lu sur le site de l’Organisation communiste libertaire http://www.oclibertaire.lautre.net/
Vivre Mai 68 à 20 ans avait évidemment marqué René-Pierre à jamais, comme bien d’autres, et il aurait atteint ses cinquante ans d’un engagement aussi actif que tenace dans des collectifs militants et des luttes sociales si un véhicule n’était venu stopper net, et absurdement, le cours de son existence en le renversant mercredi 7 décembre à Lyon.
Au cours de la décennie 1970, René-Pierre Carriol baigna dans les multiples mouvements contestataires de la période, militant particulièrement pour une écologie sociale et politique et dans les milieux antinucléaires, et s’intéressant aux expériences communautaires dans la vie quotidienne. Il aimait arpenter seul les rivières en pêchant à la mouche (au Pays basque, en Suède ou ailleurs) mais aussi partir se promener en fourgonnette à l’aventure avec une copine ; il aimait écouter des chanteurs engagés – par exemple Morice Benin (Il faudrait toujours pénétrer les gens par leur porte de service…) –, aller rire aux spectacles de Font et Val (à l’époque où ce dernier n’était pas encore infâme), lire, aller au cinéma, faire de la photo, collectionner les journaux militants…
Après avoir été étudiant pendant plusieurs années en sciences à Jussieu, il avait choisi d’échapper au service militaire en partant enseigner comme coopérant dans un petit village au pied de la Kabylie, en Algérie – pays où il conserva des ami-e-s, la fidélité dans ses relations étant une de ses qualités, et pour lequel il garda un intérêt et un attachement certains. Il avait ainsi connu Vital Michalon, professeur dans le même établissement que lui, qui participa comme lui à la grande manifestation de Creys-Malville, dans l’Isère, contre le projet de centrale nucléaire de Superphénix le 31 juillet 1977, et qui y fut tué par la déflagration d’une grenade offensive.
De retour en France, René-Pierre sillonna avant la mode Paris à vélo, pour participer aux actions de nombreux comités de lutte ou pour vendre La Gueule ouverte (mensuel qui deviendra hebdo, fondé en 1972 par Pierre Fournier, et animé par Cavanna, Cabu, Reiser, Wolinski…) et le Charlie Hebdo de la bonne époque. Il fit également partie de divers collectifs vendant ou réalisant des publications d’extrême gauche et libertaires. Des librairies telles que La Boulangerie, à Montrouge (en 1977), et La Gryffe, à Lyon (il en suivit l’expérience dès sa création en 1978, et en fut longtemps un des animateurs quand il eut emménagé dans cette ville au milieu des années 1990). Et surtout des revues : René-Pierre intégra le groupe anarchiste qui publiait La Lanterne noire (trimestriel ayant paru de 1974 à 1978, réa- lisé par des anciens d’Informations et correspondances ouvrières et de Noir & Rouge, et où il signait Consort). Il connut également, lors de campings internationaux libertaires, des membres du collectif lyonnais qui concoctait, sur les pentes de la Croix-Rousse, Informations rassemblées à Lyon (IRL), et se mit à suivre ses assemblées générales et à aider à sa diffusion. Quand la rédaction d’IRL souhaita du renfort, au début des années 1980, René-Pierre créa avec d’autres une rédaction parisienne et IRL fut rebaptisé Informations et réflexions libertaires. Cette collaboration dura jusqu’en 1986, où le groupe lyonnais d’IRL poursuivit quelque temps seul sa route (ainsi que les productions de l’Atelier de création libertaire) avant d’arrêter ce journal, tandis que le groupe parisien fondait le bimensuel de réflexion libertaire Noir & Rouge (appelé ainsi en hommage à la première revue de ce nom) en sep- tembre. N&R se voulait un « outil militant pour toutes les personnes en lutte contre l’exploitation et l’oppression » et visait à « favoriser la réactualisation de la pensée libertaire par sa confrontation à la réalité sociale ». 33 numéros virent ainsi le jour jusqu’en 1995.
Ce qui frappait chez René-Pierre, quand on le rencontrait, c’était son rire sonore et ce regard qui semblait vous étudier – un peu comme si vous vous trouviez sous un microscope électronique à balayage à la place de ses petits crustacés préférés, les balanes. Ayant fini par présenter une thèse d’Etat en paléontologie, René-Pierre était en effet devenu un des rares spécialistes de ces bestioles au niveau international, et il passait dès qu’il le pouvait quelques heures en chercheur libre au Muséum national d’histoire naturelle à Paris – tout en gagnant sa vie comme professeur de SVT dans un lycée de la région parisienne puis dans un collège à Lyon, et ensuite en étant à la retraite.
La Nouvelle-Calédonie fut aussi un terrain militant pour lui, avec les « événements » qui s’y dé- roulèrent à partir de 1984 : après la création du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) en septembre et sa décision de boycotter les élections territoriales de novembre (80 % d’abs- tentions chez les Kanak), l’assassinat en janvier 1985 d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro, figures du mouvement indépendantiste kanak, par deux tireurs du (GIGN) ouvrit une longue série de meur- tres commis dans la plus parfaite impunité par les forces de l’ordre (jusqu’au massacre des indépen- dantistes kanak se trouvant dans la grotte d’Ouvéa, le 4 mai 1988). Comme nombre d’autres militant-e-s libertaires et d’extrême gauche, René-Pierre s’investit alors des années durant dans le soutien au peuple kanak – à travers l’Association information et soutien aux droits du peuple kanak (AISDPK) mais aussi dans la Coordination libertaire anticapitaliste (CLA), qui réunissait des membres de divers groupes et organisations anarchistes, ou encore par le biais de l’émission « Peuples en lutte » sur Radio-Libertaire.
Et puis René-Pierre prit une part active à l’expérience du local Des libertaires éditent (DLE), à Pantin : il s’agissait de favoriser la diffusion des publications libertaires par la gestion d’un lieu en commun. DLE accueillit pendant quatre ans, à partir de 1990, divers collectifs parisiens – comme N&R, OCL-Paris ou le groupe de discussion Berneri (ancêtre de l’actuel Socialisme ou Barbarie, dit SouBis) – et lyonnais, comme Temps critiques ; mais ce local servit également au stockage de titres de l’ACL, de La Digitale ou de Nautilus, et de périodiques tels que la revue Iztok sur les pays de l’Est.
Après quoi, René-Pierre partit s’installer à Lyon avec Cecilia, devenue sa compagne quelques années auparavant. Il adhéra alors à l’Organisation communiste libertaire (OCL), dont il se sentait proche depuis sa création sur le plan des idées comme de la pratique. Dans la lignée de ses préoccupations militantes premières, René-Pierre tenait depuis quelque temps la rubrique « Vertement écolo » dans Courant alternatif, sous la signature de Scylla. L’OCL gagna avec lui un militant assez discret dans les réunions, mais toujours ferme dans ses avis et sérieux dans le suivi des tâches dont il se chargeait. Les camarades et ami-e-s que René-Pierre y comptaient ne sont toujours pas revenu-e-s de sa brutale disparition, qui les laissent sans voix, et partagent avec Cecilia, la compagne de René-Pierre pendant quelque vingt-cinq ans, sa profonde affliction.
Organisation communiste libertaire