note: le fil noir de l’histoire est repris,
Sur le passage à Sète de l’anarchiste et cambrioleur Alexandre Marius Jacob et la formation de sa bande « Les Travailleurs de la Nuit »…
Alexandre Jacob ne se cache pas à Sète par hasard après son évasion de l’asile Montperrin d’Aix en Provence dans la nuit du 18 au 19 avril 1900. La ville bénéficie en effet d’une solide tradition d’activisme libertaire. Ernest Elisée Saurel n’est pas non plus un anarchiste inconnu. Le commissaire central de Sète voit d’ailleurs en lui le 21 août 1898 « un des plus militants » de la ville. Saurel y est d’ailleurs né vers 1862. Il exerce la profession de tailleur d’habits et loge chez sa maîtresse, Aliette Amiel, rue Concorde. L’amitié qui le lie à Caserio ferait même de lui un compagnon localement de premier ordre.
Après être passé par Lausanne, Genève, Lyon et Vienne, l’assassin de Sadi Carnot arrive à Sète en octobre 1893. Il est immédiatement pris en charge par le groupe anarchiste local. « Saurel devient aussitôt son ami tandis que le boulanger Viala l’engage comme garçon » écrit Jean Sagnes dans l’article Complot contre Sadi Carnot, qu’il donne au magazine L’Histoire en mai 1994. Caserio loge chez Saurel mais est très vite repéré par la police. Le 6 mars 1894, le commissaire central de Sète dresse un portrait à fortiori équivoque du jeune Italien, né à Motta Visconti en Lombardie le 8 septembre 1873. « Je ne le crois pas dangereux » affirme-t-il en conclusion de son rapport. La notice individuelle de Saurel, établie un mois plus tôt, indique au contraire « un caractère sournois ».
Le 23 juin, Santo Géronimo Caserio quitte Sète pour aller à Vienne ; de là, il se rend à Lyon. Le 24 juin; il y poignarde le président de la république vers 21 heures. Carnot décède le 25 à 0h30. L’événement fait date. Si la thèse d’un complot savamment ourdi par le groupe anarchiste que dirige Saurel est fréquemment avancée, rien ne permet d’affirmer concrètement que les compagnons sétois aient projeté l’assassinat. Caserio indique d’ailleurs à la police de Lyon avoir agi seul et la justice de cette ville retient cette hypothèse. Il est exécuté le 16 août.
Saurel semble ne pas avoir été inquiété outre mesure pour cette retentissante affaire même si son nom revient très souvent dans les rapports de la police sétoise par la suite. Tous ses déplacements sont surveillés. Un rapport du 15 décembre 1899 signale à ce propos que « Saurel est à tous les points de vue un individu des plus dangereux ».
Aussi les notes de police se multiplient-elles, à cette époque, pour annoncer une deuxième tentative d’installation de l’anarchiste à Paris. Un an plus tôt, il avait pendant trois mois cherché vainement du travail dans la capitale et s’était inscrit à l’hôtel des Acacias, 11 rue Feutrier, sous le nom de François Bouvilla. Le pseudonyme utilisé est issu des nom et prénom de sa mère Françoise Boubilla. Le deuxième séjour parisien de Saurel se solde comme le précédent par un échec.
C’est à Sète qu’Alexandre Jacob vient trouver un appui après son évasion de l’asile Montperrin sous la fausse identité de Jean Concorde. L’honnête cambrioleur a pris le nom de la rue où réside Saurel. Mais le fait prouve que l’anarchiste sétois a su depuis son retour de Paris se faire discret au point que la police ne s’alerte pas d’un quelconque activisme de sa part à ce moment. La propagande par le fait aurait-elle cédé le pas à la reprise individuelle ; la pince monseigneur remplace la marmite à renversement.
Un anarchiste de la Belle Epoque, Alain Sergent« Jacob projetait de constituer une bande d’anarchiste cambrioleurs bien organisée, soumise à une discipline librement consentie mais très exigeante. L’unité de base devait en être la brigade. Chez Saurel, la première brigade fut créée. Elle se composait de quatre hommes dont Jacob fut le chef » (Alain Sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, p.52).
Nous ne savons pas avec exactitude qui fait partie de la bande. Tout au plus pouvons-nous nous risquer à avancer quelques noms : Joseph Ferrand, Honoré Bonnefoy, Jules Clarenson, Marius Royère et Ernest Saurel. Marius Baudy est en prison à cette époque. Il paraît douteux que Saurel se soit contenté d’un simple hébergement. Son nom revient d’ailleurs en 1902 dans une série de rapports de police. Les 25 et 26 février de cette année, il accueille « un nommé Jacques Sautarel, marchand de bijoux d’occasion, venu à Cette, a-t-il dit, pour son commerce. Sautarel serait connu à Paris comme anarchiste militant ». Saurel joue ici le rôle de receleur et écoule les produits d’une bande de voleurs dont le siège est désormais établi à Paris depuis le commencement de 1901.
Mais auparavant, et pendant huit mois environ, le groupe de voleurs va travailler dans le Midi de la France. Nous ne connaissons pas le nombre de cambriolages commis durant cette période. En retenant la moyenne d’un vol par semaine, moyenne établie par le président Wehekind du tribunal d’Amiens en 1905, Alexandre Jacob et ses compagnons auraient ainsi œuvré au minimum 36 fois. Un seul cambriolage est néanmoins retenu lors du procès des Travailleurs de la Nuit dans cette même ville d’Amiens, du 8 au 22 mars 1905.Et c’est dans la ville d’Ernest Saurel que le vol a lieu :
« Vol à Cette
Voici une des opérations fructueuses de la bande. Jacob l’aurait menée à bien après son évasion de l’asile d’aliénés d’Aix. Elle fut découverte dans les circonstances suivantes. Le 23 juillet 1900, vers 2h1/2 de l’après-midi, M. Torquebiau, avocat à Montpellier, en arrivant à la maison qu’il possède à Cette, quai de Bone 27, qu’une des carreaux avait été cassé à une porte vitrée. Avec l’aide de la police, il constata que des malfaiteurs s’étaient introduits chez lui par une lucarne d’une maison voisine, en passant par le toit. Toutes les chambres de la maison avaient été fouillées ; un coffre – fort placé contre un mur avait été couché sur un matelas et éventré. De nombreux bijoux avaient été enlevés ainsi que cinq obligation Ville de Paris, trois obligations Crédit Foncier, cinq bons Exposition 1900, deux bons Panama, etc. Le total du vol s’élevait à 40000 francs. (…) Personne n’était venu dans la maison depuis quinze jours. Des journaux marseillais, abandonnés par les voleurs et portant la date des 16 et 17 juillet, permettent d’établir que le vol a été commis entre le 17 et le 23 juillet. Jacob avoue en être un des auteurs. Les titres dérobés ont été négociés chez M. Lestibondois, agent de change à Paris. M. Torquebiau Emile raconte le vol dont il a été la victime. Il estime que les bijoux qui lui ont été pris valaient 40000 francs et qu’il y avait 8 à 10000 francs de valeurs. Jacob conteste le préjudice causé à la victime.
– Vous n’étiez pas seul ? Demande le Président.
– Oui, oui, en nombre suffisant ; nous étions en nombre suffisant ».
Le vol Torquebiau est intéressant à plusieurs titres. D’abord, il révèle une opération minutieusement préparée. Jacob et ses acolytes passent en effet par une maison mitoyenne pour dévaliser celle de l’avocat. Le butin est ensuite conséquent et il convient ensuite de l’écouler rapidement. Enfin, Jacob refuse de donner les noms de ceux qui l’ont accompagné. Le principe de solidarité prévalant « le chef » des Travailleurs de la Nuit ne compromet ainsi pas un compagnon de plus.
Les journaux marseillais trouvés dans la résidence ne permettent pas d’identifier ceux qui, « en nombre suffisant », ont participé à l’affaire. Tout au plus, pouvons-nous subodorer des amis de Jacob fréquentés dans la métropole des Bouches du Rhône, soit ceux cités précédemment. Mais le vol est commis à Sète et Saurel ne fut jamais inquiété pour celui-ci. Y-a-t’ il participé ? La question ainsi posée reste en suspens.
Trois ans plus tard, le commissaire central de Sète annonçant le départ de l’ancien ami de Caserio et indique le 29 octobre 1903, qu’il « manifeste ne vouloir tirer ses moyens d’existence que du vol et peut devenir dangereux ».
Saurel se trouve à cette date à Nice où il se cache chez un tailleur italien, Del Piano, résidant au 7 de la rue Malausséna. Il a pris le nom de Pierre Laudes et serait passé par la Suisse, à Genève, où il aurait laissé son fils à un ami. Au même moment, le juge Hatté d’Abbeville mène l’instruction qui doit aboutir au procès des Travailleurs de la Nuit à Amiens. Mais la justice picarde ne semble faire aucun lien entre Jacob et Saurel. Toujours est-il que ce dernier semble vouloir fuir sa ville natale en se réfugiant à Nice. Il y est pourtant arrêté peu de temps après comme le signale un rapport du commissaire spécial de Cette en date du 25 février 1904. Saurel est alors inculpé de complicité dans divers vols commis à Nîmes et dans la région :
« Saurel fut transféré à Nîmes puis à Montpellier où il est resté à l’instruction jusqu’au 23 courant. Ayant bénéficié d’une ordonnance de non-lieu, il est rentré à Cette avant-hier par le train de 7h55 du soir, (…) et loge chez sa maitresse, la femme Amiel, qui habite une petite maison isolée au quartier du Garrigou. Saurel doit à nouveau et sous peu quitter Cette pour une destination qu’il n’a pas encore fait connaître. »
Le 28 octobre 1904, le commissaire spécial de Cette signale au préfet de l’Hérault la présence de l’anarchiste à Barcelone. Saurel réside avec Aliette Amiel chez Gustave Sauzet au 83 de la Calle Salva mais l’épisode catalan ne dure pas. Après avoir cherché entrer en contact avec un certain Emile Dupré, recherché pour désertion depuis 1901, en envoyant une annonce dans le Libertaire du 15 au 22 novembre 1904, Saurel et Amiel rentrent sur Sète au mois de février de l’année suivante. Les fréquents déplacements sur Nîmes, Montpellier mais aussi Avignon en 1907 ne semblent pas indiquer une certaine aisance financière. Tout au plus pouvons-nous avancer l’existence de réseaux lui permettant de trouver de l’aide dans le Midi de la France. Nous perdons ensuite la trace d’Ernest Saurel, anarchiste et militant convaincu, ami de Caserio et complice d’Alexandre Jacob.
C’était bien chez Saurel
– C’est maintenant qu’il fait sa bande ?
– Oui, oui, tu peux sortir tous les autres Jacobils ?
– Et c’est Jacob le chef ?
– Y a pas de chef chez les anarchistes ! Mince ! je te l’ai déjà dit 20 fois.
Les discussions vont bon train chez François Bouvilla, rue Concorde à Sète. On est à deux pas du centre et à quelques encablures de la gare. Le jeune homme écoute attentivement les souvenirs de son hôte. De temps à autres, il jette un coup d’œil furtif, à travers la fenêtre de la baraque. Rien en vue. Il ne se complait plus à refaire le monde autour d’un verre ou deux, il se projette dans le concret. Tous deux y croient à cette révolution qui semble, pourtant, s’éloigner de plus en plus. Jean Concorde ne boit pas d’ailleurs. Il ne s’appelle pas Jean Concorde non plus. Il n’est pas allé chercher très loin son pseudonyme. Comme François Bouvilla. Au pied de la table, le chien sommeille paisiblement :
– Tu vois le cabot que tu caresses ? Il pourrait t’en dire plus que moi sur Caserio. Le gamin l’adorait pourtant et le chien lui rendait bien. A chaque fois qu’il rentrait de la boulangerie, c’était une véritable fête. Ça fera bientôt six ans maintenant qu’il est parti sans rien dire pour suriner Sadi Carnot.
– Pécaïre ! Encore une tête d’anarchiste qui a roulé dans le son !
– Comme tu le dis, l’a embrassé la Veuve mais, avant, ils te lui ont flanqué une sacrée raclée et l’ont exhibé comme une bête fauve alors qu’il n’y avait pas plus doux et attentionné. Et on a eu les flics qui flairaient partout après. La marmite on l’a vite remballée que j’te dis !
– Moi ? Ils m’ont bien couillonné aussi avec l’Indicateur Anarchiste à Marseille.
– Tu leur as rendu leur compte, non ?
– Si on veut. Six mois chez les fadas à Aix en Provence quand même ! Certes, j’ai éprouvé la rapidité de mes réflexes, j’ai mis la solidité de mes nerfs à l’épreuve mais, à tout prendre, il ne s’agissait que d’escarmouches. Pas grand-chose. Non. Il faut une bataille d’envergure contre le capitalisme et ses privilégiés et ne plus s’attaquer, comme Ravachol, Henri ou Caserio, à des symboles mais aux fondements même de l’injustice sociale : la propriété et le coffre-fort. La marmite a fait couler le sang et le sang du bourgeois se paie trop cher pour un seul individu. Avec la pince monseigneur, en revanche, on peut vivre et propager nos idées.
– Voler pour l’anarchie ?
– Et pas seulement ! Pour la révolution … et pour nous, Ernest. Les malfaiteurs, les bandits, les démolisseurs comme moi sont loin d’être des ineptes. Crois – moi. Aujourd’hui j’use de tous les moyens pour démolir l’édifice social parce qu’il pue avec ses chancres et ses immondices, qu’il indigne avec ses injustices et ses cruautés.
– T’as raison. Sais-tu que Darien n’écrit pas autre chose dans son Voleur en 1897 quand il fait parler son héros, Georges Randall : « Et pourquoi ne serait – ce pas le malfaiteur au bout du compte qui délivrerait le monde du joug infâme des honnêtes gens ? Si ç’avait été Barrabas qui avait chassé les vendeurs du Temple, peut – être qu’ils n’y seraient pas revenus ».
– Barrabas, le roi des voleurs ? C’est drôle, j’ai signé certaines de mes visites du nom d’Attila pour me foutre de leur gueule à ces cul-bénits d’aristos et de bourgeois. Si je te disais ce qu’on lui a pris à l’autre cagole de comtesse de Cassagne ! Les copains de Barcelone en ont bien profité de son fric. Dommage que tous ne partagent pas, ici, notre point de vue.
– T’étais encore qu’un gamin mais, à l’époque, avant que les bombes n’apeurent nos bouffe-galette et leurs moutons, Grave avait défendu Duval dans les colonnes du Révolté en 1887. Le droit à l’existence justifiait le vol selon lui et, lors de son procès, Duval avait revendiqué hautement ses actes : « Non, le vol n’existe que dans l’exploitation de l’homme par l’homme, en un mot par ceux qui vivent aux dépens de la classe productrice ». Mais, après, il y avait eu Pini, Parmeggiani, Schouppe et plein d’autres encore. Aujourd’hui, le pape de la rue Mouffetard nous compare aux bourgeois. On vivrait sur le dos de la société. Salaud !
– C’est vrai, il a raison. Mais le tout est de savoir et de distinguer comment et sur qui chacun d’eux consomment. Le bourgeois consomme en dévalisant le travail, c’est à dire les ouvriers, alors que le cambrioleur consomme en livrant des assauts au capital, c’est à dire aux bourgeois. Le premier vole des millions au coin du feu, avec l’appui et la protection des gendarmes ; l’autre se révolte contre les lois en entreprises périlleuses, demeure pauvre et va crever au bagne ou sur l’échafaud.
– Pire, on serait même des parasites !
– Et c’est toujours vrai. mais là encore faut-il savoir distinguer. Le bourgeois est un parasite conservateur ; tous ses soins, tous ses désirs, ses aspirations tendent à un même but : la conservation de l’édifice social qui le fait vivre ; alors que le cambrioleur est un parasité démolisseur. Il ne s’adapte pas à la société ; il vit sur son balcon et ne descend en son sein que pour y livrer des assauts ; il ne se fait pas le complice et le dupe du parasite conservateur en allant passer ses journées à l’usine ou à l’atelier, comme le fait l’ouvrier, en consolidant avec ses bras ce que son cerveau voudrait détruire. Il ne travaille pas pour le compte et le profit de Monsieur Fripon et de Madame Fripouille mais pour lui et pour l’avènement d’un monde meilleur.
– Tout seul ? Putain, il construira pas grand-chose ton voleur..
– Ça, c’est sûr ! Et c’est pourquoi on est ici non ? L’ordre moins le pouvoir. Il faut s’organiser. Il faut travailler sur une plus grande échelle. On attend les autres et on s’y met.
Depuis le temps qu’il se planquait chez Ernest Saurel, Alexandre Jacob avait échafaudé son plan, mâché longuement sa réflexion. Il tenait désormais le vol pour une entreprise collective et pérenne, motivée qui plus est par un discours et une finalité politique : l’illégalisme. Or, une telle opération suppose au préalable l’existence d’un groupe, d’un rassemblement d’hommes et de femmes, en fin de compte d’une association : les Travailleurs de la Nuit.
Chacun, à l’intérieur de la bande, devait apporter son expérience et tout un réseau de relations. Liberté aussi de venir et de partir, de donner son avis et de participer à l’honnête travail associatif mais, une fois les décisions prises collectivement, on devait s’y tenir. La réflexion dissout le geste, se plaisait-il à dire. Le butin ? Une partie, 10% minimum, irait à la cause, soutiendrait l’effort de propagande, aiderait les camaros dans le besoin, permettrait de faire vivre l’anarchie. Le reste pour le travailleur.
Saurel acquiesçait d’autant plus que, comme Jacob, ses efforts pour vivre honnêtement s’étaient tous soldés par des échecs. La police républicaine le tenait pour un dangereux activiste et ne l’avait plus lâché après l’assassinat, le 25 juin 1894, de son plus haut représentant par un anarchiste italien. Saurel avait été l’ami de Santo Geronimo Caserio quand celui-ci était arrivé à Sète l’année précédente et, maintenant que les choses s’étaient calmées, que la pression s’était faite moins forte, il accueillait l’évadé Jacob. Il le suivait aussi dans tous ses retranchements dialectiques et défendait, comme lui, la reprise individuelle. Si la propriété était le vol, alors les voleurs pouvaient être des travailleurs honnêtes et hâter la révolution tout en vivant dignement des fruits de leur soi-disant délictueux labeur.
Le reste ne devait être qu’organisation. Saurel connaissait bien Sète et sa région. Il saurait indiquer les coups à monter. Et petit à petit, la première brigade de Travailleurs fut formée. La fine fleur des monte-en-l’air du Midi est peu à peu arrivée à Sète, puis, s’est installée à Montpellier pour ne pas éveiller les soupçons. Beaucoup sont anarchistes. Presque tous ont un casier judiciaire et pour certains très fourni :
Ferrand Joseph, né à Varambon dans l’Ain le 18 janvier 1880, signalé par la police comme un homme au « caractère emporté, parlant beaucoup, d’allure décidée », il porte le numéro 188 de l’Etat Vert des anarchistes considérés comme disparus. Onze condamnations au compteur. Il aurait quitté Marseille le 31 août 1898.
Clarenson Jules, né à Saintes en 1867, tentative d’homicide sur agent de police, appartenance à une bande de cambrioleurs qui écumait tout le Sud-ouest de la France, possession d’explosif, violence et rébellion, implication à Langon, en Gironde, dans une bagarre en 1893 qui se solde par la mort du compagnon Daekeler, arrêté à Montpellier en 1897 en flagrant délit de cambriolage, simulateur ou vrai fou, interné de nombreuses fois en asile d’aliénés dont celui de Montperrin à Aix en Provence … et évadé aussitôt. Jacob a bien retenu la leçon. Joueur invétéré, en ménage un temps avec Rose Roux puis avec Antoinette Bernard, femme de chambre de Marcelle Deschamps, elle-même compagne d’Honoré Bonnefoy. Signalé comme anarchiste, Clarenson disparait de Marseille de manière impromptue en 1900.
Bonnefoy Honoré Alphonse Joseph, né à Paris le 10 janvier 1861, famille « honorable » selon la police, sergent-major au Tonkin, déserteur en 1881, séjour en Australie, Suisse et Angleterre, marié à Marcelle Deschamps, deux enfants. Le ménage vit d’expédients plus ou moins légaux. Son associé, un certain Bernard, est retrouvé mort dans le même wagon qu’il empruntait un jour de 1894. Non lieux judiciaire. Bernard se serait suicidé. Signalé comme anarchiste la même année, on retrouve sa trace à Marseille en 1897. Addiction au jeu comme son ami Clarenson. Fait l’objet d’un avis de recherche à partir de septembre 1900.
Jacques Sautarel a trente ans. Pas de condamnation pour vol mais de forts soupçons de recel. Jacques Sautarel est bijoutier. Une connaissance de Saurel et aussi un anarchiste convaincu, exalté, partisan de méthodes radicales. Catalan d’origine, il est installé à Paris et a travaillé à Toulouse, Montpellier, Sète, Perpignan … et à Marseille. En 1898, la police française le recherche activement à cause de ses écrits. Sautarel se pique de littérature ; il a fait publier une brochure au titre des plus évocateurs : Quand égorgerons-nous enfin ? Pour ces lignes, il s’est enfui … à Barcelone où il est emprisonné quelques temps au mois de juin de cette année. Des idées qui, fatalement, ne pouvaient que pousser cet anarchiste militant à passer de la théorie aux actes.
François Chalus, 25 ans, tenancier à Toulon d’une maison close, à maintes reprises jugé pour ivresse sur la voie publique ; Rose Roux, de son vrai nom Henriette Beziat, née le 1er septembre 1863, « ancienne femme galante de Marseille » selon un rapport de police, amante de Jacob, Marie Jacob, née Berthou, mère d’Alexandre, elle partage les idées de son rejeton, etc. D’autres encore viendront. Marius Royère, l’infirmier, a quitté son asile d’Aix en Provence pour suivre son ami Jacob. Marius Baudy, lui, repéré comme anarchiste exalté à Marseille en 1896 alors qu’il n’a que 21 ans et un parcours familial et professionnel des plus chaotiques, attend sa libération de la centrale de Nîmes où il purge une peine de trois ans de prison pour vol, violence et autres menus délits.
D’autres ne viendront pas. Alexandre Jacob se méfie de son père Joseph. Trop instable, trop imbibé aussi et surtout de gros, de très gros doutes après qu’il soit sorti libre de sa comparution en juin 1899 pour le coup du Mont de Piété. Même chose pour Maurel qui a disparu dans la nature. Arthur Roques fait carrière en solo depuis leur séparation au retour d’Espagne. Installé à Vichy, puis à Bordeaux, il se fait pincer à La Rochelle en 1901. Direction le bagne de Guyane, la souffrance et, au final, la mort en 1921.
A Sète, Jacob cherche à limiter les risques, à être le plus efficace, à porter de sales coups à cette gueuse de société capitaliste. Il a réuni un groupe. Tous, en son sein, ne volent pas, certains ne font qu’appuyer, indiquer, receler, transmettre, négocier … Tous ne sont pas anarchistes non plus. Mais tous participent de leur plein gré, de près ou de loin, à l’entreprise qu’il vient de monter. Jacob and Co, entreprise politique de démolition économique et sociale, une pratique quasiment industrielle du vol : les Travailleurs de la Nuit sont nés.
Sources :
– A.P.P.P., EA/89, dossier de presse “La bande sinistre et ses exploits“.
– A.D. Hérault, 4M1102
– A.C.F., 19940474/article 97/dossier 9401 : Jacques Sautarel 1893-1929
– Alain Sergent, Un anarchiste de la Belle Epoque, Le Seuil, 1950
– Sagnes jean, « Complot contre Sadi Carnot », dans L’Histoire, n°177, mai 1994, p.76-78.
et bien d’autres textes à visiter et aussi l’émission anti carcérale
passe- muraille