certains d’entre nous connaissent ce village depuis les années 70 après la tempête de neige.
lu sur alternativelibertaire.org
Depuis les municipales de mars 2014, ce village tente de fonctionner au quotidien selon des principes autogestionnaires.
Tout est parti d’un coup de bluff. En 2013, après une lutte victorieuse des habitantes et habitants de Saillans (Drôme) [1] contre un projet d’ouverture de supermarché porté par le maire, les personnes investies dans cette lutte se disent : « Ce n’est pas possible, on ne peut pas laisser ce maire gagner encore une fois les élections. » En effet, il n’y a pas d’autre candidat.
Le collectif de lutte organise une réunion publique pour en discuter, outillé de méthodes venues de l’éducation populaire (car Tristan Rechid, un de ses initiateurs, était directeur de centre social et les employait couramment). Lors de cette réunion, un diagnostic du village démarre. La deuxième réunion publique débouche sur la définition de 66 projets qui deviennent, tout autant que la méthode démocratique employée, le programme d’une liste citoyenne pour les municipales de mars 2014.
En quête de démocratie directe, la démarche des Saillansonnes et Saillansons rejette la « démocratie participative » proposée par les pouvoirs publics (par exemple ces référendums citoyens qui ne sont que consultatifs). S’il leur fallut bien se conformer à certaines règles du système représentatif en place pour être élu.es, ils ont tâché de les subvertir par différentes méthodes : l’incontournable tête de liste fut désignée au « vote sans candidature » issue de la sociocratie.
L’exécutif, c’est-à-dire le conseil municipal rebaptisé « comité de pilotage », prend bien les décisions et les fait appliquer, mais les propositions viennent de sept commissions thématiques et groupes projets, ouverts aux « usagers et usagères » du village (pas seulement celles et ceux qui y vivent). Un binôme d’élu.es (pour éviter la personnalisation des mandats) siège dans chaque commission, s’efforçant d’être dans une posture d’animation des débats et de garantir le processus démocratique.
Deux ans et demi après les premières réunions publiques, un tiers des 1 200 habitantes et habitants participe régulièrement à la gestion de la ville. Or le rythme des réunions est soutenu. Pour éviter l’usure et l’écueil de la professionnalisation de la politique (le maire est passé à mi-temps à son travail pour pouvoir tenir), Saillans vient d’embaucher une chargée d’animation de la vie démocratique. Au départ, beaucoup de projets ont émergé, car c’était le fondement de la démarche participative. Aujourd’hui, la dynamique d’émergence des projets est freinée, pour prioriser les mises en œuvre.
L’enjeu est celui de l’essaimage
Des besoins en formation apparaissent, sur les méthodes d’animation, qui garantissent les processus par exemple. Mais c’est sur les questions nécessitant des compétences qu’il est le plus difficile de partager le travail et donc la décision. Concernant le budget municipal, des formations vont être mises en place dans ce sens. Pour la révision du plan local d’urbanisme (PLU), la ville a demandé une subvention de formation à la Fondation de France, qui permettrait de faire coconstruire un PLU participatif par des habitants et habitantes tiré.es au sort. Mais la montée en compétence demande un temps long, que le système actuel n’autorise pas.
Environ un tiers de la population reste opposée à la dynamique collégiale en cours. L’intercommunalité présidée par Hervé Mariton (Les Républicains) n’est pas tendre non plus. Les élu.es, plus favorables au dialogue qu’à l’opposition frontale, donnent le change en attendant une éventuelle majorité au sein de la communauté de communes. Mais si la droite tombe, le PS veut récupérer sa place, et fera donc très probablement barrage.
Pour Tristan Rechid, un des initiateurs de la démarche, et qui fait aujourd’hui partie du Conseil des sages (instance chargée d’assurer le respect des protocoles collaboratifs et de la co-construction), l’enjeu aujourd’hui est celui de l’essaimage. Aux municipales 2014, lorsque les choses ont changé à Saillans, une multitude de listes « citoyennes » ont candidaté partout en France.
Saillans reçoit chaque jour une à deux demandes d’interview, de partage de pratique, de formation. Tristan Rechid a fait le choix de répondre à ces demandes. Il a récemment quitté son poste de directeur de centre social pour aller diffuser son envie de réalisations concrètes et réellement alternatives. Il intervient là où on le lui demande, et rejoint ainsi le monde des mouvements citoyennistes qui tentent de subvertir le jeu électoral.
Adeline DL et Mouchette (AL Paris Nord-Est)