Lorsque la sale clique des gouvernants veut étendre les capacités de contrôle et de répression de l’État sans trop se gêner, il lui suffit d’appuyer sur des événements récents qui justifient à ses yeux la mise en place de mesures « exceptionnelles » appelées en peu de temps à devenir permanentes. C’était déjà le cas lorsque le plan Vigipirate avait été activé en 95 suite à l’explosion d’une voiture piégée contre une école juive de Villeurbanne, puis renforcé d’année en année après chaque nouvel attentat. Ça l’est encore aujourd’hui, après les tueries de paris des 7 et 9 janvier, avec les mesures d’« alerte attentat » qui ont été reconduites en Île-de-France pour une période indéfinie.
L’opération Sentinelle, qui s’ajoute au plan Vigipirate et déploie depuis le 9 janvier plus de 10 000 soldats pour renforcer les 122 000 gendarmes, policiers et militaires confondus chargés de « sécuriser » des points sensibles, a aussi été maintenue pour une durée d’au moins plusieurs mois. En Île-de-France, près de 6200 treillis sont encore présents sur 310 lieux, notamment des mosquées, synagogues, écoles religieuses ou centres communautaires. Si l’opération consiste surtout en des gardes statiques, elle comprend aussi des patrouilles, à pied, notamment dans les grands sites touristiques (tour Eiffel, Sacré-cœur…) ou véhiculées, dans l’un des 300 combis à cocarde blanche loués pour l’opération et que l’on peut voir circuler dans Paris.
Si ces gardes du pouvoir sont un réservoir sans fond de délateurs et d’indics postés jour et nuit dans la rue, ils ont surtout pour fonction de rendre physiquement présente cette « guerre contre le terrorisme » menée par les États, qui confondent dans ce terme tout ce qui représente une menace à la paix sociale en général. Mais dans un pays où il n’y avait plus eu de présence militaire dans les rues depuis la fin de la guerre d’Algérie, montrer ainsi ses muscles est précisément une manière d’inciter à un plus haut degré de conflit. Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que dès le 13 février le commandement de l’armée comptait déjà 371 « incidents » et « 14 agressions graves, que ce soit au couteau, par laser, voire coup de crosse » qui se trouvent être le prétexte officiel du maintien de cette opération. Ces confrontations sont utilisées pour faire passer ces badernes décérébrées pour des héros protecteurs de « civils ». Pourtant, des personnes déterminées à commettre un carnage ont toujours l’embarras du choix, et les centaines de magasins, d’écoles ou de lieux de culte déjà abondamment surveillés par les yeux des sentinelles et des caméras panoramiques ne les empêcheront pas de le faire. Le vrai enjeu pour le pouvoir est de réussir à instaurer un climat de paix suffisant pour que leurs braves citoyens continuent de bosser sans trop contester, à aller aux urnes quand on le leur demande et à se divertir des frivolités du capitalisme.
Dans cette guerre de l’Etat contre tous ses ennemis, le pouvoir élargit aussi ses moyens de renseignement. Un projet de loi qui sera probablement adopté d’ici peu (vote des députés le 5 mai puis passage express au sénat) va permettre aux services de renseignement d’utiliser légalement toute une série d’outils auparavant réservés aux enquêtes judiciaires. Les écoutes et autres formes d’espionnage sont déjà courantes, mais les flics vont pourvoir s’en donner à cœur joie avec cette loi leur permettant un usage préventif et massif de ces techniques. Le premier ministre aura pour rôle de délivrer toutes les autorisations administratives réclamées par les services de renseignement, en prenant simplement l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), l’autorité administrative créée par la loi. Les motifs autorisant l’usage de ces outils pour la surveillance sont, en plus du « terrorisme », la sécurité nationale, protection d’intérêts économiques, industriels et scientifiques, criminalité et délinquance organisée, intérêts français à l’étranger, protection des sites nucléaires et « prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale, de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous ». En gros tout ce qui fait usage de violence ou menace la paix sociale se trouvera sous le coup de cette loi.
En plus des vieilles méthodes de planque, d’infiltration et de pose de micros, caméras, mouchards informatiques et autres, les barbouzes pourront recueillir des informations où ils le désirent à l’aide de balises de géolocalisation et de IMSI catchers, ces appareils qui permettent d’intercepter directement les correspondances émises ou reçues de tous les téléphones environnants. En passant par les opérateurs, les flics pourront effectuer des « interceptions de sécurité » portant sur les contenus des mails et des conversations téléphoniques. Ils vont désormais aussi espionner quasiment tous les réseaux sociaux et poser des boîtes noires chez les fournisseurs d’accès qui leurs transmettront les données permettant d’établir des récurrences « patterns » afin de repérer des suspects. Sont également prévus l’observation de tout ce qui est tapé sur les claviers des ordinateurs, l’augmentation de la durée de conservation des écoutes judiciaires et administratives, l’espionnage des proches des suspects et l’anonymat des flics dans les procès verbaux et dossiers judiciaires. Et pour rendre tout cela possible, l’État va recruter quelques 1400 personnes sur trois ans entre les différents services de renseignement (DGSI, policiers, gendarmes, préfecture de Paris).
Dans toutes ces mesures, il n’y a au fond rien de nouveau : l’État légifère régulièrement pour adapter ses techniques de surveillance et de répression à l’évolution de ce qui le menace, et utilise des boucs émissaires pour insuffler peur et résignation et justifier son durcissement. Et si de nouvelles lois sont votées contre un certain ennemi (aujourd’hui les islamistes), les politicards ont bien en tête qu’elles pourront toujours servir contre tous les subversifs dès qu’ils le voudront car dans les yeux du pouvoir se confondent ceux qui veulent prendre sa place et ceux qui veulent le détruire pour ce qu’il représente en lui-même. Si nous voulons en finir avec le pouvoir, ne nous laissons pas berner par le prétexte d’un ennemi intérieur matraqué dans les médias pour nous faire accepter la domination des soi-disant protecteurs.
La lutte contre toute forme d’autorité sera toujours possible, quoi que fassent les puissants pour s’en protéger, car si des failles de leur système se ferment quand ils le perfectionnent, d’autres s’ouvrent sans cesse, et nous pourrons toujours déceler des points faibles.
Pas de trêve pour les ennemis de la liberté !
[Extrait de Lucioles n°22, bulletin anarchiste de Paris et sa région, avril 2015.]
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