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dimanche 18 juin 2017
Le 7 juin à Rennes, au cours d’un procès contre un manifestant poursuivi pour jet de projectiles, deux personnes venues témoigner sont reparties avec les menottes. Il y a quelques mois, lors de la première audience du procès de la mutinerie de Valence, la salle avait été interdite aux soutiens, et deux personnes interpellées à l’extérieur. De nos jours, la frontière entre les accusés et les autres se fait de plus en plus floue…
Mercredi 14 juin à Grenoble se tenait l’appel du procès de Romain, poursuivi pour la mutinerie du QMC (« Quartier Maison Centrale ») de la prison de Valence, qui a eu lieu en novembre 2016. La salle, cette fois, était comble de soutiens. À l’exception d’une personne : le bâtonnier venu surveiller maître Ripert, dont c’était le retour à la barre. Le malheureux bâtonnier, parce qu’il s’était assoupi, a d’ailleurs été réveillé en sursaut par celui qu’il avait empêcher de plaider depuis des mois.
De son côté, Romain a rappelé ce que veut dire la prison pour lui : son père est mort en prison, sa mère encore incarcérée. Lui n’est pas libérable avant 2040, à quelques années près. Nous avons interviewé les camarades de l’Envolée venus le soutenir. Ils reviennent sur cette mutinerie, et surtout sur ce qu’elle visait : la réalité des QMC. Merci à eux.
Rappel des faits
Fin novembre 2016, il y a eu une mutinerie dans la nouvelle prison de Valence, qui a ouvert en 2015 avec trois unités : une maison d’arrêt, un centre de détention et un « quartier maison centrale » (QMC). Cette mutinerie c’était la deuxième, il y en avait eu une un mois avant, avec prise d’otage, faite par trois autres gars qui sont déjà passés en procès et ont pris trois ans de prison en plus de leur peine initiale. C’est la prise d’otage qui justifiait la lourdeur de la peine.
La deuxième mutinerie était collective, même si il y a toujours un départ, dans ce cas avec deux personnes qui ouvrent les portes des cellules, et ensuite une destruction assez importante des bâtiments du QMC. Seuls Romain et José ont été désignés comme meneurs et poursuivis : Romain purge déjà une peine énorme, José lui était en fin de peine.
La première instance a eu lieu à Valence en mars, et on avait déjà fait un appel à soutien, c’est à dire à se déplacer au procès. C’est important dans les cas de procès pour mutinerie il y ait du monde pour que les gars se retrouvent pas seuls dans les prétoires, avec une présence importante de matons, de syndicats de matons, et très peu de gens de leur côté. L’ambiance de la salle change toujours beaucoup de choses. Quelques fois ça influe sur les décisions, mais c’est pas la principale raison.
Déclencher une mutinerie c’est pas un jeu, c’est pas un truc que tu fais en rigolant. Tu sais que tu prends beaucoup de risques, tu sais que tu vas le payer cher, d’abord sur le moment, et ensuite parce que ça va te rajouter des années de placard. Donc si en plus tu te retrouves plongé dans la solitude après, il y a peu de chance pour que dans ta vie de prisonnier tu aies encore envie de résister, de lutter. Tu as besoin de force au moment du procès. Au moins donner ce regard là pour nous ça a toujours été quelque chose d’hyper important.
Première audience à Valence : le huis clos forcé.
À Valence, le tribunal avait été interdit d’accès par les flics à tout le public, c’est devenu un procès à huis-clos, ce qui est exceptionnel et quasiment illégal. Ils ont fait rentrer les matons, deux personnes de l’observatoire international des prisons parce qu’ils présentent bien, un journaliste ou deux. Le reste, ils les ont non seulement empêché de rentrer, mais après ils les ont chargés. Il y a eu bagarre, et deux personnes ont été inculpées pour outrage et rebélion.
Le proc avait demandé une peine complètement dingue de huit ans, alors qu’il n’y avait eu aucune violence physique, il n’y a aucun blessé, mais bien destruction de matériel. Ils ont écopé de cinq ans. La lourdeur de la peine s’explique parce que c’est beaucoup plus imaginable pour les détenus de faire un mouvement comme celui-là. Une prise d’otage tout le monde ne peut pas le faire. Alors que péter du matériel ensemble c’est quelque chose de beaucoup plus sympathique, dans le sens étymologique du terme. C’est ça dont l’administration a peur. L’atteinte au QMC est donc plus sévèrement punie que l’atteinte au personnel pénitentiaire, ils s’en foutent qu’un maton ou deux soient pris en otage. Par contre qu’on détruise la prison, ça c’est autre chose ! Cette peine c’était pour l’exemple.
Appel à Grenoble : le plein de soutiens.
Ils ont fait tous les deux appel, malgré le risque que la peine s’alourdisse. Cette fois, c’est Bernard Riper qui a repris le dossier, cet avocat qui avait été interdit d’exercer après un conflit au sein avec l’institution juridique [lien Haro]. La cours de cassation a finalement cassé le jugement qui lui interdisait d’exercer, et c’était donc son retour, il l’a d’ailleurs bien fait remarquer. Il défend Romain gratuitement, même pas d’aide juridictionnelle, pour lui c’est important. Donc pendant que se préparait la défense juridique, l’appel au rassemblement de soutien a été diffusé, ce qui a fabriqué cette journée du 14 juin.
C’était pas du tout la même ambiance qu’à Valence, la salle était pleine de soutiens, et il y avait encore du monde dehors. Romain a réussi à jamais se laisser désarçonner par un président qui semblait ne rien comprendre, qui lui coupait la parole tout le temps, et n’écoutait pas ses réponses. Romain a fait des comparaisons avec d’autres situations, par exemple les ouvriers qui occupent leur usine en menaçant de tout faire sauter avec des bonbonnes de gaz. Il a rappelé que quand on est poussé à bout, quand les mots ne sont plus jamais entendus, il reste les actes. Ça fait six mois que les détenus demandaient un certain nombre de choses dans ce QMC et qu’ils n’étaient jamais entendus, jamais.
Pendant l’audience, Romain s’est exprimé sur la situation en QMC, et Riper a plaidé à la fois contre la logique pénitentiaire, et pour démonter complètement les accusations. Il a soulevé la question de la responsabilité individuelle ou collective, qui nous concerne tous d’ailleurs, puisque lorsque les lois anti-casseurs étaient en vigueur, une personne qui se trouve à proximité d’une autre qui commet une infraction est aussi responsable. Mais en ce moment le droit français ne le permet pas, or Romain et José sont poursuivis pour des faits qu’ils n’ont pas commis, comme l’incendie. Dans ce cas là il aurait fallu un procès pour tous les détenus du QMC, et ça l’administration n’en veut pas : elle préfère un procès des meneurs, que le procès d’une prison, forcément politique et médiatisé. Ils l’ont fait deux fois, pour l’incendie de la centrale de Saint-Maur, et celui de la centrale d’Ensisheim, et ils s’en sont mordu les doigts !
Le procureur a demandé le maintient de la peine de cinq ans supplémentaires, mais on peut espérer qu’elle soit revue à la baisse. À la fin romain a remercié les gens venus le soutenir, et il a vu toute la salle se lever, mais toute ! Et applaudir, il était hyper touché. Dans ces moments, tu repars de là avec de la force.
Derrière la mutinerie : le QMC
QMC ça veut dire « quartier maison centrale », et c’est prévu pour des gens qui ont des peines très longues, 20, 25 ans, ou perpet’. Ils en fabriquent de plus en plus, il y a des prisons entièrement conçues comme ça, et d’autres où il y a des QMC à l’intérieur, comme une enclave, une prison dans la prison. C’est des quartiers extrêmement sécuritaires, qui ressemblent aux vieux quartiers de haute sécurité (QHS), sauf qu’ils sont technologiquement bien plus développés, c’est comme un donjon dans le château fort (sauf que c’est pour enfermer et non pour se protéger). Imagine : il y a cinq matons pour un prisonnier à chaque fois qu’il sort de sa cellule.
Ensuite, se joue à l’intérieur de ces QMC des rapports de force entre les prisonniers et les matons. À Condé-sur-Sarthe, qui est la plus grosse prison sécuritaire en France, dans un des bâtiments, en deux ou trois ans, ils ont réussi à imposer un rapport de force tel qu’ils arrivent à aménager tout ça, à avoir un petit peu d’air (des petits espaces de cuisine collectives, une salle de sport, des cantines pas trop chères). Si tu n’y arrive pas, c’est impossible de vivre dans ces conditions avec une peine de trente ans : tout le temps enfermé, très peu d’activité, pas d’espace où parler aux autres prisonniers, ce qui te fait tenir quoi.
À Valence, pendant six mois, les détenus ont écrit partout, au contrôleur des prisons, à l’OIP ; ensuite ils ont fait des sittings dans la promenade, des refus de plateaux une péti tion à 25 signatures ( note d’un soutien du laboratoire), jusqu’au jour où ils ont dit « si c’est comme ça on va péter le QMC ». Ils l’ont dit avant de le faire. Tout le monde savait qu’ils allaient le faire, c’était prévu. Même les matons en avaient marre de cette situation, et poussaient à ce qu’il se passe quelque chose. Je pense même que la date était connue.
Cette mutinerie c’est pas un coup de sang, ça se voit à l’attention qu’il y ait pas de blessé, pas de mort, de brûlé (les lances à incendie ont été ouvertes). En QMC ils sont très peu nombreux, à Valence ça représente peut-être une quinzaine de personnes, ça donne une idée de la mutinerie : c’est pas un mouvement de foule, c’est seulement quatre cellules détruites. Mais un gros symbole. Après cela, Romain et José ont été désignés comme meneurs, Romain a été transféré au quartier d’isolement de Moulin pendant plusieurs mois (où tu ne vois personne, que des matons), puis au QMC de Condé-sur-Sarthe. À Valence, depuis la mutinerie, ils tiennent le QMC serré. tout les prisonniers du centre pénitentiaire et les familles des prisonniers( il y a eu un contrôle énorme ( 50 policiers contrôlent des proches des prisonniers ( 7 arrestations avec un procès bientôt) au parloir des familles géré par le groupe Gepsa
Le procès des longues peines
Pendant le procès, Romain s’exprimait en son nom, mais il disait aussi « nous les longues peines des prisons françaises », en expliquant que ces conditions de détention invivables étaient imposées aux longues peines. Le fait est que l’administration met des peines de mort, c’est à dire des peines très longues, en pensant qu’il va être possible de les « gérer », comme ils disent, mais c’est impossible. Ils s’en foutent, ils continuent d’augmenter l’échelle des peines. Les QMC sont une conséquence de l’allongement des peines de prison.
Pour gérer les longues peines, on a fabriqué des QMC où il n’y a pas beaucoup de prisonniers, qui sont isolés. Si tu es en QMC tu croises cinq ou six prisonniers à ton étage. Et quand il y a un mouvement à un étage, celui d’en dessous reste bloqué, donc tu n’as aucun rassemblement qui permette de t’organiser. Il y a aussi des moyens technologiques de fous, qu’ils n’ont pas les moyens de mettre dans toutes les prisons : des sas démultipliés, des caméras partout. Il est même question de mettre des caméras dans certaines cellules : ils l’ont fait comme mesure exceptionnelle pour Salah Abdeslam (impliqué dans les attentas de Paris en 2015) à Fleury, et ils risquent de vouloir étendre cette mesure, c’est toujours comme ça que ça se passe.
Dans ces QMC, dès qu’il y a quelqu’un qui fait mine de quoique ce soit, il ne sort plus qu’entravé, menotté, encadré. Il y a des gars en ce moment qui ne sortent de leur cellule que pour aller prendre la douche, et qui prennent la douche avec cinq matons casqués et armés de boucliers autour d’eux. Ils ont aussi fabriqué un bureau de renseignement pénitentiaire, relié au système de renseignements français, et ils font des enquêtes sur les potentiels mutins ou candidats à l’évasion. Ce délire là, il nait de la distribution de longues peines, et il est sans fin.
Les QMC sont les nouveaux QHS, mais ils sont pire : à l’époque des QHS, tu faisais quinze ans de prison, même Mesrine a été condamné à vingt ans de prison, c’était le grand maximum. Aujourd’hui c’est une rigolade, avec en plus des peines de sureté, donc aucun aménagement pendant un temps très long donné par le tribunal. Et quand il y a mutinerie, ils répondent par la violence d’une part, et ils rallongent encore les peines de l’autre. Ce qu’ils n’aiment pas du tout, c’est ce qu’il se passe à Condé-sur-Sarthe : ils ont peur quand le rapport de force les oblige à laisser de l’air aux prisonnier
note : des suppléments sont proposé sur cette page