NdNF : Le 26 février 2011 à Cuneo, petite ville du nord-ouest de l’Italie, a lieu l’ouverture d’un siège de CasaPound. Le contre-rassemblement organisé par la gauche officielle (et le maire) tourne vite à l’émeute, avec plusieurs blessés parmi les fachos (un à l’hôpital avec le crane ouvert par un pavé) et les condés (notamment un genou pété).
Le 27 mai, une opération de police mène à l’incarcération de deux anarchistes accusés d’avoir participé aux incidents. D’autres personnes sont placées sous résidence surveillée, deux sont introuvables.
En novembre 2013, 16 personnes sont condamnées à des peines allant jusqu’à 2 ans et demi de prison.
Le texte qui suit était une contribution solidaire en vue d’une manifestation qui a eu lieu en janvier 2012.
Nous avons choisi de ne pas rester regarder.
Nous avons choisi notre côté de la barricade.
Nous avons choisi de participer à la guerre sociale qui menace ce vieux monde.
Par dignité – et aussi par haine.
Des femmes et des hommes « libres, qui de leur propre volonté se rassemblèrent […] pour racheter la honte et la terreur du monde »
Extrait d’un épigraphe de P. Calamandrei [1]
Le 26 février de l’année dernière [2011 ; NdT], le rassemblement démocratique appelé en réponse à l’inauguration, à Cuneo, d’un local de CasaPound (qui se définissent eux-mêmes comme les « fascistes du troisième millénaire ») prend une tournure inattendue. Fatigués d’écouter les bavardages de gauche du maire Valmaggia [2], une centaine d’agités vont vers la poubelle fasciste. S’ensuivent des affrontements avec la police, qui comme toujours défend les fascistes. Résultat : deux–zéro : un fasciste et un carabiniere finissent à l’hôpital. Le 27 mai c’est l’État qui frappe ceux qui ont osé s’en prendre à ses larbins : prison, arrestations domiciliaires, mandats d’arrêts pour ceux qui ont réussi à se faire la malle, perquisitions, plaintes. Pour ceux parmi les inculpés qui n’ont pas négocié avec la justice, le procès commencera le 25 janvier.
Dans une période pendant laquelle l’ordre établi commence à montrer la corde, secoué par la rage de nombreux exploités, voilà que le pouvoir joue à nouveau la carte du (néo-)fascisme, de la guerre entre pauvres. Il s’agit du vieux divide et impera, une stratégie qui malheureusement marche bien. Ces quatre connards en chemise noire nous dégoutent et, comme tant d’autres, nous pensons qu’il faudrait juste les balayer. Le problème de fond, en effet, ce n’est pas eux, mais la société, démocratique, dont le fascisme est le produit et une des expressions.
Au delà du sentiment d’horreur pour les homicides d’un fasciste à la Casseri [3], demandons-nous quel est ce monde qui a nourri le racisme assassin qui lui appartient, à lui et à trop de ses camarades ; ce monde dans lequel nous aussi vivons. Combien de millions de personne, même s’ils ne tirent pas sur des immigrés, partagent et alimentent la haine envers toute forme de « diversité » – c’est à dire envers toute personne qui ne rentre pas dans les normes de la médiocrité ambiante ? Les néofascistes à crâne rasé sont peu nombreux, mais les idées néfastes qu’ils portent se glissent facilement dans cette zone grise qu’est la dite opinion publique démocratique. Un exemple est le large consensus autour des campagnes sécuritaires de l’État et dont l’empreinte raciste a peu à envier aux programmes des néofascistes. Puis, ces derniers se posent en instruments utiles, avant-garde du racisme institutionnel, avec agressions, pogroms, homicides. Bref, tout le sale travail auquel leurs collègues en uniforme, toge ou costard doivent paraitre étrangers.
Le fascisme est l’expression la plus brutale et la plus grotesque de l’autorité, d’une société fondée sur la domination de l’homme par l’homme (et sur la nature). Cependant, il n’en est pas la seule expression inhumaine. Comment pourrait-on oublier l’horreur quotidienne des prisons (démocratiques) ? Les assassinats dans les commissariats (démocratiques) ? Les « sans-papiers » (pour la démocratie) qui coulent dans la mer en suivant le rêve d’une vie meilleure ? Ou bien ceux tués dans les rues de nos villes démocratiques, par un Casseri quelconque ou par un larbin en uniforme ? Dans le premier cas la nouvelle fait scandale, souvent dans le deuxième la vie d’un étranger en situation irrégulière ne vaut même pas une dépêche de presse… C’est dans les sociétés démocratiques (ou en cours de démocratisation) du XXème siècle que le fascisme historique est né. C’est dans l’État démocratique que le (néo)fascisme grandit vigoureux. Ce monde dégueulasse le produit comme du pus infect.
Le problème c’est précisément cette société qui produit racisme, sexisme, patriarcat, homophobie… toute la panoplie de sentiments de haine envers ceux qui n’appartiennent pas à une supposée communauté ou dévieraient d’une supposée « normalité ». Une haine qui, en encourageant la guerre entre pauvres (et pas contre les vrais responsables de l’écrasement) se révèle être un instrument utile au maintien de la domination sociale.
L’opposition entre démocratie et fascisme est une fausse opposition. Ce sont deux formes interchangeables et superposables de domination. La première est plus présentable, elle se base sur le conformisme et l’habitude de servir, elle tue ou laisse mourir en silence et loin des caméras. L’autre sert dans les cas d’urgence, tue les pauvres qui ont la peu d’une autre couleur, gouverne avec la terreur et bâtit des camps de concentration (mais il y a des camps pour sans-papiers aussi dans l’Europe du XXIème siècle). Ils sont le bâton et la carotte… et à nous tous d’être l’âne inoffensif et soumis.
L’antifascisme des Valmaggia, du Partito Democratico et de la gauche est une opération publicitaire éhontée. Ce qu’ils veulent est simplement monter sur une estrade et se faire applaudir, hurler au méchant loup fasciste, nous assurer que le gentil policier protégera les gens biens et ensuite stigmatisera le méchant anarchiste, le violent qui brise le dialogue démocratique… Ils s’approprient, en la salissant, la mémoire de ceux qui ont pris les armes pour faire tomber la dictature, même bien avant le 8 décembre 1943, même après le 25 avril 1945. Parmi eux, nombreux étaient les anarchistes, encore plus nombreux les communistes, des ouvriers qui pensaient sincèrement lutter pour la révolution, pour un monde meilleur. Pour tous ceux-là, abattre le régime mussolinien (et, pendant les vingt mois de Résistance « officielle », chasser l’occupant nazi) aurait seulement été le premier pas vers une révolution qui aurait marqué la fin de l’exploitation. Ces idéaux ont été trahis, souvent par les mêmes partis « rouges ». Sous couvert de démocratie, l’asservissement des masses a continué et continue. Les révoltés de cette époque-là trouvaient face à eux chemises noires et flics. Aujourd’hui nous trouvons face à nous la police et, parfois, ce que celle-ci ne peut pas se permettre de faire ouvertement, quelques décérébrés qui font le salut romain. Avec les deux, aujourd’hui comme à cette époque-là, aucune discussion, aucun compromis possible.
L’antifascisme c’est empêcher les fascistes de prendre de l’espace pour diffuser leur poison. Un poison qui arrive de la même source que celui de tout État, même démocratique : le principe d’autorité et le conformisme grégaire qui en dérive. Leur empêcher pour de vrai, pas avec des retraites aux flambeaux et des pétitions en défense de la Constitution. Pas en faisant appel à d’autres sbires, en uniforme, du même État. Les empêcher même avec la force, si nécessaire. Avant qu’il ne soit trop tard et qu’ils n’arrivent à imposer encore plus leur haine contre toute diversité.
Pour cela nous sommes solidaires avec les compagnons et toutes les personnes qui passeront en procès pour les affrontements qui ont eu lieu à cause de l’inauguration du local de CasaPound à Cuneo. Nous sommes à leur côté parce que nous étions à leur côté ce jour-là, tout comme d’autres fois, dans la lutte contre l’État et ses sbires. Parce que CasaPound ne devrait pas pouvoir ouvrir un local, ni à Cuneo ni ailleurs. Simplement, les fascistes devraient disparaître. Avec leurs marionnettistes.
Contre le fascisme – mais surtout contre le monde qui le crée.
Mort au fascisme. Mort à l’État.
Pour la liberté.
Des individualités anarchistes.
[Traduit de l’italien par nos soins d’Informa-azione (13/01/2012).]
Notes
[1] Cet épigraphe du juriste et antifasciste libéral-socialiste est apposé sur la mairie de Cuneo ; NdT.
[2] Alberto Valmaggia, maire de centre-gauche de Cuneo de 2002 à 2012 ; NdT.
[3] Le 13 décembre 2011, à Firenze, Gianluca Casseri, néofasciste proche de CasaPound, tire sur des vendeurs à la sauvette africains, en tue deux et en blesse trois autres ; NdT.
source: non fides