Brèves du désordre
En chemin…
« la révolte ne parle pas du simple dégoût , mais parle aussi de joie. La joie d’affirmer que malgré tout, nous sommes vivantEs. Que malgré l’aliénation régnante, nos chemins de révolte se croisent encore et que les possibilités de tisser des liens de complicité ne sont jamais entièrement anéanties. »
On nous demande régulièrement lors de diffusion du journal si nous faisons partie d’une organisation (association, parti, confédération). Ce n’est pas le cas. S’organiser pour lutter, tenter de diffuser des idées de différentes manières ne signifie pas forcément constituer une organisation, ou « faire de la politique » (en tant qu’activité séparée du reste de la vie). A quoi bon constituer une organisation si ce n’est pour faire nombre, obtenir la reconnaissance de l’État (adieu potentiel subversif), gratter des conditions de vie un peu moins merdiques, co-gérer sa domination ? Contrairement aux « réalistes » de tous poils, adeptes des fronts communs, je pense qu’on ne vient pas à bout de l’autorité en reproduisant soi-même (dans ses relations et façons de s’organiser) des rapports autoritaires, pas plus qu’on ne vient à bout de la politique sans abandonner les tactiques politiciennes.
Mes désirs ne peuvent pas être légitimes dans ce monde. Je veux la destruction de TOUT pouvoir, de TOUTE autorité. Sans ça pas de liberté possible.
Il m’a fallu longtemps pour démasquer les (faux) complices qui auraient voulu me cantonner à un rôle « de fille » (passive, « copine de », faire valoir…) et m’ envisager comme individu non pas entièrement autonome mais agissant et me positionnant en fonction de mon éthique, de mes désirs et de la colère qui bout en moi. Je vois ça comme une recherche continue et exigeante : la tension entre la tête et le ventre, entre les idées et la pratique, entre soi et les autres. Je ne veux d’aucun groupe ou collectif, d’aucune entité (y compris « révolutionnaire ») qui serait supérieure aux individus qui la composent, prétendrait parler en leur nom, dicter leur agir ou fédérer à partir d’un discours homogène, aucune instance à qui déléguer ma responsabilité. Je ne serai ni soldate, ni bras armé d’un quelconque mouvement. Je chie sur les chefs et autres spécialistes, stratèges, les institutions, leurs codes, lois, morales… Chaque pas est le mien.
Je ne suis pas la seule à penser ça. De nombreux-se-s anarchistes opposent à l’organisation formelle, centralisatrice et hiérarchisée l’organisation informelle entendue comme le foisonnement d’individus s’associant et se dés-associant en fonction de leurs affinités, perspectives, projets… Il ne s’agit plus alors d’adhérer à un quelconque programme, croyance ou idéologie ni de recruter des électeurs, clones ou fidèles mais de rencontres uniques d’individus, de compagnonNEs avec qui expérimenter des relations basées sur la connaissance mutuelle et la réciprocité (d’envie, d’attentions…), afin de chercher comment (parmi d’autres révoltéEs, en annonçant clairement nos idées et en restant lucides sur les limites de ce qui peut être partagé) contribuer à l’existence d’un espace social où puissent se répondre, dialoguer des désirs et des gestes subversifs, afin de provoquer et d’ approfondir des ruptures dans l’ordre normal des choses, mettre du sable dans les rouages de la machine à exploiter et à soumettre, souffler sur les braises d’une situation sociale jamais complètement éteinte(s).
[Du pain sur la planche, feuille d’agitation anarchiste (Marseille), n°2, mars/avril 2016, p.1]
Pourquoi on resterait calmes ?
Les mauvais jours n’en finissent pas. Loi après loi, texte après texte, réforme après réforme, les rapports d’exploitation et de domination boulotsont sans cesse durcis par les gouvernants, qui derrière leurs fausses querelles, se refilent les dossiers et les bonnes idées pour en mettre plein la gueule aux galérien-nes.
De fait, les conditions de vies empirent pour un nombre croissant de personnes, salariées comme travaillant au noir, touchant les allocs ou le chômage, avec ou sans-papiers, et c’est la course pour la survie qui s’intensifie, au sein de laquelle tout nous pousse à écraser l’autre, à être le champion des crevards pour pour s’en sortir, gratter quelques miettes et éviter de toucher le fond de la misère, avec au dessus du crâne la menace perpétuelle de la loi qui prétend sanctionner toute insoumission. Et des milliers de gens sont pressés à accepter le premier taf qui vient quite à rejoindre la cohorte des uniformes : vigiles et matons, flics et gendarmes, ceux-là mêmes qui vont réprimer les actes de refus et de révolte, et qui ont les mains plus libres encore depuis l’instauration et la prolongation de l’état d’urgence. Plus la misère sociale prend de l’ampleur, plus l’ombre de la prison s’étend. Relier ces questions-là est un enjeu de taille, pas seulement dans les analyses, mais dans la lutte elle-même.
La dernière mesure en date, dite « Loi travail », portée par la gauche au pouvoir, nous rappelle furieusement un épisode précédent : le CPE et la loi « pour l’égalité des chances » imaginée par le gouvernement de droite en 2006. Cette année-là, un mouvement de lutte protéiforme s’était développé pendant plus de deux mois, allant crescendo et faisant monter une tension sociale revigorante. Utilisant les bonnes vieilles ficelles de la politique, De Villepin avait préféré lâcher un peu de lest, abandonnant (provisoirement bien sûr) le contrat première embauche pour faire passer le reste du texte. Et bien sûr, partis et syndicats de gauche s’étaient empressés de décréter la fin du mouvement et de crier à la « victoire », au moment même où celui-ci commençait à devenir le plus intéressant, c’est-à-dire incontrôlable. C’est que bien souvent, la colère qui pousse des milliers d’individus à descendre dans la rue va bien au delà d’une énième réfome, loi, aménagement des vies moisies que les puissantEs façonnent pour nous
Afin de ne pas revivre éternellement les scénarios de tant de mouvements passés, refusons d’emblée les mécanismes du jeu démocratique consistant à faire croire qu’il y ait quoi que soit à négocier avec ceux (institutions, patrons, partis…) qui font de la gestion de nos vies leur métier. Comme s’il pouvait exister un dialogue quelconque entre exploité-es et exploiteurs, entre dominants et dominé-es… Refusons au même titre tous ceux qui se présentent en médiateurs de ce dialogue chimérique, prétendant représenter les travailleurs et négocier pour eux la longueur des chaînes qui nous maintiennent dans l’esclavage salarial. Refusons enfin de leur servir de masse de main-d’œuvre en suivant leur agenda politicien.
La révolte n’est ni un spectacle, ni une comédie. Elle ne vise pas la démonstration, la mise en scène, elle est un affrontement réel entre des visions et des intérêts irréconciliables. Aussi, ce n’est pas un décompte du nombre de manifestant-es marchant comme on suit un cortège funèbre qui fait trembler le pouvoir, pas plus qu’un discours simpliste, « responsable » et réducteur servi à l’opinion publique pour obtenir son adhésion à travers les médias. La lutte introduit une rupture dans la normalité : rupture avec les fonctions que nous assigne cette société, fonctions qui ne servent qu’à la (re)production quotidienne de notre condition faite de hiérarchies et d’autorités, d’ordres et de soumission, du foyer familial à l’usine, des bureaux aux prisons, des quartiers aux hôpitaux psychiatriques, des centres commerciaux aux écoles. Le plus violent de tout n’est-il pas justement cette normalité-là ? Si la révolte contre cet existant est en soi une chose violente, il n’y a aucune raison de s’en justifier, de s’en excuser et encore moins de s’en démarquer. Cette rupture est le premier pas à faire pour que s’ouvre la possibilité d’autres rapports, basés sur la réciprocité, les accords et associations libres entre individus, la solidarité et l’entraide.
Pour cela, nous reconnaissons comme nuisibles les (auto-proclamés) leaders et autres spécialistes en « mobilisation ». De nombreux outils existent pour toutes les personnes désirant en découdre dans cette guerre sociale : l’autonomie et l’auto-organisation, la solidarité entre révolté-es, l’action directe offensive. Et ce ne sont pas les cibles qui manquent : agences d’intérim et Pôles Emploi, banques, locaux de partis et autres crapules capitalistes, médias prônant la soumission au pouvoir, axes de transports et bien d’autres structures encore…
Nous n’avons que ces comptes-là à régler : contre l’Etat, le capital et tout ce qui nous empêche d’être libres.
Détruisons l’économie, détruisons tout ce qui nous détruit.
[Du pain sur la planche, feuille d’agitation anarchiste (Marseille), n°2, mars/avril 2016, p.1]