Fragments d’entretien avec Juan García Oliver
nous avons choisi de publier l’entretien avec Juan Garcia Oliver( « l’échos des pas »ed coqulicot en introduction de la présentation de la publication en deux volumes » les fils de la nuit souvenir de la guerre d’espagne« . Sans esprit de polémique et avec une volonté de débattre ..Ce débat fut interrompu après la diffusion du film « Ortiz, Général sans dieu ni maître” .
paru À contretemps, n° 17, juillet 2004
Nous arrivons au soulèvement militaire de juillet 1936. Comment as-tu vécu les événements ?
Cela peut paraître présomptueux, mais je les ai vécus comme je m’attendais à les vivre. Les membres du Comité de défense confédéral de la CNT de Catalogne se sont opposés au soulèvement militaire exactement comme ils avaient prévu de le faire. Nous savions par avance comment les factieux opéreraient. Ils n’étaient pas trop imaginatifs, d’ailleurs, dans la technique du coup d’État. Eux, en revanche, nous connaissaient mal. Ils pensaient qu’il s’agirait d’une balade militaire, sans vraie résistance de notre part, comme d’habitude. Leur ignorance, c’était notre point fort. La nouveauté, c’était qu’il existait une force bien organisée, les cadres de défense, décidée au combat.
Concrètement, comment cela s’est-il passé ?
Plusieurs casernes avaient été récemment ouvertes par les autorités. Elles formaient une sorte d’éventail et dominaient les quartiers ouvriers excentrés de la ville. Un des problèmes qui se posaient à nous était le suivant : fallait-il laisser sortir les militaires des casernes ou pas ? L’autre problème, c’était celui de la grève générale. Fallait-il y appeler ou pas ? Dans mon esprit, il ne fallait pas, d’abord parce que son degré d’efficacité, dans tous les cas, est contestable, et, ensuite, parce qu’elle aurait mis la puce à l’oreille des insurgés. L’idéal, de mon point de vue, c’était que les travailleurs soient dans la rue sans qu’il y ait d’appel à la grève générale. Nous avons finalement donné deux mots d’ordre : d’une part, laisser les troupes sortir des casernes pour éviter que celles-ci ne se transforment en bastions et, d’autre part, dès qu’elles sortiraient, actionner les sirènes des usines textiles et des bateaux stationnés dans le port, comme arme psychologique. C’était un pari. Nous pensions que, si aucun signe de notre part ne les faisait douter de leur victoire, les troupes n’auraient aucune raison d’être surarmées. Le pari fut gagné. Attaqués sur leurs arrières, les militaires furent surpris et rapidement affaiblis. Manquant de munitions, ils se rendirent peu à peu. Le seul événement qui n’était pas prévu, ce fut l’attitude de Goded, le chef de la rébellion à Barcelone. Voyant que la situation était désespérée, le général Goded demanda à parlementer avec Companys, le président de la Généralité, pour se rendre aux autorités et signer un cessez-le-feu. Le problème, c’est que la seule autorité légitime, alors, était le Comité de défense confédéral de la CNT, et non la Généralité. Nous avons donc décidé de continuer la lutte jusqu’à la déroute définitive des insurgés. La décision fut prise place du Teatro, sous un camion, par le comité. Voilà comment ça s’est passé. En gros, sans surprise.
Ton récit n’accorde aucune place à ladite spontanéité des masses…
Elles nous ont suivis. La « gymnastique révolutionnaire » supposait que les cadres de défense soient les premiers à se battre et à courir les risques. Là était la différence avec les pseudo-révolutionnaires qui pratiquaient la méthode « armons-nous et partez ». En voyant descendre les dirigeants de la CNT de Pueblo Nuevo vers le centre-ville, la classe ouvrière a compris que, cette fois-ci, l’heure de la révolution avait réellement sonné. À Saragosse, en revanche, ils ont fonctionné « à l’ancienne » : le comité de grève a appelé à la révolution et s’est planqué dans une cave. Comme c’était normal, il n’a pas été suivi.
Le 20 juillet a lieu la célèbre rencontre avec Companys. Comment s’est-elle passée ?
Une fois les combats terminés, Companys s’est adressé au comité régional de la CNT, qui a désigné une délégation. Comment s’est passée la rencontre ? Nous avons écouté les propositions de Companys et nous nous sommes retirés pour en discuter.
Quel était ton point de vue personnel sur la situation à ce moment précis ?
J’étais plus que jamais partisan de faire la révolution totale. Sans demi-mesures. Il était clair, pour moi, que Companys voulait nous transformer en gardiens de la sécurité. Le Comité des milices n’était pour lui qu’un commissariat de police. Nous avions combattu pour la révolution et nous y étions. Il fallait aller de l’avant. la suite ici
Les Fils de la nuit, Antoine Gimenez & les Giménologues
Souvenirs de la guerre d’Espagne. 19 juillet 1936 – 9 février 1939.
« Dans les trous creusés au flanc des collines d’Aragon, des hommes vécurent fraternellement et dangereusement sans besoin d’espoir parce que vivant pleinement, conscients d’être ce qu’ils avaient voulu être… Bianchi, le voleur qui offrit le produit de ses cambriolages pour acheter des armes. Staradolz, le vagabond bulgare qui mourut en seigneur. Bolchakov, le makhnoviste qui, bien que sans cheval, perpétua l’Ukraine rebelle. Santin le Bordelais dont les tatouages révélaient la hantise d’une vie pure. Giua, le jeune penseur de Milan venu se brûler à l’air libre. Gimenez aux noms multiples qui démontra la puissance d’un corps débile… »
Louis Mercier, alias Ridel, Refus de la légende, 1956
Le premier livre de ce coffret est constitué du manuscrit original des Souvenirs de la guerre d’Espagne, d’Antoine Gimenez (1910-1982). Il y conte tout ce qu’il a vécu au sein de la colonne Durruti, entre 1936 et 1938, sur le front d’Aragon. Le second livre est consacré à une étude critique du Groupe international de cette colonne, portant sur les principaux épisodes de la guerre dans sa zone d’intervention, sur les collectivités paysannes et, plus généralement, sur les groupes de francs-tireurs, les « Fils de la Nuit », formés sous le contrôle des colonnes. Cet appareil critique a été entièrement revu et corrigé pour cette édition et il a été notablement augmenté, à la suite des multiples rencontres provoquées par l’édition de 2006 et aux recherches poursuivies depuis. Enfin, un CD-Rom rassemble dix heures d’émissions consacrées au récit d’Antoine Gimenez.
« Les Fils de la nuit est un livre remarquable par tant de côtés qu’on ne sait trop comment en rendre compte. Doit-on dire que nous tenons là le plus précieux des témoignages sur ce qui fut la guerre civile d’Espagne et qui aurait pu être la première révolution vraiment prolétarienne ? Ou souligner que, sans le secours décisif de quelques libertaires, ce témoignage, pour singulier qu’il soit, aurait perdu à ne pas être assorti d’un appareil de notes, proprement extraordinaire, qui le rend si éclairant ? »
Gérard Guégan, Sud-Ouest