Le conseil de l’ordre des médecins : l’incarnation du pouvoir médical

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Officiellement, le conseil de l’ordre des médecins (comme celui d’autres professions libérales) est né le 17 Octobre 1940, c’est-à-dire en plein régime de Vichy. Il vient remplacer les syndicats de médecins considérés comme trop dangereux par Pétain et supprimés dans le même mouvement. Dès 1941, de nombreux médecins s’opposent à cette supersutructure en craignant sa subordination directe au gouvernement. C’est ce qui se produisit puisque le conseil de l’ordre de l’époque était alors ouvertement antisémite et xénophobe, pratiquant allègrement la délation et l’exclusion de nombreux médecins juifs français ou étrangers. De Gaulle dira dans un premier temps qu’il s’agit d’un « clan de fascistes à la solde d’Hitler et Pétain » puis, soulageant ainsi certains défenseurs de l’ordre actuel, acceptera la création d’un petit frère après la libération. En effet dissout à la libération, il renaîtra rapidement (le 24 Septembre 1945) à cause d’un ministre de la santé communiste.

Fonctionnement officiel [1]

Concernant son fonctionnement, il a fallu attendre 2011 pour avoir un rapport d’activité publique, ce qui montre l’opacité de ce lobby. Organisé de manière décentralisée, il se compose d’instances départementales, régionales et d’une instance nationale située dans un riche immeuble du boulevard Haussman à Paris. Cette dernière est composée d’un bureau de 16 membres tous médecins, de cinquante-quatre autres formant la commission nationale élue par les conseils départementaux, d’un représentant de l’académie de médecine, d’un conseiller d’Etat désigné par le ministère de la justice et d’un président. L’institution en elle-même emploie 541 personnes. Son financement vient des praticiens actifs et retraités qui doivent obligatoirement débourser 300 euros par an pour les premiers et 150 euros par an pour les seconds. Ce qui, sur une année complète, représente la somme de 75 millions d’euros pour cette mafia.

Cette dernière se dit être une interlocutrice et une conseillère des pouvoir publics, portant ainsi l’intérêt des médecins et des patients en s’attachant à faire respecter le code de déontologie. Concernant les patients, ces derniers peuvent se considérer comme plaignants, choisir un avocat, avoir accès à leur dossier et se pourvoir en cassation si besoin, seulement depuis 2010. Avant, ils n’étaient que de simples témoins. Ce sont les Conseils Départementaux de l’Ordre des Médecins (CDOM) qui recueillent les plaintes pouvant éventuellement faire l’objet d’un déféré devant une chambre disciplinaire de première instance (CDPI) créée auprès de chaque conseil Régional de l’Ordre des Médecins (CROM) et depuis peu présidée par des magistrats des tribunaux administratifs.

Pour qu’une mafia fonctionne il faut des petites mains qui obéissent au doigt et à l’œil. C’est ce qui est représenté par les conseillers ordinaux qui siègent un peu partout et s’occupent de faire vivre la déontologie, d’appliquer des mesures administratives (recensement des médecins, s’assurer de leurs bonnes compétences…), d’aider juridiquement et matériellement les docteurs en médecine (et leur famille !) et de les conseiller en matière d’assurance. Ces conseillers ordinaux ne sont autres que des médecins quelconques qui ont toujours été les premiers de la classe et qui adhèrent sans contrepartie financière à cette coterie. Tous les toubibs sont électeurs et éligibles mais se sont souvent les mêmes assoiffés de pouvoir et les mêmes conservateurs qui se présentent pour six ans, renouvelés tous les trois ans, avec un taux d’abstention énorme.

Fonctionnement réel

Si les mesures précitées ont été mises au grand jour et actualisées c’est parce que le pouvoir médical était allé un peu loin en termes d’abus, de mensonges et de dominations en tout genre. Toujours est-il qu’il s’est adapté aux différentes évolutions sociales et gouvernementales et qu’à plus de 70 ans, il se porte encore bien. Les affaires se sont suivies sans qu’il n’y ait eu la moindre possibilité de faire reconnaître une quelconque once de vérité, d’égalité ou de justice (à quelques exceptions près). A chaque fois les petits arrangements entre amis (médecins et/ou bourgeois) ont permis d’éviter l’interdiction d’exercer ou des mesures plus lourdes pour certains toubibs. Que ce soit des affaires de viols, d’erreurs mortelles, de falsification de dossiers médicaux, de détournement de fric, de pubs pour sa petite entreprise, de dépassements d’honoraires, etc. Tout est défendu becs et ongles par la confraternité médicale déjà révérée dans le serment d’Hippocrate que la plupart des médecins (ça dépend des facultés) doit lire la main droite levée au moment de soutenir sa thèse [2]. Au final, se sont entre 5 et 10 % des plaintes de patients qui passent le filtre que constituent les CDOM. Ce qui ne signifie aucunement qu’une forme de reconnaissance provenant du pouvoir médical soit obtenu, car après ce passage il y a d’autres instances à affronter.

L’ordre des médecins est censé être une police et une justice parallèles auprès des médecins. Mais à l’instar de la police et la justice d’Etat, elles sont iniques. Tout concourt à ce que l’omerta d’une affaire remettant en cause un toubib perdure. Si un médecin dénonce ou abonde dans le sens du plaignant, il aura sur le dos l’ordre et d’autres confrères qui lui diront qu’en prenant position pour la victime, il se tire une balle dans le pied. C’est donc la suprématie du silence faisant dire à certains que le silence est d’or…dre. Mais ce n’est pas avec tous les médecins que l’ordre ferme les yeux. Soit pour montrer l’exemple soit pour éliminer les plus rétifs, cette obscure et cynique institution peut faire preuve de sévérité. L’objectif de l’ordre des médecins est avant tout corporatiste, il tient à préserver le petit confort et les gros intérêts de ses membres contraints et forcés d’être fidèles.

Quelques bases idéologiques

Ses prises de positions idéologiques se sont, au cours du temps, toujours avérées violemment conservatrices et réactionnaires. Sans revenir sur l’origine pétainiste, l’ordre des médecins s’est positionné contre l’ouverture des plannings familiaux, contre la loi pour l’avortement en 1974-75, contre l’aide apportés aux trans’, contre l’euthanasie, etc. En fait c’est surtout la ligne politique de l’industrie pharmaceutique qu’il suit, affichant implicitement ses conflits d’intérêt avec elle. Il défend ainsi une pensée et une pratique unique. Pas d’autres médecines que la sienne, c’est-à-dire une médecine technique, froide et uniquement allopathique. Les intérêts des malades sont secondaires comme le montre l’exemple de l’accès au dossier médical informatisé (traduisez fichage généralisé) que l’ordre ne veut pas donner aux individus mais qu’il souhaite garder pour lui et les différentes instances de contrôle.

Et concernant son lien avec l’Etat, l’ancien président de ce clan, le Dr Michel Langmann, en place de 2007 à 2013, révèle bien la connivence qu’il peut exister. Maire adjoint de Neuilly depuis 1983, c’est évidement un proche de Sarkozy. Il l’a aidé dans de nombreux dossiers comme, par exemple quand il a été question de faire passer la pilule aux effets indésirables appelé loi Hôpital Patient Santé Territoire (HPST) en 2009. Et il vient d’être remplacé par Patrick Bouet, classé « plutôt à gauche » et généraliste qui plus est (ce qui est une première au sein de cet appareil de spécialiste) prouvant que l’ordre des médecins s’arrange parfaitement avec la couleur du pouvoir politique en place.

Quelles résistances possibles ?

Pour les patients qui voudraient se lancer dans le bourbier judiciaire ordinal (pour éviter qu’un toubib fasse subir d’autres violences), ils doivent avoir en tête que même si une plainte est rejetée dans un premier temps par les CDOM, il est possible de faire appel auprès de la chambre disciplinaire nationale (CDPI) elle-même indépendante du CNOM… en théorie. Car en pratique, même si c’est un conseiller d’Etat qui préside, tous les autres membres sont des médecins élus par le CROM ce qui laisse de la place à la solidarité de classe et/ou de caste du côté des dominants. Et pour rester de ce côté, la proximité entre l’Etat et ce lobby se remarque via la cour des comptes qui s’amuse à critiquer les activités, appuyant les bonnes choses (suivi de la profession et reconnaissance des qualifications) et faisant semblant de s’inquiéter des mauvaises qui perdurent depuis bien trop longtemps (l’absence d’inclusion de certains médecins comme tous ceux qui ont des fonctions politiciennes, la défaillance concernant l’organisation des soins et le contrôle du respect de la déontologie notamment à travers les dépassements d’honoraires).

Concernant les partis politiques au pouvoir, le PS et Mitterrand se sont bien cassé les dents sur la confrérie médicale. En effet, malgré la belle promesse de « supprimer » l’ordre des médecins inscrite dans son programme de 1981, rien n’a pu être supprimé et c’est autant parce que cette institution à un fort pouvoir d’influence, qu’elle permet au gouvernement d’avoir une mainmise sur la profession médicale. Même si depuis que le PS a repris le pouvoir l’ordre fait moins le malin, il reste pour l’instant bien en place et s’arrange comme il peut avec le gouvernement, et cela d’autant plus qu’il a la bénédiction du parlement européen.

Il y a bien quelques médecins réfractaires qui ont tenté de ne pas payer les 300 euros par an et de dénoncer ce lobby. Mais cela se fait faiblement puisque l’ordre porte plainte automatiquement quand un praticien ne paye plus sa cotisation et peut persécuter ses opposants. Certains se sont alors constitués en association afin de rassembler leur force et de se faire plus visibles. L’association Contrordre basée à Rennes semble la plus intéressante. Elle a réalisé une action coup de poing en juin 2012 après 5 ans de refus de paiement de cotisation et une longue bataille judiciaire [3].

Diffuser les informations que l’ordre des médecins cherche à dissimuler, démontrer son iniquité, son corporatisme et son fonctionnement autoritaire, lutter contre son idéologie abjecte et inciter chaque toubib à prendre position contre son déploiement sont des propositions permettant l’instauration d’un rapport de force qui pourra faire plier ce monstre institutionnel.
Notes

[1] Beaucoup de ces infos viennent du livre de René Chiche. Enquête sur les mandarins de la médecine. Édition du moment.

[2] Contrairement à ce que pensent beaucoup de médecins, le serment d’Hippocrate n’a plus grand-chose à voir avec celui écrit il y a plus de 2 millénaires. Il a été retouché à de nombreuses reprises et devrait s’appeler « serment d’hypocrite » étant donné le grand écart qu’il y a entre son contenu et les pratiques courantes de nombreux toubibs.