lu sur non fides
Nous commençons par un constat qui ne devons jamais oublier. Tout se conquiert par la lutte. Si en prison aujourd’hui nous pouvons avoir des livres, une télévision, des communications téléphoniques libres, des permissions, des suspensions de peine, si les matons ne nous frappent pas, nous le devons aux mutineries sanglantes et aux grèves de la faim d’anciens prisonniers.
Aujourd’hui, notre tour est venu de lutter et de gagner. L’heure est venue pour que diminuent les peines folles qu’ils distribuent abondamment, que soient données les permissions et les remises de peines selon les règles, que la perpétuité soit ramenée à 12 années de peine obligatoire avec 4 années de travail [1], que les libérations sous conditions soient données après en avoir fait les 2/5 [2], que la durée de détention provisoire passe à 12 mois [3], qu’existe la possibilité d’utiliser internet, que les parloirs deviennent plus libres, que les parloirs conjugaux soient garantis [4].
Qu’ils ne construisent plus de quartiers d’isolement sensoriel comme ceux de Malandrino, Trikala, Grevena, Domokos, Chania, Nigrita, Drama, où les détenus n’ont aucun contact avec le monde extérieur et voient le ciel seulement à travers des barbelés. Ces quartiers déjà existants doivent être transformés architecturalement et il faut qu’ils cessent de prendre au sérieux uniquement la seule prévention des révoltes et des évasions et reléguant au second plan les conditions de vie.
Les camps de concentration pour immigrés doivent fermer. Tout cela sont des points que nous tous les prisonniers devons revendiquer et gagner. Nous les mettons en exergue à l’occasion de la lutte que nous commençons et nous demandons à tous les détenus de toutes les prisons d’en tenir compte pour les nouvelles batailles qui s’annoncent.
La prison, et la répression plus généralement, constitue un des piliers de base du système capitaliste. Dans le modèle néolibéral de gestion capitaliste qui prévaut aujourd’hui, la répression se centralise toujours plus comme choix de l’Etat et s’exprime de manière condensée à travers le dogme Loi et Ordre. L’abandon de l’ancien modèle d’Etat-providence keynésien a conduit à la paupérisation d’une majorité de personnes tant dans les métropoles occidentales que dans la périphérie capitaliste. À partir du moment où une large part de la population ne peut être absorbée par le processus de production et de consommation, sa gestion ne peut être autre que répressive.
Une gestion répressive efficace qui a imposé la création de régimes d’exception spéciaux en circonscrivant des pratiques illégales au sein d’un cadre législatif spécial. Des pratiques auxquelles ils ne font pas face en fonction de leur gravité pénale spécifique mais en fonction de leur dangerosité pour le fonctionnement sans accroc du régime…
Ce régime d’état d’urgence inclut le combat l’ennemi intérieur (avec l’application de la « loi antiterroriste » pour les personnes accusées de lutte armée et de la « loi anti-cagoule » [5] pour tous ceux arrêtés après des affrontements en manifestations), au dit « crime organisé » ou encore mieux au fonctionnement capitaliste « au noir », aux immigrés qui sont désormais détenus sans avoir commis de délit mais seulement en raison de leur existence, aux hooligans poursuivis selon des lois sportives spéciales, aux femmes stigmatisées comme un fléau pour la société et la liste peut continuer. On fait face à tout ce qui peut potentiellement provoquer une instabilité dans le fonctionnement systémique efficace par une quelconque réglementation spéciale.
Dans la réalité grecque, ce processus a commencé au début des années 2000 et évolue sans cesse depuis, législativement parlant. En 2001, l’Etat grec a voté l’article 187 sur l’entreprise à caractère criminel à l’unisson avec ce qu’on a nommé alors la « guerre contre le terrorisme » qui avait intensifié au niveau mondial la guerre contre l’ennemi intérieur. En 2004, l’article 187a sur l’entreprise à caractère terroriste est voté.
Durant la même période, la première prison de haute sécurité est construite à Malandrino où sont transférés les prisonniers les plus insoumis qui vivront un régime pénitentiaire spécial avec isolement sensoriel, détention dans des quartiers réduits et des difficultés quant aux permissions et aux remises de peine.
En 2002, les prisonniers de l’affaire du 17 Novembre [6] sont détenus dans les sous-sols de la prison pour femmes de Korydallos, également dans des conditions d’isolement physique et sensoriel. La construction de la prison de Malandrino et des cellules au sous-sol à Korydallos pour des prisonniers de droit commun et politiques respectivement, constitue la première mise en application des conditions spéciales de détention en Grèce dans la période post-Junte.
Les articles de loi 187 et 187a élargissent les cas d’application afin d’y inclure plus de pratiques et le degré de punition augmente. Le fonctionnement de ces législations comprend des magistrats spéciaux, des salles d’audience spéciales, l’absence de jurés, des peines plus lourdes pour chaque délit et enfin l’accusation d’intention de commettre un délit. Il s’agit très clairement d’une législation vindicative qui vise à exterminer les prisonniers.
Un cas à part ici est celui du résistant polytraumatisé Savvas Xiros [7] qui fait face depuis 13 années à une mort lente en prison.
La dernière mis en application de cet état d’urgence est la construction des prisons de type C. De par le renforcement du cadre législatif qui les définit, la durée d’accomplissement des peines de tous ceux qui s’y trouvent est démesurément rallongée. Et cela en plus de l’isolement physique et sensoriel qu’implique l’enfermement dans les prisons de type C.
Une caractéristique particulière de l’état d’urgence est sa mise en place expérimentale en premier lieu et son élargissement continu par la suite. L’application de l’article 187 qui concernait quelques dizaines de détenus initialement, pour désormais environ 30 % de la population totale des enfermés accusés dans ce cadre, en est un exemple.
La mise en place des prisons de type C est un autre exemple où, en-dehors de tous ceux qui sont initialement considérés comme prisonniers de type C (les accusés sous les articles 187 et 187a), n’importe quel prisonnier insoumis peut être considéré dangereux et y être transféré.
Au-delà de la législation, l’état d’urgence se cristallise aussi dans le champ de l’enquête-preuve. L’apparition de l’analyse ADN a créé un nouveau type d’approche policière-judiciaire qui présente ses conclusions d’enquête comme des vérités incontestables.
De par sa nature, le matériel génétique constitue une preuve particulièrement dangereuse quant aux conclusions que peut en tirer quelqu’un en l’analysant. Sa transmission aisée d’un individu à un autre ou à un objet ou encore son association laissent offertes tant de possibilités et de conclusions à quiconque veut en tirer en l’utilisant comme un moyen de preuve.
Si tout cela est pleinement connu autant des scientifiques qui suivent la question que des mécanismes répressifs qui l’utilisent, la collecte, l’analyse et le recensement du matériel génétique constituent la nouvelle super-arme répressive légiférée justement à cause de cette ambiguïté qu’elle implique.
La déficience de cette méthode est démontrée par l’absence retentissante de policiers biologistes aux procès en vue de soutenir leurs analyses, contrairement aux policiers qui ont effectué l’arrestation, le dossier d’instruction, des artificiers et autres spécialistes.
L’importance qu’accorde la pratique répressive à l’analyse ADN est prouvée par son utilisation en constante augmentation dans les salles d’audience. Des individus ont été accusés pour diverses infractions sur la seule base d’un mélange de matériaux génétiques trouvé non loin de la zone d’enquête. Bien que la méthode scientifique internationale considère précaire l’analyse de tels mélanges, il existe plusieurs condamnations sur la seule preuve d’un mélange découvert.
En outre, l’acharnement de la police à prélever l’ADN, chose non seulement permise mais imposée et qui transforme toute la procédure en une torture, est une preuve de plus de l’importance qu’a pour le régime la création de bases de données génétiques.
C’est pour toutes ces raisons que nous pensons qu’il est temps de faire obstacle à la manière dont est évalué le matériel génétique.
Aucune remise en doute n’est possible quant au fait que l’Etat utilise tous les moyens permis par chaque rapport social pour préserver la domination de classe. Il serait par conséquent stupide d’attendre de tous ceux à qui nuit la lutte subversive de ne pas prendre des mesures. Ce que nous pouvons revendiquer aux patrons et à leur Etat avec le coût relatif que nous leur présenterons est qu’ils battent en retraite en abolissant :
L’article 187.
L’article 187Α.
La circonstance aggravante pour un acte commis avec le visage dissimulé (« loi anti-cagoule »).
Le cadre de loi qui définit le fonctionnement des prisons de type C.
Et circonscrire l’analyse et l’utilisation du matériel génétique. Plus spécifiquement nous exigeons :
L’abolition de l’ordonnance du procureur qui impose le prélèvement violent de l’ADN.
L’accès et l’analyse du matériel génétique par un expert biologiste ayant la confiance de l’accusé, si ce dernier le souhaite.
La suppression de l’analyse d’échantillons composés d’un mélange de matériaux génétique de plus de deux individus.
Nous exigeons de plus :
La libération immédiate de Savvas Xiros afin qu’il puisse recevoir les soins dont il a besoin.
Nous ne faisons aucune confiance aux paroles de tout gouvernement et nous n’oublions pas que tout se conquiert par la lutte. Pour cette raison, nous commençons une grève de la faim à partir du 2 mars exigeant la satisfaction de nos revendications.
Réseau de Prisonniers en Lutte
Commencent à partir d’aujourd’hui [le lundi 2 mars] la grève de la faim les compagnons participants au Réseau de Prisonniers en Lutte Antonis Staboulos, Tasos Theofilou, Fivos Charisis, Argyris Dalios et Giorgos Karagiannidis avec les camarades Dimitris Koufoudinas, Nikos Maziotis et Kostas Gournas. Les autres compagnons participants au Réseau suivront ultérieurement.
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[Traduit du grec par nos soins de Indymedia Athènes.]
P.-S.
Plus d’infos :
Lutte contre les prisons de type C en Grèce
Notes
[1] Les condamnés à perpétuité doivent actuellement purger 16 ans au minimum avec 4 années de travail en prison pour demander une remise en liberté. Notes des traducteurs
[2] En Grèce, tout prisonnier peut actuellement demander sa remise en liberté après avoir effectué 3/5 de sa peine. En cas de libération, les 2/5 restants sont suspendus. Par exemple, une personne condamné à 10 ans peut sortir au bout de 6 années de prison et sera sous liberté conditionnelle les 4 années restantes. Si durant ces 4 années de nouvelles poursuites judiciaires sont lancées, la personne devra purger ces 4 ans en plus d’une nouvelle peine.
[3] Au lieu de 18 mois aujourd’hui.
[4] Les parloirs conjugaux ont été introduits dans la dernière réforme du code pénitentiaire mais n’existent pas dans la réalité à cause d’un manque de place.
[5] La loi anti-cagoule fait que se masquer dans une manifestation est un crime en Grèce.
[6] Groupe de lutte armée anti-impérialiste et communiste né peu après la chute de la junte qui mènera des actions jusqu’en 2002, année où ses membres seront arrêtés et jugés en vue des Jeux Olympiques de 2004.
[7] Savvas Xiros est un ancien membre du 17 novembre. Blessé en 2002 par l’explosion d’une bombe, il est atteint par de sérieux problèmes de santé et demande depuis des années sa remise en liberté pour cette raison.
lu sur brèves du désordre : Grèves de la faim dans les prisons grecques – brève chronique des derniers jours
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Tandis que la société grecque avale presque sans broncher les contes post-électoraux du gouvernement SYRIZA-ANEL, des anarchistes incarcéré-e-s et des prisonnier-e-s combatif-ves dans les geôles de la démocratie grecque décident de se confronter de nouveau au Pouvoir et à ses lois, utilisant comme moyen de lutte la grève de la faim et le refus de la nourriture de prison.
Le 27 février 2015, le prisonnier de droit commun Giorgos Sofianidis, enfermé dans le module E1 des prisons de haute sécurité de Domokos, commence une grève de la faim en exigeant d’être retransféré dans les prisons de Koridallos, où il purgeait sa peine jusqu’au Jour de l’An, afin de pouvoir continuer ses études au sein de l’Institut d’Education Technologique du Pirée et de l’Institut d’Enseignement Professionnel des prisons de Koridallos. Dans le même temps, avec les autres prisonniers du module spécial E1, il revendique l’abolition définitive des prisons de type C.
Ce même jour commencent à refuser la nourriture de prison tous les autres prisonniers du module, à savoir les anarchistes Nikos Maziotis, Kostas Gournas, Yannis Naxakis, le communiste Dimitris Koufontinas et les prisonniers sociaux Alexandros Meletis, Konstantinos Meletis, Vasilis Varelas, Mohamed-Said Elchibah et Alexandros Makadasidis, en affirmant qu’ils continueront leur mobilisation. Il nous faut rappeler ici qu’une autre protestation avait déjà eu lieu à l’intérieur des prisons de Domokos au début du mois de février suite à la mort d’un prisonnier du fait d’une négligence médicale.
Le 2 mars, une grève de la faim de prisonniers commence sur la base d’un ensemble de revendications communes//cadre politique commun, se référant surtout à l’abolition des lois antiterroristes de 2001 et de 2004, des articles 187 et 187A du code pénal, de la « loi de la cagoule », de la législation sur les prisons de type C, de l’ordonnance du parquet en ce qui concerne la prise violente de traces ADN, en plus de la demande de libération de Savvas Xiros, membre condamné pour son appartenance à l’organisation 17 Novembre, pour des raisons de santé. Kostas Gournas et Dimitris Koufontinas (respectivement membres de Lutte Révolutionnaire et de 17 Novembre) annoncent leur participation par un communiqué en commun, ainsi que Nikos Maziotis (tous trois depuis les prisons de Domokos), et 5 compagnons du Réseau de Combattants Prisonniers (dont les initiales en grec sont DAK) : Antonis Stamboulos (prisons de Larisa), Tasos Theofilou (prisons de Domokos), Fivos Harisis, Argyris Ntalios et Giorgos Karagiannidis (prisons de Koridallos). Les autres participants de la DAK rejoindront la mobilisation plus tard. Depuis le 2 mars, le prisonnier Mohamed-Said Elchibah entre lui aussi en grève de la faim dans les prisons de Domokos. Deux jours plus tard, 2 prisonnières du module des femmes des prisons masculines de Neapoli, à Lasithi en Crète, commencent à refuser la nourriture de prison, comme marque de solidarité avec les prisonniers politiques en grève de la faim.
Au même moment, la police a arrêté à partir du 28 février plusieurs personnes dans l’affaire de la tentative d’évasion ratée de la Conspiration des Cellules de Feu des prisons de Koridallos : Christos Rodopoulos, l’anarchiste alors en cavale Angeliki Spyroupoulou, Athina Tsakalou (mère des frères Tsakalos) et une amie à elle, un ami du frère de Girogos Polidoros, ainsi que l’épouse de Gerasimos Tsakalos. Le 2 mars, les 10 membres prisonnier-e-s de la CCF Olga Ekonomidou, Michalis Nikolopoulos, Giorgos Nikolopoulos, Haris Hadjimihelakis, Gerasimos Tsakalos, Christos Tsakalos, Giorgos Polidoros, Panagiotis Argirou, Damiano Bolano et Theofilos Mavropoulos annoncent qu’ils rentrent en grève de la faim jusqu’à la mort ou jusqu’à ce que soient libéré-e-s leurs proches et ami-e-s. Angeliki Spyropoulou entre à son tour en grève de la faim depuis les cachots de la police, avec les mêmes revendications.
Le 4 mars, l’anarchiste Panagiotis Michalakoglou, en prison préventive dans les prisons de Nigrita, à Serres, commence à refuser la nourriture de prison en solidarité avec les membres de la CCF. Entretemps deux personnes de l’entourage amical des familles de la CCF sont « libérées », mais les tortionnaires Nikopoulos et Asprogerakas, juges spéciaux d’instruction, ordonnent la prison préventice pour la gréviste de la faim Angeliki Spyropoulou (prisons de Koridallos) et Christos Rodopoulos (prisons de Domokos).
De plus, le 6 mars, Christos Polidoros (frère du membre de la CCF) est arrêté et remis aux services antiterroristes.
Le 4 mars, Giorgos Polidoros et Christos Tsakalos annoncent que la CCF soutient la grève de la faim collective qui est menée en parallèle de la leur, en soulignant que les nouvelles machinations des services antiterroristes contre leurs familles sont une conséquence extrême de la loi antiterroriste. Le 5 mars, Nikos Maziotis, membre de Lutte Révolutionnaire, déclare, indépendamment des différents contextes de ces grèves de la faim en termes de revendications, qu’il soutient la lutte des prisonnier-e-s de la CCF.
Face à ces évènements très importants et à l’attente de nouvelles, nous, celles et ceux qui sont dehors, à lutter pour l’abolition de la société carcérale dans toutes ses expressions et l’abattage de tout Pouvoir, avons pour responsabilité de soutenir tou-te-s les prisonnier-e-s en lutte, sans exceptions, et leurs mobilisations pour la satisfaction immédiate de leurs revendications, tout en continuant à travailler pour la déstabilisation complète du système de domination. Il ne faut pas oublier que ce pour quoi nous luttons est la démolition totale de l’État/Capital et que les luttes partiales revendicatives sont des outils de déstabilisation dans ce sens, et non des fins en soi. Dans le cas contraire, on court toujours le risque de l’assimilation par le réformisme. Multiplions les actions d’agitation et d’attaque contre les institutions, les personnes et les symboles de la démocratie grecque à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Que la solidarité soit pratique !
[Contrainfo, March 8th, 2015]