Etat d’urgence : près de 2 500 perquisitions depuis les attentats du 13 novembre
Le Parisien, 09 Déc. 2015, 19h01 (extrait)
Le dernier pointage a été diffusé mercredi par le ministère de l’Intérieur. Quelque 2.500 perquisitions administratives ont été menées et 354 personnes assignées à résidence depuis l’instauration de l’état d’urgence après les attentats de Paris et Saint-Denis, a appris l’AFP mercredi auprès du ministère de l’Intérieur.
Ces perquisitions administratives ont entraîné l’interpellation de 305 personnes et le placement en garde à vue de 267 d’entre elles, selon ce bilan de la place Beauvau communiqué par son porte-parole Pierre-Henry Brandet.
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A Beauvau, certains voudraient interner les fichés « S »
Le Monde | 06.12.2015 à 15h24
« Prévoir possibilité de placer en rétention administrative de sûreté des personnes visées par une fiche S en période d’état d’urgence. » La phrase ne vient pas du programme d’un responsable du parti Les Républicains – Laurent Wauquiez ou Eric Ciotti défendent l’idée –, mais d’un document interne au ministère de l’intérieur, que Le Monde a pu consulter. Etabli mardi 1er décembre par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), il recense toutes les mesures de police administrative que les policiers et les gendarmes souhaiteraient voir passer dans le cadre des deux projets de loi en cours d’élaboration, l’un sur l’état d’urgence et l’autre sur la lutte antiterroriste. Les deux textes pourraient être présentés dès janvier 2016.
Dans son tableau récapitulatif, la DLPAJ évoque, concernant la rétention des fichés « S », une « décision de police administrative, placée dans un délai de 48 ou 72 heures sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, qui peut libérer à tout moment », sur le modèle de la rétention des étrangers. « Cf. demande d’avis à Conseil d’Etat. Réflexion à conduire dans ce cadre de la demande d’avis », annote sobrement un haut responsable du ministère, dans la colonne « difficultés éventuelles ou points à arbitrer » du document.
Les fiches « S » sont des documents de suivi des personnes soupçonnées de pouvoir porter atteinte à la sûreté de l’Etat. Elles concernent 20 000 personnes, dont 10 500 islamistes, et comportent quinze niveaux de dangerosité.
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La France réfléchit-elle à un Guantanamo pour les « fichés S » ?
Slate.fr, 09.12.2015 à 19 h 24
Le gouvernement consulte le Conseil d’État sur la mise en place de centres d’internement préventif pour les personnes suspectées d’être liées au terrorisme. Certains y voient les contours d’un « Guantanamo à la française ».
L’idée de placer en rétention toute personne fichée S « à titre préventif » est en train de faire son chemin dans la tête des politiques français. Après la proposition formulée au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis par Laurent Wauquiez, secrétaire général des Républicains, de placer les personnes « fichées pour terrorisme » dans des « centres d’internement anti-terroristes spécifiquement dédiés », c’est désormais le gouvernement de Manuel Valls qui s’interroge sur la compatibilité de cette mesure avec la loi française. Une démarche conforme à l’engagement pris par François Hollande, quelques jours après les attentats, de saisir et laisser au Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française, le soin d’apprécier la validité des mesures proposées par l’opposition.
Le site Lundi Matin a dévoilé, mercredi 9 novembre, une « demande d’avis » envoyée au Conseil d’État par le gouvernement. Dans ce document, celui-ci s’interroge sur la « constitutionnalité et la compatibilité avec les engagements internationaux » d’un internement administratif à titre préventif de personnes fichées S qui n’ont jamais été condamnées.
Voici un extrait du texte envoyé par le gouvernement au Conseil d’État :
« Pour prévenir la commission d’actions violentes de la part de personnes radicalisées, présentant des indices de dangerosité et connues comme telles par les services de police, sans pour autant avoir déjà fait l’objet d’une condamnation pour des faits de terrorisme, la loi peut‑elle autoriser une privation de liberté des intéressés à titre préventif et prévoir leur rétention dans des centres prévus à cet effet ? »
Dans son document, le gouvernement se questionne également sur la conformité d’autres formes de privation de liberté : un placement sous rétention administrative des personnes déjà condamnées à un emprisonnement pour des actes de terrorisme ayant purgé déjà leur peine ou bien, faute de condamnation, un placement « sous surveillance électronique » ou une assignation à résidence. Une proposition qui avait été formulée par Nicolas Sarkozy après les attentats du 13 novembre.
Un « Guantanamo français » ?
La mise en place d’une telle mesure sur le territoire français fait débat, notamment chez ceux qui y voient les contours d’un « Guantanamo à la française », en référence à la prison militaire américaine controversée, située à Cuba, où sont détenues des personnes suspectées de terrorisme. Sauf que, dans l’hypothèse d’une mise en place de tels centres de rétention à destination des personnes fichées S, la France irait plus loin que les États-Unis, dans la mesure où le camp de Guantanamo ne concerne pas les citoyens américains, rappelle Le Monde.
Mais si certains y voient une volonté du gouvernement français d’élargir son arsenal sécuritaire et de muscler sa lutte contre le terrorisme, d’autres se montrent plus nuancés. Et si cette consultation auprès du Conseil d’État n’était finalement qu’une stratégie politique de l’exécutif visant à contrer les pressions de l’opposition en faisant invalider leurs propositions ? Au-delà des « centres d’internement anti-terroristes » souhaités par Laurent Wauquiez, Nicolas Sarkozy avait lui aussi évoqué, dans un entretien au Monde, la « rétention de sûreté » pour « les criminels condamnés à de longues peines pour terrorisme une fois leur peine achevée ».
Une mesure controversée
Ce n’est pas la première fois que l’idée (et l’expression) d’un « Guantanamo français » est avancée. Le 24 novembre, Nicolas Dupont-Aignan, président du parti Debout la France, avait réaffirmé sa volonté de créer un « Guantanamo bis » à Cayenne, en Guyane, pour les djihadistes de retour de Syrie.
D’autres se sont montrés bien moins enthousiastes. L’ancien juge antiterroriste, Marc Trévidic, estime que la mise en place de tels centre de rétention serait une mauvaise idée, notamment parce qu’ils répondraient à la volonté de l’organisation État islamique de pousser les autorités à s’en prendre à la communauté musulmane du pays. « N’arrêtons pas n’importe qui ! Ne faisons pas de Guantanamo à la Française ! Restons dans nos principes tout en étant efficaces », a-t-il prévenu dans une interview accordée à La Voix du Nord, au lendemain des attentats.
Même son de cloche chez Anne Giudicelli, spécialiste du monde arabo-musulman et directrice du cabinet de conseil Terr(o)risc. Dans une interview aux Échos, elle mettait en garde contre une « Guantanamoïsation » d’une partie de la société française :
« Cette idée de désigner des individus comme déjà coupables alors qu’ils ne sont même pas encore suspects, est à la limité de la légalité. À chaque attentat, on grignote davantage sur ce qui nous constitue, ce qui est ciblé par ceux qui nous en veulent. On fait leur jeu finalement. Je ne pense pas qu’il faille faire ce Guantanamo-là. »
sourceBrèves du désordre