Archives mensuelles : août 2018

Roveré della Luna, Italie : Au sujet de l’attaque incendiaire contre la caserne militaire du 27 mai dernier

 

« Éloge de l’égoïsme » charles- Auguste Bontemps

 

Une éloge de l’égoïsme peut paraître une gageure.

J’aborderai prudemment ce débat par une question. Pourquoi tant d’hommes et tant de femmes dont la jeunesse fut passionnée d’une idée, pourquoi se résignent-ils trop tôt à la médiocrité d’une vie sans élan ? Je ne crois pas qu’il en faille accuse les difficultés matérielles. Au contraire, c’est à ces difficultés là que chacun ne cesse de faire face, c’est aux conditions de cette lutte que les jeunes s’attachent tout d’abord. Mais ils ne font que, lorsqu’ils sont doués d’un minimum d’intelligence sensible, dans une perspective qui va au-delà des besoins quotidiens. Ils rêvent d’une vie prospère dans un monde pacifié.

D’où viennent donc les scepticismes et les abandons si ce n’est de la faillite des moyens ? A la vérité, la condition de l’homme dont on a trop dit qu’elle est absurde, cette condition paraît justifier l’acharnement à prendre et à jouir des voraces et des rusés. Il ne reste d’autre choix, à qui n’est pas un carnassier, que le retrait sur soi ou bien la foi dans un monde en progrès et qui ne serait mauvais que parce qu’il est inachevé. C’est sur ce thème illusoire qu’on travaillé et travaillent encore les bâtisseurs de royaumes idylliques.

Depuis des millénaires, les hommes impulsifs et les hommes fervents se sont égarés dans ces royaumes vaporeux. C’est là que les voraces ont organisé le ramassage des butins de pouvoir et d’argent. Est-ce à dire que la force de l’esprit est un leurre ? Si je le pensais je ne prendrais pas la peine d’en parler. L’esprit, comme la matière, vaut ce que l’on en fait. Une matière explosive fait un obus ou un moteur. L’esprit embellit le réel ou bien le détériore.

Tel est le problème de l’être pensant : savoir embellir ce qui est et non pas espérer que se concrétise la facticité des mythes. Oh ! certes, un mythe peut-être la beauté d’un poème. Il est préférable qu’on ne le dégrade pas et qu’il reste la poésie du rêve. On a dit justement que le rêve est un refuge.

Je ne comprends pas qu’on en veuille faire un tremplin. Il est le champ de l’imaginaire comme il l’était déjà pour les peintres magiciens des grottes du quaternaire. Je sais qu’on m’accusera tout à l’heure d’abaisser l’esprit au niveau du pragmatisme. Nous en reparlerons. Aussi bien, je pourrais demander tout de suite si c’est en faisant monter l’idée à partir du réel ou en la faisant retomber des écrans du ciel que l’on abaisse l’esprit.

Laissons les images et venons au concret. Le concret se définie sans doute dans la technique et dans l’économique. Mais la façon de l’organiser, la manière d’en user ressortissent au politique et, par conséquent, à des directives qui sont à la fois d’ordre religieux et d’ordre philosophique. Elles déterminent et réglementent la moralité du citoyen et aménagent l’immoralité du pouvoir.

A voir comment le monde évolue, il faut bien convenir que les principes essentiels et leur trucage ne varient que fort peu dans le temps. Le progrès des techniques ne modifie guère que les apparences des comportements. Les impulsions intimes ne font que changer d’objet. Les corrections que deux mille ans d’évolution sociale et de révolutions scientifiques ont introduites dans la morale chrétienne qui nous gouverne nous pas atteint, même chez les athées, des préjugés qu’il est malséant de mettre en cause.

Cela va des incontinences du sexe à la respectabilité des philanthropes. Les sentiments que l’on dit hautement humains sont tabous de consentement général. On n’a le droit de les juger que dans leurs conséquences. C’est donc par là que j’aborderai le tabou chrétien d’amour du prochain pour aller, si vous me le permettez, à une vue qui, pour être anarchiste, n’en est pas moins conséquente et mieux assurée que le dogme de la charité.

Ne disons qu’un mot de la fallacieuse Église des pauvres qui sépare puisqu’elle distingue. Tout s’arrange du reste : aux pauvres l’Église du Ciel, aux riches l’Église temporelle. Mais que deviennent, dans ces Églises séparées, les dogmes fondamentaux que sont la fraternité des hommes et l’amour du prochain ? S’ils ont fait la gloire du christianisme, s’ils sont encore la fierté des chrétiens, ils sont aussi un exemple de la sottise heureuse de soi, non point par la grâce de Dieu mais celle des idéologies.

Les bons sentiments ont si bien camouflé cette morale incongrue que des rationalistes – et non des moindres – se sont intégrés. Ils ont accusé les chrétiens, les chrétiens notables s’entend, de trahir leur enseignement. Ces rationalistes trop bien pensants reconnaissent de la sorte à ces tricheurs une habilité qui les exonérait de la sottise commune. Il est vrai que cette habilité ne fait pas non plus défaut à certains rationalistes de politique qui font volontiers dans la fraternité.

Ah ! la fraternité des hommes ! Parlons-en ! On croirait, à lire saint Paul et les évangélistes, que ces Juifs s’étaient dé-judaïsés au point d’en avoir oublié le fraternel assassinat d’Abel et l’histoire de Joseph vendu par ses frères. On s’assassinait beaucoup dans le monde biblique, en famille et entre voisins. Si les Esséniens, qui nous ont laissé les manuscrits de la mer Morte, s’accordaient mieux entre eux, ils eurent le tort, en inspirant le christianisme, de conclure du particulier au général. Le général n’a pas ratifié et les généraux pas davantage.

En deux mille ans de christianisme, il n’est point de jour où des chrétiens n’aient pas été fraternellement en guerre quelque part. Le principe n’en fut pas pour autant rendu caduc. Les porte-parole de l’Église étant accrédités dans tous les camps, l’efficacité de leurs bénédictions se contrebalançait. Même dans les guerres de religion, jamais une atrocité ne fut commise qui ne se réclamât d’un père commun.

Cette excessive fraternité n’a plus de référence à présent que les peuples, unis par les avions, ont multiplié les pères, sans parler des athées qui se déclarent sans vergogne issus de père inconnu. Il est permis de penser qu’il est expédient et plus efficace d’inciter ces gens à se supporter pour de simples raisons d’intérêt commun. Sans doute est-ce encore une vue pragmatique. Je conviens que ce n’est pas avec des arguments de cet ordre que l’on prépare la glorification des héros.

En revanche, on diminue d’autant la commémoration des victimes. J’en viens à l’amour. Voilà bien le vocable le moins fait pour aider à s’entendre tant il emprunte de significations. En ne retenant, avec un grand A, que le sens chrétien qui est celui de charité, on ne se comprend pas mieux, les théologiens lui donnant également des mobiles différents.

Je me bornerai donc aux deux définitions de bas que voici : l’amour de Dieu est une vertu inspirée par le baptême. D’où il suit que l’amour est un devoir envers le prochain puisque tout prochain est notre frère en Dieu. Nous avons vu ce que donne l’amour entre frères, mêmes s’ils le sont en Jahvé. En ce qui touche le sentiment chrétien, il faut bien admettre qu’une vertu inspirée par le baptême ne concerne que les baptisés.

A supposer qu’elle les incite à aimer les hommes d’autres religions, c’est-à-dire les trois quarts de l’humanité, cela n’implique pas la réciprocité surtout lorsque le bien d’autrui porte à le convertir. Le ciel n’est vraiment pas un lieu de rencontre. L’amour de Dieu a un objet si particulier qu’il ne saurait fonder une morale universelle.

Au reste, l’amour, qu’il soit vice ou qu’il soit vertu, est un sentiment spontané. C’est cette spontanéité qui lui donne sa chaleur, qui en fait la beauté, parfois le tragique et parfois la grandeur dans le sacrifice. Il serait immoral, il serait décevant de le galvauder. Je ne me vois pas contraint d’aimer un prochain dont les actes m’écœurent. Ce serait nier mon droit à la révolte et confondre le pardon des offenses avec la résignation.

Laissez moi dire en passant que les bonnes intentions sont faites de cette farine malaxée dans les pétrins des démagogues. C’est de ces pétrins que sortent des préjugés qui ne sont que des idées moisies. On ne veut pas le savoir et les honnêtes gens sont complices de ces idées ancrées par une éducation falsifiée. Cela me rappelle comment je mettais en de grandes colères mon adversaire et néanmoins ami, le feu chanoine Viollet, lorsque j’opposais l’égoïsme à la charité chrétienne.

C’est que ce malencontreux égoïsme, vu sous un certain angle, a de telles vertus que pour s’en protéger on en a fait un vice. On ne devrait pas oublier, lorsqu’on attaque l’égoïsme au plan de l’éthique, qu’il est exactement l’instinct de conservation de l’individu et qu’il est aussi facteur de solidarité. En tant qu’instinct de conservation, ne le voit-on pas se manifester, de façon irréfragable, chez le jeune enfant qui rapporte tout à soi ? Il a fallu beaucoup d’astuce et une longue tradition dans l’art de conditionner les jugements pour transformer en défaut un instinct à ce point vital. »

C’est pourtant ce qu’on fait des générations de vaticinateurs, en dépit des philosophies rationnelles qui ont dès longtemps situé l’égoïsme dans sa nature vraie que je ne fais que rappeler. Mais que peut la sagesse quand les bons sentiments sont braqués au nom de l’amour ? Or, est-il égoïsme plus passionné que l’amour ? N’est-ce pas cette passion qui en fait le plus puissant des sentiments ?

Que l’individu n’ait pas toujours à s’en féliciter, on le sait. Mais je n’ai pas dit que l’excès de passion ne tourne jamais à mal, pas plus que je ne confonds le bouquet du bourgogne avec le gros vin du troquet. Les excès ne condamnent pas l’usage et il n’est pas nécessaire d’insister sur la primauté de l’égoïsme comme instinct de défense. Je retiens davantage son caractère social autant qu’anti-social, ses facultés à la fois de compétition et d’absorption, d’entraide et d’expansion.

Que l’on me permette une remarque à propos de leçons qui condamnent l’égoïsme sous le prétexte qu’il porte à l’individu à vouloir absorber plus que sa juste part, à user de violence et de fourberie dans les compétitions. Ces leçons n’ont pas, que je sache, en aucun temps, éliminé les déprédations de toutes sortes de malfaiteurs publics ou privés. Je dis qu’au contraire elles leur laissent un champ d’autant plus ouvert que les justes, en se gardant chrétiennement de tout égoïsme, ne le condamnent qu’en paroles au lieu de les contrer en actes.

Voilà l’exemple type des morales inconséquentes qui ne se fondent pas sur le réel relativé. Non seulement elles échouent parce qu’elles vont à contre-nature, mais, plus gravement peut-être, elles détournent l’attention des solutions que l’on trouve dans la nature même, à la condition de les en dégager. Si j’appelle de leur nom propre l’avarice, la rapacité, l’autoritarisme, la violence, je combats ces vices pour ce qu’ils sont, des égoïsmes dépravés.

Si je retire l’adjectif dépravé, tout égoïsme est condamné, y compris précisément cette arme naturelle qui est en chacun et qui oppose chacun à l’autre dès que l’autre abuse. Par-là vous saisissez tout de suite qu’un égoïsme clairvoyant et mesuré est le moyen premier, le moyen irremplaçable, de conquérir, d’affirmer, de défendre sa liberté personnelle. Et quoi que puissent prétendre les définitions conformes, s’il est, au pluriel, des libertés politiques et sociales toujours contingentes, il n’est de liberté qui vaille la liberté individuelle.

Et elle vaut ce que vaut l’individu, c’est-à-dire sa pensée volontaire, exactement son ego. Que l’on ne s’étonne pas si toutes les sortes de pouvoirs, toutes les sortes de scribes courtisans et profiteurs des pouvoirs, se sont attachés à juguler chez les assujettis une force essentielle dont ils se gardent bien, quant à eux, de ses déposséder. Une personne avertie ne s’en laisse pas ainsi conter et c’est pourquoi un anarchiste appuie sur l’égoïsme comme sur un bouton d’alarme. Mais les échos de cette alerte se perdent dans la foule, plus accessible aux mythes de sentiment qu’elle n’est ouverte à la rigueur des idées claires.

Et pourtant ! Ce que nous offrent en vain les mythes de charité et de fraternité élaborés dans les empyrées, l’égoïsme franc, exactement compris nous le donne. A chacun de s’en saisir pour soi, il ne sera pas interdit à d’autres. Et si vous me demandez ce que j’entends par l’égoïsme bien compris, je vous répondrai qu’il est l’égoïsme tout simple, tout spontané, mais corrigé par une morale ouverte sur les faits, sur les réalités à notre mesure et qui commandent les actes de notre vie.

Je m’en suis maintes fois expliqué et d’autant plus facilement qu’il ne s’agit que d’un raisonnement tout épicurien dont les maniaques de la transcendance se gaussent et les gens de raison s’inquiètent parce qu’on ne fait pas appel aux sacro-saintes formules de dévouement et d’abnégation.

En fait, la morale d’un égoïsme se définit en trois constatations :l’être absorbe pour subsister; son système nerveux est aux aguets des perceptions qui protègent son corps et informent sa pensée; sa pensée est sa plus sûre richesse. Si un individu sait que sa pensée est richesse, s’il éprouve que sa sensibilité dispose de cette richesse et qu’il n’en jouit qu’en la dépensant, que l’on n’est riche que de ce que l’on disperse, il absorbera tout l’utile à son être, il tiendra en éveil ses sens dispensateurs autant qu’informateurs, il ne cessera d’acquérir afin de donner selon une formule nietzschéenne, de s’enrichir ainsi de sa générosité, de s’agrandir dans le plus haut et le meilleur de soi.

La satisfaction qu’il en éprouve le porte à ne point se laisser spolier, à se faire le compagnon des moins armés, à les aider à se pourvoir afin qu’à ses côtés des êtres soient unis dans une fraternité authentique, celle du cœur et de l’esprit et non pas des conventions sociales. Cette égoïste lucide vit pleinement et si intensément qu’il est à soi-même une source de joie. J’affirmerai donc pour conclure que c’est sur cet égoïsme là que se construit la solidarité des hommes.

Charles-Auguste BONTEMPS.

 

 

USA: Arrestation après 12 ans de cavale d’un activiste ELF et ALF

https://anarhija.info

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Joseph Mahmoud Dibee, membre du groupe Eart Liberation Front, « The Family », a été arrêté à Cuba et se trouve actuellement dans la prison de l’Oregon. Les autorités cubaines, avec l’aide du FBI et d’autres agences du gouvernement américain, ont arrêté Dibee à Cuba juste avant son embarquement dans un avion en direction de la Russie. Jusqu’à jeudi après-midi, il a été détenu à la prison du comté de Multnomah à Portland.
L’après-midi a comparu devant le tribunal fédéral de l’Oregon. Il a plaidé non coupable à trois accusations d’incendies criminels et de complot. Il a dit au juge qu’il comprend ses droits, sans rien ajouter d’autre.

Maintenant, il devra faire face à des accusations fédérales en Oregon, en Californie et à Washington.

Dans l’Oregon, il est accusé d’entente en vue de commettre un incendie criminel, un complot en vue de provoquer un incendie et la destruction d’une usine pour la production d’électricité, et des incendies criminels. En outre, il est accusé d’un complot visant à commettre un incendie criminel, possession d’une arme à feu non enregistrée et la possession d’un dispositif destructeur pour commettre des crimes violents à Washington, et un complot en vue de commettre un incendie criminel, le feu d’un bâtiment gouvernemental et possession d’un dispositif destructeur de violence en Californie.

L’une des actions est accusé d’avoir pris part est la destruction de l’abattage de la viande de cheval, Cave Ouest, à Redmond, Oregon, en 1997. L’action commune ELF / ALF a réussi, la fermeture définitive de l’installation.
En 2005, des agents du FBI sont arrivés chez Joseph Dibee, mais ils n’avaient pas suffisamment de preuves pour l’arrêter. « en fuite  quelques jours . En 2006, un grand jury fédéral en Oregon a accusé Dibee et 12 autres personnes, dans le cadre de » l’opération Backfire », d’une enquête du FBI sur des groupes de libération d’animaux et de terres qui a a mené à de nombreuses arrestations. Le groupe «La famille» est considéré comme responsable d’actes allant du vandalisme aux incendies criminels entre 1995 et 2001, causant plus de 45 millions de dollars de dommages aux entreprises qui détruisent les terres et exploitent des animaux. Dans aucune de ces actions, Dibee est accusé d’avoir causé des dommages à la vie humaine ou non humaine.

Il est prévu que Dibee s’adressera au procès en octobre à la cour fédérale d’Eugene. , il restera emprisonné. jusqu’au procès

Earth First! Journal

Papillons, amour libre et idéologie

Ce texte n’est pas un énième texte sur l’« amour libre », les « affects » et la « déconstruction », il a prétention à être plus que cela. Ecrit fin juillet/début août, il a jusqu’à octobre 2013, servi à poser les bases de nombreuses discussions plus ou moins collectives, dans l’informel. Des discussions très riches qui l’ont poussé à se nuancer et se compléter, et qui ont réussi à soulever de nombreux questionnements sur les rapports idéologiques qui régissent souvent les modes de pensée et de relation du milieu antiautoritaire français. Alors si ce texte n’est pas un énième texte sur les « affects », c’est qu’il s’agit d’abord d’un texte sur l’idéologie, et sur les « milieux », l’inconséquence et le gauchisme (et son rapport d’inversion). La façon dont il a réussi à faire écho à des situations diverses et variées, qui n’impliquaient pas nécessairement les relations affectives, mais un tas d’autres questions, comme les rapports de pouvoir, le conformisme d’un milieu anticonformiste, les contre-normes qui normalisent, les rôles sociaux et les rapports de consommation des individus, des luttes et des outils de lutte etc. en font un texte dont le but principal est d’ouvrir un débat qui le dépassera. Si nous avons tenu à le publier aujourd’hui, après ces quelques mois de gestation et de discussions passionnantes, c’est justement pour ouvrir ce débat, en cohérence avec le contenu du texte, au-delà des limites de l’informel et de l’entre-soi. Et nous espérons qu’il continuera son aventure ainsi.

Octobre 2013,

Ravage Editions.

bibliothéque anarchiste


 

Il est rassurant de voir, pour certaines générations du marécage anti-autoritaire, que les dogmes desquels nous partons trop souvent, qui nous bouffent et nous font tourner en rond dans un vase clos sont parfois remis en question. Que lorsque certains principes idéologiques finissent par causer des dommages collatéraux humains, nous sommes capables de les remettre en question, de les abandonner ou de les reformuler. Un texte sorti récemment par des compagnons a probablement réussi à provoquer des discussions passionnantes et importantes.[1] La force de ce texte était de revenir un petit peu à l’individualité là où nous l’avions tous plus ou moins remplacée par des dogmes et de l’idéologie, et les individus par des personnes-type interchangeables. Et si ces discussions-là, sur l’amour libre, le couple, la pluralité, la jalousie, la non-exclusivité etc. existent bel et bien entre nous, probablement plus dans les milieux où les gens vivent ensemble et ont parfois perdu le sens de l’intimité (squats, communautés, etc.) qu’ailleurs, il manquait vraiment cette volonté d’en faire une discussion réellement publique à travers un texte qui ne ferait pas que passer sous le manteau d’une ou deux bandes de copain/ines.

« Amour libre » est une expression utilisée depuis le XIXe siècle, qui servait à la base à décrire le rejet anarchiste du mariage dans une perspective d’émancipation individuelle de la femme et de l’homme. Ses partisans rejetaient le mariage comme une forme d’esclavage de la femme d’abord, mais aussi comme une ingérence de l’Etat et de l’Eglise dans leur intimité, lui opposant « l’union libre ». Il s’agissait alors d’affirmer que deux individus pouvaient se choisir eux-mêmes, s’aimer de façon profane sans demander la permission au maire et au curé et lever le majeur face à tous ceux qui souhaiteraient s’ingérer dans leur relation. Au contact des milieux libertaires éducationnistes et communautaires de la fin de la belle époque, sous la forme de la dite « camaraderie amoureuse », celui-ci a pris un autre sens, quoique de façon anecdotique, mais nous y reviendrons.

C’est réellement dans les années soixante, au contact du mouvement hippie, que le terme a changé de sens. Il signifiait alors le fait d’avoir des relations multiples sous diverses formes, mais aussi d’ouvrir l’intimité sexuelle de deux à plusieurs personnes à la fois, notamment sous la forme du triolisme et de la partouse. Souvent, les amour-libristes de l’époque ajoutaient une dose de mysticisme à tout cela (tantrisme, magie sexuelle etc.).

L’« Amour libre » tel qu’il est pratiqué aujourd’hui dans les milieux anti-autoritaires français, américains ou allemands,[2] est bien plus proche de la vision hippie que de la lutte anti-étatique et anticléricale des anarchistes individualistes pour « l’union libre » évoquée plus tôt.

Mais « Amour libre » est un terme qui déjà, en lui-même, est biaisé, car employé dans ce monde dans lequel nous vivons tous et dans lequel nous ne sommes libres d’aucune manière. Il n’est pas étonnant d’ailleurs que ce terme ait tant prospéré dans les milieux éducationnistes et communautaires du mouvement libertaire de la fin de la belle époque. Il suffit de relire cette rhétorique agaçante de l’« en-dehors » d’un Emile Armand ou d’un André Lorulot pour s’en rendre compte.[3] Ces libertaires qui vivaient généralement en communautés peu ouvertes, et où les enfants étaient « protégés » du monde extérieur (un peu comme chez les amish), qui succombaient à toutes les modes ridicules de l’époque (régime à l’huile, interdiction de la théine et de la caféine, consommation exclusive de fruits à coques, hygiénisme maladif, scientisme et progressisme absolus etc.), avaient le sentiment de vivre en-dehors du monde, de vivre libres. Face à la quantité et à la qualité du travail révolutionnaire à effectuer pour changer le monde, ils ont su trouver la plus confortable des pirouettes idéologiques : vivre la liberté maintenant, dans l’entre-soi, et la communauté. Ce n’étaient pas les premiers,[4] pas non plus les derniers.[5]

Mais nous parlons souvent d’une liberté totale et indivisible, car à quoi bon la liberté de circulation, par exemple, s’il n’y a nulle part ailleurs où circuler que dans des rues remplies de boutiques, de caméras et de flics ? Il en va de même pour l’amour, comment être libres en amour lorsque nous ne sommes libres nulle part ?

L’erreur typique et historique du gauchisme, qui consiste à se contenter de renverser les valeurs de l’ennemi – prendre l’argent aux riches pour le donner aux pauvres plutôt que d’abolir complètement les classes, reprendre à son compte les rhétoriques de discrimination et les transformer en fierté (ouvriérisme, fiertés ethniques, sexuelles et territoriales en tout genre…), faire de la politique mieux que les politiciens officiels, inverser le patriarcat plutôt que de le détruire etc. – cette erreur n’épargne bien sûr pas le champs des relations amoureuses et affectives. Il s’agit alors de faire le contraire des générations précédentes, de tous ces parents qui ont sacrifié leurs désirs et leurs vies pour leur couple ou pour leur famille. Alors on a longtemps eu l’impression d’inventer de nouvelles choses en ne faisant que proposer de nouveaux modèles de relations, calqués en négatif sur les anciens, et auxquels nous nous sommes conformés, comme avec chaque norme.

La norme en place aujourd’hui dans le mode de relation amoureuse et affective du milieu, est l’exhortation à la pluralité, l’impératif moral de non-exclusivité, la « construction d’une affection abondante »[6] et la multiplication des partenaires. La norme étant inversée, les réfractaires à la norme le sont également. La relation à deux qui se suffirait à elle-même est donc la nouvelle déviance à réprimer.

Pourtant, il nous semble important aujourd’hui de réaffirmer que deux personnes peuvent se sentir bien ensemble sans pour autant ressentir le besoin de multiplier les aventures et sans pour autant poser la fidélité comme un rapport moral ou réprimer la sexualité « extra-conjugale » en raison de valeurs stupides et castratrices. Mais il y aura toujours un/e gros/se malin/e, se croyant plus « libéré/e » que les autres pour faire tomber son jugement sur la gueule des autres : « ils sont en couple, la honte ! »

Au fond, pourquoi porter son avis, comme le curé de la paroisse ou l’évêque, sur des choses qui ne nous appartiennent pas et ne mettent pas en péril notre projet révolutionnaire ? Sur des choses dont les enjeux ne nous concernent pas ? Que l’un soit partisan de l’unicité ou du pluralisme amoureux n’est pas le problème de l’autre. Une seule chose est importante, que chacun puisse chercher son épanouissement à sa manière, sans s’aveugler par une quelconque idéologie, qu’elle vienne de la société patriarcale du mariage et de l’exclusivisme moral ou de la société de ceux qui croient posséder les recettes de la liberté, se sentant capables de dire qui est libre et qui ne l’est pas dans un monde de cages et de chaînes. Pourquoi, à partir de là, refuser de voir qu’à la complexité des individus se mêle la complexité des situations ? Que si une règle pouvait rallier tous les esprits, elle serait forcément inopérante et participerait à la négation des individus. Puisqu’elle serait une règle, elle entraverait à nouveau la liberté.

Combien de brochures pour nous expliquer comment baiser, comment aimer, quel rapport avoir à son corps.[7] Combien de normes trop étroites pour nos désirs et nos perceptions ? Combien d’entre nous qui, passée l’excitation de la fausse nouveauté à seize ou vingt ans, n’ont pas réussi à se retrouver dans ces nouveaux modèles de pseudo-liberté ? Combien aussi à avoir souffert de s’être dit qu’ils n’étaient pas faits pour la liberté parce qu’ils n’aimaient qu’une personne et qu’ils n’étaient aimés que d’une personne ? Combien à s’être flagellés de ressentir de la jalousie ? A s’être sentis consommés par l’autre sous prétexte de sa liberté ? A s’être sentis mal à l’aise sous le regard inquisiteur de ceux qui se croient libres dans ce monde de domination ? A oublier, dans l’enfermement sectaire et idéologique des petites bandes, qu’il y a encore quelques milliards de personnes autour de nous.

Comme dans toute dérivation idéologique, avant même d’avoir étudié la réalité, on l’adapte à ce que l’idéologie voudrait bien y voir. On ne cherche pas à faire ce qu’on voudrait, mais on cherche à vouloir ce qu’on devrait vouloir, et il y a bien assez de brochures, bouquins et textes sur les tables de presse du milieu pour nous expliquer ce que l’on devrait vouloir, plutôt que de partir de nos désirs réels et individuels. Alors dans cette course à la déconstruction et à la pseudo-liberté, il s’agit d’être le plus ouvert de tous, de tout essayer, parce qu’il le faut. Ou plus précisément, parce qu’il le faut pour se sentir déconstruit, meilleur que les autres, armés d’une nouvelle forme de progressisme. Alors on ne voit plus que la poutre qu’on a dans l’œil, pour reprendre la métaphore biblique à l’envers, et on ne voit plus le champ infini de possibilités qui s’offre à nos yeux dans la destruction. Comme si déconstruction de soi et destruction de ce monde ne pouvaient pas faire bon ménage.

C’est ce bon vieux Kropotkine qui disait que « des structures fondées sur quelques siècles d’histoire ne peuvent êtres détruites par quelques kilos de dynamite »,[8] et il avait raison. Dans ce sens que la destruction physique ne se suffit pas à elle-même, et qu’elle s’additionne forcément en cohérence avec une déconstruction profonde des rapports sociaux. Mais jamais n’a-t-il voulu exprimer que quelques kilos de dynamite ne pouvaient pas, eux aussi, faire émerger de splendides potentialités.

De plus, ce ne sont pas quelques illuminés de la déconstruction qui, sur le modèle de Zarathoustra (se retirant dix ans dans la montagne, et sentant un jour le besoin de partager sa sagesse avec le petit-peuple), portent la potentialité de faire la révolution, non. La révolution (et dans une moindre mesure l’insurrection) est un fait social, c’est-à-dire que, qu’on le veuille ou non, il faudra à un moment ou un autre qu’une large strate de la population se soulève. C’est à côté de ces fameux « vrais gens » (comme on l’entend parfois) que nous pourrons faire la révolution, et pas seulement les quelques clampins anti-autoritaires super-déconstruits qui ne pourront y participer qu’à leur échelle ultra-réduite. Elle ne pourra qu’être l’œuvre de ces personnes « normales », avec leurs qualités et aussi leurs nombreux défauts, et qui sont souvent à des années-lumière de cette question (et de bien d’autres…).

Mais revenons à nos papillons. Armand affirmait que « en amour comme dans tous les autres domaines, c’est l’abondance qui annihile la jalousie et l’envie. Voilà pourquoi la formule de l’amour en liberté, tous à toutes, toutes à tous, est appelée à devenir celle de tout milieu anarchiste sélectionné, réuni par affinités. » Mais comment peut-on, hier comme aujourd’hui, se permettre d’affirmer avec tant de morgue et de satisfaction, quelle est LA forme (« formule » !) de relation amoureuse et sexuelle qui doit être adoptée par LES anarchistes (ou n’importe quel autre milieu social). Le terme « amour libre » contient déjà en lui-même cette forme d’exclusion, puisqu’il implique que sa seule forme est capable d’apporter la liberté, alors que nous doutons sérieusement de la quelconque possibilité de trouver la liberté à travers l’amour, qu’il soit dit « libre » ou non. Car est-ce bien la liberté que nous recherchons à travers l’amour ?

Il ne faut pas se leurrer, à l’ère du post-moderne, le concept de liberté sert malheureusement bien trop souvent de prétexte à la négation des individus, et à la négation de toute volonté véritable de transformation du monde. « J’en ai rien à foutre et je t’emmerde » semble être la nouvelle liberté, en d’autres termes, la liberté totale et indivisible, individuelle mais conditionnée par la liberté de l’autre (qui est au centre des perspectives anarchistes depuis que celles-ci font l’objet de débats et de discussions entre anarchistes) s’est vue remplacée par cette sorte de libéralisme déjà omniprésent. S’additionnant à un processus de normalisation qui exprime sa violence à travers la marginalisation des individus viscéralement réfractaires à ces normes, en leur expliquant que si cela ne fonctionne pas pour eux, c’est qu’ils sont le problème. Mais il n’y a rien d’étonnant à cela. Après tout, ce petit milieu est le produit de ce monde, et il le reproduit en retour.

Mais ce libéralisme a mille facettes, et dépasse largement la question des relations affectives. A force de réfléchir avec des idéologies et des mots-clés à employer et d’autres à bannir, on a fini par n’être plus capables de rien d’autre que de se regarder le nombril avec auto-satisfaction dans une petite bulle confortable où les quelques milliards d’autres humains ont interdiction de pénétrer, et ce malgré les discours ultra-sociaux de façade.

Alors on nous dit que la liberté c’est le nomadisme, c’est de papillonner, mais comment alors s’inscrire dans une réelle démarche révolutionnaire de continuité sur un quartier, un village, une région, avec une publication, un lieu, une lutte ? Ceux qui se sentent libres à papillonner d’une lutte à une autre se rendent-ils bien compte qu’ils ne peuvent se le permettre que parce que certains maintiennent la continuité de ces outils ? Que ce papillonnage romantique n’est en fait qu’une autre forme de consommation confortable ?

Et lorsque l’on parle de la démarche révolutionnaire comme d’un travail de longue haleine, qui nécessite des efforts conséquents et une part de « sacrifice »[9] de son temps, parfois de sa liberté et souvent de son petit confort, combien sont-ils à s’offusquer, « efforts, travail, beurk, sale capitaliste ! ». alors bravo chers camarades et compagnons, vous êtes libres, vous n’êtes pas capitalistes, vous êtes super déconstruits, mais à quoi bon ? La mémoire des luttes retiendra de vous que vous vous êtes bien amusés, mais les autres révolutionnaires ne retiendront de vous que vous n’avez fait que les consommer, et c’est là, profondément, que se trouve le capitalisme : dans la consommation des efforts de l’autre, mais aussi dans la consommation des corps.

Mais que les mauvaises langues ne crachent pas leur venin à travers ma bouche, il ne s’agit pas d’opposer la praxis révolutionnaire à la jouissance. Je tiens surtout à préciser que la joie n’est pas nécessairement dans les formes que le spectacle lui donne généralement. Il ne s’agit pas ici de prôner un quelconque ascétisme ou rigorisme, car à quoi bon avoir tant critiqué le militantisme si c’était pour en reproduire les travers tôt ou tard. Reste qu’aujourd’hui, comme produit d’une certaine diversité d’expériences, le projet révolutionnaire selon moi se trouve ailleurs que dans les catégories et rôles sociaux faussement opposés du militantisme et des milieux désirants/déconstruits. Que ceux qui en doutent sachent que l’on prend plaisir et satisfaction à construire des sentiers de subversions, et que le monopole de l’extase et de la joie n’appartient pas aux papillons. Car aussi beau soit-il, le papillon est un insecte qui ne vit que quelques jours, et dont la capacité à élaborer des projets, à envisager le futur est donc fortement limitée. C’est mignon un papillon, et c’est si romantique de s’y comparer, certes, mais entre devenir révolutionnaire et se vautrer dans la myopie et les jouissances instantanées de l’inconséquence et du gauchisme libéral, il faut choisir.

Nous n’entendons pas nécessairement par gauchisme un milieu spécifique, mais des tendances qui se retrouvent un peu partout dans le milieu, que ce soit chez les anarchistes, communistes, squatters et même chez les plus fervents partisans d’une rupture totale avec la gauche. Comme nous l’avons dit, une des caractéristiques les plus importantes du gauchisme est le renversement et l’inversion des valeurs dominantes, qui lorsqu’il s’additionne à une forme de libertarisme devient libéralisme.

Mai 68 a probablement contribué a donner naissance à ces nouvelles formes du gauchisme nombriliste, parfois malgré lui. Dans une société bourgeoise aux valeurs morales étouffantes et bien ancrées, beaucoup ne se sont efforcés que de faire le contraire de ce que la société attendait d’eux, ce qui en fait ne leur a permis que d’en reproduire les travers en miroir. La drogue étant un tabou absolu dans la société, alors pourquoi ne pas en faire un totem et se sentir libres entre deux overdoses, la tête dans le caniveau ? Le couple, première cellule d’aliénation dans cette société ? Alors soyons libres, partousons, baisons tant que nous le pourrons, collectionnons les conquêtes d’un jour et sentons nous libres pendant que tant d’autres restent sur le carreau d’avoir aimé des gens qui n’ont fait que les consommer.

Il suffit d’ouvrir une brochure sur l’« amour libre », sur les relations dites « libérées », la non-exclusivité, les « conforts affectifs » et les fameux « affects » pour se rendre compte que la seule chose qui y est proposée est la négation totale de l’individu et sa consommation dans le seul but égotiste d’une jouissance instantanée, la plupart du temps dans un rapport économique d’accumulation, de profit et de cannibalisme social. Alors dans une, il paraît que la liberté c’est d’avoir la possibilité de tirer cinquante coups et d’« avoir le choix ». Réification à tous les étages ! Ce soir ce sera Jean, il est grand et je me taperais bien un grand, je me garde Joséphine pour demain car j’aime bien les femmes mûres et le surlendemain mon trip fétichiste avec Paul. Jouir sans entrave !

Mais ce rapport est celui de l’accumulation du capital, d’un « capital affectif » cette fois, où les marchandises sont des humains, considérés comme des commodités sociales, des biens affectifs accumulés sur un compte en banque sentimental. Alors oui, nous sommes libres d’exploiter et d’être exploités librement, mais alors le mot « liberté » n’a plus aucun sens : la social-démocratie a gagné, l’économie a gagné, l’époque a gagné, elles ont même pénétré notre intimité affective et nos rapports inter-individuels jusqu’à rendre caduque toute forme de libre-association des individus.

Lorsque ce monde nous fait croire que notre liberté se trouve, dans un supermarché, dans la possibilité de choisir entre plusieurs marques de brosses à chiotte, il opère exactement le même stratagème. L’« amour libre » ou polyamour « déconstruit » tel qu’il est présent dans le milieu ne vaut la plupart du temps pas mieux que cette « liberté de consommer », il est finalement très comparable à celui des milieux libertins bourgeois ou de la jeunesse dorée, de ses « sex-friends » et autres « fuck-buddies », que s’arrachent traders et branchouilles de la City. A une différence près cependant, c’est que le libertinage bourgeois donne à ses pratiquants la sensation probablement excitante de briser ou contourner des normes et des interdits, procurant le frisson de la subversion des valeurs morales et de l’anti-conformisme, même si de façon très limitée et superficielle. Le libertinage du milieu est lui bien différent en ce sens qu’il est une norme relativement majoritaire, qui sert à procurer la sensation molle d’être conforme aux standards idéologiques du milieu, en dépit des désirs individuels de chacun, qui sont bien sûr en mouvement perpétuel et jamais figés comme avec un milieu ou n’importe quelle collectivité fixant des règles forcément réductrices s’appliquant à tous les cas de figure et à tous les individus, forcément plus complexes car uniques.

Jean, Joséphine et Paul partagent-ils vraiment la même vision de la relation que j’entretiens avec eux, sous le seul prétexte que nous en aurions discuté « clairement » ? Partons-nous tous d’une même situation avant de nous engager dans une relation de ce type ?

L’idéologie, associée à la réduction du langage dans un monde de domination, suffit-elle vraiment à mettre les choses au clair ?

Au fond, il y a peu de différences, si on ignore un instant les différences de postures, entre l’amour-libriste consommateur et l’Émir polygame qui sous le même toit choisira chaque nuit laquelle il aura envie de baiser et/ou d’aimer pendant que les autres lui préparent à manger. Une seule différence significative peut-être dans le milieu, féminisme et gauchisme entremêlés étant passés par là, les femmes bénéficient parfois d’une plus large tolérance dans la pratique du harem. Un peu comme les hommes dans le reste de la société.

Les partisans les plus idéologiques de l’amour libre font au final les mêmes erreurs que tous ceux qui sont aveuglés par l’idéologie, quelle qu’elle soit. Remplaçant les individus réels par des personnes-type interchangeables, niant leur complexité et leur unicité. Lorsque deux personnes débutent une relation ultra-définie, c’est-à-dire avec les fameuses discussions « claires » du début sur ce que chacun attend de cette relation et de ses modalités, il faudrait d’abord pouvoir se poser la question de l’équilibre entre ces deux personnes. Si l’une des deux personnes possède déjà plusieurs relations amoureuses et pas l’autre. Si l’une des deux personnes est socialement considérée comme « moche », « belle » ou « charismatique » et pas l’autre. Si l’une des deux personnes n’attend de l’autre que de l’affection tandis que l’autre en attend de l’amour. Si l’une des deux personnes est heureuse tandis que l’autre est malheureuse et insécure, ou si l’une des deux maîtrise le langage avec plus d’aisance que l’autre. Peut-on nier ces différences-là ?

Combien, pas particulièrement désireux d’avoir une relation non-exclusive avec l’autre, ont accepté une relation de ce type pour s’aligner sur les envies de l’autre, ou le contraire ? Mais cette acceptation, ce « oui » est-il réellement un « oui » libre ? Car si Jean est amoureux de Jeanne et en position de faiblesse, et que Jeanne lui explique sa volonté d’une relation non-exclusive (ou exclusive), Jean acceptera. Et Jeanne aura l’impression que tout est simple et facile, sans se demander si Jean n’aurait pas tout aussi bien accepté le contraire.

Alors ce oui du faible est-il si différent du « oui » que nous donnons au patron pour travailler ?

Nous affirmons qu’il est le même, et que parler de liberté dans ces cas-là, c’est perpétuer ce que Nietzsche appelait « ce mensonge sublime qui interprète la faiblesse comme liberté ».[10]

Les idées d’émancipation sexuelle sont des idées belles et généreuses, mais chacun de nous, en les faisant passer dans le creuset de sa propre individualité et de la reconnaissance de l’unicité de l’autre, leur donne des modalités différentes. Comme nous l’avons dit plus tôt, nous affirmons qu’il n’y a pas de règle qui puisse régir les relations humaines, pour les mêmes raisons que nous nous opposons à la Loi, car elle ne pourra jamais prendre en compte la complexité des individus qu’elle met sous sa coupe.[11] C’est d’ailleurs pour cette raison que nous lui opposons l’éthique, forcément individuelle, et nous l’espérons, viscérale, lorsque non apprise et mal digérée dans une brochure de façon idéologique. Nous affirmons également que le seul mode de relation un tant soit peu émancipateur, est celui qui porte au centre de son attention le bien-être des uns et des autres, libéré des pièges et des impératifs de l’idéologie, et dans le dépassement du nombrilisme. Pourquoi la seule règle valable en amour ne serait-elle pas de faire attention à l’autre, de le traiter correctement, en tant qu’individu, plutôt que d’appliquer bêtement des règles sensées nous rendre libres à travers la seule jouissance personnelle, mais sans aucune sensibilité dans l’altérité ? Et en faisant l’erreur analytique, au passage, de cantonner la critique de l’économie à la simple économie formelle, plutôt que de la débusquer dans les rapports sociaux qui régissent nos relations aliénées.

Alors pour briser l’obligation sociale et normative du couple on choisit le polyamour idéologique et on fabrique une nouvelle norme confortable le temps que ça dure avant que de nouveaux drames humains ne pointent le bout de leur nez. Et ce n’est pas un hasard si 68, au-delà des expériences incroyables d’occupations et de destructions d’usines et d’universités, des affrontements et des barricades et plus généralement de la magnifique expérience d’avoir touché du bout du doigt la possibilité d’une subversion réelle de l’existant, ce n’est pas un hasard si au-delà de cette image d’Épinal se cachent de nombreux drames humains, suicides, overdoses, trahisons et tristesse infinie. Ce n’est pas un hasard si derrière chaque expérience massive d’émancipation (ou en tout cas vécue comme telle par ses protagonistes) se cachent ces drames humains tout aussi massifs, de Mai 68 à Woodstock, de la « libération sexuelle » aux maos et aux mouvements étudiants radicaux dans les États-Unis des années 60/70. Rien d’étonnant non plus à ce que tant aient su rebondir sur leurs pattes, formant aujourd’hui les classes dirigeantes de ce monde, pendant que tant d’autres qui ont pris les idées au mot se retrouvent à croupir en taule dans l’oubli depuis plus de quarante ans, payant le fait de n’avoir pas été inconséquents comme les autres, de n’avoir pas cherché que la jouissance de l’instant présent.

Ceux qui n’étaient là que pour s’amuser, papillonner et se libérer le nombril ont bien profité. Ceux qui y ont cru et qui y croient toujours en ont fait les frais. Car le profit des uns c’est l’exploitation des autres, avec les armes du capital et du travail comme avec celles de l’idéologie de l’encamaradement de caserne, qu’elle soit autonome ou de parti.

Alors que les papillons butinent, mais que les fleurs se révoltent.

[1] « Amour libre » vraiment ? Et après ? Publié sur Le Cri Du Dodo, 20 juin 2013.

[2] Autant de pays, et ce n’est pas un hasard, où les milieux anti-autoritaires ont été pénétrés de French Theory.

[3] Bien différente par exemple de la vision d’un Zo d’Axa ou de la dite « bande à Bonnot ».

[4] Voir les expériences fouriéristes, utopistes, les phalanstères etc.

[5] Des kibbutzims, communautés néo-rurales de l’après 68 jusqu’à la pseudo-commune de Tarnac etc.

[6] Cf. Contre l’amour, Iosk Editions, août 2003, disponible sur infokiosques.net.

[7] Des brochurettes qui ne sont pas sans rappeler celles diffusées par l’Eglise réformée des années cinquante aux Etats-Unis.

[8] Dans un article du journal Le Révolté daté de 1887. Mais précisons toutefois qu’il appelait aussi, sept ans plus tôt et toujours dans le même journal, à « la révolte permanente par la parole, par l’écrit, par le poignard, le fusil, la dynamite ».

[9] Nous utilisons ici quelques gros mots à dessein, par souci de lever quelques boucliers trop faciles à chatouiller. Mais bien entendu que le sacrifice n’est pas une valeur que nous souhaiterions universaliser.

[10] Friedrich Nietzsche, Généalogie de la morale, 1887.

[11] Au-delà du fait, bien sûr, qu’elle appartiendra toujours au pouvoir et à son maintien.

Aviv Etrebilal

Max Stirner, encore et toujours un dissident

Max Stirner ? Le petit bourgeois philosophe, tancé de son temps déjà par Karl Marx ? L’anarchiste, l’égoïste, le nihiliste, le grossier précurseur de Nietzsche ? — Oui, nul autre que lui. Certes mal famé dans le monde philosophique, qui l’évoque tout au plus en marge, mais encore aujourd’hui détenteur de la dynamite intellectuelle qu’un de ceux qui vinrent après lui prétendit avoir fabriquée.

 

« qui ne doit jamais venir ».
Il suffit de prononcer son nom pour qu’apparaissent des formules telles que « Je suis Unique », « Il n’y a rien au-dessus de Moi », « J’ai fondé Ma cause sur rien », qui l’ont fait passer pour l’incarnation de l’égoïste sans gêne, du solipsiste naïf, etc… Il n’est donc pas complètement oublié. Son livre, « Der Einzige und sein Eigenthum » (1844) [« L’Unique et sa propriété »] — il n’en a pas écrit d’autre — est édité de nos jours encore dans la Reclams Universalbibliothek [« Bibliothèque Universelle Reclam »], pour ainsi dire comme l’ouvrage classique de l’égocentrisme. Sans que personne le considère pour autant comme actuel.

Pourtant — telle est en revanche ma thèse — voici venu le temps de Stirner. On trouvera peut-être la meilleure explication de ce que je veux dire dans l’histoire de l’influence de son livre, qui s’est exercée de manière étrangement clandestine dans ses périodes les plus riches de conséquences et qui est aujourd’hui encore très peu connue. Elle permet également de comprendre comment et pourquoi l’idée centrale et spécifique de Stirner n’est devenue véritablement actuelle que plus d’un siècle et demi après sa formulation.

***

Stirner a écrit son « Unique » dans le contexte de la philosophie jeune-hégélienne des années 40 du XIXième siècle. Celle-ci, si l’on met à part la critique biblique de ses débuts, a tenté de développer pour la première fois en Allemagne une théorie rationaliste et athée conséquente (la « vraie » ou « pure » critique) et une pratique (la « philosophie de l’action »). Ses théoriciens les plus représentatifs furent Ludwig Feuerbach et Bruno Bauer, tandis que, sur le plan politique et pratique, Arnold Ruge et Moses Hess se distinguaient dans la lutte pour la démocratie et la justice sociale.

Max Stirner fut d’abord un membre plutôt effacé du groupe de Bruno Bauer. Aussi la critique impitoyable de l’ensemble du jeune-hégélianisme présentée dans son livre (« L’Unique ») surprit-elle tout le monde. Stirner ne critiquait pas, dans la philosophie de Feuerbach et de Bauer — à l’instar des nombreux adversaires du Nouveaux Rationalisme post-hégélienne — l’athéisme des deux anciens théologiens, mais plutôt le manque de conséquence de leur pensée. Sans doute étaient-ils parvenus à s’émanciper du système totalisateur de Hegel, mais pas à quitter vraiment le « cercle magique du christianisme ». D’où le bilan de Stirner : « Nos athées sont des gens pieux ! »

Ceux qu’il avait ainsi critiqués virent très bien que Stirner était allé plus loin, et de manière conséquente, sur leur chemin, le chemin de la critique. Et, s’ils admirèrent son audace, ils s’effrayèrent du résultat, qu’ils considérèrent comme un nihilisme moral.

Fascinés en privé — Feuerbach écrivit à son frère que Stirner était « l’écrivain le plus génial et le plus libre qu’il ait connu », tandis que Ruge, Engels et d’autres se montrèrent également spontanément impressionnés — ils adoptèrent publiquement une attitude défensive et choisirent de garder leurs distances ou le silence : cette avant-garde intellectuelle réagit de manière ambivalente et tactique à l’œuvre de la plus audacieuse de ses têtes. Personne ne voulut faire avec Stirner ce pas au-delà du Nouveau Rationalisme — une pensée rationaliste ne devait pas déboucher sur le nihilisme. Et l’on s’alarma au point de ne pas voir que Stirner avait déjà ouvert des chemins « au-delà du nihilisme ».

Le réflexe défensif devant les idées stirnériennes caractérise également la plus grande partie de l’histoire de la réception, faite à la fois de ré-pulsion et de dé-ception, de « L’Unique ». L’ouvrage tomba d’ailleurs pour commencer dans l’oubli pendant un demi-siècle ; c’est seulement dans les années 90 du XIXième siècle que Stirner connut une renaissance, qui se poursuivit au siècle suivant, toujours dans l’ombre de Nietzsche toutefois, dont le style et la rhétorique (« Dieu est mort », « Moi, le premier immoraliste », etc.) fascinèrent tout le monde.

Quelques penseurs sentirent néanmoins très bien que Stirner, quoique passant pour un prédécesseur borné de Nietzsche, était en fait le plus radical des deux. Ils n’en négligèrent pas moins eux-mêmes de s’expliquer publiquement avec lui. Edmund Husserl parle par exemple, dans un passage isolé, de la « puissante tentation » que représente « L’Unique » — et ne l’évoque pas une seule fois dans ses écrits. Carl Schmitt, bouleversé par sa lecture lorsqu’il était jeune, n’en dit pas un mot jusqu’au jour où, en 1947, dans la détresse et l’abandon d’une cellule de prison, Stirner vient à nouveau le « hanter ». Max Adler, le théoricien de l’austro-marxisme, eut toute sa vie, dans le plus grand secret, une discussion avec « L’Unique ». Georg Simmel se détourna instinctivement de son « étrange espèce d’individualisme ». Rudolf Steiner, qui fut à ses débuts un publiciste rationaliste engagé, s’enthousiasma spontanément pour Stirner mais, voyant vite que celui-ci le « conduisait à l’abîme », il se tourna vers la théosophie. Quant aux anarchistes, ils se tinrent silencieusement à distance (Proudhon, Bakounine et Kropotkine) ou eurent avec lui une relation perpétuellement ambivalente (Landauer).

On retrouve ce refus horrifié d’une pensée ressentie comme abyssalement diabolique dans « L’Unique » chez d’éminents philosophes de notre temps. Pour Leszek Kolakowski, Stirner, auprès duquel « Nietzsche lui-même paraît faible et inconséquent », est certes irréfutable, mais il faut à tout prix le frapper d’anathème, parce qu’il détruit « le seul outil qui nous permette de faire nôtres des valeurs : la tradition ». La « destruction de l’aliénation » à laquelle il aspire, « le retour à l’authenticité, ne signifierait pas autre chose que la destruction de la culture, le retour à l’animalité … à un statut pré-humain ». Et Hans Heinz Holz nous met en garde : « L’égoïsme stirnérien, s’il était mis en pratique, conduirait à l’auto-anéantissement de l’espèce humaine ».

Il est possible que ce soit une angoisse apocalyptique de cette sorte qui ait poussé le jeune Jürgen Habermas à anathématiser, en termes frénétiques, « l’absurdité de la frénésie stirnérienne » et à ne plus jamais évoquer celui-ci par la suite, même lorsqu’il traite du jeune-hégélianisme. Adorno, qui devait se voir, sur la fin de sa carrière de penseur, « ramené au point de vue » — pré-stirnérien — « du jeune-hégélianisme », nota un jour de manière obscure que Stirner était celui qui avait véritablement « vendu la mèche », mais on ne trouve pas un seul mot sur lui dans toute son œuvre. Cependant que Peter Sloterdijk ne remarque rien de tout cela et se contente de hocher la tête en constatant que le « génial » Marx a « laissé libre cours à son irritation au sujet d’une pensée en somme aussi simple que celle de Stirner sur plusieurs centaines de pages ».

Donc, Karl Marx : sa réaction mérite, comme celle de Nietzsche, d’être soulignée en raison de l’influence qu’elle a eue sur toute une époque. Dans l’été 1844, Marx voyait encore en Feuerbach « le seul penseur qui ait accompli une véritable révolution théorique », mais la parution de « L’Unique », au mois d’octobre de la même année, ébranla cette conviction, car il sentit très clairement la profondeur et la portée de la critique de Stirner. Tandis que d’autres, dont Engels, commencèrent par admirer Stirner, Marx vit en lui dès le début un ennemi qu’il convenait d’anéantir.

Il envisagea d’abord d’écrire un compte-rendu critique de « L’Unique », mais abandonna bientôt ce projet et décida d’attendre la réaction des autres (Feuerbach, Bauer). Dans son pamphlet « La sainte famille – Contre Bruno Bauer et consorts » (mars 1845), il épargna donc Stirner. En septembre 1845, parurent la critique de « L’Unique » par Feuerbach et la souveraine réplique de Stirner. Marx, se sentant provoqué à intervenir en personne, interrompit d’importants travaux en cours et se précipita sur « L’Unique ». Sa critique, intitulée « Saint Max », débordante d’invectives contre « la plus pauvre des cervelles philosophiques », devint finalement plus volumineuse que « L’Unique » lui-même. Toutefois il semble que, son manuscrit terminé, Marx ait à nouveau hésité dans ses réflexions tactiques et, en fin de compte, la critique de Stirner resta inédite.

Le résultat de cette explication menée en privé avec Stirner fut que Marx se détourna définitivement de Feuerbach et construisit une philosophie qui, contrairement à celle de ce dernier, devait être immunisée contre la critique stirnérienne — ce fut le matérialisme historique. Il paraît néanmoins avoir encore considéré à cette date sa nouvelle théorie comme provisoire, puisqu’il la laissa elle aussi, comme son « Saint Max », dans ses tiroirs. Voulant éviter à tout prix une discussion publique avec Stirner, il se jeta dans la vie politique, dans les luttes contre Proudhon, Lassalle, Bakounine, etc. C’est ainsi qu’il parvint à refouler complètement le « problème Stirner » — aussi bien au niveau psychologique qu’à celui de l’histoire des idées.

La signification historique du travail de refoulement de Marx devient claire, lorsqu’on examine la façon dont les marxologues de toute nuance ont vu Stirner et apprécié son influence sur Marx. Ils ont adopté sans le moindre esprit critique et de manière étonnamment unanime la manière de voir d’Engels dans son ouvrage de vulgarisation « Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande », publié en 1888. Engels y parle de manière purement épisodique de Stirner comme d’un « cas curieux » dans le « processus de désagrégation de l’école hégélienne », qu’il loue Feuerbach d’avoir surmonté.

Cette manière de présenter les choses, bien que grossièrement fausse aussi bien du point de vue de la chronologie que des faits, fut vite généralement acceptée et le resta, même après la parution du « Saint Max » de Marx en 1903. Quoique les réactions de Marx à « L’Unique » de Stirner puissent être documentées de manière convaincante et détaillée, il n’y a eu jusqu’ici que de très rares auteurs — tels Henri Arvon ou Wolfgang Essbach — pour traiter du rôle décisif de Stirner dans l’élaboration de la conception du matérialisme historique de Marx et procéder à une réhabilitation sans enthousiasme du premier ne remettant pas en question la supériorité bien établie du second. Cependant, ces travaux eux-mêmes ont été ignorés pendant des décennies et on ne les discute que depuis peu, et avec hésitation, dans les milieux spécialisés.

On peut dire en résumé qu’au refoulement primaire de Stirner par Marx (au niveau psychologique et de l’histoire des idées) a succédé un refoulement secondaire, par lequel les marxologues de toute tendance ont automatiquement fait disparaître, contre toute évidence, le refoulement primaire marxien (ce fut en dernier lieu, et de manière très impressionnante, le cas de Louis Althusser), s’épargnant du même coup d’avoir à procéder au leur.

Friedrich Nietzsche, le second grand « vainqueur » de Stirner, est né l’année (et le mois même) de la parution de « L’Unique ». Toutefois, le jeune-hégélianisme dans son ensemble était déjà considéré partout, du temps de sa jeunesse, comme une philosophie manquant de sérieux, comme les élucubrations de quelques maîtres de conférences chassés de l’Université et de journalistes tapageurs d’avant les journées de mars 1848. Le jeune Nietzsche pourtant, dégoûté par la « sénilité » de ses condisciples, vanta dans une lettre ces mêmes années 40 comme une « époque de grande activité de l’esprit », à laquelle il aurait aimé participer lui-même. Le contact direct avec un vétéran jeune-hégélien orienta aussi le futur philosophe. Au mois d’octobre 1865, Nietzsche rencontra longuement et intensivement Eduard Mushacke, un ancien membre du cercle intime de Bruno Bauer, qui avait été lié d’amitié avec Stirner. Cette rencontre eut pour conséquence immédiate une profonde crise intellectuelle et la décision panique de « se tourner vers la philologie et Schopenhauer ».

Nietzsche a tenté avec un certain succès d’effacer les traces directes de ce tournant intellectuel décisif — ce qui donne un poids d’autant plus grand à celles qui subsistèrent.

Bien que, dans le cas de Nietzsche, les choses se présentent dans tous leurs détails (y compris au point de vue de la justification positive) autrement que chez Marx, on peut constater néanmoins des similitudes fondamentales dans l’évolution intellectuelle de ces deux penseurs dont l’influence devait être primordiale : la confrontation avec Stirner dans leur jeunesse ; le refoulement (primaire) et l’édification d’une nouvelle philosophie renforçant un courant idéologique commençant de leur époque avant de devenir populaire, parce qu’elle fait avorter l’explication (véritablement en suspens et réclamée par Stirner) avec les problèmes de fond du projet moderne, à savoir « la manière dont l’homme peut sortir de sa minorité », tout en suggérant une solution pratique accessible.

Comme pour Marx, un refoulement secondaire collectif succéda au refoulement primaire — celui de la recherche nietzschéenne de toute tendance, mais il s’exprima toutefois sous des formes plus souples. On n’hésita pas à comparer des déclarations de Stirner et de Nietzsche — pour conclure que Stirner était et n’était pas un précurseur de Nietzsche. Il fut également répondu aussi bien positivement que négativement à la question de savoir si Nietzsche avait eu connaissance de « L’Unique », sans qu’on en tire toutefois de conclusions.

La thèse la plus extrême, celle d’Eduard von Hartmann, veut que Nietzsche ait plagié Stirner. Mais ceux qui avaient compris le véritable apport de Nietzsche, se sont tus.

***

Les philosophes, dans la mesure où ils furent des rationalistes, furent toujours des dissidents. Cependant, tôt ou tard et le plus souvent après leur mort, leur enseignement fut intégré dans le corpus de l’histoire des idées. Contrairement à l’apparence superficielle, cela n’a pas été le cas jusqu’ici pour le critique rationaliste du rationalisme que fut Stirner. Contrairement à Marx et à Nietzsche, il est resté jusque dans notre temps lui-même, qui se croit post-idéologique et ne connaît effectivement plus de dissidence intellectuelle, un véritable dissident — un dissident durable.

C’est de cette provocation que découle la valeur heuristique de son « Unique » pour l’époque actuelle, et son actualité. L’étude attentive de cet ouvrage et de son influence peuvent nous aider à comprendre l’étrange déclin qu’a connu le projet rationaliste au cours des cent cinquante dernières années — et peut-être par là même inciter à sa réanimation.

Rationalisme — on tient presque obligatoirement celui qui, de nos jours, veut faire de ce concept un thème du temps, pour un naïf n’ayant aucune notion de l’histoire des idées. Ne sommes-nous pas depuis longtemps « éclairés », et tout particulièrement sur le rationalisme elle-même ? N’appartiennent-elles pas à une époque passée et n’a-t-on pas depuis beau temps reconnu leurs contradictions ? Puisqu’elles ont engendré, de manière active et réactive à la fois, sur la base d’une image apparemment optimiste mais foncièrement fausse de l’homme, les idéologies meurtrières qui ont conduit aux catastrophes du XXième siècle.

Tous ceux qui ont voulu continuer au XXième siècle le projet rationaliste du XIXième, ont accepté cette leçon — y compris ceux qui, dans les années 30, ont conçu une « théorie critique de la société » inspirée par Marx et Freud, puis l’ont silencieusement abandonnée peu d’années après pour finir par penser qu’une « dialectique » fatale était inhérente à tout rationalisme.

La proclamation de l’époque post-moderne a rapidement mis un terme aux dernières ambitions rationalistes qui se firent encore quelque peu entendre et effectuèrent une brève percée en 1968. Le projet moderne de rationalisme, déjà discrédité et démodé, devait être définitivement congédié nominalement et l’on résuma ainsi le bilan de siècles de rationalisme : nous sommes désormais éclairés sur le fait que l’homme ne peut être éclairé. L’homme nouveau, que ce soit celui selon Marx ou selon Nietzsche, n’est pas advenu, c’est le vieil Adam qui triomphe. Désormais, tout appel à la création d’un homme nouveau est vu d’un mauvais oeil, voire considéré comme grandement dangereux.

Les choses sont effectivement telles que toute intention de réanimation du projet rationaliste est aujourd’hui étouffée dans l’œuf par le fait que les idées porteuses des derniers penseurs rationalistes ayant agi sur les masses — à savoir Marx et Nietzsche — ont été fondamentalement dévalorisées par les expériences historiques du XXième siècle. Leur faillite a fait aussi se décourager ceux qui ne peuvent tout simplement pas croire, en face de l’omniprésent irrationalisme, que l’humanité — et ne fût-ce que dans sa partie la plus avancée — soit déjà « sortie de la minorité » et que le dernier mot ait été dit sur les possibilités de la raison humaine.

Pourtant, la faillite des idées rationalistes jusqu’ici dominantes offre aussi une chance. Maintenant que s’est évanoui le prestige de Marx et de Nietzsche, il devrait être possible de revenir à l’endroit de l’histoire des idées, jusqu’ici consciencieusement évité, où a commencé cette évolution erronée — à savoir les débats rationalistes radicaux des jeunes hégéliens des années 1840, d’où sortirent tout d’abord les idées de Stirner, puis — principalement en réaction contre elles — celles de Marx et de Nietzsche.

***

Stirner reprocha aux rationalistes radicaux de son temps d’avoir seulement « tué Dieu » et supprimé l’ « au-delà hors de nous », alors qu’ils conservaient, en « pieux athées » qu’ils étaient, le fondement de l’éthique religieuse, l’ « au-delà en nous », le transposant simplement sous une forme sécularisée. Alors que nous ne nous libérerions de nos chaînes millénaires que lorsque ce dernier « au-delà » aurait lui aussi disparu.

Par l’ « au-delà en nous », Stirner entendait très précisément l’instance psychologique pour laquelle Freud créa en 1923 le mot pertinent de « surmoi ». Le surmoi apparaît chez l’individu comme le résultat principal de l’acculturation de l’enfant. Il est ensuite l’asile des estimations de valeur qui, engendrées au début de la vie de manière pré- et irrationnelle, ne peuvent plus être influencées que de manière très conditionnelle par la raison. Le surmoi, bien que considéré par l’individu comme son bien le plus personnel, est l’incarnation de l’hétéronomie.

Stirner pensait que le stade de l’évolution au cours duquel un surmoi engendré pré- et irrationnellement gouvernait le comportement des hommes, passerait avec l’accomplissement de la rationalité au stade du gouvernement personnel, c’est-à-dire d’une véritable autonomie des individus.

Cette idée n’a cependant suscité jusqu’ici, partout où elle a été entendue, que de vives réactions de défense — même chez un rationaliste comme Freud, qui voulait voir le surmoi ancré dans la biologie de manière ferme, inabrogeable et éternelle et qui a vulgarisé la psychanalyse avec la formule : « Là où était le Ça, doit advenir le Moi ! » (N.B. : un moi avec surmoi). Et les quelques psychanalystes qui ont tenté de prendre pour thème l’alternative « Là où était le surmoi, doit advenir le moi !
 », furent aisément mis sur la touche. Mais ceci est un autre chapitre de l’histoire tout à fait non-dialectique de l’auto-paralysie du rationalisme.

Bernd A.Laska.
Max Stirner in nuce, revue Die Zeit n°5 du 27 janvier 2000. Traduit par Pierre Gallissaires, le 30 avril 2001, LSR Projekt.

 

brochure: Ce qui crépite – Dialogue à ciel ouvert sur la révolte et ses souffles

 Qu’est-ce qui fait que tu te révoltes ? Qu’est-ce qui me pousse vers l’agir ? C’est quoi tes carburants : La rage ? Le dégoût ? La joie ? La tristesse ? Est-ce que tu penses que la révolte c’est surtout une histoire de tripes et d’affects ? Et « révolté× », c’est une identité ou un état ponctuel ? Pis d’ailleurs, très honnêtement, la rage tu connais ? »

Publier ce texte aujourd’hui, c’est une manière de diffuser des aspirations, de partager des doutes, de parler de nos envies destructrices, de s’attaquer à quelques évidences. On le fait aussi parce qu’on a la « prétention » de trouver le rendu intéressant et qu’on se dit qu’éventuellement, ça pourrait nourrir ailleurs.

Les Épineuses

Le texte à télécharger en A5 – page par page ou en format cahier.

 

Rencontres du Maquis pour l’émancipation

Rencontres du Maquis pour l’émancipation

camping, chambres et gites

Bar et restauration sur place

Arrivée par Béziers, Carcassonne ou Narbonne : à Minerve prendre la direction Boisset. Puis suivre les indications Bois­Bas ou Le Maquis. C’est le même lieu, à une dizaine de kilomètres de Minerve.

Arrivée par St Pons : Prendre la direction Narbonne. Quelques kilomètres plus loin prendre la direction Boisset, sur la droite. continuer, toujours en direction de Minerve, jusqu’à l’indication Le Maquis, à droite.

Le Maquis. Bois ­Bas ­34210 Minerve

Rencontres du Maquis pour l’émancipation

du 11 au 15 août 2018 Bois-Bas 34210 MINERVE

Volano( italie)incendie des antennes-relais

 

Par les médias locaux que samedi 4 août, à l’aube, une attaque incendiaire a détruit le Wind et Vodafone, près de la voie ferrée de Volano, dans le Trentin. Le feu s’est propagé dans tout le local  avec des flammes de 25/30 mètres de haut. Non loin de là se trouvait un TAG »Liberté pour les anarchistes de l’Op. Scripta Manent « . https://roundrobin.info/wp-content/uploads/2018/08/Volano-Incendiato-ripetitore-scritte-di-solidariet%C3%A0-con-anarchici-Scripta-manent.jpg

Déjà en avril 2011, les antennes -relais avaient  été touchées par une attaque de ce type. Volano et ses environs sont restés sans couverture téléphonique ou avec un signal très faible pendant la majeure partie de la journée.

traduction de roundrobin.info/

A nouveau une loi contre la libre circulation , la libre installation!!

note pour continuer la discussion plus particulièrement   à tous ceux  et celles qui ont eu peur de passer la porte du laboratoire anarchiste  pour la discussion

Non à la nouvelle loi asile-immigration

Mercredi 1 août, le parlement a définitivement adopté la nouvelle loi asile immigration qui durcit encore les modalités d’accueil des immigré-e-s et facilite les expulsions. Le gouvernement, au travers de son ministre de l’intérieur G. Collomb, avait déjà  lancé son grand plan anti-migrant-e-s et sans papiers dès le 12 décembre 2017 en publiant la nauséabonde circulaire autorisant le « recensement » des personnes étrangères dans les centres de d’hébergement d’urgence par des « équipes mobiles » de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Ces équipes seront composées d’au moins un agent de préfecture compétent en droit des étrangers et d’agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, auxquels peuvent s’ajouter «des personnels compétents en matière de veille ou d’évaluation sociale» elles ont pour but de  «s’entretenir avec les personnes étrangères» pour «procéder à l’évaluation administrative» de leur situation.

Sous couvert de pouvoir mieux les « orienter en fonction de leur situation », comme le disent très bien les associations d’aide aux migrant-e-s, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une logique «de recensement, d’étiquetage et de triage» qui va conduire à instaurer un contrôle généralisé des personnes étrangères. Cette mesure n’aboutira qu’à augmenter la précarisation, le passage à une certaine forme de clandestinité des personnes et enfants en les éloignant des centres d’accueil, les renvoyant de fait dans la rue, impliquant déscolarisation, rupture de soins, …

On peut craindre aussi des sanctions financières envers les associations qui s’opposeraient à cette circulaire, sachant que pour la plupart elles dépendent d’aides publiques.

Le  juge des référés du conseil d’État a été saisi par des associations d’aides aux migrant-e-s pour en demander la suspension, le ministre de l’Intérieur a assuré qu’elle serait maintenue qu’elle qu’en soit la décision.

La loi « asile-immigration », qui vient d’être définitivement adoptée, s’inscrit dans la continuité des lois anti immigré-e-s qui se sont succédées ces vingt dernières années. Le président la présente comme une loi « d’humanité et de fermeté », mais n’est en fait qu’une loi anti-migrant-e-s et sans papiers, compliquant les démarches administratives, facilitant les mises en rétention et les expulsions, qu’ils appellent maintenant avec sobriété « éloignement ».

Pour faire croire à son « humanité » et donc nous la « vendre », le gouvernement annonce que cette nouvelle loi va améliorer, faciliter le traitement des demandes d’asile. Ce traitement passerait de 1 an à moins de six mois, en regardant de plus près, toutes les mesures ne sont faites que pour, au contraire, compliquer la dépose de dossiers par les migrant-e-s, voir même les dissuader et augmente par contre les possibilités de fichage et facilite les ex-pulsions. On pourra noter l’absurdité qu’entre le dépôt et la réponse de demande, les personnes ne sont pas considérées comme des demandeuses d’asile et peuvent donc avoir des difficultés à obtenir un hébergement d’urgence, voir même être placées en en centre de rétention.

Plus précisément dans la loi concernant la demande d’asile :

  • Le délai pour déposer un dossier de demande d’asile passe de 120 à 90 jours

– Le budget 2018 prévoit 150 postes supplémentaires en préfectures, le gouvernement voulant réduire le traitement de la demande d’asile, en passant de onze à six mois. Problème, ces nouveaux postes ne sont pas uniquement alloués au traitement des demandes d’asile donc comment cela impactera la vitesse de traitement des dossiers ?

  • Création de 200 places en centre d’accueil et d’examen des situations (CAES) dans chaque région, soit plus de 2 600 places sur l’ensemble du territoire. 1 300 places seraient opérationnelles depuis le 31 janvier. Avec ces centres, L’État développe des structures couplant accueil et contrôle administratif afin de mieux parquer/surveiller et faciliter les expulsions
  • Restriction des conditions d’accès au titre de séjour «étranger malade» alors que dans le même temps il y a la création d’un « passeport santé » pour la patientèle solvable des hôpitaux

En ce qui concerne les sans-papiers :

  • Passage de 6 à 24 h pour la durée de retenue administrative pour vérification du droit au séjour
  • augmentation du délai maximum de rétention, il passe de 45 à 90 jours avec prolongation possible de 15 jours si la personne fait obstacle à son éloignement
  • Maintient en rétention dans le délai courant entre l’ordonnance de libération prononcée par le juge et l’appel du préfet.
  • 400 places de plus pour la rétention administrative
  • Possibilité de recourir à l’assignation à résidence pendant le délai de départ volontaire
  • Renforcement du régime de l’assignation à résidence avec obligation de demeurer au domicile pendant une plage horaire
  • Possibilité de placer en rétention un demandeur d’asile présentant une « menace grave pour l’ordre public » (arrêté d’expulsion, interdiction du territoire)
  • Limitation du droit du sol sur l’île de Mayotte. Seuls les enfants dont au moins un des deux parents en situation régulière depuis plus de trois mois sur l’île avant la naissance pourront désormais demander la nationalité française.

Le gouvernement se félicite d’avoir augmenté les expulsions de 14 % en 2017 et de 100% celles concernant les « dublinés » (personnes ayant fait des demandes d’asiles dans plusieurs pays européens), pourtant Emmanuel Macron annonçait encore le 5 septembre 2017 : « Nous reconduisons beaucoup trop peu » d’où cette nouvelle loi asile-immigration qui va plus loin dans le fichage, le parcage et les expulsions. Car ne soyons pas dupe, quand le président parle « d’humanité » dans cette loi c’est avant tout pour une immigration choisie, des mesures « en faveur de l’attractivité et de l’accueil des talents et compétences » en passant par notamment l’ex-tension du « passeport talent » à de nouvelles catégories, la directive facilitant l’installation en France des étudiants cher-cheurs, … Cela se retrouve même dans le domaine de la santé où bientôt seul-e-s les patient-e-s étrangers/ères riches auront accès au soin, le président ré-affirmant que les migrants économiques n’ont pas vocation, selon lui, à rester sur le territoire. On voit clairement la politique anti-migrant-e-s mise en place par ce gouvernement, en organisant le recensement, le fichage, le parcage, la rétention, l’expulsion des demandeurs/euses d’asile et des sans papiers qui ne seraient « pas assez bien pour la France ».

La fédération anarchiste s’est opposée et s’opposera toujours aux lois racistes, anti-immigré-e-s et contre les sans papiers des gouvernements en défendant la liberté de circulation, d’installation par l’abolition des frontières et des nations.

 4 Aout 2018

La Fédération Anarchiste

Marseille : Grève de la faim au centre de rétention

Depuis vendredi au centre de rétention administrative de Marseille, panne de climatisation et d’eau s’y succèdent. Plus de douche, un accès extrêmement limité à l’eau potable. Certaines personnes sont tombées malades à force de boire l’eau de la cuvette des chiottes. Depuis hier soir, une grève de la faim généralisée a été lancée et se poursuit toujours.

Tout avait été fait pour maquiller que les centres de rétention étaient des lieux carcéral comme les autres. Et pourtant, dans la réalité, s’en est. Avec sa loi du silence, ses mensonges d’État, ses violences et mauvais traitements cachés… mais tout se justifie, l’essentiel est de maintenir la machine à expulser… en marche.

Ces derniers jours, un seuil a encore été franchi : depuis vendredi, panne de climatisation et d’eau s’y succèdent. Plus de douche, un accès extrêmement limité à l’eau potable. « Certaines personnes sont tombées malades à force de boire l’eau de la cuvette des chiottes », selon l’une des personnes enfermées. Depuis hier soir, une grève de la faim généralisée a été lancée et se poursuit toujours.

Le juge des libertés et de la rétention de ce dimanche, saisi de la question, l’a balayé d’un revers de main en rejetant – sans audience et sans que personne ne soit entendu – les requêtes en demande de libération des personnes enfermées. 1 minute, c’est le temps qu’il aura fallu au juge pour se décider à fermer les yeux.

Reprenant à son compte les attestations sur l’honneur rédigées par le directeur zonal de la police aux frontières, le juge indiquait que si une panne d’eau et de climatisation avait eu lieu du vendredi 15h au samedi 23h, tout était désormais revenu à la normale et que les « retenus » avaient eu accès, durant cette période, à des bouteilles d’eau de façon illimitée et que des rondes leur avaient permis d’accéder à des sanitaires pour la douches et les toilettes.

Ces attestations mensongères n’étaient accompagnées d’aucune note des technicien.es étant intervenu.es, d’aucune facture ou aucune preuve, mais qu’importe… entre escrocs, la confiance règne.

Pourtant la réalité était toute autre.

Author: Article 13