CRILAN : radiés de tous pays

Salut,

Je vous fait suivre le texte des « radiés » du CRILAN. Pour mieux saisir
la situation, le contexte général et historique, je vous ai rajouté ces
quelques lignes introductives. Ca en dit long sur les enjeux généraux
sur le terrain écologique et sur une des lignes de partage.

« Est-ce qu’il peut y avoir du nucléaire propre et pas dangereux ?
-Disons que tous les travailleurs du nucléaire, ici, font en sorte pour
faire du nucléaire propre (…) par contre on peut avoir des inquiétudes
quand on voit l’EPR de Flamanville. »

C’est par cette phrase pour le moins ambiguë qu’André Jacques, nouveau
président du CRILAN répond à une journaliste de France Bleue
Nord-Cotentin, il y a de cela quelques mois. Comme si les travailleurs
du nucléaire choisissaient réellement les orientations du programme
nucléaire et leurs conditions de travail. C’est confondre nucléocrate et
travailleur du nucléaire. Dans ces quelques mots, comme dans le reste de
l’interview, pointe la nouvelle orientation politique du CRILAN :
Information aux autorités pour influencer leurs choix, Information aux
populations pour qu’elles votent mieux, cogestion des plans
d’évacuation, aseptisation du discours pour ne pas choquer, acceptation
de l’existant…

Depuis quelques mois couvait en interne des dissensions autour de la
logique managériale mise en œuvre par André Jacques et quelques membres
du Conseil d’administration et ces nouvelles orientations. Après
quelques mois de conflits internes, quelques historiques et des
adhérent-e-s plus récente-s- ont décidé, après avoir voulu dissoudre
l’association, de laisser à quelques écologistes d’Etat avides de
reconnaissance le navire. Cette crise a rapidement tourné au sordide
sous l’impulsion de la nouvelle direction : radiations d’adhérent-e-s,
séquestre d’un don au Collectif Anti-Nucléaire Ouest, échanges
d’informations avec la préfecture, participation accrue aux commissions
et aux structures institutionnelles, saisie d’un huissier de justice,
campagne de diffamation, recours aux flics et la justice contre des
militanst-e-s du CRILAN, tentative de transformer le collectif
anti-nucléaire Ouest en inter-organisations… Les ex-membres du CRILAN
qui avaient décidé de fonder un nouveau regroupement informel et de
quitter le CRILAN apprennent au moment de l’AG de septembre dernier
qu’ils ont été « radiés ».

En pièce jointe le texte que les « radiés » du CRILAN ont produit. Il
revient sur l’ensemble de ces circonstances.

Petit détour pour ceux et celles qui ne connaissent pas ou ont oublié
l’histoire du CRILAN. Le CRILAN est tout d’abord jusqu’au début des
années 80 une fédération informelle de comités locaux opposés à
l’implantation de le centrale de Flamanville. Il y a alors un CRILAN
Coutances, un CRILAN Caen qui se définit comme anticapitaliste, un
CRILAN Flamanville, le CCPAH  son ancêtre plus autonome dans la
fédération…  Les formes de lutte sont directes, même si des débats
houleux sur les actions directes minoritaires, ou les affrontements avec
les flics traversent les comités. Un journal, le petit cafard des
falaises,  et des brochures sont produits. Des manifs, des fêtes
mobilisent des milliers de personnes. Le site de la future centrale de
Flamanville est occupé durant quelques semaines. Des convois de déchets
sont bloqués. Des sabotages ont lieu. des affrontements ont lieu à
Cherbourg lors des déchargements de déchets radioactifs. Le tout sous
l’impulsion de ces comités, mais également de tas d’individus investis
dans la lutte. Ce sont ces formes de lutte directes auxquelles nous
avons tenté avec bien d’autres compagnon-ne-s de lutte de redonner vie
du blocage du train de déchets de Valognes à la lutte contre la ligne
THT Cotentin Maine.

Au tournant des années 80, avec l’arrivée de la gauche au pouvoir et le
reflux de la lutte, le CRILAN influencé par l’écologie politique se mut
en association et choisi de participer aux organismes d’information
institutionnels, mais en refusant de participer  à la cogestion de
l’industrie nucléaire. Il s’agit de puiser des informations, de se
servir des commissions comme tribunes, mais en aucun cas de collaborer
avec l’Etat et les nucléaristes pour gérer l’existant. D’autres seront
moins sourcilleux et n’auront aucun scrupule, certains participant à la
gestion post-accidentelle de la Biélorussie au Japon en passant par la
préparation à un éventuel accident en France quelques années plus tard.
Petit à petit, l’écologie politique et les positions des verts
deviennent durant ces années hégémoniques au sein du CRILAN .
Avec la participation des écologistes d’Etat aux gouvernements
successifs de gauche, puis plus récemment marcronistes, cet écologisme
finit de montrer, quelques années plus tard, ce qu’il est réellement  en
mesure de proposer : la cogestion d’un monde de plus en plus nucléarisé.
Voynet autorisera Bure, les conseillers régionaux EELV de
Basse-Normandie ne s’opposeront pas à une motion pro-EPR, etc. Le
programme nucléaire continue, les écologistes  d’Etat jouent comme sur
bien d’autres domaines les sparring-partner.
De plus en plus critique vis-à-vis des trahisons de la bureaucratie
verte – mais n’est-ce pas un pléonasme – le CRILAN s’autonomise. En son
sein, de nombreuses voix s’élèvent contre cette évolution et les
mensonges déconcertants de ces nouveaux écolocrates.

Depuis quelques mois une partie du CA du CRILAN dont Didier et Paulette
ANGER, mes parents, avaient décidé de passer la main.  Aujourd’hui ce
sont de nouveaux ou d’anciens écologistes cogestionnaires qui ont pris
la direction du CRILAN. En tout cas le même rapport au monde et aux
institutions a réussi à imposer son orientation cogestionnaire.
Mais quelques historiques du CRILAN ont sans doute une part de
responsabilité dans cette évolution en ayant fait entrer le « vert » dans
le fruit. En jouant avec les institutions, en s’engageant sur le terrain
politique, ils et elles ont sans nul doute participé à créer des
générations de politicien-ne-s, et de cogestionnaires, qui ne pensent le
changement que par le haut. Prendre le pouvoir ou l’influencer. Là ou
seule, et c’est pas une mince affaire, une lutte ouverte contre l’Etat
et l’industrie nucléaire est en mesure de bouleverser les délires
nucléaristes.
L’ancienne génération, sincère et intègre, continuait de penser que la
lutte était primordiale. Là où la nouvelle entend jouer aux
contre-lobbys ou aux cogestionnaires. C’est là que réside la fracture
profonde.

Cette histoire n’est ni originale, ni si importante sur le fond. Ce
n’est que la longue vie et la mutation d’une structure, sa prise de
contrôle mainte fois déjà expérimentée par une bureaucratie. Les
organisations sont faites pour mourir et les luttes pour exister. Mais
les formes qu’on prises ces transformations, les appétits de
pacification et de cogestion qui animent les petits chefs  de cette
nouvelle structure, méritent d’être connus et dénoncés.
Les « radiés » du CRILAN , malgré les divergences profondes que l’on peut
entretenir avec certaines de leurs orientations, ont toujours manifesté
ces dernières années, parfois contre une partie de leurs alliés
écologistes, une solidarité réelle avec  les antinucléaires radicaux.
Ils et elles étaient présents dans l’après Valognes pour marquer leur
solidarité face à la répression, là où Greenpeace et les plus
cogestionnaires se désolidarisaient. Nombre de militants et militantes
du CRILAN étaient également présents dans le bocage pour lutter contre
la THT Cotentin-Maine, au pied des pylônes, au bord des voies ferrées ou
en soutien lors des actions ou des procès du GANVA.
Au delà des rapports affectifs qui me lient à cette lutte et à nombres
de ces protagonistes vivants ou morts, je n’oublie pas ces liens de
solidarité élémentaires.

Finalement comme pour le Parti Communiste de la grande époque, et toute
proportion gardée, il y a bien du mérite à être « radié » de ce genre de
structure.

Radiés de tous les pays unissez vous !

Anarchistement,
Un rétif.

PS : En 1987, le comité irradiés de tous les pays unissez-vous écrivait
à la suite des antinucléaires radicaux qui les avaient précédés une
plate forme encore terriblement d’actualité. On y trouvait cette
prophétie lucide :
« Certes, la protestation écologique a combattu l’accumulation
désespérante et dangereuse de procédés néfastes aux hommes et à la
nature, mais n’a pu empêcher qu’ils s’imposent toujours plus. Les
insuccès répétés de la lutte contre le nucléaire sont encore plus
flagrants que dans tous les autres domaines. Ils sont dus principalement
au fait de s’être abusé sur la possibilité de combattre le développement
du nucléaire sans rechercher à rencontrer les forces pratiques capables
de renverser les conditions socio-historiques qui l’avaient engendré.
Cela a maintenu le mouvement écologiste séparé des autres mouvements
sociaux des années 1970 qui, ne voyant pas alors dans la dégradation des
conditions de vie une question cruciale, avaient de leur côté tendance à
se désintéresser des revendications écologistes. Les défaites
successives des mouvements sociaux ont par la suite privé le mouvement
écologiste de la possibilité de dépasser cette faiblesse initiale, et
l’ont laissé ouvert à toutes les illusions politiques et à toutes les
manipulations arrivistes. Cela est tout particulièrement visible en
Allemagne occidentale où un mouvement pourtant puissant et résolu
n’aboutit tragiquement à rien de plus que la participation des « Verts »
aux manœuvres politiciennes.
L’écologisme a donc pour seul avenir de servir de pépinière aux
stratèges d’une « science » du traitement de la pollution, usant de leur
savoir pour s’installer dans une composante sous-ministérielle de l’Etat
nucléariste ou pour faire prospérer un nouveau gang de députés.
Le mouvement écologiste n’a pas su concevoir d’autres formes
d’organisation que celles, hiérarchisées et bureaucratiques, du monde
qu’il prétendait combattre. Il a donc entériné l’usage arriviste que
faisaient de lui divers politiciens. Son refus de suivre d’autres voies
que celles de l’entrisme parlementaire et des protestations vaines est
la cause du profond découragement de ceux qui s’y étaient engagés avec
de plus beaux espoirs. Il est également un des éléments qui ont
contribué à pousser la société vers le désabusement résigné et le
fatalisme faisant regarder ceux qui proposent de ne pas baisser les bras
devant l’invasion nucléaire comme des irréalistes et des fous. »
Une pensée pour l’un des protagonistes de cette aventure et de biens
d’autres décédé il y a un peu plus d’un an.