Archives mensuelles : février 2016

Marseille (Bouches-du-Rhône) : Le consulat d’Espagne tagué

a-97417mars-infos.org / samedi 20 février 2016

Dans le cadre de la mobilisation internationale contre les frontières, nous recevons et publions ce compte-rendu en solidarité avec les migrants et contre toutes les frontières.

Le 6 février 2014 la guardia civil a assassiné plusieurs dizaines de migrant.e.s qui tentaient d’entrer en Espagne à la nage. A l’occasion de ce triste anniversaire et en suivant l’appel pour les actes de solidarité envoyé de Rabat, quelques compagnon.ne.s se sont motivé.e.s pour exprimer leur désaccord avec la “forteresse europe” et leur rage contre toutes les violences produitent par les entités meurtrières que sont les états-nations. Donc le consolat s’est fait taggué par “06/02/2014 SPAIN KILLS MIGRANTS” et “KILLER”. La façade et la porte d’entrée se sont en plus pris quelques bombes de peinture.

Solidarity without limits !
Contre les frontières et le monde qui les produit !

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 repris du site attaque

Parution du Bulletin des compagnons de nulle part n°15

reçu par mail et lu sur Marseille infos autonome:

Donc le numéro 15 du « Bulletin des compagnons de nulle part » la revue (officielle) de la bibliothèque-infokiosque de st jean du gard vient de sortir. Il est sous-titré « Récits de l’ordinaire ».
Il est en vente nulle part mais vous pouvez en trouver des exemplaires à la biblothèque-infokiosque, à la Rétive à Alès, au Rémouleur à Bagnolet, à la librairie L’odeur du temps à Marseille et à la librairie Alterlivres à Sauve, très bientôt.

D’autre part, vous pouvez demander un exemplaire (contre 2 timbres) à : Bibliothèque-infokiosque 152 grand-rue 30270 St Jean du Gard.

Documents joints
documentsPDF

Avis aux amateurs : A Calais, un rouage discret de la machine à enfermer

repris de Brèves du Désordre

« La méthode de l’attaque diffuse est une forme de lutte qui porte en soi un monde différent. Agir lorsque tous prêchent l’attente, lorsqu’on ne peut compter sur de nombreux soutiens, lorsqu’on ne sait pas par avance si on obtiendra des résultats – agir ainsi signifie déjà affirmer ce pour quoi on se bat : une société sans mesure. »
A couteaux tirés avec l’Existant, ses défenseurs et ses faux critiques, 1998

Lorsqu’on souhaite s’opposer de façon directe à un aspect particulier de la domination, on a souvent l’impression de se retrouver face à une montagne, sur laquelle il semble presque impossible d’avoir prise. Pourtant, si on abandonne le lieu commun confusionniste et complotiste que le monde serait dirigé par quelques humains planqués à droite à gauche dans des tours de bureaux surprotégées, et qu’on commence à l’analyser comme un rapport social fait de mille collaborations aux responsabilités bien concrètes, on se rend vite compte que chaque aspect de la domination est constitué d’une myriade d’hommes et de structures auxquels tout individu déterminé peut exprimer ce qu’il en pense.

Prenons par exemple la question de la machine à expulser et trier les migrants qui arrivent en brûlant les frontières ou qui survivent dans la « jungle » de Calais. Bien sûr, il y a d’évidence les flics qui tabassent, gazent, couvrent les fachos ou détruisent les campements. Mais lorsqu’ils ne sont pas en train de faire leur sale travail sur place, lorsqu’ils se reposent un peu plus loin en rigolant peut-être de leurs exploits du jour, lorsqu’ils se croient à l’abri des pierres des migrants qui ont pris l’habitude de ne plus se laisser faire pour forcer la frontière qui les sépare de l’Angleterre, ils se retrouvent bien quelque part, non ? Quelque part où il serait bien malveillant de les empêcher de reprendre leurs forces.
Bien sûr, il y a aussi ce camp de confinement et de triage installé depuis décembre, un camp de containers, un camp grillagé, vidéo-surveillé, gardé et à l’accès filtré par reconnaissance palmaire, un camp qui sert d’un côté à gérer une petit partie des réfugiés et surtout à justifier l’expulsion forcée des 3000 autres prévue ces jours-ci et à briser leur auto-organisation. Mais ce camp, il y a bien des entreprises et des associations qui l’ont monté et continuent plus que jamais à en assurer le bon fonctionnement quotidien pour le compte de l’Etat, non ?

Et puis aussi, il y a un autre aspect important de la domination que les ennemis de l’ordre ont parfois tendance à trop négliger. Un aspect qui se niche dans un autre espace que celui des flics ou des entreprises qui construisent les structures matérielles de l’oppression à laquelle on fait face. Un espace directement concerné bien qu’un peu plus discret, celui où sont transmises, reproduites, formées, théorisées et développées les connaissances, techniques et ingénieries de la domination dans chaque domaine : l’université et ses centres de recherche. Si cela est bien connu en matière de sciences appliquées pour l’industrie de l’armement, le nucléaire, la génétique ou les nouveaux matériaux, le rôle des prétendues « sciences sociales » semble toujours un peu à l’écart, alors que la collaboration entre le bras universitaire et le bras policier du pouvoir est structurelle et étroite dans tous les domaines. Aucun n’y échappe. Il n’est même pas étonnant que l’université, qui n’est autre que l’organisation institutionnelle de l’ignorance, puisse servir de vivier pour sa cousine où l’obéissance est érigée en art.
Comme les exemples ne manquent pas, on se contentera ici de quelques-uns à titre illustratif, ceux qui sont justement liés à la machine à trier, enfermer puis déporter. Ainsi, quand les flics doutent de la région d’origine des demandeurs d’asile ou des sans-papiers enfermés en centre de rétention, et lorsque les associations humanitaires qui servent de caution démocratique aux expulsions ne parviennent pas à faire cracher le morceau aux intéressés, à qui la préfecture fait-elle appel ? A une armée d’ethnologues et de linguistes, comme ceux qui se pressent ces derniers temps dans les Hotspots créés à Lesbos, Chios, Leros, Samos et Kos (Grèce) ou à Lampedusa et en Sicile (Italie), afin de trier les migrants entre « demandeurs d’asile » et « exilés économiques ». C’est d’ailleurs un mouvement de fond, puisque le site du ministère de l’Intérieur précise de son côté que sur les 500 agents de la DGSI recrutés pour 2015-2017, sont recherchés des civils spécialisés en sciences humaines comme la « psychologie, géopolitique, sociologie, traducteurs ».
Concrètement aussi, on apprenait de façon anodine en août dernier que 17 élèves de l’Institut national de langues orientales (Inalco) de Paris qui parlent couramment japonais, coréen ou chinois, effectuaient des stages dans les commissariats de la capitale pour lutter contre les vols à la tire de touristes asiatiques dans les beaux quartiers. Il y a quelques jours enfin, un journal local annonçait que le tribunal de Boulogne-sur-Mer venait d’embaucher 3 « assistants de justice » pour une période de deux ans afin d’étudier les « passeurs », et plus généralement de l’aider à lutter dans la région de Calais contre toute « aide à l’entrée et au séjour irrégulier ». Il s’agit d’étudiants en droit de niveau Master choisis dans le cadre d’un partenariat avec l’Université du Littoral (Centre Universitaire Saint Louis à Boulogne et Centre universitaire de la Citadelle à Dunkerque). Des étudiants plutôt que des juges ? Après quelques années à jouer les perroquets dociles du code pénal, la matière molle qui leur sert de cerveau sera on ne peut mieux employée, selon les dires du président du TGI : « réaliser des recherches et produire des synthèses à destination des magistrats » sur l’économie informelle des migrants et ceux qui sont parfois solidaires avec eux.

Alors, l’Université du Littoral, un rouage parmi tant d’autres de la machine à enfermer ? Certes, mais un rouage auquel chacun peut à sa manière adresser ses compliments.

[Paris et sa banlieue] Contre l’état d’urgence, contre le PS

5 permanences du PS ont perdu leurs vitres

Dans les derniers jours 5 locaux du PS ont eu leurs vitres defoncées à Paris et en Seine Saint Denis :

Dans le IIIème (40 rue Charlot), le XVème (36 rue Mathurin Régnier), le Vème (328, rue St Jacques), aux Lilas (rue du 14 Juillet) et au Pré Saint Gervais (33 rue Gabriel Péri).

S’opposer à l’état d’urgence c’est s’opposer à l’Etat tout court et au parti au pouvoir le PS.

Cela ne se fait pas avec des promenades traine-savates aux côtés de partis politiques, syndicats et bigots obscurantistes ni avec des banquets avec des religieux ou juste en se plaignant de la violence policière.

Vive l’action directe!

Ils envoient leurs flics défoncer nos portes, défonçons leurs vitres (ou autre)!

Contre l’Etat!
repris du chat noir émeutier

Metz (Lorraine) : révolte incendiaire au centre de rétention, deux bâtiments HS

recopié de Brèves du Désordre
Metz : incendie au centre de rétention administrative

Républicain lorrain, 18/02/2016 à 09:57

Ce mercredi soir aux alentours de 21h, un feu a été signalé au centre de rétention administrative (CRA) de Metz, situé à proximité de la maison d’arrêt de Queuleu. Trois ambulances, deux fourgons pompe-tonne et une échelle des sapeurs-pompiers se sont rendus sur place. Deux bâtiments, dans lesquels des personnes retenues en attente de quitter le territoire avaient embrasé des matelas, ont été touchés. Parallèlement, les esprits se sont échauffés et les encadrants ont dû faire face à un début d’émeute. Une vingtaine de soldats du feu ainsi que les forces de l’ordre étaient présentes.

Par ailleurs, deux personnes retenues dans le centre ont dû être transférées à l’hôpital de Mercy, à la suite de tentatives de suicide. Les responsables du site, où transitent les sans-papiers, n’ont pas souhaité communiquer la nuit dernière.

Il semblerait que l’état des bâtiments, où le feu a pu être maîtrisé à 22h, ne permettait plus, dans la nuit de mercredi à jeudi, d’accueillir les résidents. Il était question de leur trouver un autre lieu d’hébergement. Le CRA de Metz héberge une cinquantaine de personnes actuellement. La plupart dormaient à l’heure où le feu s’est déclaré. L’origine des incidents était inconnue mercredi soir.
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CRA de Metz : une enquête après l’incendie

Républicain lorrain, 19/02/2016 à 09:56 (extrait)

Vers 22h30, le feu est maîtrisé dans les deux bâtiments où les dégâts matériels sont, toutefois, importants. Tous les hébergés ont ensuite pu regagner les chambres restantes, situées dans les trois constructions encore utilisables.

Au cours de leur intervention, deux sapeurs-pompiers ont été légèrement intoxiqués par le dégagement de fumée. Quant aux deux retenus, qui avaient été conduits à l’hôpital de Mercy, ils en sont ressortis dans la nuit et ont pu réintégrer le CRA.

Hier, « les services techniques de la zone de défense Est ont été mandatés pour une remise en état rapide des deux bâtiments qui ont été endommagés par les fumées importantes », explique Elise Bas, directrice de cabinet à la préfecture de la Moselle. Une enquête a été diligentée par les services de la Police aux frontières (PAF) pour connaître les circonstances et les auteurs des incendies des matelas…

Parution du Ricochets n° 14 – février 2016

Bulletin contre la maxi-prison et le monde qui va avec

ils veulent nous enfermer….
brisons les murs de la société carcérale
le numero 14 en PDF
RICOCHETS
est un bulletin né au sein du combat contre la
construction d’une maxi-prison au nord de Bruxelles. C’est un
combat en dehors de tout parti et organisation officielle, un
combat qui propose d’empêcher directement, concrètement,
par nous-mêmes, la construction de cette nouvelle taule.
C’est un vaste combat, car la maxi-prison est le projet
emblématique des temps qui courent : un serrage de vis général,
une accentuation de la répression, un violent réaménagement de
la ville en fonction des besoins du pouvoir et de l’économie…
RICOCHETS a pour but de partager les nouvelles de cette
lutte, de diffuser ses différentes expressions, de l’approfondir
par des réflexions critiques. Il entend créer un espace autonome
de liaison entre celles et ceux qui se battent directement contre
cette nouvelle prison et ainsi ouvrir une possibilité : celle
que leurs actions puissent faire des ricochets dans un élan
incontrôlable

Karnaval de Rennes : La cantine met les pieds dans le plat…

Communiqué de la cantine suite au Karnaval du 6 février

À peine le Karnaval terminé, toujours dans le vif des événements, les condamnations ont commencé à pleuvoir drues. Sur internet, des anonymes critiquent depuis leur radicalité des organisateurs à l’homogénéité politique fantasmée pour leur volonté parfois maladroite que cet événement fût ce à quoi ils aspiraient qu’il soit. Dans les journaux, on cite vaguement des organisateurs (COPAIN 35), sans nommer de source ni renvoyer à quelque communiqué, qui se félicitent du bon déroulement des choses place du Parlement pour condamner ensuite les dégradations. Au TGI, on fait tomber 11 mois de ferme avec mandat de dépôt, dans l’urgence et sans preuve, et on arrose la BAC pour ses bons et loyaux services.

Le banquet place du Parlement n’a pas été un moment différent par essence du reste de la journée : il a été pensé en commun avec les autres composantes du mouvement, à la fois comme lieu de rencontre et comme amorce pour le carnaval. Il s’agissait dès le repas de nous débarrasser de nos représentations habituelles, de faire entrer le merveilleux, le masque et le renversement au coeur de la ville. Son organisation a impliqué un grand nombre de personnes et collectifs, et nous tenons particulièrement à remercier COPAIN 35 pour leur soutien matériel, et leurs dons de légumes, qui inspirèrent notre « couscous arlequin ». Il ne s’agissait pas simplement de manger ensemble, mais aussi d’affirmer une manière de manger autrement, de manger depuis la ZAD, que ce soit avec un repas et des pâtisseries entièrement végétaux, ou avec l’accueil du banquet des Q de Plomb*. L’importante logistique qu’aura nécessitée l’organisation du carnaval a été l’occasion de s’éprouver ensemble, et, sans mettre de côté nos divergences éthiques – notamment sur la question de la viande -, d’accroître notre force et notre intelligence communes, en rendant la répétition de ce type d’intervention plus simple.

Le banquet et le défilé ne peuvent ni ne doivent être décrits comme moments séparés, car ils participaient d’un même mouvement carnavalesque. Il s’agissait de faire, en place publique, acte de subversion, entendue comme réappropriation par tout un chacun de la possibilité d’un geste autre à celui qui était attendu, d’un usage plus émancipateur des espaces. La réussite d’un carnaval est dure à exprimer, car elle se fait dans le bouleversement de ceux qui ont été pris dans son sillage, mais aussi de ce qu’il laisse, sous les masques, transparaître de puissance réelle. De même que la cantine peut servir un grand banquet raffiné et joyeux, elle saura, en cas d’attaque sur la ZAD, y nourrir des milliers de personnes venues repousser César ; et ainsi des centaines de carnavaliers et carnavalières qui sauront se faire bien plus mordants si l’État persiste à vouloir évacuer la ZAD. Il est en tous cas hors de question de se désolidariser des actes de « casse » et de plaindre quelques vitrines, car le seul reproche ici possible est d’avoir peut-être trop vite, sans considération stratégique, donné un aperçu trop « nu » de ce que produirait une foule enragée par des attaques contre la ZAD. D’autant que dans le même temps, l’Etat s’est montré dans ses atours les plus offusqués, donnant dans l’après-midi même un bilan chiffré de son intervention : 5 interpellations, et 110 tirs de munition (grenades lacrymogènes et flashball confondus). Est-il possible de mettre en balance quelques vitrines brisées et les corps contusionnés, blessés, mutilés que laissent derrière eux les tirs de la police ? ** Doit-on encore rappeler que l’entière responsabilité de l’intervention des flics ne repose en rien sur l’intensité des dégradations (la FNSEA fait bien plus), mais bien qu’elle incombe au seul préfet, et à sa hiérarchie ?

Nous appelons nos alliés, qui qu’ils ou elles soient, à poursuivre le travail de composition autour de la ZAD, de manière intelligente et déterminée. Il s’agit de continuer à construire des infrastructures, nomades et réversibles, comme des machines de guerre pour couvrir les différents champs de l’affrontement présent et à venir (alimentation, soin, défense juridique, médias, logistique…), et à approfondir les liens qui se sont tissés avec ceux pour qui la ZAD résonne comme une brèche ouverte dans les devenirs étouffants de ce monde déjà ruiné. Les mots d’ordre d’instauration de communes partout, de réappropriation des terres, et de construction de l’autonomie politique et matérielle du mouvement révolutionnaire sont ceux qu’inspire la ZAD. Il s’agit maintenant de savoir jouer avec finesse entre l’affirmation protectrice de sa capacité de nuisance, et la poursuite de l’invention des vies nouvelles qu’elle abrite et suscite.

Une large partie des bénéfices issus du banquet a été reversée en soutien aux inculpés. Nous aspirons à voir ce type d’événement se reproduire et gagner en ampleur, pour le plaisir, pour soutenir nos camarades, pour renverser, encore et encore, le cours normal des choses. Retrouvons bientôt dans la rue, pour casser la croûte, et plus si affinités.

A.T.A.B’ – Cantine de lutte

* Depuis 2009, les banquets des Q de Plomb ont lieu au Liminbout, une ferme au coeur de la ZAD. Ils ont été le premier espace de rencontre entre les occupants « illégaux » nouvellement arrivés et les habitants qui résistent. Ils sont nés de la nécessité de partager des moments joyeux ensemble, au-delà de la simple organisation politique.

** De nombreux récits ont afflué ces derniers jours, qui témoignent des violences commises par les flics. Voir par exemple http://zad.nadir.org/spip.php?article3590

la violence anarchiste : libertés ou sécurité ?

On donne cette information car de multiples médias ( presse écrite , sur le web, radio)ont profité des attentats pour parler de terrorisme.Les débats sur la violence anarchiste restent toujours actuelle.Il ne s’agit pas,pour nous d’évoquer des groupes de lutte armée marxiste léniniste .
une émission de radio:
www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/la-troisieme-republique-et-la-violence-anarchiste-libertes-ou
La Troisième République et la violence anarchiste : libertés ou sécurité ?
Concordance des temps
Jean-Noël Jeanneney
La Troisième République et la violence anarchiste : libertés ou sécurité ?

La France, confrontée à la menace du terrorisme qui s’est incarnée de façon si dramatique en 2015, se retrouve devant une interrogation touchant à l’essence même de la démocratie : où fixer le curseur entre les exigences de la sécurité collective et la préservation des libertés publiques ? …

La France, confrontée à la menace du terrorisme qui s’est incarnée de façon si dramatique en 2015, se retrouve devant une interrogation touchant à l’essence même de la démocratie : où convient-il de fixer le curseur entre d’un côté les exigences accrues de la sécurité collective et d’autre part la préservation des libertés publiques qui sont au cœur du contrat social depuis 1789 ?

Chacun ressent qu’à trop empiéter sur ces libertés, dans le péril que nous affrontons, notre République risquerait de perdre quelque chose de sa fierté, de ses équilibres et, en somme, de sa raison d’être. En quête de précédents, on pourrait évoquer le temps de la Convention, 1793-1794, tout autant que celui de la guerre d’Algérie. Ce matin, j’ai décidé de braquer l’attention sur le moment des attentats anarchistes sous la Troisième République, dans les années 1890, pour montrer, je le souhaite, qu’aussi différentes qu’aient pu être, par rapport à notre actualité, les menaces ambiantes, les débats qui ont agité le monde politique et celui des intellectuels, on y rencontre bien des traits qui annoncent ceux d’aujourd’hui, dans l’ordre du réalisme, de la morale et du civisme.

Jean Garrigues, qui s’apprête à être mon interlocuteur, est professeur à l’université d’Orléans et il est président du Comité d’histoire parlementaire et politique. Il est un familier de la période qu’il s’agit de restituer et il a manifesté de longue main son goût de distinguer, dans le cours de notre histoire politique, le spécifique et les résurgences. Jean-Noël Jeanneney

Programmation sonore :

Déclaration de l’anarchiste Emile Henry faite lors de son procès, lue par Henri Poirier dans l’émission « Frissons fin de siècle » de Jean-Pierre Rioux, diffusée le 7 août 1990 sur France culture.

Chanson « La Dynamite » de Martenot, écrite en 1893, interprétée ici par Les Quatre Barbus à la fin des années 1960.

Lecture d’un placard collé aux murs de Paris en 1892, par Henri Poirier dans l’émission « Frissons fin de siècle » de Jean-Pierre Rioux, diffusée le 7 août 1990 sur France culture.

Extrait du discours de Manuel Valls, prononcé devant l’Assemblée nationale le 13 janvier 2015.

Lecture d’un texte de Zo d’Axa, par Denis Lavant, dans l’émission « Surpris par la nuit » d’Alain Veinstein, diffusée le 18 janvier 2001 sur France culture.

Chanson « La Ravachol » de Sébastien Faure, écrite en 1893, interprétée par Les Quatre Barbue.

Extrait du discours de Joseph Paul-Boncour, prononcé à l’occasion du centenaire de la naissance de Jean Jaurès, le 1er mai 1959.

Bibliographie :

Jean Garrigues, Le monde selon Clemenceau. Formules assassines, traits d’humour et prophéties, Tallandier, 2014.

Jean Garrigues, La République des hommes d’affaires (1870-1900), Aubier, 1997.

Jean Garrigues, « Les anars contre la République », in : L’Histoire, n°191, septembre 1995.

Vivien Bouhey, Les anarchistes contre la République, contribution à l’histoire des réseaux sous la Troisième République, 1880-1914, Presses universitaires de Rennes, 2008.

Jean-Pierre Machelon, La République contre les libertés ?, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1976.

Jean Maitron, Le mouvement anarchiste en France. I. Des origines à 1914, Gallimard, 1975.

Déclaration d’Emile Henry devant ses juges

(27 avril 1894)
« Messieurs les jurés,

Vous connaissez les faits dont je suis accusé : l’explosion de la rue des Bons-Enfants qui a tué cinq personnes et déterminé la mort d’une sixième, l’explosion du café Terminus, qui a tué une personne, déterminé la mort d’une seconde et blessé un certain nombre d’autres, enfin six coups de revolver tirés par moi sur ceux qui me poursuivaient après ce dernier attentat.

Les débats vous ont montré que je me reconnais l’auteur responsable de ces actes.

Ce n’est pas une défense que je veux vous présenter. Je ne cherche en aucune façon à me dérober aux représailles de la société que j’ai attaquée. D’ailleurs je ne relève que d’un seul Tribunal, moi-même ; et le verdict de tout autre m’est indifférent. Je veux simplement vous donner l’explication de mes actes et vous dire comment j’ai été amené à les accomplir.

Je suis anarchiste depuis peu de temps. Ce n’est guère que vers le milieu de l’année 1891 que je me suis lancé dans le mouvement révolutionnaire. Auparavant, j’avais vécu dans des milieux totalement imbus de la morale actuelle. J’avais été habitué à respecter et même à aimer les principes de patrie, de famille, d’autorité et de propriété. Mais les éducateurs de la génération actuelle oublient trop fréquemment une chose, c’est que la vie, avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices et ses iniquités, se charge bien, l’indiscrète, de dessiller les yeux des ignorants et de les ouvrir à la réalité. C’est ce qui m’arriva, comme il arrive à tous. On m’avait dit que cette vie était facile et largement ouverte aux intelligents et aux énergiques, et l’expérience me montra que seuls les cyniques et les rampants peuvent se faire une place au banquet. On m’avait dit que les institutions sociales étaient basées sur la justice et l’égalité, et je ne constatais autour de moi que mensonges et fourberies. Chaque jour m’enlevait une illusion. Partout où j’allais, j’étais témoin des mêmes douleurs chez les uns, des mêmes jouissances chez les autres. Je ne tardais pas à comprendre que les grands mots qu’on m’avait appris à vénérer : honneur, dévouement, devoir, n’étaient qu’un masque voilant les plus honteuses turpitudes. L’usinier qui édifiait une fortune colossale sur le travail de ses ouvriers, qui eux, manquaient de tout, était un monsieur honnête. Le député, le ministre dont les mains étaient toujours ouvertes aux pots-de-vin, étaient dévoués au bien public. L’officier qui expérimentait le fusil nouveau modèle sur des enfants de sept ans avait bien fait son devoir et, en plein Parlement, le président du Conseil lui administrait ses félicitations ! Tout ce que je vis me révolta, et mon esprit s’attacha à la critique de l’organisation sociale. Cette critique a été trop souvent faite pour que je la recommence. Il me suffira de dire que je devins l’ennemi d’une société que je jugeais criminelle.

Un moment attiré par le socialisme, je ne tardai pas à m’éloigner de ce parti. J’avais trop d’amour pour la liberté, trop de respect de l’initiative individuelle, trop de répugnance à l’incorporation pour prendre un numéro dans l’armée matriculée du quatrième Etat.

D’ailleurs je vis qu’au fond le socialisme ne change rien à l’ordre actuel. Il maintient le principe autoritaire, et ce principe, malgré ce qu’en peuvent dire de prétendus libres penseurs, n’est qu’un vieux reste de la foi en une puissance supérieure. Des études scientifiques m’avaient graduellement initié au jeu des forces naturelles. Or j’étais matérialiste et athée ; j’avais compris que l’hypothèse Dieu était écartée par la science moderne, qui n’en avait plus besoin. La morale religieuse et autoritaire, basée sur le faux, devait donc disparaitre. Quelle était alors la nouvelle morale en harmonie avec les lois de la nature qui devait régénérer le vieux monde et enfanter une humanité heureuse ?

C’est à ce moment que je fus mis en relation avec quelques compagnons anarchistes , qu’aujourd’hui je considère encore comme les meilleurs que j’ai connu. Le caractère de ces hommes me séduisit tout d’abord. J’appréciais en eux une grande sincérité, une franchise absolue, un mépris profond de tous les préjugés, et je voulus connaitre l’idée qui faisait des hommes si différents de tous ceux que j’avais vu jusque-là. Cette idée trouva en mon esprit un terrain tout préparé, par des observations et des réflexions personnelles, à la recevoir. Elle ne fit que préciser ce qu’il y avait encore chez moi de vague et de flottant. Je devins à mon tour anarchiste. Je n’ai pas à développer ici la théorie de l’anarchie. Je ne veux en retenir que le côté révolutionnaire, le côté destructeur et négatif pour lequel je comparais devant vous. En ce moment de lutte aigüe entre la bourgeoisie et ses ennemis, je suis presque tenté de dire avec le Souvarine de Germinal : « Tous les raisonnements sur l’avenir sont criminels, parce qu’ils empêchent la destruction pure et simple et entravent la marche de la révolution. »

Dès qu’une idée est mûre, qu’elle a trouvé sa formule, il faut sans plus tarder en trouver sa réalisation. J’étais convaincu que l’organisation actuelle était mauvaise, j’ai voulu lutter contre elle, afin de hâter sa disparition. J’ai apporté dans la lutte une haine profonde, chaque jour avivée par le spectacle révoltant de cette société, où tout est bas, tout est louche, tout est laid, où tout est une entrave à l’épanchement des passions humaines, aux tendances généreuses du cœur, au libre essor de la pensée. J’ai voulu frapper aussi fort et aussi juste que je le pouvais. Passons donc au premier attentat que j’ai commis, à l’explosion de la rue des Bons-Enfants.

J’avais suivi avec attention les évènements de Carmaux. Les premières nouvelles de la grève m’avaient comblé de joie : les mineurs paraissaient disposés à renoncer aux grèves pacifiques et inutiles, où le travailleur confiant attend patiemment que ses quelques francs triomphent des millions des compagnies. Ils semblaient entrés dans une voie de violence qui s’affirma résolument le 15 août 1892. Les bureaux et les bâtiments de la mine furent envahis par une foule lasse de souffrir sans se venger : justice allait être faite de l’ingénieur si haï de ses ouvriers, lorsque des timorés s’interposèrent. Quels étaient ces hommes ? Les mêmes qui font avorter tout les mouvements révolutionnaires, parce qu’ils craignent qu’une fois lancé le peuple n’obéisse plus à leurs voix, ceux qui poussent des milliers d’hommes à endurer des privations pendant des mois entiers, afin de battre la grosse caisse sur leurs souffrances et se créer une popularité qui leur permettra de décrocher un mandat – je veux dire les chefs socialistes- ces hommes, en effet, prirent la tête du mouvement gréviste. On vit tout à coup s’abattre sur le pays une nuée de messieurs beaux parleurs, qui se mirent à la disposition entière de la grève, organisèrent des souscriptions, firent des conférences, adressèrent des appels de fonds de tous les côtés. Les mineurs déposèrent toute initiative entre leurs mains. Ce qui arriva, on le sait. La grève s’éternisa, les mineurs firent une plus intime connaissance avec la faim, leur compagne habituelle ; ils mangèrent le petit fonds de réserve de leur syndicat et celui des autres corporations qui leur virent en aide, puis au bout de deux mois, l’oreille basse, ils retournèrent à leur fosse, plus misérables qu’auparavant. Il eût été si simple, dès le début, d’attaquer la compagnie dans son seul endroit sensible, l’argent ; de brûler le stock de charbon, de briser les machines d’extraction, de démolir les pompes d’épuisement. Certes, la compagnie eût capitulé bien vite. Mais les grands pontifes du socialisme n’admettent pas ces procédés là, qui sont des procédés anarchistes. A ce jeu il y a de la prison à risquer, et, qui sait, peut être une de ces balles qui firent merveille à Fourmies. On y gagne aucun siège municipal ou législatif. Bref, l’ordre un instant troublé régna de nouveau à Carmaux. La compagnie, plus puissante que jamais, continua son exploitation et messieurs les actionnaires se félicitèrent de l’heureuse issue de la grève. Allons, les dividendes seraient encore bons à toucher.

C’est alors que je me suis décidé à mêler, à ce concert d’heureux accents une voix que les bourgeois avaient déjà entendue, mais qu’ils croyaient morte avec Ravachol : celle de la dynamite. J’ai voulu montrer à la bourgeoisie que désormais il n’y aurait plus pour elle de joies complètes, que ses triomphes insolents seraient troublés, que son veau d’or tremblerait violemment sur son piédestal, jusqu’à la secousse définitive qui le jetterait bas dans la frange et le sang. En même temps j’ai voulu faire comprendre aux mineurs qu’il n’y a qu’une seule catégorie d’hommes, les anarchistes, qui ressentent sincèrement leurs souffrances et qui sont prêts à les venger. Ces hommes là ne siègent pas au Parlement, comme messieurs Guesde et consorts, mais ils marchent à la guillotine. Je préparais donc une marmite. Un moment, l’accusation que l’on avait lancée à Ravachol me revint en mémoire. Et les victimes innocentes ? Mais je résolus bien vite la question. La maison où se trouvait les bureaux de la compagnie de Carmaux n’était habitée que par des bourgeois. Il n’y aurait donc pas de victimes innocentes. La bourgeoisie, tout entière, vit de l’exploitation des malheureux, elle doit toute entière expier ses crimes. Aussi, c’est avec la certitude absolue de la légitimité de mon acte que je déposais la marmite devant la porte des bureaux de la société. J’ai expliqué, au cours des débats, comment j’espérais, au cas où mon engin serait découvert avant son explosion, qu’il éclaterait au commissariat de police, atteignant toujours ainsi mes ennemis. Voilà donc les mobiles qui m’ont fait commettre le premier attentat que l’on me reproche.

Passons au second, celui du café Terminus. J’étais venu à Paris lors de l’affaire Vaillant. J’avais assisté à la répression formidable qui suivit l’attentat du Palais-Bourbon. Je fus témoin des mesures draconiennes prises par le gouvernement contre les anarchistes. De tous côté on espionnait, on perquisitionnait, on arrêtait. Au hasard des rafles, une foule d’individus était arrachée à leur famille et jetés en prison. Que devenaient les femmes et les enfants de ces camarades pendant leur incarcération ? Nul ne s’en occupait. L’anarchiste n’était plus un homme, c’était une bête fauve que l’on traquait de toutes parts et dont toute la presse bourgeoise, esclave vile de la force, demandait sur tous les tons l’extermination. En même temps, les journaux et les brochures libertaires étaient saisis, le droit de réunion était prohibé. Mieux que cela : lorsqu’on voulait se débarrasser complètement d’un compagnon, un mouchard déposait le soir dans sa chambre un paquet contenant du tanin, disait-il, et le lendemain une perquisition avait lieu, d’après un ordre daté de l’avant-veille. On trouvait une boite pleine de poudres suspectes, le camarade passait en jugement et récoltait 3 ans de prison. Demandez donc si cela n’est pas vrai au misérable indicateur qui s’introduisit chez le compagnon Mérigeault ? Mais tous ces procédés étaient bons. Ils frappaient un ennemi dont on avait eu peur, et ceux qui avaient tremblé voulaient se montrer courageux. Comme couronnement à cette croisade contre les hérétiques, n’entendit-on pas M. Raynal, ministre de l’Intérieur, déclarer à la tribune de la Chambre que les mesures prises par le gouvernement avaient eu un bon résultat, qu’elles avaient jeté la terreur dans le camp anarchiste. Ce n’était pas encore assez. On avait condamné à mort un homme qui n’avait tué personne, il fallait paraître courageux jusqu’au bout : on le guillotine un beau matin. Mais, messieurs les bourgeois, vous aviez un peu trop compté sans votre hôte. Vous aviez arrêté des centaines d’individus, vous aviez violé bien des domiciles ; mais il y avait encore hors de vos prisons des hommes que vous ignoriez, qui, dans l’ombre, assistaient à votre chasse à l’anarchiste et qui n’attendaient que le bon moment pour, à leur tour, chasser les chasseurs. Les paroles de M. Raynal étaient un défi jeté aux anarchistes. Le gant a été relevé. La bombe du café Terminus est la réponse à toutes vos violations de la liberté, à vos arrestations, à vos perquisitions, à vos lois sur la presse, à vos expulsions en masse d’étrangers, à vos guillotinades. Mais pourquoi, direz-vous, aller s’attaquer à des consommateurs paisibles, qui écoutent de la musique et qui, peut-être, ne sont ni magistrats, ni députés, ni fonctionnaires ? Pourquoi ? C’est bien simple. La bourgeoisie n’a fait qu’un bloc des anarchistes. Un seul homme, Vaillant, avait lancé une bombe ; les neuf dixième des compagnons ne le connaissaient même pas. Cela n’y fit rien. On persécuta en masse. Tout ce qui avait quelque relation anarchiste fut traqué. Eh bien ! Puisque vous rendez ainsi tout un parti responsable des actes d’un seul homme, et que vous frappez en bloc, nous aussi, nous frappons en bloc. Devons-nous seulement nous attaquer aux députés qui font les lois contre nous, aux magistrats qui appliquent ces lois, aux policiers qui nous arrêtent ? Je ne pense pas. Tous les hommes ne sont que des instruments n’agissant pas en leur propre nom, leurs fonctions ont été instituées par la bourgeoisie pour sa défense ; ils ne sont pas plus coupables que les autres. Les bons bourgeois qui, sans être revêtus d’aucunes fonctions, touchent cependant les coupons de leurs obligations, qui vivent oisifs des bénéfices produits par le travail des ouvriers, ceux-là aussi doivent avoir leur part de représailles. Et non seulement eux, mais encore tous ceux qui sont satisfaits de l’ordre actuel, qui applaudissent aux actes du gouvernement et se font ses complices, ces employés à 300 et à 500 francs par mois qui haïssent le peuple plus encore que le gros bourgeois, cette masse bête et prétentieuse qui se range toujours du côté du plus fort, clientèle ordinaire du Terminus et autres grands cafés. Voilà pourquoi j’ai frappé dans le tas, sans choisir mes victimes. Il faut que la bourgeoisie comprenne que ceux qui ont souffert sont enfin las de leurs souffrances ; ils montrent les dents et frappent d’autant plus brutalement qu’on a été brutal avec eux. Ce n’est pas aux assassins qui ont fait la semaine sanglante et Fourmies de traiter les autres d’assassins. Ils n’épargnent ni femmes ni enfants bourgeois, parce que les femmes et les enfants de ceux qu’ils aiment ne sont pas épargnés non plus. Ne sont-ce pas des victimes innocentes que ces enfants qui, dans les faubourgs, se meurent lentement d’anémie, parce que le pain est rare à la maison ; ces femmes qui dans vos ateliers pâlissent et s’épuisent pour gagner quarante sous par jour, heureuses encore quand la misère ne les force pas à se prostituer ; ces vieillards dont vous avez fait des machines à produire toute leur vie, et que vous jetez à la voirie et à l’hôpital quand leurs forces sont exténuées ? Ayez au moins le courage de vos crimes, messieurs les bourgeois , et convenez que nos représailles sont grandement légitimes.

Certes, je ne m’illusionne pas. Je sais que mes actes ne seront pas encore bien compris des foules insuffisamment préparées. Même parmi les ouvriers, pour lesquels j’ai lutté, beaucoup, égarés par vos journaux, me croient leur ennemi. Mais cela m’importe peu. Je ne me soucie du jugement de personne. Je n’ignore pas non plus qu’il existe des individus se disant Anarchistes qui s’empressent de réprouver toute solidarité avec les propagandistes par le fait. Ils essayent d’établir une distinction subtile entre les théoriciens et les terroristes. Trop lâches pour risquer leur vie, ils renient ceux qui agissent. Mais l’influence qu’ils prétendent avoir sur le mouvement révolutionnaire est nulle. Aujourd’hui, le champ est à l’action, sans faiblesse, et sans reculade. Alexandre Herzen, le révolutionnaire russe, l’a dit : « De deux choses l’une, ou justicier et marcher en avant ou gracier et trébucher à moitié route. » Nous ne voulons ni gracier ni trébucher, et nous marcherons toujours en avant jusqu’à ce que la révolution, but de nos efforts, vienne enfin couronner notre œuvre en faisant le monde libre. Dans cette guerre sans pitié que nous avons déclaré à la bourgeoisie, nous ne demandons aucune pitié. Nous donnons la mort, nous saurons la subir. Aussi, c’est avec indifférence que j’attends votre verdict. Je sais que ma tête n’est pas la dernière que vous couperez ; d’autres tomberont encore, car les meurt-de-faim commencent à connaître le chemin de vos grands cafés et de vos grands restaurants Terminus et Foyot. Vous ajouterez d’autres noms à la liste sanglante de nos morts. Vous avez pendu à Chicago, décapité en Allemagne, garroté à Jerez, fusillé à Barcelone, guillotiné à Montbrison et à Paris, mais ce que vous ne pourrez jamais détruire, c’est l’anarchie. Ses racines sont trop profondes ; elle est née au sein d’une société pourrie qui se disloque, elle est une réaction violente contre l’ordre établi. Elle représente les aspirations qui viennent battre en brèche l’autorité actuelle, elle est partout, ce qui la rend insaisissable . Elle finira par vous tuer.

Voilà, messieurs les jurés, ce que j’avais à vous dire. Vous allez maintenant entendre mon avocat. Vos lois imposant à tout accusé un défenseur, ma famille a choisi Me Hornbostel. Mais ce qu’il pourra dire n’infirme en rien ce que j’ai dit. Mes déclarations sont l’expression exacte de ma pensée. Je m’y tiens intégralement. »

Le pot-pourri d’Alain Lallemand – Le journaliste, le romancier et sa mise en garde

 lu et repris sur la cavale contre la prison et son monde

Le pot-pourri d’Alain Lallemand
Le journaliste, le romancier et sa mise en garde

« Humains ! Vous n’avez qu’un ennemi. C’est le plus dépravé de tous. La tuberculose et la syphilis sont des fléaux terribles qui font souffrir l’homme. Mais il existe un fléau plus dévastateur que la peste qui ravage le corps et l’âme de l’homme, une épidémie incomparablement plus terrible, plus sournoise et plus pernicieuse : j’ai nommé la presse, cette catin publique. Toute révolution, toute libération de l’homme manque son but si on ne commence pas par anéantir sans pitié la presse. Tous les péchés seront remis à l’homme, mais le péché contre l’esprit ne lui sera jamais pardonné. Anéantissez la presse, chassez de la communauté des humains ces maquereaux à coups de fouet, et tous vos péchés vous seront remis, ceux que vous commettez et ceux que vous n’avez pas encore commis. Pas une réunion, pas une assemblée d’êtres humains ne doit se dérouler sans que retentisse la déflagration de votre cri : Anéantissez la presse ! »
- Ret Marut, dans Der Ziegelbrenner, n° 15, 30 janvier 1919.

Difficile par les temps qui courent d’encore rencontrer un professionnel de la plume muni d’un minimum de perspicacité. Quand Alain Lallemand, « grand reporter » au Soir, dont il anime depuis des années notamment la section « Sécurité », se lève le matin et se regarde dans le miroir, il est sans doute convaincu du contraire. Lui, non, il n’est pas comme ses confrères qui sont devenus de simples perroquets du pouvoir. Lui, non, ses sources ne se limitent pas à un copier-coller entre les communiqués de presse officiels et les opinions glanées ici ou là sur les réseaux sociaux. Lui, non, il n’a pas abandonné toutes valeurs et toutes convictions.

Non, Alain Lallemand se regarde dans le miroir et se dit : Moi, je cherche à comprendre le monde, c’est pourquoi je lis l’économiste Piketty. Moi, j’entretiens des rapports avec le monde souterrain de la guerre sociale, c’est pourquoi je suis allé dans la jungle colombienne rencontrer… les FARC, ces narco-révolutionnaires. Moi, je déchiffre les colonnes de faits divers, depuis des années habillement gérés, déformés et généralement omis, dans le Soir comme dans tous les autres médias qui indiquent la présence active de révoltés et de révolutionnaires sur le sol belge. Alain Lallemand se croît certainement plus lucide que la majorité de ses confrères. Ce qui ne l’a pas empêché de signer plusieurs articles alarmants sur la « menace anarchiste » en Belgique ces dernières années, reproduisant fidèlement ce que les autorités attendent de tout journaliste s’aventurant sur ce terrain.

Il vient de sortir un nouveau roman, notre journaliste du Soir. L’idée lui serait venue en apprenant que cinq bombes artisanales avaient été retrouvées sur le chantier de la nouvelle prison de Marches en 2012. La question que cette tentative de sabotage a soulevé chez lui n’était, évidemment pas, de se demander pourquoi quelqu’un a voulu saboter l’élargissement de la capacité répressive de l’État, ou pourquoi les investissements dans la répression et l’enfermement vont bon train depuis des années, ou pourquoi il y a eu tant de mutineries dans les prisons belges, ou pourquoi la prison constitue l’arme par excellence de l’État pour gérer la conflictualité sociale, … Non, la question qu’il s’est posé, à l’instar des enquêteurs de la police fédérale et des services de renseignements, n’était pas le pourquoi, mais le qui. Il était le premier à pointer du doigt les anarchistes qui se battent contre la prison, les qualifiant de « particulièrement actifs sur le Net » – voilà pour ce qui est de ses « sources sur le terrain » (car on se doute bien qu’il ne s’aventure pas dans les quartiers de Bruxelles, où il n’est pas difficile de trouver les traces de l’agitation contre les prisons : journaux subversifs, affiches anarchistes, cercles de lutte contre l’État,…). Et outre la question du qui, ne pas oublier le quoi si… . Quoi si un ouvrier avait été blessé par ces bombes (car il est bien connu que les milliers d’accidents de travail, les mutilés dans les centres de production, les morts dans les usines et sur les chantiers ne sont évidemment pas dû au rythme effréné de l’exploitation capitaliste, ni à la production nocive et morbide de marchandises, mais bien plutôt aux attentats anarchistes qui visent les prolétaires) ? À notre « grand reporter » qui veut trouver des morts, des mutilés et des blessés, on lui conseillera d’aller voir surtout dans les prisons, dans les commissariats de la police belge et dans les territoires dévastés par le capitalisme empoisonneur. Mais bon, entre la réalité de la guerre sociale et la fiction d’un journaliste, universitaire de surcroît, le fossé ne peut qu’être énorme et infranchissable. Pourtant, il serait grand temps que quelque chose change : qu’on arrête de compter les millions de corps des opprimés, exploités et révoltés déchiquetés par les bombes des armées, empoisonnés par la production capitaliste, tués par la famine, noyés dans la Méditerranée, et qu’on commence à voir tomber quelques têtes responsables de ce monde morbide.

Mais alors, qu’est-ce qu’il veut ce journaliste ? Malgré ses déclarations (toujours faciles quand elles n’impliquent aucun engagement réel, aucune mise en jeu) sur sa préférence pour une jeunesse enragée plutôt que l’apathie généralisé, il n’hésite pas a nous avouer le but de son livre : mettre en garde contre la possibilité que des jeunes veuillent prendre les armes pour lutter contre l’oppression et l’exploitation, suggérer les voies pour désamorcer cette « escalade de la violence » qui s’annonce, ouvrir le dialogue avec les jeunes révoltés afin de « les comprendre ». En d’autres mots, récupérer et intégrer. Par la voie gauche, bien sûr, car Lallemand est profondément indigné par le fait que les richesses ne sont pas équitablement distribuées (la propriété privée et le capitalisme, cela vous rappelle encore quelque chose au-delà de vos lectures postmodernes ?). Il croit à la nécessité d’avoir un futur qui brûle dans les cœurs, mais en bon démocrate, il fera tout pour éviter que le monde nouveau que nous portons dans nos cœurs ne germe sur les ruines de l’ancien. Lallemand est un réformiste d’un genre devenu obsolète depuis quelques décennies, mais il partage avec les défenseurs du capitalisme et de l’État l’horreur des ruines, de l’attaque destructrice qui en finit avec les bavardages et qui comprend que l’avènement d’un monde nouveau, l’avènement de nouveaux rapports, libres et auto-détermines, doive passer par la destruction de toutes les structures qui nous oppriment, en assumant la nécessité de l’attaque contre ceux qui en sont responsables et ceux qui les défendent.

On peut être sûr que son livre, version romancée de la mise en garde contre la menace subversive, ne pourra pas faire ravaler la rage qui couve ni désamorcer l’explosion potentielle des contradictions sociales dans les méandres institutionnelles. Par contre, il réussira sans doute à rajouter une couche à la propagande terroriste de l’État et de ses chiens de garde. Lors d’une émission radio à propos de son livre, l’un de ses confrères du Vif sautait déjà dans le train en racontant tout et n’importe quoi au sujet d’une bombe incendiaire qui a explosée devant la maison de l’architecte principal de la maxi-prison. Il ne s’agit évidemment pas pour ce journaliste du Vif de prononcer le moindre mot sur la responsabilité personnelle et individuelle de l’architecte dans la construction de la nouvelle prison, ce nouveau lieu de souffrance et de torture, mais bien de débiter sur sa situation personnelle : il nous apprend que l’architecte est un père de famille. Combien de tortionnaires dans le monde avaient une famille ? Combien de policiers qui tabassent et tuent dans les commissariats sont mariés ? Combien de chefs d’entreprises qui exploitent férocement les ouvrières et ouvriers, de tous les âges, dans des camps de travail au Bangladesh, au Vietnam, en Inde, au Cambodge ont des enfants ? On ne mangera pas de ce pain-là.

Non seulement les services de police ont demandé et obtenu de la part de journalistes le silence absolu concernant les centaines de sabotages et d’attaques (au-delà de savoir si oui ou non elles sont l’œuvre d’anarchistes ou de révolutionnaires), ils l’ont aussi demandé et obtenu concernant tous les mouvements de révolte dans les prisons, les émeutes et les explosions de rage dans les quartiers. Cela s’appelle aujourd’hui peut-être « gestion des informations », en d’autres époques, on l’aurait tout simplement qualifié de censure et de manipulation. Mais ne nous comprenez pas de travers, pour nous anarchistes, les professionnels de la presse ont toujours fait partie de l’ordre établi, et les médias ont toujours fait partie des stratégies contre-insurrectionnelles, ici comme ailleurs. On ne se lamente donc pas : l’autisme des révoltés nous protégera quelque peu de toute la racaille journalistique, les incursions sociologiques, les chercheurs dont les rapports finaux servent avant tout la police et la gestion de l’ordre.

Prenons un exemple. Qu’a fait la presse devant la lutte contre la construction de la maxi-prison à Bruxelles ? Mise à part aller consulter de temps en temps l’opposition institutionnelle, elle n’a remué la sauce que lorsqu’il s’agissait de lancer un cri d’alarme pour les dizaines, ou centaines, d’actions directes de différentes formes qui ont eu lieu dans le cadre de cette lutte. Alors, nos journalistes titraient « Les anarchistes terrorisent la ville de Bruxelles ». Et un mois plus tard, la section anti-terrorisme est venue toquer à la porte de quelques anarchistes. Coordination parfaite, mais sans le résultat espéré : dans les quartiers, le rejet de la maxi-prison est resté très fort, le soutien à l’action directe pour empêcher sa construction reste vaste et la révolte ne se limite aucunement à la bataille d’une poignée d’anarchistes en duel avec l’État. Alors, retour au silence. Mieux vaut se taire qu’inciter malgré soi à davantage de lutte, davantage de prise de conscience, davantage de soutien à l’action directe. Et Lallemand dans tout ça ? Et bien, il suffit d’aller regarder (si vous avez bon estomac) les articles de sa main publiés dans Le Soir pour se faire une idée de sa démarche. Et comme nos estomacs sont déjà fort fragilisés par le dégoût que nous inspire ce monde, on se passera volontiers d’aller éplucher son dernier roman.

Lallemand ferait mieux d’en rester aux activités dans lesquelles il brille. La médiocre description de ces voyages vers une exotique guérilla qui a le malheur d’accueillir de gens de son allure. Ses vaines lamentations sur sa sphère privée menacée par la surveillance désormais généralisée. Son boulot pas trop exigeant de copier-coller les communiqués du Parquet et les tuyaux que lui file l’OCAM. En cherchant trop à faire mieux, il risquerait de prendre ses ambitions pour des réalités, et se persuader qu’il fait une incursion sérieuse dans ce qui restera toujours une jungle impénétrable pour lui et ses confrères : la lutte anarchiste et la révolte des opprimés.

Yourna Kass’ez-Ous
Bruxelles, 15 février 2016

[Repris de Indymedia Bruxelles, http://bxl.indymedia.org/spip.php?article10123]