Le tract La Routine du désastre est sorti une semaine après l’annonce de « l’accident » de Fukushima, et a été distribué dans plusieurs villes en France et en Belgique.
Dans les quartiers populaires de Paris, il a été distribué à plusieurs milliers d’exemplaires lors de tables de presse où se trouvaient d’autres informations et textes sur le nucléaire.De nombreuses personnes se sont arrêtées pour en discuter. Avec ceux qui en venaient à remettre en question le nucléaire, c’était des pans entiers de la critique qu’on ouvrait ensemble: sur l’Etat, le capital, les spécialistes, la dépossession… La table était vidée à chaque fois. Tout au long du printemps, de nombreux tags sont aussi apparus sur les murs de la ville et dans le métro (« Irradiés de tous les pays, révoltons-nous », « le nucléaire nous prépare un avenir irradieux », « Va te faire irradier », « Si t’aimes tant le nucléaire, porte toi liquidateur volontaire », etc…). Le 6 avril à l’université Paris Dauphine, une conférence sur les conséquences de Fukushima donnée par un nabab de l’énergie est interrompue par une vingtaine d’individus, qui ont lancé des oeufs de peinture, insulté les participants, éclaté quelques boules puantes et laissé des tracts. Toujours à Paris, lors de deux très classiques manifestations appelées par le réseau Sortir du nucléaire, d’autres tracts ont à leur tour posé une critique radicale de la situation [cf La France n’est pas inquiète & Nucléaire et servitude]. Fait suffisamment rare pour être noté, un rassemblement hors de toute organisation et parti politique est organisé le 26 avril 2011, cette fois devant l’Autorité de sûreté nucléaire, même si on peut s’interroger sur le sens qu’il y a de se réunir devant cette institution (puisqu’il n’y a aucun dialogue à entretenir avec l’ASN qui légitimera toujours l’existence du nucléaire, un rassemblement est-il la meilleure façon de lui montrer notre opprobre?). De façon autonome également, de nombreuses discussions se sont déroulées autour du catastrophisme, des luttes antinucléaires passées, des simulations d’accidents de crise, des façons d’affronter aujourd’hui au nucléaire, etc…
Courant mai pourtant, on sentait bien que les oreilles commençaient à se refermer. Les tracts et les textes de la table à Belleville partaient moins vite, les gens n’avaient plus le même désir de parler de tous ces événements. Si la « catastrophe » est loin d’être finie, elle n’a peut-être ouvert ici qu’une brèche de très courte durée, laissant place à une sorte d’aveuglement volontaire encore plus difficile à questionner. Comme s’il s’agissait d’une épée de Damoclès avec laquelle on ne peut pas vivre, et qu’il faudrait vite recouvrir du poids de nos résignations quotidiennes.
LA ROUTINE DU DESASTRE
Les nouvelles de la catastrophe de la centrale atomique de Fukushima au Japon tournent en boucle. Face à un désastre sans précédent, les médias commentent en direct les nouvelles du nucléaire qui a l’air de n’en faire qu’à sa tête. Les infos fusent, c’est un véritable bombardement, mais rien ne perce.
Non, aucun enseignement ne sera tiré. Une telle catastrophe ne pourrait pas arriver ici. Les journalistes, les experts et les politiciens discutent séisme et tsunami, s’accordant sur le caractère exceptionnel de la situation de cette île lointaine.
Ces raclures en profitent pour vendre la fameuse fiabilité des installations françaises qui seraient les plus sûres du monde. Sans jamais rappeler que n’importe quelle erreur humaine peut produire le même résultat partout. Sans jamais préciser que n’importe où en France, nous habitons toujours à moins de 100km d’une installation nucléaire.
Ils se garderont bien de préciser que derrière la catastrophe, c’est un quadrillage et une gestion militaires qui s’instaurent. En plus d’être contaminé, chacun sera en permanence contrôlé, testé, mesuré, surveillé, et déplacé dans des zones où toute liberté, initiative individuelle, et parcelle d’autonomie, auront disparu sous le règne kaki.
Leur propagande préfère faire croire que ces opérations désespérées d’acheminement d’eau, de sable, que leurs mesures martiales de confinement et leurs pauvres distributions de pastilles d’iode ont pour but notre santé. Pourtant si c’était vrai, un petit nombre de pays ne la mettraient pas en péril permanent en s’engageant dans la voie du nucléaire. Derrière cette monstruosité se cachent d’énormes intérêts économiques et stratégiques. Depuis le début, nucléaires civil et militaire sont complètement imbriqués, et l’histoire du développement de cette technologie est entièrement liée à un jeu mortifère entre puissants.
La routine du désastre est déjà présente, à travers la multiplication quotidienne de ce que ces autruches du nucléaire qualifient par euphémisme d’« incidents ». Ils nous promettent par exemple maintenant de vérifier l’état actuel des 58 réacteurs du territoire français, mais ne disent bien sûr rien des problèmes insolubles posés par les déchets radioactifs qui dorment sous nos pieds dans près de 1000 sites, ni des nombreux cancers et leucémies que subissent celles et ceux qui vivent aux abords des installations nucléaires. Sans compter toutes les barbouzeries au Niger et au Gabon, où Areva exploite la main d’œuvre locale en la condamnant à une mort lente en même temps que toutes celles et ceux qui habitent près des mines d’uranium.
Le pouvoir fait comme si tout cela était inéluctable, essayant tant bien que mal d’éviter le pire, mais surtout sans jamais interroger ce qui a été et qui reste encore un choix.
En vrai, on pourrait tout de suite se passer du nucléaire et du monde qui le produit. Les écologistes et autres ONG à la sauce verte ne parlent que d’une pseudo « sortie » du nucléaire d’ici 20 ou 30 ans, pour ne pas froisser leurs soutiens étatiques et leurs potentiels électeurs. En véritables sauveteurs du capitalisme, ils espérent occuper un rôle de contre-experts pour être associés à sa gestion actuelle.
Que d’images spectaculaires de la centrale en feu, que de mises en scène de «sauvetages » épiques, que d’angoissants nuages radioactifs doit-on gober sans réagir ! Que de débats stériles entre politiciens sur les différentes alternatives pour répondre aux appétits dévorants du développement industriel, que de prétendus discours raisonnables pour des mesurettes qui ne remettent rien en cause ! Autant de mascarades pour recouvrir d’un voile opaque l’aberration du nucléaire. Il est grand temps de briser la vitrine qu’il représente et de mettre fin à toute cette merde. Derrière l’horreur de cette catastrophe sans précédent dont on a pas fini de compter les morts, c’est l’acceptation à un niveau mondial du nucléaire qui se joue.
L’Etat tient le rôle du pompier pyromane. Il est celui qui a mis en place tout ce merdier et qui fait maintenant mine d’être le protecteur, le seul à pouvoir assurer la sécurité des populations.
Jamais le monde tel-qu’il-est-et-qu’il-ne-faut-surtout-pas-renverser n’avait trouvé de meilleur garant. Un possible figé qui, à part connaître l’empoisonnement et la militarisation de cette planète, verra à peu près toujours les mêmes en haut et les autres en bas, les mêmes qui « savent » et les autres qui suivent.
Ce qu’ils craignent réellement, ce n’est pas le désastre en cours et à venir, ce ne sont pas non plus les appels de leurs sbires citoyennistes à une « meilleure » gestion de l’existant, tous parlent encore la même langue du mal nécessaire.
Ce qu’ils ont par contre à redouter ce sont des luttes contre le nucléaire et le monde qui va avec.
Parce qu’ils nous voudraient tous cobayes résignés et désemparés. Parce que la liberté commence par le sabotage de ce monde qui nous détruit.
Ni cobayes ni moutons,
19 mars 2011
Tiré de Fukushima Paradise – Pour une critique radicale du nucléaire, éd. La Canaille & Mutines Séditions