Berlin(allemagne): Notre théorie: la communication par la pratique. Attaque 3

de.indymedia.org / samedi 31 août 2019

…mais pourquoi ne pas commencer par là ? Même si nous ne savons pas exactement comment fonctionnent les algorithmes de contrôle ou l’IA (Intelligence Artificielle) ou dans quelle mesure le plan des déplacement est en adéquation avec les probabilités réelles, nous pouvons dire que cela se produit “de façon systématique”. De même, les enquêtes sont largement basées sur des schémas et des statistiques qui déduisent une action D, sur le thème C, un groupe d’auteur.ices potentiel.le.s B, en conséquence d’un événement A.

Notre manière logique de s’organiser devient donc un danger, lorsqu’elle nous conduit à agir sur le terrain de l’ennemi. Là où nous suivons des modèles qui nous protègent, en même temps nous devenons prévisibles ; encore plus que nous ne le sommes, souvent, déjà. De nombreuses actions illégales menées aujourd’hui témoignent d’une préparation poussée, de beaucoup de temps et de planification, voire d’un savoir-faire technique avancé. Il semble que soit révolue l’époque des explosions sociales spontanées, qui comportent bien sûr des risques plus élevés, mais qui permettent de réagir rapidement, d’une manière offensive, aux horreurs quotidiennes. Des éruptions sociales qui savent comment se relier aux émotions individuelles et qui souvent libèrent d’un coup des forces oubliées. Elles nous montrent que rien n’est aussi invulnérable qu’il paraît souvent. Immédiat, facilement compréhensible, un peu désordonné et surtout spontané !

En suivant cette approche, nous nous sommes donné comme objectif à court terme de trouver et d’éliminer des cibles liées à la Smart City, à chaque fois que c’est possible. Trottinettes et vélos électriques, qui sont censées nous tracer pas à pas, avec leur GPS intégrés, en combinaison avec une application pour Smartphone. Les algorithmes de surveillance continuelle, qui sont fournis sans arrêt non seulement aux autorités, mais aussi à l’industrie de la publicité, sont désormais disponibles à chaque coin de rue. Que ce soit Uber, Tier, Lime, Donkey Republic, Circ, voi. ou qui que ce soit, pour nous c’est pareil. Nous avons fait passer un test de qualité à 59 de ces trucs, en les jetant dans les canaux de Berlin et dans la [rivière; NdAtt.] Spree. Dans l’eau, pour rendre leur récupération et leur réparation aussi coûteuses que possible. Pour montrer qu’une action significative ne nécessite pas forcement d’innombrables heures de planification, mais parfois seulement d’yeux ouverts et d’une intervention résolue.

Afin de ne pas seulement diffuser la théorie mais aussi d’utiliser cette action comme un moyen d’entrer en contact avec des complices, nos salutations solidaires vont aux trois de la Parkbank ! Comme le montrent les actions des dernières semaines, vous n’êtes pas seuls.

tique

Athènes, Grèce: Des nouvelles d’Exarchia en lutte contre la terreur d’État- du 28 au 1er septembre 2019

Athènes : Attaque incendiaire d’une escouade anti-émeute – Dimanche 1er septembre 2019

Un groupe de 20 anarchistes a attaqué aux cocktails Molotov le chek-point militaire de la MAT (police anti-émeute) situé à l’angle des rues Tositsa et Trikoupi.

L’attaque a eu lieu vers 23h40, le 1er septembre, dans le quartier d’Exarchia qui, depuis le 26 août, fait face à une plus grande militarisation du quartier que par le passé.

Après l’attaque, la MAT a tout de suite afflué sur la place d’Exarchia et s’est mise à lancer des armes chimiques sur la place et les rues environnantes, même dans les rues où il n’y avait pas eu d’émeutes.

Tou.te.s les compagnon.ne.s ont pu quitter la zone en toute sécurité et sans arrestation.

Les émeutes nocturnes du 31 août, qui avaient éclaté aux alentours de 23h30, ont bien cramé les flics anti-émeute, à tel point qu’un des flics a du être médicalisé sur place par une ambulance.

[Voir la vidéo de l’attaque incendiaire du 1er septembre sur Act for Freedom now]


Athènes : Des milliers de personnes dans les rues d’Exarchia contre la terreur d’Etat – Samedi 31 août 2019

Samedi 31 août 2019, deux à trois milles personnes (selon différentes estimations) ont déambulé dans le quartier d’Exarcheia, dans le centre d’Athènes, à la suite d’une descente policière massive contre quatre squats (principalement de réfugiés) ce lundi 26 août et les 143 arrestations qui ont suivi. A la suite du raid policier, le quartier d’Exarcheia a été transformé en une zone militarisée, avec des attaques incessantes de la police anti-émeute contre les habitant.e.s et les centres sociaux.

Mais ce à quoi ne s’attendait pas le gouvernement, c’est que les habitant.e.s du secteur, plutôt que de « trembler » de peur, ont choisi de défier la police anti-émeute grecque et le terrorisme idéologique du gouvernement, également exprimé par le biais des mass médias sous son contrôle.

Ainsi, à travers cette maifestation massive, des milliers d’anarchistes et autres militant.e.s ont envoyé un message de résistance à la campagne répressive de l’Etat ainsi que des signes de solidarité envers les squats et les centres sociaux expulsés et envers celles et ceux qui étaient sous menace imminente de nouvelles attaques du gouvernement.

Pour avoir une idée de la situation à Exarchia de ces derniers jours, le jeudi 29 août, lors d’un concert organisé par des librairies et des maisons d’édition, de nombreux policiers anti-émeute ont subitement attaqué plus d’un millier de personnes avec du gaz lacrymogène, des grenades explosives et leurs matraques, tandis que dans la confusion qui a suivi, ils en ont profité pour attaquer le centre social « Vox » (situé sur la place d’Exarcheia), brisant la façade et jetant une cartouche de gaz asphyxiant à l’intérieur, ce qui aurait pu se terminer par des morts. De nombreuses personnes à l’intérieur et à l’extérieur ont aussi été prises en charge pour de graves blessures à la tête.
Puis. samedi 31 août, après la grande manif de l’après-midi que l’on peut voir dans la vidéo, les flics anti-émeute ont une nouvelle fois attaqué le concert à son troisième jour, sous la direction d’un uniforme qui a pointé son arme sur des gens, tandis qu’ils chargeaient, selon des témoins des événements. Mais ce n’était pas tout. Le dimanche 1er septembre, le centre social « Vox » subissait sa troisième attaque policière en quatre jours seulement.
Une autre grande manifestation contre la terreur de l’Etat grec contre le quartier d’Exarchia est annoncée pour le 14 septembre prochain.

[Traduit de l’anglais via actforfree.nostate.net – Source: indymedia Athens]


Athènes : Pluies de cocktails Molotov pour les escouades anti-émeute – 28 et 30 août 2019

Ce 28 août, vers 2h30, une trentaine de compagnon.ne.s a attaqué un escadron anti-emeute de la MAT qui stationnaient au carrefour des rues Tositsa et Trikoupi. L’attaque enflammée s’est déroulée en deux temps: le premier groupe de compagnon.ne.s a attaqué depuis la rue Tsamadou et a cramé les flics dans la rue Tositsa alors qu’ils stationnaient à proximité du ‘Steki’, squat de migrants anarchistes. Dans le même temps, le second groupe de compagnon.ne.s a attaqué la MAT depuis la rue Trikoupi, les brûlant hardemment dans la rue Tositsa alors qu’ils étaient occupés par la première attaque qu’ils ont reçu depuis la rue Tsamadou. Après l’attaque, tous les compas ont pu quitter la zone sans encombre, sans que personne ne soit arrêté.

Le 30 août, une pluie de 80 cocktails Molotov s’est abattue sur un escadron anti-émeute à l’intersection des rues Tositsa et Trikoupi.

[Voir la vidéo de l’attaque du 28 août]

Prison de Fresnes et de Montmédy: ils essayent de se faire la belle

Prison de Fresnes : Ils y étaient presque

Le Parisien / dimanche 1er septembre

Ils l’ont fait « à l’ancienne » : trois détenus de la maison d’arrêt de Fresnes ont tenté, sans succès, de s’évader ce samedi soir. Après avoir réussi à tordre les barreaux de leur cellule et cassé le caillebotis de leur fenêtre, les trois prisonniers ont descendu en rappel deux étages qui les séparait d’une cour intérieure grâce à quelques draps tressés. « Ils ont été bloqués par une porte avant le mur d’enceinte et aussitôt été arrêtés par les surveillants pénitentiaires », détaille une source interne.

Si les surveillants ont cette fois pu intervenir à temps, ce ne fut pas le cas le 30 décembre 2018. Ce jour-là, N. B., un détenu de 29 ans, placé en maison d’arrêt pour une affaire criminelle, avait réussi à franchir à la force des bras et à l’aide d’un drap deux murs d’enceinte du centre pénitentiaire et à s’échapper à pied. Le tout malgré les sommations et trois tirs de gardiens depuis les miradors. À l’époque, « les surveillants en poste sur deux miradors ont vu l’individu et ont procédé aux sommations réglementaires », avait précisé l’administration pénitentiaire. Cela n’avait pas suffi à stopper la course folle du détenu, toujours en cavale, qui avait réussi à franchir le second mûr de la prison, malgré trois coups de feu tirés depuis les tours.
La prison de Fresnes n’avait pas connu d’évasion aussi spectaculaire depuis celle d’Antonio Ferrara, surnommé « le roi de la belle », en mai 2003.

*****

Prison de Montmédy : Essayer, toujours

Le Républicain Lorrain / vendredi 30 août 2019

Le 26 août 2019, à 14 h 15 exactement, les gendarmes de la brigade de Montmédy sont appelés au centre de détention pour intervenir sur une tentative d’évasion. Quelques minutes auparavant, M. A., alors détenu au centre, profite d’une sortie dans la cour pour se lancer à l’assaut du grillage de la promenade. Habillé de deux joggings et de gants de tissu pour éviter les coupures, il escalade les 5 mètres de métal pour redescendre sur le chemin de ronde. Il y court sur plusieurs dizaines de mètres, longeant un second grillage, qu’il escaladera également pour se retrouver dans le no man’s land, au pied du mur d’enceinte. Il s’aide alors d’une serviette et de l’appui d’un local technique pour grimper, franchir les barbelés et se laisser tomber de l’autre côté, à l’extérieur de la prison.
Une fois au sol, il traverse une haie de thuyas pour « éviter qu’on lui tire dessus » et débarque dans le jardin du chef de détention, qui réside à côté de la prison. Ce dernier, alerté, fouille buissons et bosquets pour le dénicher avant de le repérer, caché dans une cabane de jardin.
Il en sort en trombe et tente de franchir la haie dans l’autre sens, sans succès, en s’appuyant sur une table en plastique, dont le pied cède sous son poids. Sa seule issue : le portail du jardin, vers lequel il s’élance, rapidement rattrapé par le chef de détention, qui le plaque au sol, puis le maîtrise avec l’aide de plusieurs groupes d’agents pénitentiaires, récemment arrivés sur les lieux. Plusieurs d’entre eux sont armés de fusils à pompe, chargés de cartouches non létales.

M. A. n’en est pas à sa première tentative d’évasion : en 2018 déjà, il avait fui une garde à vue en passant par le faux plafond des toilettes d’une gendarmerie. Il avait également quitté l’une de ses audiences, à Sarreguemines, en sautant par la fenêtre du tribunal ; l’affaire avait fait grand bruit.
« Je voulais tenter ma chance pour rentrer chez moi, en Alsace », explique le prévenu, qui avait prémédité son évasion en se préparant physiquement. « Je voulais retrouver ma famille. En prison, ça fume, ça se bat, ça parle mal, c’est pas mon milieu ; je suis un gars de la campagne. »
« C’est un garçon touchant » admet la substitut du procureur, qui lui reconnaît une « immaturité désarmante » ; ce qui ne l’empêche pas de demander une peine exemplaire, sous la forme de 30 mois ferme. La défense, quant à elle, voit en lui « un gosse qui, à 20 ans, a été condamné à 4 ans de prison. Comment on encaisse ça ? »
Le juge le condamnera finalement à 1 an de prison ferme ; peine qui viendra s’ajouter à celles déjà existantes, et sera purgée au centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville.

[ Detoutbois]contre l’expertise et la compensation pour des luttes et des forêts vivantes

Vous trouverez en lien le texte « Contre l’expertise et la compensation,
pour les luttes et des forêts vivantes ». Le comité de rédaction de la
revue De tout bois a tenu à le publier suite à la décision du 21 mai
2019 de la Cour administrative d’appel (CAA) de Lyon. La CAA a demandé
que soit faite une expertise  pour évaluer la quantité de zones
détruites ou impactées par le projet du Center Parcs de Roybon. Ce texte
vous invite à connaître la position ­– notamment sur les compensations
et les expertises – défendue par le comité de rédaction.

Nous avons distribué ce texte lors du 23ème Festival de l’avenir au
Naturel à l’Albenc le 31 août 2019. Durant cette distribution nous avons
été étonnés par l’accueil que nous avons reçu de la part des
organisateurs (l’association Espace Nature Isère). Ceux-ci nous ont
immédiatement pris à partie en nous injuriant (« vous êtes venus comme
des malpropres ») avant d’arracher le texte à ceux qui l’avaient demandé
et de tenter de nous les tirer des mains. Ils nous sommaient de sortir
des lieux du Festival, nous accusant « d’être violents » et «
radicalisés »  selon le fait, disaient-ils, qu’ils connaissaient nos
méthodes… Nous leur demandions alors de nous montrer l’arrêté municipal
interdisant la diffusion de textes. Sans jamais obtenir cet arrêté et
face à leur pression nous nous sommes retirés à l’endroit qu’ils nous
signalaient comme étant l’emplacement où il nous était possible de
continuer notre distribution. A peine avions nous repris le tractage que
les gendarmes appelés par un des organisateurs contrôlaient nos
identités, et nous demandaient de partir de là sous peine de nous
verbaliser. A notre demande de nous montrer l’arrêté municipal en
question, les gendarmes nous invitaient à le consulter à la Mairie de
l’Albenc où d’attendre qu’ils repassent le soir nous le présenter…
Quelques minutes plus tard des agents de sécurité prenaient position à
l’endroit où les gendarmes nous avaient interpelés.

Pour lire le texte « Contre l’expertise et la compensation, pour des
luttes et des forêts vivantes » :

 

http://www.lemondealenvers.lautre.net/doc/contre_l_expertise_et_la_compensation.pdf

Merci de faire suivre,
Le Comité de rédaction de la revue De tout bois

La revue De tout bois – 11 numéros parus depuis 2014,

http://www.lemondealenvers.lautre.net/livres/de_tout_bois.html

– est disponible en librairies.
Numéro 12 à paraître en janvier 2020.

Les camps sous le ciel

Résultat de recherche d'images pour "surrealisme bouche"La tradition des opprimés nous enseigne que l’état d’exception dans lequel nous vivons est la règle. Nous devons parvenir à une conception de l’histoire qui corresponde à ce fait.

Benjamin Walter

Le droit est un immense dispositif qui crée l’exclusion, qui se fonde sur l’exclusion, et pourtant contre toute sorte d’exclusion le chœur de la protestation ne fait que demander des droits, espérant que le ciel du Droit s’étende à des terres toujours nouvelles. La démocratie est précisément conçue comme cette conquête progressive de nouveaux espaces. C’est pour cela que celle-ci n’est pas seulement défendue, mais aussi exportée. Le ciel de la reconnaissance juridique doit chaque jour couvrir de plus en plus les possibilités et les aspirations des individus. Un individu qui détient des droits est un citoyen, c’est-à-dire un être qui a droit à la citoyenneté dans la Cité démocratique.

Nombreux sont ceux qui avec les intentions les plus diverses, souhaitent un renouveau de la démocratie. Du haut des ruines des métropoles, on peut voir ce qui reste de la soi-disant communauté de citoyens. Les catégories de la politique ont été bouleversées par les événements du siècle dernier. La volonté générale, la nationalité, la souveraineté du peuple, tout cela est entrain de s’effondrer avec cet État-nation qui en était le fondement. La trinité ordre-nation-territoire s’est brisée. Les théoriciens employés par la démocratie se sont rendus compte qu’il faut dissocier le concept de citoyenneté de celui de souveraineté. La souveraineté est toujours une sorte d’investiture divine, et l’individu assujetti au pouvoir souverain est toujours un sujet, tandis que l’idéologie démocratique veut un pouvoir laïque et d’authentiques citoyens. Le souverain, depuis l’archaïque droit romain, est celui qui peut décider de l’état d’exception, c’est-à-dire, qui peut créer ou suspendre les lois. C’est lui qui définit l’espace politique que la loi fonde et soutient, ainsi que le champ dont elle est temporairement absente (temporalité qu’il décide lui-même). Que cet état d’exception – « d’extraterritorialité » vis à vis du Droit – soit une composante essentielle du pouvoir souverain, est démontré non seulement par le fait que chaque ville a ses barbares (ses étrangers), mais aussi par l’opposition entre peuple et population. L’espace politique n’est pas l’espace qui accueille tous ceux qui y vivent (ou qui y naissent, selon l’étymologie du mot nation), mais plutôt le domaine des sujets du roi, de ceux que le souverain (puis l’État) considère comme son propre corps politique et représente légalement. Les autres, les barbares, les étrangers, les indésirables, vivent séparément (dans d’autres frontières de l’errance). Ils participent au Droit à l’inverse, en tant que Norme [entendue comme règle, législation, ndt] suspendue (bien que matérielle sous forme de murs et de clôtures). Quand la démocratie, de la polis des citoyens adultes, libres et masculins – comme dans la classique Athènes – est passée au modèle de la souveraineté comme représentation de la multitude (du XVIIIème siècle), seules les colonies intérieures où furent enfermés des exclus de l’université démocratique du ciel de ses droits, changèrent. Le « peuple » devient le sujet de l’État-nation (le pouvoir même, dans l’acte de s’auto-légitimer, recevra l’investiture de la « souveraineté populaire »), même si elle constitue la masse de qui en subit simplement sa domination.

Le concept de peuple, en effet, a toujours eu deux acceptions distinctes : celui-ci indique à la fois le corps politique, c’est-à-dire l’ensemble des citoyens d’un Etat, et les classes les plus pauvres (celles que l’on appelle « classes laborieuses, classes dangereuses »). Ces deux significations peuvent encore être saisies dans les expressions « peuple italien » et « juge populaire », ou « homme du peuple », « quartier populaire », « soulèvement populaire »). La bourgeoisie, en tant que classe arrivée au pouvoir grâce à un soulèvement de masse, a fondé toute son idéologie de la souveraineté populaire sur l’identification des deux significations du mot « peuple ». Ce n’est pas un hasard si la Déclaration universelle de 1789 fait référence aux droits de l’homme et du citoyen (en ce sens que le premier ne peut exister que s’il est reconnu par l’État en tant qu’habitant sa nation). Les pauvres, exclus de toute décision réelle, sont représentés en tant que sujets de droit. Les divisions de la réalité sociale s’opposent à la fiction juridique de l’unité du corps politique. Si dans la Rome antique, par exemple, existait une nette séparation claire entre le peuple et la plèbe, juridiquement bien distincts ; si même au Moyen Âge les habitants étaient divisés, sur la base du commerce, en « popolo minuto [qui regroupe les riches marchands (banquiers, notaires…)] » et en « popolo grasso » [qui comprend plutôt les petits artisans] ; avec la bourgeoisie le peuple – sans distinction – devient le seul dépositaire de la souveraineté. Cette vie des pauvres qui, dans sa nudité privé d’ornement juridique, a d’abord été confiée à Dieu, puis sera ensuite intégré, dans son exclusion fondamentale à l’intérieur du corps politique de l’Etat. Toutes les formes de capitalisme, à l’ouest comme à l’est, ont tenté de canaliser la vraie misère du peuple (« le peuple, les malheureux m’applaudissent », disait Robespierre) derrière le masque du peuple. Malheureusement, cette ambiguïté a été acceptée par le mouvement ouvrier. Les conséquences les plus abjectes furent, d’abord les thèses léninistes sur les nations opprimées et les nations impérialistes, puis les social-nationalistes de tous les stalinismes) la Résistance du peuple italien, chinois, vietnamien, etc. et les gouvernements d’unité populaire. Le pouvoir a toujours su que la coïncidence du peuple avec le Peuple ne peut marquer que la fin des deux, c’est-à-dire la fin du Droit. Bien préparée par les lois, qu’à partir de la première guerre mondiale, de nombreux Etats européens ont promulguées pour dénaturaliser une partie de leurs citoyens, le terrain sur laquelle s’est construit le nazisme et la radicalisation de la distinction entre homme et citoyen. Les lois de Nuremberg de 1935, qui divisaient les Allemands en citoyens de plein droit et citoyens sans droits politiques, ont été anticipées par les lois françaises de 1915, les lois belges de 1922, les lois italiennes de 1926 et les lois autrichiennes de 1933. Des citoyens naturalisés « d’origine ennemie » aux responsables de crimes « antinationaux », en passant par les « indignes de citoyenneté », s’ajouterons aux citoyens qui menacent la santé du peuple allemand (et aux Juifs en tant que peuple parasite du Peuple). Les camps de concentration sont nés sous le signe de la « détention de protection » (Schutzhaft) [ou détention de sûreté, ndt], une institution juridique déjà présente dans le droit prussien et appliquée de manière massive pendant la Première Guerre mondiale. Il ne s’agit ni d’une extension du droit commun ni du droit pénitentiaire, mais plutôt d’un état d’exception et d’une application préventive de la loi martiale : en somme, une mesure policière. Quand, en mars 1933, lors des célébrations de l’élection d’Hitler à la Chancellerie du Reich, Himmler décida de créer Dachau un « camp de concentration pour prisonniers politiques », celui-ci fut immédiatement confié aux SS et, grâce à la Schutzhaft, lieu en dehors du Droit. Le seul document qui atteste que le génocide des Juifs a été décidé par un organe souverain est le rapport d’une conférence à laquelle a participé un groupe de fonctionnaires de la Gestapo le 20 janvier 1942. L’extermination a été très méthodique précisément parce qu’elle a été menée comme une immense opération policière. Mais contre les Juifs, les gitans, les homosexuels et les subversifs « tout était possible », puisqu’ils avaient été auparavant privés de leurs droits civils et, avant leur extermination, même de la simple nationalité allemande. Ils n’appartenaient pas au peuple. Comme l’a écrit Robert Antelme, ils n’étaient que des membres nus de l’espèce humaine que l’ordre juridique refusait de reconnaître comme citoyens. Le camp de concentration – en tant qu’expression extrême de l’état d’exception, et donc du pouvoir souverain – n’est pas une invention nazie. Le nazisme n’a pas seulement exploité le terrain que la contre-révolution stalinienne lui avait préparé (le social-nationalisme qui devient national-socialisme), mais il a étendu l’institution de la démocratie jusqu’aux techniques de production industrielle de la mort. Les premiers camps de concentration (appelés campos de concentraciones) ont été construits par l’État espagnol pour réprimer l’insurrection de la population cubaine en 1896. Ils ont été suivis par les concentration camp créés au début du XXe siècle par le gouvernement britannique dans la guerre contre les Boers (1). En outre, leur formulation juridique était présente (et appliquée contre les subversifs) dans la Constitution de la République de Weimar. Le camp est une zone d’exception que le Droit crée en son sein. Les règles du camp participent à la Loi sous forme d’absence. Le nazisme a transformé l’état d’exception en une situation normale et permanente ; poussé à l’extrême la contraposition des concepts de peuple et de population, dans un processus de différenciation, de sélection et d’extermination qui conduit des citoyens aux sous-hommes, de ceux-ci aux habitants des ghettos, des prisonniers aux déportés, des internés aux « musulmans » (les déportés proches de la fin étaient définis ainsi dans le jargon d’Auschwitz), et enfin aux figures (comme la machine nazie de l’euphémisme bureaucratique appelait les cadavres) le nazisme voulait une Europe des peuples, des habitants dignes de citoyenneté. Pourtant, les démocrates qui défendent les droits de tous les exclus ne pensent jamais que cela puisse être le Droit lui-même la source de l’exclusion, que le citoyen aura toujours son revers dans [la figure du] barbare dans l’indésirable. Même distincte de la nationalité (de l’inscription de la naissance dans l’espace du pouvoir souverain), la citoyenneté ne peut être qu’au-dessus des individus concrets. Et cela ne changera pas si le peuple avec sa volonté générale l’idéologie substitue le public avec ses opinions. Les anciennes identités et croyances s’effondrent sous le poids de l’atomisation sociale produite par la domestication des médias et l’administration bureaucratique (le concept de public ne définit pas par hasard les utilisateurs et les spectateurs) mais l’organe politique a des règles de plus en plus restrictives et détaillées. Pour les pauvres, la citoyenneté est l’uniforme du policier ou la carte du travailleur social. Leur misère n’est pas l’autre facette de leur existence en tant que citoyens, c’est-à-dire en tant qu’électeurs et consommateurs.

Si le pouvoir se joue dans le rapport entre législation et localisation, entre le système et le territoire ; si le camp est la matérialisation d’un état d’exception qui emprisonne des hommes et des femmes à qui il ne reste que l’appartenance nue à une espèce ; alors les stades où les réfugiés s’entassent aujourd’hui avant d’être renvoyés chez eux sont aussi des camps, ou [encore] les « centres d’accueil temporaire » (la voilà la bureaucratie de l’euphémisme du retour au travail) pour les immigrés clandestins ; ou les « zones d’attente » des aéroports français où sont parqués les étrangers qui demandent la reconnaissance de leur statut de réfugié. En outre, les périphéries des grandes métropoles sont de plus en plus des camps. Tous ces domaines (ainsi que d’autres où l’errance de la misère est enfermée) sont des non-communautés d’hommes sans qualité, où vie privée et vie publique sont indifférenciées sous le signe de la dépossession ? La terre de ces enclaves et de ces lieux confinés sans garanties et sans humanité effraie les démocrates. Ils voudraient nous voir par-dessus du ciel de la Loi, a couvrir par la Loi cette exception qui ne fait que prolonger son ombre.

Maintenant que l’errance des apatrides de facto est un nouveau un phénomène de masse, les démocrates voudraient redéfinir les droits de la citoyenneté. Au nom d’une politique humanitaire, ils voudraient un nouveau statut pour les réfugiés, sans remarquer que tous ceux qui existent à ce jour (l’Office Nansen en 1921, le Haut-Commissariat pour les réfugiés d’Allemagne en 1936, le Comité intergouvernemental pour les réfugiés la même année, l’Organisation internationale des réfugiés de l’ONU en 1946, le Haut-Commissaire pour les réfugiés en 1951) n’ont fait autre que transférer le drame des millions de réfugiés aux mains des organisations policières et humanitaires. La propagande officielle en temps de guerre démontre que ces deux rackets sont de plus en plus liés. Si l’État italien devait était pris au pied de la lettre lorsqu’il a appelé « opération policière internationale » le bombardement de la population Irakienne, de la même manière que l’on pourrait le faire avec la récente « opération humanitaire » contre les populations serbe et kosovares. Les réfugiés au nom desquels l’intervention militaire a été justifiée sont encore contraints à l’errance ou livrés (tout comme les déserteurs de l’armée serbe) à la police. Les organisations humanitaires s’enrichissent – il suffit d’aller en Albanie pour s’en assurer – dans l’ombre de la misère et des extermination.

Les Etats démocratiques se trouvent aujourd’hui dans la nécessité de refonder leur corps politique sans le paramètre de la nationalité. Mais être citoyen, même dans un territoire redéfini, sera la condition d’un nouveau Peuple, qui abrite en son sein des projets de plus en plus technologiques d’extermination de classes pauvres. Dans la domination de l’Economie et des Etats, des populations entières sont réduites à leur appartenance nue à l’espèce humaine, simple matière première pour toutes sortes d’expériences (productives, bactériologiques, génétiques, etc.). Le rapport de force déchainé par la machine économique, administrative et scientifique est celui de se réapproprier – même juridiquement – leur propre survie. Les autres sont confiés à la police et au marché de l’humanitaire.

C’est à l’échelle du monde intérieur – et à travers l’histoire – que la démocratie et sa citoyenneté doivent être jugées. On verra alors que les camps de l’infamie s’étendent de plus en plus autour des Villes. Leur exception est maintenant la règle, leurs enclos sont le vrai visage de notre présent.

Est-ce vraiment la seule solution, celle de lever encore les yeux vers le ciel du Droit ? En opposant l’Europe des biens et du fichage à une « Europe des citoyens et des peuples » ?

Adonis

Diavolo in corpo, revue de critique sociale, n°2 mai 2000

*La guerre des Boers (prononcé « bour ») est une expression qui désigne deux conflits intervenus en Afrique du Sud à la fin du xixe siècle entre les Britanniques et les habitants des deux républiques boers indépendantes.

cracher dans la soupe

Urugay: A propos d’attaques incendiaires contre des antennes de télécommunication

ruguay : A propos d’attaques incendiaires contre des antennes de télécommunication

Uruguay: revendication d’attaque incendiaire contre une antenne de télécommunications

Communiqué reçu le 30/08/2019:

En mémoire de celles et ceux qui sont tombé-e-s en défense des territoires face à l’avancée civilisatrice et technologique de ce système patriarkal-kapitaliste.

Tandis que nos feux coupent votre communikation, on entend au dehors les hurlements appelant à allumer le bucher final.

LECHU [1]: voilà ce que tu as semé.

C’EST LE CAPITALISME QUI BRÛLE L’AMAZONIE !!
UPM [2], NOUS LA BRÛLERONS NOUS-MÊMES!!

côte d’or, à l’aube du 28 août

les petit-e-s enfants de ludd

[Traduit de l’espagnol de contrainfo, 31.08.2019]

NdT:
[1] Surnom de Santiago Maldonado
[2] Entreprise finlandaise reposant sur l’exploitation forestière


Pour mémoire : Uruguay: à propos de l’incendie d’une antenne de télécommunications le 1er mai

Communiqué reçu le 08/05/2019:

Le contrôle totalitaire des territoires de la part du capital, exercé par les forces répressives de l’état, flics et armées, et l’ingénierie juridique qui défend la propriété par desssus la vie, posent problème à celles et ceux qui, comme nous, se lèvent en défense de la terre et de la vie et qui recherchent la liberté absolue de tou-te-s les êtres. L’impossibilité de mener une lutte ouverte à cause de l’exiguité de nos forces et du déséquilibre dans notre capacité à exercer la violence face à celle que l’état-capital exerce sur nous toutes et tous, nous amènent à porter la lutte à partir de l’ombre et des marges. Sans sous-estimer la protestation et la propagande, mais en sachant leurs limites tolérables dans le jeu démocratique, nous considérons que l’attaque devient urgente contre le système qui avance à une vitesse vertigineuse dans la dévastation de la planète, particulièrement lorsque un nouveau mega-projet promet de s’installer sur le territoire.

L’instrument du sabotage, comme manière de harceler et d’attaquer les installations de l’ennemi doit faire partie de cette lutte inégale, provoquer des pertes, couper des communications, retarder des projets de développement. Que ces actes s’étendent et se multiplient jusqu’à causer de sérieux problèmes à l’avancée capitaliste, tel est notre désir.

C’est dans ce cadre qu’à l’aube du premier mai nous avons incendié une partie de la structure d’une antenne de télécommunitions dans la zone de la côte.

L’importance du flux d’information dans nos vies de consommateurs, ainsi que dans chaque activité du capital, l’information en elle-même étant un type de marchandise inestimable; le contrôle sur les vies des personnes qui s’exerce au travers des réseaux sociaux, l’aliénation et la banalisation des liens, de même que tous les risques pour la santé que génèrent ces installations (et qui se verraient aggravés avec l’arrivée attendue de la technologie 5G), nous ont amené à choisir cet objectif et à réaliser l’action à une date si spéciale pour les insoumis-e-s.

Des égratignures sur la peau du monstre? Oui; peut-être, le fait qu’elles se transforment en blessures dépend de notre audace et de parvenir à l’extension et à la coordinnation d’actions

POUR LE KAOS ET L’ANARCHIE!!
UPM
DÉGAGE !!

[Traduit  de l’espagnol par sans attendre de contrainfo, 10.05.2019]

Parution:Face à Face avec l’ennemie

Souvenir: le grand plaisir dans les années 70 c’était voler à la librairie  Maspéro à  Paris.. Quel plaisir trouve celle et ceux qui viennent emprunter  à la bibliothèque du Laboratoire dans l’intention ne pas rendre les livres. D’accord les livres doivent circuler librement sans fichier mais je préférerais que ces livres circulent  sans que les personnes  les mettent en exposition  » at  home ».. Ce qui m’empêchera pas de continuer cette bibliothèque libre


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Nouvelle parution : Face à face avec l’ennemi

FACE À FACE AVEC L’ENNEMI
Severino Di Giovanni et les anarchistes intransigeants dans les années 1920-1930 en Amérique du Sud

560 pages – 13 x 19 cm
12 euros (8 pour distro)
une co-édition de Tumult & L’Assoiffé

Pour commander le livre, contactez:
Tumult tumult_anarchie@riseup.net) ou L’Assoiffé (lassoiffe@riseup.net)

Argentine, années 1920. Le vaste pays est en plein essor industriel et des milliers d’émigrés de partout débarquent dans le port de Buenos Aires. Ils y trouvent d’importantes agitations sociales, comme celle pour la libération des anarchistes Sacco et Vanzetti condamnés à mort, et un climat marqué par d’innombrables grèves, boycotts, sabotages et émeutes. C’est là qu’un anarchisme intransigeant va naître et faire violemment irruption dans la rue. En dehors des vastes organisations libertaires établies depuis des décennies, des anarchistes vont empoigner la plume pour appeler à l’action et le revolver pour vider les coffres des banques. Ils vont mettre la main à la mèche pour faire résonner la voix de la dynamite et à la pelle pour creuser des tunnels afin de libérer leurs compagnons incarcérés. Ils se tacheront les mains d’encre pour éditer des livres et mélangeront les acides pour faire sauter les socles de la société. Ils tireront à bout portant sur les tortionnaires et rejoindront, le journal et la marmite explosive dans le sac, les grèves et les agitations de rue. Mais surtout, ils vont réunir l’idée et l’action, la conscience et l’attaque, le cœur vibrant et la main décidée dans un formidable assaut contre la société autoritaire et capitaliste.

En suivant les traces de l’un d’entre eux, Severino Di Giovanni, ce livre fait revivre les parcours de dizaines d’anarchistes qui se sont battus jusqu’à leur dernier souffle contre tout ce qui représente le pouvoir, pour la liberté et l’anarchie.

 

Voici l’avant-propos du livre :

« J’ai beaucoup d’amour pour notre cause et je suis capable de tout pour la favoriser », écrivait Severino Di Giovanni quelques mois avant d’être fusillé dans une lettre à un autre compagnon. Son amour pour l’idéal anarchiste n’était pas platonique : c’étaient ses palpitations ardentes qui allaient le pousser à monter aux sommets rebelles de la pensée et de l’action. L’anarchisme n’est pas uniquement l’action, comme il n’est pas uniquement la pensée : il rejoint les deux aspects dans une grande accolade passionnée. En bonne compagnie, Severino est allé jusqu’au bout de son amour. Certains de ses compagnons sont morts sous les balles des sbires, d’autres ont passé de longues années derrière les barreaux ; quelques-uns sont partis en exil pour échapper à la répression, d’autres ont pu continuer à frayer sur place, dans les méandres de la guerre sociale, leurs chemins de combattants pour l’idéal.

Si leur champ d’action principal était l’Argentine et le côté uruguayen de la Río de la Plata, les anarchistes qui se sont retrouvés là dans les années 1920-1930 venaient de partout. Beaucoup avaient fui la réaction fasciste en Italie, d’autres la répression impitoyable en Espagne, d’autres encore, comme des milliers d’émigrés, étaient venus attirés par une fausse promesse de bonheur. Certains avaient déjà été expulsés à cause de leurs activités subversives aux États-Unis, mais pas mal d’entre eux étaient nés au bord de la Río de la Plata, dans la pampa argentine ou au pied des Andes. Et les circonstances dans lesquelles ils allaient rêver et agir étaient tout sauf pacifiées. L’industrie argentine était en plein essor, attirant de nombreux investissements de capitaux étrangers. Les conflits ouvriers et paysans étaient rythmés de grèves, d’attentats, d’émeutes, et souvent réprimés dans le sang. La plus grande fédération ouvrière du pays, la FORA (Federación Obrera Regional Argentina), était d’orientation anarcho-syndicaliste et était forte d’une longue tradition de lutte. Son journal, La Protesta, était le seul quotidien anarchiste au monde. Mais de nombreux autres groupements, unions, cercles et groupes anarchistes existaient en dehors de la grande organisation. Ils n’en partageaient pas les tendances centralisatrices, et rejetaient l’attitude de pompiers que certains de ses dirigeants adoptaient régulièrement. Il y avait par exemple des syndicats autonomes radicaux des boulangers, des cheminots, des dockers, des peintres, des mécaniciens, des taxis ou des maçons. Un autre grand journal, La Antorcha, hebdomadaire celui-là, existait et œuvrait dans un sens plus spécifiquement anarchiste, mais plein d’autres journaux et feuilles plus petits étaient édités dans nombre de villes et de régions du vaste pays. En plus, il y avait de nombreux cercles d’anarchistes immigrés, se regroupant plutôt par région ou pays d’origine.

La deuxième moitié de la décennie 1920 sont des années marquées par un mouvement massif de solidarité internationale pour arracher Sacco et Vanzetti à la chaise électrique, la montée du fascisme et de régimes totalitaires en Europe, et une accentuation de l’exploitation capitaliste partout dans le monde avant la Grande Dépression des années 30. Et au bord de la Río de la Plata, Severino Di Giovanni et ses compagnons allaient donner vie à un anarchisme intransigeant. Intransigeant quant aux idées, refusant de confondre l’anarchisme avec une sorte de syndicalisme radical, avec une version plus dure que le socialisme politique ou encore avec un antifascisme démocratique. Intransigeant aussi quant à l’agir : leur idéal n’était pas uniquement une vision du monde, une philosophie de vie, une perspective de transformation sociale, c’était aussi une déclaration de guerre à toute autorité, à tous ceux qui représentent et défendent l’autorité. Et dans cette guerre, il n’y allait pas y avoir de trêve possible.

Ces anarchistes s’organisaient dans différents cercles et groupes qui se liaient entre eux pour s’entre-aider, partager une logistique clandestine ou élaborer de plus vastes projets d’attaque. Ils considéraient la lutte anarchiste comme un tout. L’agitation peut se faire par les journaux, les tracts, les perturbations, et aussi par des coups de feu et des bombes. La révolution est la voie par laquelle passer pour abattre l’hydre étatique, les sangsues capitalistes et la société autoritaire, mais elle n’est pas un coup de tonnerre par ciel clair : elle est suggérée, préparée, encouragée et précipitée par les actions des minorités agissantes et les tentatives insurrectionnelles. Et c’est par amour pour l’anarchisme que ces réfractaires à tout ordre allaient exproprier des banques pour soutenir les anarchistes emprisonnés et financer l’édition de journaux et de livres. C’est par ce même amour qu’ils allaient abattre le tortionnaire et participer de façon explosive à des grèves générales. C’est encore par ce même amour qu’ils allaient faire tout leur possible pour libérer les leurs et critiquer durement les pontifes et leurs suiveurs qui préféraient les bêlements de moutons d’un grand mouvement organisé et dirigé au fracas de bataille des poignées disparates et des mêlées émeutières.

Leur point de départ était l’individu et sa rébellion, et non une quelconque catégorie sociale ou une organisation de masse. C’est tout naturellement qu’ils s’organisaient au gré de leurs affinités et connaissances plutôt que par adhésion formelle à un programme. S’ils employaient l’expression « anarchisme autonome », c’était pour souligner leur indépendance vis-à-vis des organisations syndicales (y compris de tendance libertaire) ou des organisations de synthèse (y compris anarchistes). S’ils se dénommaient volontiers « anarchistes expropriateurs », c’était pour marquer leur différence avec ceux qui subordonnaient leurs activités aux prescriptions du code pénal. Ils tendaient vers la qualité dans tout ce qu’ils faisaient : le combat pour les idées comme un chant de la vie. Pour eux, l’anarchisme, c’était aussi la beauté, la joie, la sensibilité, la compagnie de complices, la générosité, le courage… autrement dit, la montée des sommets. Ce n’est pas pour rien que l’on peut trouver dans les pages de Culmine ou d’Anarchia, journaux édités par Severino et ses compagnons, non seulement des appels à l’action, des apologies d’attaques, des articles d’agitation et d’analyse sociale, mais aussi des poèmes, des extraits littéraires, des textes historiques et philosophiques, des variations sur l’amour libre et des recensions artistiques. Car quand la vie brûle, elle veut tout dévorer. Elle dit oui à toutes les possibilités, elle affirme fièrement la volonté individuelle.

Sans surprise, les journalistes et les puissants ont traité Severino et ses compagnons de « terroristes » et de « bandits ». De l’autre versant, certains anarchistes de l’époque les ont qualifiés de « provocateurs » et de « fascistes ». Ne se limitant pas à mener une campagne systématique dans leur journal La Protesta contre « l’anarcho-banditisme » qui causait tant de remous dans les eaux stagnantes du « mouvement officiel », ils y rajoutaient des calomnies et des infamies, en particulier contre Di Giovanni. L’histoire de l’anarchisme est pleine de débats et de polémiques, parfois très durs et virulents comme celui-ci en Argentine à la fin des années 1920, et cela constitue quelque part aussi sa richesse. Si des principes de refus de toute autorité, sous toutes ses formes, sont au cœur du mouvement anarchiste, et qu’il exprime une tension vers la libération de tout joug, il bat au rythme des discussions et des divergences sur les méthodes de lutte, les perspectives de transformation sociale, les formes organisationnelles. Il ne s’agit donc certes pas d’avoir peur du débat (même dur) qui tranche, ou de craindre la polémique qui divise (au sens d’une exposition croisée de deux ou plusieurs points de vue nettement différents). Si les idées nous tiennent à cœur, il y a aussi à les chérir et les défendre, quitte à s’embrouiller possiblement avec d’autres. Par contre, la calomnie et l’infamie sont des armes qui ont blessé plus grièvement que les balles de l’ennemi. Ces procédés sont souvent employés, hier comme aujourd’hui, par ceux qui veulent exercer une hégémonie sur le mouvement, qui ne supportent pas que certains décident de courir, y compris dans tous les sens, plutôt que de suivre la marche lente (« du mouvement », « de l’histoire », « des contradictions sociales », etc.) et par les renégats qui n’ont même pas la dignité d’assumer leur renonciation à l’anarchisme qu’ils avaient peut-être embrassé un jour, mais qui leur est devenu trop lourd et exigeant.

Si l’histoire de cet anarchisme intransigeant de la Río de la Plata est largement méconnue, cela doit probablement avoir quelque chose à faire avec son contenu perturbant, ses gestes éclatants, son ardeur qui pousse à aller audacieusement au-delà des codes établis (y compris du « mouvement »). Comble d’ironie, c’est au final un journaliste démocrate libertaire et optimiste de l’être, qui se dédiera à la fin des années 70 à une grande recherche dans les archives pour déterrer l’histoire des « anarchistes expropriateurs ». Son livre fut interdit et brûlé par les militaires argentins au pouvoir, ce qui n’a pas empêché sa diffusion ultérieure et sa traduction en d’autres langues (parfois subventionnée par l’État argentin). Depuis, quelques autres essais, tous très lacunaires, ont été publiés, mais à l’instar du livre de celui qui qualifiait Di Giovanni comme « l’idéaliste de la violence », aucun n’a réussi ou cherché à reconstruire les différents parcours de ces dizaines d’anarchistes expropriateurs en Argentine et Uruguay, et encore moins à fournir les éléments pour situer, comprendre et dialoguer avec leur anarchisme intransigeant, basé sur l’autonomie de l’individu et des groupes, la coordination des efforts, l’action minoritaire, la solidarité.

Ces anarchistes, exhumés en dépit de l’oubli intéressé que leur vouaient les révolutionnaires au cortex cérébral en carton, arrachés aux intérêts académiques désireux de les confiner entre la mythopoïèse et la réduction de leurs parcours à une simple exaltation de la violence anarchiste. Soustraits à l’œuvre honteuse des incrédules, qui pensaient Severino incapable d’aimer mais publient pourtant ses lettres d’amour à sa jeune amante ; des médiocres, qui ne comprendront jamais les sentiments de celui qui répugne à une vie en chaînes parce qu’il aime trop le courage de les détruire. « Ce qui nous motive, c’est exclusivement le grand amour pour nos choses, » écrivait Severino à un compagnon. L’attention insidieuse qui leur a été dédié jusqu’aujourd’hui est bien au-dessous des aspirations qu’animaient ces compagnons. Nous proposons en français cet œuvre qui leur donnera enfin une place digne et cohérente dans notre patrimoine anarchiste.

Mais un avertissement est tout de même de mise. Ceux qui s’attendent à une lecture limpide et lisse seront déçus. Ceux qui aimeraient lire un roman d’aventures à défaut de vivre leur propre aventure feraient mieux de le mettre tout de suite de côté. Car ce livre, l’anarchisme dont il parle, ne se prête pas à une digestion facile. Si les appels sont fougueux, le sang coule souvent. Si l’amour pour l’anarchie est infini, l’ardeur pour le vivifier peut être implacable. Si la conviction et le courage poussent à aller vers les sommets, les chutes sont aussi abruptes que brutales.

On pourrait se poser la question. Que reste-t-il encore aujourd’hui d’un tel anarchisme fougueux et passionné ? Restent-ils encore aujourd’hui des compagnons et compagnonnes qui se jettent à corps perdu dans leur bataille, qui agissent en fonction de leurs possibilités, qui s’en donnent les moyens et sont prêts à faire des efforts pour aller au-delà de ces possibilités ? Qui embrassent l’action et la pensée, mélangeant la chimie explosive aux détonations de la poésie viscérale ? La rose qui a fleuri dans cette décennie-là au bord de la Río de la Plata était un anarchisme qui réunissait dans une grande accolade tous les aspects de la guerre contre l’autorité. Se dédier avec la même ardeur à l’édition d’un journal qu’à l’expropriation d’une banque, à la diffusion d’une parole anarchiste parmi les grévistes qu’au dynamitage d’un consulat, à la paralysie du transport ferroviaire qu’à la constitution d’une imprimerie, à l’amour pour les complices qu’à la destruction des institutions : voilà une accolade qui embrasse la vie tout entière.

Si ce dont il est question dans ce livre n’est pas une relique du passé, un récit appartenant à une époque morte et enterrée, mais quelque part aussi une suggestion actuelle pour tous, c’est à l’individu rebelle qu’il revient de relever le défi, et d’entreprendre à son tour la montée vers les sommets de la pensée et de l’action.

[reçu par mail]

Espagne: communiqué du compagnon Amadeu Casellas, depuis la prison de Brians

note: compagnon -ne  en recherchant j’ai trouvé concernant Amadeu Casellas le soutien  du secraitariat international de la  CNT ceci
c’est cette lhistoire récente  avant l’offensive d’infiltration des « blanquistes » Stratégie employée par Blanqui lui-même lors de  la première internationale( renseignements trouvé dans » L’émancipation Des Travailleurs – Une Histoire De La Première Internationale »)

ContraMadriz / vendredi 30 août 2019

Septembre 2008, pendant la grève de la faim d’Amadeu

Salut compas,
comme certain.e.s d’entre vous le savent déjà, je suis en prison depuis le 5 juin 2018, accusé par le tribunal n° 3 de Sabadell d’un vol avec violence à Sabadell, Barcelone.

Le jour de mon arrestation ils ont défoncé la porte de ma maison, mais les tueurs à gages de l’État des Mossos de Esquadra [la police autonome catalane; NdAtt.]n’ont rien trouvé de ce prétendu vol de presque 300.000 euros ; en fait les tueurs à gages de l’État me suivaient, apparemment depuis des mois, et je suis allé de chez moi au travail et retour, quelques fois au bar, entre autres parce que je n’avais pas d’argent et que ma mère a l’Alzheimer et je n’avais pas de temps pour autre chose.

Le fait est que cela n’a servi à rien que je travaille, qu’ils n’aient rien trouvé et que la victime elle même ne m’ait pas reconnu au début, ni qu’il s’agit d’un crime caractérisé dans le code pénal par une condamnation mineure, c’est-à-dire un maximum de cinq ans, ni qu’ils me doivent beaucoup d’années : le juge m’a envoyé en détention provisoire sans possibilité caution, du coup j’ai perdu mon emploi, tous les meubles, vêtements, appareils électriques, ma voiture, etc.

Pour pouvoir payer l’avocat, quelques amis et xxxx collectent de l’argent et moi, pour changer et comme toujours, le suis là, mais ça c’est la moindre des choses.

Dans la prison où je suis, Brians I, à Martorell, on a changé, mais en pire encore ; tout ce que nous avons gagné dans les luttes passées a été perdu ; il y a des modules dans lesquels les matons torturent physiquement les prisonniers, non seulement physiquement, avec des coups de poing et tabassages, mais aussi verbalement et psychologiquement ; en fait j’ai été témoin de certains de ces agissements. La nourriture est dégueulasse, de mauvaise qualité, froide, répétitive, peu abondante, bref, de la merde. Les horaires des ateliers sont incompatibles avec ceux du module, de sorte que les prisonniers qui travaillent aux ateliers ne peuvent pas se doucher, ni cantiner, et le magasin interne est sans doute le plus cher que le meilleur des magasins de la région. Bref, un centre d’extermination en règle, ce qui a toujours été. Tout ce qui se passe est connu par la direction du centre, par la direction générale, par le Tribunal d’application des peines, etc., et cela depuis des mois, car je l’ai écrit moi-même ; aucune réponse.

J’imagine que beaucoup d’entre vous n’ont pas le courage de commencer une autre lutte ; je n’ai pas arrêté depuis que je suis sorti en 2010 [après une série de condamnations qui lui ont fait passer environs 23 ans derrière les barreaux, pendant lesquels Amadeu n’a pas arrêté de lutter, aussi avec des longues grèves de la faim; NdAtt.], je n’ai pas arrêté, oui c’est vrai que la dernière année je n’ai pas été très actif, à cause des problèmes familiaux et économiques que j’avais et que j’ai, mais je suis conscient, et encore plus maintenant que je suis ici, que la lutte continue, et voilà.

Salut et anarchie

Amadeu
Martorell, le 18 août 2019

Pour lui écrire :
Amadeu Casellas Ramón
C.P. Brians I
Carretera de Martorell a Capellades, km 23
08365 Sant Esteve de Sesrovires (Espagne)

Conques-sur-Orbeil( Aude)En Amont des antennes relais

Mercredi 28 août vers 23h, un incendie s’est déclaré à l’intérieur du central téléphonique Orange de Conques-Sur-Orbiel, près de Carcassonne.
Très vite, une alerte donnée « par le dispositif [à distance] de supervision continue du réseau » a mis Orange sur les dents, mais trop tard : le feu avait eu le temps de ravager l’ensemble de l’intérieur du local technique de téléphonie, consumant ses répartiteurs et autres câbles Adsl et Wifi. S’agit-il d’un rare accident ou d’un suicide assisté comme c’est le cas depuis plusieurs mois contre les antennes-relais de téléphonie mobile et de télévision aux quatre coins du territoire ? Toujours est-il que « le départ de l’incendie a été localisé au niveau des installations électriques alimentant en énergie le central » selon les journaflics de France3 Occitanie.

Dans ce petit coin rural le résultat est éloquent : 26 communes concernées, partiellement ou en totalité, 2 676 lignes internet interrompues, plus 803 lignes privées de téléphonie fixe. La commune la plus touchée est celle où se trouvait le central, puisque toutes ses communications sont HS : téléphone fixe, téléphone mobile et internet.

Ce dernier point fournit en passant à tous les ennemis du techno-monde une information intéressante : l’incendie du central Orange a en effet déconnecté non seulement l’adsl (internet) de 26 communes, mais aussi les 3 antennes-relais du réseau mobile situées dans le secteur de Conques-Sur-Orbiel/Villegly. Autant ne pourront-ils pas mettre un flic derrière chaque pylône, ni devant chaque antenne, autant ils ne pourront pas non plus protéger chaque central téléphonique qui se trouve en amont de ces dernières. Tous ces centres de téléphonie et d’internet qui constituent autant de structures de la domination disséminées un peu partout, ces noeuds vitaux à la portée de tous les coeurs ardents qui ne résignent pas à la perpétuation de cet existant mortifère.

Il y a quatre-vingt-deux ans à Barcelone, en mai 1937, c’est la reprise en force par les staliniens du central téléphonique tenu par la CNT qui avait déclenché la première insurrection contre le pouvoir antifasciste républicain, conduisant notamment à l’exclusion du Groupe des amis de Durruti d’une CNT qui avait une fois de plus renoncé à son idéal révolutionnaire. Aujourd’hui, la question n’est depuis longtemps plus d’autogérer les structures du pouvoir au profit de la base, mais bien de les détruire tout court, comme il s’agit de détruire l’autorité et pas de la faire changer de main…

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Texte et Agitation: œillères solidaires

note du laboratoire:  la question de solidarité est tellement essentielle  . ça fait 2 mois qu’un compagnon  nous envoie des lettres de prison. Lettres passées à la censure, et aussi lu par les flics valentinois Personne dans la mouvance( mot valise) considère l’importance de ces courriers qui alertent d’un procès d’un ami du correspondant  qui va avoir lieu  le 26  septembre. il demande simplement d’être en contact, pour un ami, avec une caisse de solidarité pour une aide juridique( l’avocat flic s’abstenir) Mails adresser pour prendre contact déjà envoyés( aucune réponse). l’infokiosque du laboratoire peut se déplacer pour prendre contact en direct avec  celles et ceux qui prennent contact par quelque moyens( mail, courrier, visite au laboratoire)

Oeillères solidaires
Oeillères solidaires
 trouvé sur face de bouc  l »Épine
Ce texte a été écrit en février 2018, en réaction à un article sur la solidarité publié en janvier dans le n°2 du journal anarchiste francophone Kairos. Je leur ai proposé à la publication, mais n’ayant pas eu de réponse de leur part, il a circulé par d’autres biais. Comme il a eu des retours positifs, j’ai eu envie de le retravailler un peu, et de le sortir en brochure.
Le texte est évidement imparfait, et plein de paradoxes. Il est à l’image du fouillis conflictuel dans ma tête, de l’envie impulsive d’en découdre, et de l’impuissance d’y parvenir complètement. Écrit à plein de mains, avec beaucoup de rage, un peu de douceur, et une pointe d’amertume. A défaut de faire bouger ou de créer des conflits, puisse t-il au moins faire écho à d’autres, et nourrir cette colère et cette pugnacité qui nous maintienent en vie…
joiedevivre (a) riseup. net
Puisque l’on parle de solidarité [1], je profite de l’occasion pour partager quelques réflexions que j’ai en tête depuis un moment, sur les contours et les conditions que je veux poser à mes gestes de solidarité. Et plus généralement sur comment j’envisage mes affinités.
Je trouve très belle la vision qui est présentée dans Kairos, et pertinent de souligner l’importance de l’offensive, sans minimiser le fait que ce ne sont pas les attaques à l’extérieur qui permettent de cantiner.
C’est la partie sur l’infime catégorie de personnes avec qui l’auteure veut exprimer sa solidarité qui à mon sens mériterait d’être complétée. Dans le texte, on parle de limiter sa solidarité aux personnes qui adoptent un certain type de comportement face à la justice, et de ne pas idéaliser les détenu.es. [2] Très bien, j’ai envie d’ajouter que visiblement, il ne semble pas très malin d’idéaliser les anarchistes non plus, et pour moi incomplet de se préoccuper uniquement de leur comportement face aux keufs et à l’enfermement.
Ma réflexion part notamment du constat que de nombreuses personnes dites « compagnonnes » se retrouvent impliquées dans des histoires d’agressions ou de viol, d’autres dans des dynamiques autoritaires, et qu’encore plus nombreuses sont celles qui ne veulent pas prendre position sur ces thématiques. Et que lorsque ces personnes subissent la répression, les initiatives de solidarité fleurissent, parce que se sont des personnes « en révolte ».
Au delà de savoir quel est le déclencheur de cette solidarité, je me pose donc la question suivante : est – ce que se définir anarchiste se limite à une méthode de conflictualité, ou bien à se retrouver autour d’un ensemble de valeurs, qui ne nous sont pas imposées mais que dans la mesure du possible nous choisissons, et qui a priori impactent chaque aspect de nos vies, et nos façons de nous comporter les un.es envers les autres ?
J’imagine que la plupart se retrouveront dans la seconde hypothèse. Donc on ne doit pas entendre la même chose par « se comporter les un.es envers les autres ». Je trouve qu’il y a une hypocrisie de ouf à ne pas parler des dynamiques de merde dans certains milieux (et qu’on ne me dise pas que le milieu ça n’existe pas, quand bien même ça n’est pas une dynamique que l’on veuille encourager), et que les peu d’exemples qui sont débattus et exemplifiés ne concernent quasiment que le refus de la spécialisation ou du leadership, toujours donc dans des visées organisatrices. Qu’on ne parle pas, ou si peu, dans dans la perspective de rendre concrètes nos valeurs anarchistes à tous les aspects de notre quotidien, de comment on se comporte les unes avec les autres, quand on fait autre chose que de la « guerre sociale » ou de la « guérilla urbaine ». Quand on est pas en train de penser lutte, organisation, propagande, action, etc. Bref, quand on fait toutes ces petites choses qui paraissent peu dignes d’intérêt pour l’expression de nos révoltes.
Je pense que tant qu’on continuera à ne pas prôner le fait de parler en terme de « personnel » parce que ça ne sonne pas assez véner, que ça n’est pas attirant pour les adhérents potentiel à l’insurrection (voire que c’est un repoussoir pour des complicités éventuelles), parce qu’on ne veut pas alimenter de réflexions auto-centrée, créant un « nous » et un « les autres », ou juste parce qu’on ne sait pas le faire, ben on continuera à soutenir des gens qui ne craignent pas les années de prison mais qui n’ont jamais voulu entendre parler de consentement. Qui attaquent le pouvoir sous toutes ses formes, sauf celle qui s’exerce dans nos intimités. Et ça ne me va pas. Par « personnel », j’entends parler de nos galères pour construire des relations débarrassées de tout ce qu’on trouve dégueulasse dans ce monde, pour incarner au mieux les individu.es que nous avons envie d’être, pour prendre en compte les petits gestes du quotidien qui nous font reproduire les normes desquelles nous prétendons vouloir nous échapper, en les détruisant.
Au passage, je voulais faire une remarque sur la note du texte « En cours de route, chronique de toujours » tiré du deuxième numéro d’Hérésie ; que je me permets de citer puisque le texte n’est pas trouvable en ligne [3] : « […] Si personnellement je ne suis pas ce ceux/celles qui ont envie de parler de sexualité dans des textes, c’est parce que pour moi c’est de l’ordre du privé et je ne l’associe pas à mes idées, ce sont deux choses différentes. […] » Je manque sans doute de billes pour comprendre avec justesse la pensée de l’auteur.e d’Hérésie. Comment ne pas reconnaître le potentiel coercitif de la sexualité, et des relations en général, et comment espérer s’en défaire, si l’on n’en parle pas ?! Les idées anarchistes, dans ma compréhension du monde, concernent absolument tous les domaines de la vie, puisque la domination est possiblement présente dans chacun d’eux. Elle concerne la façon dont je me révolte, la façon dont je consomme, la façon dont je baise, dont j’écris, je parle, je pense, dont je me rapporte au monde. Je veux que chacun de mes actes soit influencé par la façon dont je pense, et je ne vois pas bien je pourrai faire autrement. Ce qui ne veut pas dire, évidement, que j’agis toujours en accord avec mes valeurs (entre autres parce qu’elles sont floues, mouvantes, parfois contradictoires, et surtout bien trop exigeantes !), mais je veux reconnaître mes erreurs et mes compromis pour ce qu’ils sont : des désaccords avec mes idées.
Je tiens à préciser que je ne cherche pas à reproduire un système judiciaire divisant le monde en deux catégories d’innocent.es ou de coupables. Il ne s’agit pas de distribuer à tout va les étiquettes d’agresseurs à des personnes qui les garderaient à vie. Je veux ma pensée plus subtile, en cherchant à pointer du doigt la non remise en question des logiques de pouvoir qui nous animent. Pas tant les actes finalement, que les réactions qui les entourent. Je pense qu’on a tous et toutes (dans une moindre mesure sans doute) commis des agressions sur nos proches. Ce qui fait la différence pour moi c’est quel travail on entame ensuite pour en commettre le moins possible. Pour ne pas se voiler la face quant aux agissements des autres.
Je ne veux pas non plus lancer une campagne de flagellation généralisée, et critiquer la solidarité en soi. Mais je ne me sens pas solidaire simplement parce qu’il y a répression, pour faire un bloc face au contrôle de l’État. Bien que je puisse comprendre cette position, elle ne laisse pas de place pour individualiser les personnes qui subissent la répression, et tout comme je ne veux pas faire de catégorie « opprimés » je ne veux pas faire de catégories « réprimés ». Évidemment, quand je vois des actes de rupture avec la soumission, et que des personnes subissent la réponse de l’État pour ces actes, j’ai envie de les soutenir. De leur dire qu’elles m’ont fait rêver, que je salue leur courage, leur audace, leur détermination. D’autant plus quand des mots sont posés sur des attaques, et qu’ils les rendent plus explicites. J’y vois un intérêt, puisque ça me permet de savoir à quel point je partage ou non certaines des valeurs des personnes en question. Je peux comprendre qu’il soit reproché à certain.es de déballer leur vie sur des communiqués, d’exprimer des ressentis plutôt que de la propagande, (si tant est qu’il soit malin d’opposer les deux), mais au moins ça peut donner une idée sur ce que sont les personnes, au delà du fait qu’elles se révoltent. Parfois ça m’irrite parce que j’y vois trop de postures, parfois ça me fait me sentir plus proche des auteur.es. Et quand je vois les agissements autoritaires de certaines personnes, je me dis que j’ai plutôt envie d’en savoir plus sur les personnes qui subissent la répression, et avec qui je serai susceptible de me solidariser. Ces derniers temps, on pouvait lire des témoignages de solidarité qui n’étaient pas inconditionnelle, mais précisaient une certaine vision de l’attaque et de la révolte, et je trouve ça pertinent. Parce que cela fait exister le fait qu’il n’y a pas que les attaques spectaculaires qui nourrissent des révoltes contre la (les ?) domination(s).
Par là je ne veux pas du tout prôner un agir centré uniquement sur le relationnel et l’introspection. Moi aussi, je veux me méfier des réflexes communautaires et de l’idée qu’on pourrait créer des espaces libérés de toutes formes d’oppression. Je suis pour les démonstration de solidarité, qu’elles passent par des gâteaux maisons ou des attaques. Pour envoyer de la chaleur aux personnes qui nous inspirent, par leurs actes et/ou leurs écrits. Mais je n’ai plus envie de me fourvoyer en pensant que quiconque se définit comme anarchiste et prône l’attaque est une personne géniale à côtoyer dans la vie aussi. Je ne laisserai pas la pratique offensive anarchiste aux mains de quelques connards (ou connasses !) imbus d’eux-mêmes, qui mettent tout en jeu, sauf leurs égos.
Parce que l’égo, si c’est pour moi un rempart indispensable contre les logiques qui voudraient nous soumettre, est aussi quelque chose qu’il faut savoir attaquer à des moments, lorsqu’il devient le moteur d’un refus de se remettre en question et d’évoluer. Comme tout le reste, il est construit et malléable. Et s’il renforce mon individualité et qu’il est l’expression de mon unicité, je sais qu’il m’empêche aussi d’être accessible à la critique.
Je me souviens, qu’à la phrase de Cospito qui faisait tiquer des potes, « La qualité de la vie d’un anarchiste est directement proportionnelle au dommage réel que celui-ci inflige au système mortifère qui l’opprime » [4], j’avais envie de voir, un peu hypocritement, parce que j’aime bien ce que dégage Cospito, – peut-être à tort – tout ce qu’on pouvait mettre derrière le terme « dommages réels ». Destruction de normes, destruction de nos constructions genrées, autoritaires, destruction de nos réflexes de peur et de soumission, etc, et pas uniquement dégâts matériels. Mais tristement je me trouve peu d’exemples d’écrits chez les anarchistes pour étayer mon propos. Je pense au « Communiqué d’actions anarchistes et réponse aux nihilistes » (Anonyme, de Barcelone) [5], qui rejoint sur des bouts ma pensée, mais dans lequel je ne me retrouve pas du tout, pour des raisons qu’il ne me semble pas nécessaire de préciser ici.
J’ai un problème évident à l’idée de parler de « la qualité de la vie d’un anarchiste » telle qu’en parle cette phrase. J’aborderai plus le problème sous l’angle de la cohérence, de ce que moi, j’entends par anarchiste individualiste, et de qui me semble être de l’ordre de l’idée communément admise : « Volonté de destruction de tout rapport de domination » ; et, « On est les propres acteures de notre soumission ». Donc… On essaye de changer (aussi) nos façons de se rapporter au monde ? On apprend à ne plus baisser les yeux face aux expressions de l’autorité ET à ne pas nous même en être une expression ? On pourra me rétorquer que l’on ne cesse jamais vraiment d’être l’autorité de quelqu’un.e d’autre. Certes, je suis plutôt d’accord. Mais on ne dansera (probablement) jamais sur les ruines de ce monde non plus, et ça n’empêche pas que des bâtiments soit réduits en cendres. Il y a des formes autorités/de pouvoir inhérentes à toute relation interpersonnelle, et il y a le fait de reproduire des dominations systémiques et de refuser de se questionner.
Y a un truc qui me gène sur lequel j’ai du mal à mettre des mots. On ne veut rien repousser à plus tard, la révolte c’est ici et maintenant, totale et sans compromis. On parle de la société et de ses normes, des institutions qui annihilent l’individu, on parle de détruire et de se révolter. Mais on ne parle pas de comment on se relationne les un.es aux autres. De comment les valeurs-de-cette-société-qui-sont-des-prisons-de-hautes-sécurités se traduisent dans nos vies. Pourquoi ? J’ai pas non plus envie de laisser l’analyse des rapports de dominations interpersonnelles aux mains des matérialistes de tout poils ; parce que je ne me retrouverais pas dans leur grille de lecture bien trop figée, qui a une certaine tendance à transformer les dominations structurelles en lois mathématiques et les rapports sociaux en équations, mais dans laquelle il y a quand même des choses pertinentes. Le fait qu’on soit assigné.es à des catégories sociales, qu’elles conditionnent d’une façon où d’une autre qui nous sommes, que l’on ne choisisse pas notre point de départ dans les hiérarchies sociales, et que ça ait un impact sur nos actes par la suite.
Je n’ai donc pas de réponse toute faite en ce qui concerne la solidarité. J’ai la sensation que c’est un discours plus général qui fait défaut. Une envie de parler de choses qui sont peut être moins flamboyantes, mais qui transforment tout autant nos vies. Et quoi qu’il en soit, me déclarer solidaire « des anarchistes » ou plus largement encore « des révoltés » sans savoir ce qui se cache derrière cette affirmation, me laisse un goût amer dans la bouche. J’aimerais que les expressions de solidarité puissent aussi être conditionnées aux personnes qui se mettent en jeu dans tous les aspect de leur vies, qui questionnent, agissent, et acceptent la remise en question. Soit qu’elles le laissent transparaître dans leur communiqués, soit dans leurs lettres publiques, soit que l’on puisse se faire une idée par d’autres biais. Il ne s’agit pas d’encourager des postures qui seraient adoptées dans le but d’obtenir de la solidarité mais bien de s’attaquer honnêtement à tous les aspects d’une guerre menée contre chaque forme sous laquelle la domination s’exerce.
On parle de conflictualiser nos rapports au monde qui nous opprime, moi j’ai envie de conflictualiser aussi nos rapports dans l’intime qui nous opprime.
  • Joie de vivre
[Repris de Infokiosques, 20 mai 2019]

NOTES

[1] Pour lire l’article de Kairos auquel il est fait allusion : Kairos n°2.
[2] Extrait : « Bien que je désire en finir avec la Justice, les prisons et toute forme d’enfermement, donc que je désire la liberté pour toutes les personnes incarcérées, je ne suis solidaire que d’une infime partie d’entre elles. Suis- je en effet solidaire des personnes qui laissent le temps s ’écouler, résignées, courbant l’échine devant le système pénitentiaire, ou s’adaptant au moins pire, essayant de gratter quelques menus bénéfices ? Des personnes de merde, qu’on peut trouver en taule (tout comme dehors) ? N’idéalisons pas les détenu.e.s, en tant que victimes d’une Justice haïe : nombre d’entre elles sont loin d’être des individus avec qui je voudrais avoir des contacts. »
[3] Mais disponible en format papier en écrivant à diomedea (a) riseup. net.
[4] Voir l’interview de d’Alfredo Cospito par la CCF, Nous ne voulons plus attendre, p.25.
[5] Toujours dans la brochure Nous ne voulons plus attendre, p.58.