repris tardivement sur non fides http://www.non-fides.fr
Les 8 et 9 décembre derniers, le Téléthon a célébré ses vingt ans d’existence en France. L’Association Française contre les Myopathies (AFM) a été créée en 1957 à l’époque où l’état, plus marqué en France qu’ailleurs par l’idéologie pasteurienne de la médecine infectieuse, considérait que les cas particuliers, réels ou supposés, qui ne relevaient pas de telles pathologies, étaient négligeables. Les politiques sanitaires de l’état visaient, pour l’essentiel, à maintenir la force de travail et à éviter les épidémies qui lui étaient préjudiciables. Les myopathes, entre autres, mouraient alors isolés dans l’indifférence générale, entretenue par ailleurs par les dirigeants de l’Assistance Publique [1] . En 1986, la rencontre de l’AFM avec le CEPH (Centre d’étude du Polymorphisme Humain), laboratoire en manque de reconnaissance sociale et de financement, produira le premier téléthon. Dès 1987, un virage à 90° est pris [2] et les myopathes vont servir de vitrine larmoyante au complexe génético-industriel à grand renfort de mobilisations de masse, partout relayées par des mairies, des écoles, les entreprises, des groupes sportifs, des artistes, des militaires et même des détenus. à travers le Téléthon, l’objectif visé est la construction de l’acceptation sociale de la génétique et de son expansion à tous les domaines : à commencer par la médecine, dans laquelle on généralise l’approche génétique à toutes les maladies, l’agriculture avec les OGM ou encore la police avec les tests ADN.
Voilà comment, dans leur monde à l’envers, les généticiens escamotent l’essentiel, ou le considèrent comme annexe : les conditions de vie destructrices qui sont les nôtres aujourd’hui nous prédisposent à nombre de maladies, et même à des mutations plus dangereuses, bien plus que notre héritage génétique. Avec l’accélération de l’industrialisation du monde, les maladies se multiplient : d’anciennes épidémies reviennent au galop, comme la tuberculose ; de nouvelles apparaissent comme le sida. Le cancer est en expansion rapide, en particulier à cause de l’accumulation de facteurs mutagènes, des pesticides [3] aux radiations nucléaires. Cette vision réductionniste de la vie et de la maladie présente l’avantage pour les gestionnaires de la domination de rechercher dans le génome de l’individu isolé la cause essentielle de son « dysfonctionnement », voire les outils de sa « réparation ».
La peur de la maladie alimente la demande croissante de sécurité et de contrôle. Au besoin, les généticiens inventent des gènes ad hoc, comme celui de l’obésité, de l’homosexualité, du suicide, du crime… La peur est le fonds de commerce des mécanos de choc du Généthon. Ils nous invitent à nous faire tester pour déterminer ce qui est hors normes dans nos corps et dans nos esprits, et quelles précautions nous devons prendre au jour le jour en fonction de nos « prédispositions », comme citoyens responsables de notre « capital santé » face à la société, grâce au « conseil génétique ». Police en blouse blanche, chargée de détecter nos « déviances » et nos « faiblesses », les généticiens comptent bien échanger leurs fichiers contre le financement de leurs activités [4] . L’état moderne a toujours fait appel à la médecine pour justifier la coercition qu’il exerce. Pour adapter les hommes aux cloaques urbains créés par la révolution industrielle, la santé est devenue affaire d’état. Les biotechnologies à usage médical poussent encore plus loin la « gestion » des hommes comme du bétail tout juste bon à être domestiqué puisque, de l’aveu de Daniel Cohen [5] , c’est « notre cerveau qui est en dessous de l’évolution de la société ». Leur programme reprend celui de la génétique agricole, qui se propose avec les OGM d’adapter la plante à la surenchère des pesticides. Il s’agit dès à présent d’adapter les individus à l’environnement social devenu invivable, quitte à manipuler leur génome. Derrière l’écran de fumée de la philanthropie, leur objectif apparaît clairement : c’est ce qu’il reste de capacité de résistances à la domination qu’elles veulent briser.
Le Téléthon donne bonne conscience aux citoyens modèles, pétris de bonnes intentions moralisatrices qui trouvent plus confortable aujourd’hui de croire que les maladies sont dans les gènes, comme ils ont cru hier qu’elles étaient dans les microbes, de verser quelques larmes de crocodile et de mettre la main au portefeuille sans plus se poser de questions. Sous le vernis du progrès médical, le monde que les biotechnologies participent à mettre en place n’est pas celui d’individus et de communautés libres, capables d’affronter de façon aussi consciente et autonome que possible ce qu’il y a de douloureux dans l’existence humaine, à commencer par la maladie et la mort. C’est celui des tartuffes scientistes qui annoncent sans rire le règne de la santé parfaite pour la fin du siècle… au milieu des décombres.
[Cet article est fortement inspiré par un très bon quatre pages de « Quelques ennemis du meilleur des mondes », à lire ici.]
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Notes
[1] « Contre tous les dos tournés, la ville hostile, la médecine absente, la recherche timorée, la presse silencieuse, j’ai décidé de mener ce combat, le refus de la mort annoncée », Bemard Barataud, cofondateur de l’AFM.
[2] « Faute de pouvoir attaquer la localisation de nos quarante maladies, nous en sommes venus à financer la cartographie du génome humain. », B. Barataud.
[3] Fait symptomatique : le projet Génome Humain est né dans le département américain de l’énergie, responsable du programme nucléaire des états-Unis, dans le cadre d’études sur l’identification des séquelles génétiques dues à l’irradiation après Hiroshima et Nagasaki.
[4] L’accès aux fichiers médicaux, y compris génétiques, a permis aux compagnies d’assurance californiennes de rayer les « personnes à risques » de fonds de pension. En France, la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) a lancé un programme de recherche sur les bases biologiques et génétiques des prédispositions à certaines maladies professionnelles.
[5] Daniel Cohen, créateur du Téléthon, trouve dans son livre Les gènes de l’espoir un certain charme à Galton, biologiste anglais, inventeur de l’« Eugénisme » à qui il ne reproche qu’une connotation raciste « somme toute marginale ».