela est vrai aussi bien du point de vue d’une structure capitalistique toujours plus abstraite que du côté d’un État qui passe de la forme nation à la forme réseau. Mais c’est peut-être ça aussi qui produit la brèche par laquelle s’engouffrer. En effet, par rapport au temps de la Révolution française pendant laquelle ses institutions solides n’étaient pas encore en place, les Troisième et Quatrième République vont reléguer les hommes politiques à des positions subordonnées à leur fonction et aux institutions de l’État-nation. Or, la Cinquième République et surtout l’élection au suffrage universel ont inversé la tendance. La personnalisation du pouvoir qui s’en est suivi a été renforcée indirectement depuis par la résorption relative des institutions au sein de l’État dans sa forme réseau.

Il y a là tempête dans la tête des Gilets jaunes car comment résoudre la contradiction entre, d’un côté la tendance universaliste à la République du genre humain6 qui apparaît comme la perspective stratégique du mouvement et de l’autre un souverainisme populaire qui semble redonner des couleurs et du vernis à la forme nation  ?

La difficulté à trouver une forme d’organisation

La généralisation de l’occupation des ronds-points que nous appelions de nos vœux dans notre brochure « Une tenue jaune qui fait communauté7 » est aujourd’hui battue en brèche par la répression de l’État qui y a vu une dislocation de son espace capitaliste intégré (un danger pour son contrôle des flux de personnes et de marchandises) et les prémisses d’une autre reproduction des rapports sociaux, qui sans atteindre un point de fixation important et organisé comme Notre-Dame-des-Landes, n’en constituait pas moins une tendance à la prolifération de cabanes, considérées comme autant de scories dans un paysage à lisser. La situation est aujourd’hui au repli sur des terrains privés ou à des actions coups de poing sur des péages avec une difficulté, semble-t-il, bien plus grande en périphérie des grandes villes, par rapport à la situation dans les villages et autour des petites villes, où toutes les formes intermédiaires de lutte semblent pouvoir coexister et perdurer tant bien que mal.

Les assemblées se sont par contre développées dans de nombreuses villes, mais sur des bases plus traditionnelles et des modes d’organisation plus proches de ce qu’ils furent au moment de Nuit debout, c’est-à-dire avec une fixation sur le formalisme démocratique bien souvent en contradiction avec l’idée d’une libre prise de parole. Avec aussi des tendances à vouloir « organiser l’organisation » ou bien à faire voter pour savoir si on va voter et autres joyeusetés procédurières. Cela aboutit parfois à une inversion des choses dans laquelle l’AG croit faire le mouvement, alors que c’est le mouvement qui fait l’AG. Alors que sur les ronds-points on pouvait passer de la discussion à l’action et inversement sans le moindre problème, l’organisation étant éventuellement au niveau d’une coordination de ronds-points, la forme assemblée s’est trouvée fortement démunie devant le décalage entre l’avancée de sa forme organisationnelle et le peu de réalité de sa forme décisionnelle, par exemple au niveau de l’organisation de manifestations dont le déroulement, de fait, a continué à lui échapper.

Tout n’est pas joué

L’action collective, qu’elle soit sur les ronds-points ou dans la rue ressoude sans arrêt le corps politique et social des Gilets jaunes parce que c’est à ces occasions qu’il se confronte au pouvoir de l’État, y compris physiquement, là où se joue un tout ou rien, bien au-delà des « Vrais débats » et autres RIC. D’ailleurs les thèmes postés sur les réseaux sociaux par les Gilets jaunes et traités dans une enquête du journal Le Monde, en font foi puisqu’ils laissent apparaître que c’est celui de la mobilisation qui revient le plus souvent suivi par celui de la répression, puis la critique des élites, deux fois moins utilisé que le premier et enfin celui des revendications, quatre fois moins utilisé que le premier8.

C’est dans cette action collective que le mouvement fait l’expérience pratique d’un monde que tout à coup il ne semble plus subir, parce qu’il a commencé à en transformer certaines conditions (socialité, fraternité et solidarité, entraide), tout en permettant à chacun de se découvrir et se transformer dans le même mouvement, à travers cette action-là.

L’action directe est constitutive du mouvement et les manifestations, comme celle de samedi 16 mars, en montrent la nécessité. En dehors de la satisfaction subjective de la casse ciblée, pour la première fois les Gilets jaunes se sont assumés « casseurs » ou pro-casseurs, posant sans honte au milieu des dégâts. Mais pas sûr que cela fasse avancer les choses à partir du moment où la base du mouvement se rétrécit, que de plus en plus une autre colère monte… mais contre les Gilets jaunes et qu’à la limite, la prochaine fois le pouvoir pourra « marquer » les manifestants avec des produits indélébiles et pourquoi pas faire tirer dans le tas9.

Aucune solution immédiate ne se présente à nous parce que le mouvement a épuisé une partie de sa dynamique première. Force est de constater que c’est dans le moment de sa plus grande violence que le mouvement s’aperçoit qu’il est mis à nu… et à la merci des décisions du pouvoir. La prise au sérieux du désir de révolution de la part des Gilets jaunes, chose inimaginable au début du mouvement, le pousse, pour l’instant, vers une succession alternée de tentatives d’institutionnalisation et de politique du tout ou rien jusqu’à des pratiques émeutières (Paris, Bordeaux, Toulouse à un degré moindre). « L’ultimatum » du 16 mars est un acte fort, mais qui est aussi au risque d’un saut dans le vide si le mouvement ne réagit pas immédiatement et en diversifiant ses modes d’action ; en fuyant momentanément une nouvelle épreuve de force par exemple ou en la provoquant ailleurs, mais de façon inopinée10. Il s’agit de créer un lien entre tous ces modes d’action sans les opposer. Des actions menées depuis le début de la semaine montrent que le pouvoir a peur. Contrairement à ce qu’il cherche à faire croire, tout attroupement n’est pas interdit et surtout pas quand il a affaire aux Gilets jaunes, la nouvelle peste sociale. Il ne peut donc intervenir partout à condition qu’on le harcèle partout justement. La survie du mouvement est à ce prix. En avant !

 

Temps critiques, 22 mars 2019

Notes

1 – Nous ne parlons donc pas ici des assemblées de Gilets jaunes style Commercy ou Maison du Peuple de Saint-Nazaire qui, de fait, regroupent des personnes politisées par un passage à Nuit debout ou des militants plus ou moins en phase avec LFI ou le NPA qui affirment la libre circulation des personnes, l’accueil des migrants et se préoccupent peu de l’approche des « gens d’en bas » dont ils ne font pas vraiment partie ; leur adhésion au mouvement étant le plus souvent motivée par du prosélytisme politique.

2 – C’est sans doute pour cela que des pancartes contre le Pacte de Marrakech ont pu apparaître parfois et de façon finalement subreptice, dans les cortèges de Gilets jaunes, via des manifestants d’extrême droite.

3 – Cf. l’article : « Les réfugiés sont les bienvenus sur les métiers en tension ». Le Monde, 21 mars 2019, p. 20.

4 – C’est comme si les Gilets jaunes avaient tiré, intuitivement les leçons du 13 mai 1968 quand les étudiants ont remis le devenir du mouvement dans les mains de la CGT alors que dans le contexte actuel cette même CGT ne serait de toute façon pas capable de faire face à cette demande vu le rapport de force capital/travail et son influence décroissante.

5 – Cf. notre tract : « Dans les rets du RIC : remarques sur les faiblesses politiques d’une revendication », février 2019 :
http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article397

6 – http://blog.tempscritiques.net/archives/2614

7 – http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article392

8 – Bien sûr ce ne sont que des enquêtes et des statistiques, mais c’est à se demander qui a introduit le RIC dans le fruit ?

9 – Cf. le tract du syndicat policier Synergie-Officiers (https://twitter.com/PoliceSynergie/status/1107662000291753985/photo/1).

10 – Cette situation, les plus anciens d’entre nous l’on connue le 25 mai 1968 au petit matin… sans avoir la possibilité d’y trouver une issue favorable. Mais l’Histoire ne se répète jamais…