Des milliers de tonnes de bois et pourtant un mauvais fonctionnement : la centrale à biomasse de Pierrelatte a un coût environnemental très négatif. Centrale à bois ne veut pas dire « écologique ». Reporterre a enquêté.
A Tricastin, le nucléaire n’a plus le monopole de l’opposition écologiste. Après notre enquête en décembre sur l’immense site atomique, un nouveau projet énergétique cristallise l’attention des associations locales et de certains élus : la centrale de cogénération biomasse de Pierrelatte.
Le projet naît en 2011, avec la perspective de fermeture par Eurodif de l’usine Georges-Besse I spécialisée dans l’enrichissement de l’uranium par diffusion gazeuse. Les eaux chaudes rejetées par l’usine était alors récupérées au profit d’un réseau de chaleur qui alimentait un quartier de Pierrelatte et ses logements sociaux, ainsi que des infrastructures voisines telles que les serres agricoles ou les bureaux Areva du Tricastin. Mais avec la fermeture de l’usine disparaissaient cette énergie sous forme d’eau chaude. Pour la remplacer et dans la foulée des orientations du Grenelle de l’environnement, il fut décidé de construire une centrale de cogénération biomasse : elle brûlerait du bois afin de produire de l’électricité (85 gigawatt-heure, GWh) et de la chaleur (170 GWh).
L’usine thermique représente 55 millions d’euros d’investissement, financés par Areva, qui en a réalisé la conception, la construction, l’installation et la mise en service. Entrée officiellement en activité le 4 octobre 2012, la centrale est exploitée par la société Coriance, une entreprise spécialisée dans l’exploitation de réseaux de chauffage urbain. Mais son fonctionnement engendre des conséquences négatives tant sur le plan environnemental que social.
Une centrale surdimensionné
La centrale doit consommer jusqu’à 150 000 tonnes de bois par an. Dès les débuts du projet, la FRAPNA (Fédération Rhône-Alpes pour la protection de la nature) dénonçait une « logique mega-industrielle […] qui va consommer des quantités pharamineuses de bois » et mener à une « catastrophe écologique à court-terme : surexploitations des milieux forestiers, coupes rases, puis transport et importation massive de bois ».
De fait, depuis la mise en service de la centrale, plusieurs coupes sauvages ont été constatées dans cette région qui compte de très nombreux sites Natura 2000. Les conséquences sur la biodiversité locale s’avèrent importantes. Tout récemment, c’est à La Gare des Ramières, une réserve naturelle, que des coupes à blanc ont été découvertes par le gardien du site. Les probabilités sont fortes que ces coupes servent directement à fournir la centrale à proximité.
Du côté d’EELV (Europe Ecologie les Verts), on dénonce les sollicitations de Coriance auprès des propriétaires forestiers locaux : « Il est facile de créer un effet d’aubaine en proposant de racheter aux particuliers du bois à cinq euros la tonne, soit un peu plus que le prix du marché. Le problème réside dans le laxisme de la règlementation de la coupe, qui est simplement gérée par un arrêté préfectoral ».
Malgré les coupes sauvages, la centrale ne parvient pas à fonctionner à pleine capacité. Alain Volle, un militant d’EELV qui suit de près le dossier, évoque seulement « 20 000 tonnes de bois pour la première année d’utilisation », loin des 150 000 tonnes prévues. Une insuffisance en bois prématurée qui révèle« un projet surdimensionné, ne répondant pas à la demande locale », selon la députée européenne Michèle Rivasi.
La centrale de biomasse témoigne des problèmes de structuration de la filière-bois en France et de l’inefficacité des politiques de grands projets forestiers, quelques semaines après un rapport très critique du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces verts) sur la politique énergétique misant sur la biomasse forestière.
Pour compenser cette difficulté d’approvisionnement, la centrale est suppléée par une chaudière au gaz et au… fioul. Dans une lettre adressée au Préfet de la Drôme cette semaine, Michèle Rivasi demande ainsi : « Le système devait produire de l’électricité par cogénération. Le fait-il vraiment ? Le fonctionnement au fuel et le stockage du fuel sont-ils règlementaires ? […] Nous nous inquiétons dans ces conditions des nuisances et des impacts qui seront décuplés quand la centrale fonctionnera à pleine puissance » La députée évoque aussi une fuite de 35 000 litres de fioul dans la centrale.
Des impacts locaux conséquents
L’utilisation du fuel n’était en effet pas prévue dans les plans initiaux et ne figure pas dans l’enquête publique. Les opposants dénoncent de nombreuses autres irrégularités. Parmi celles-ci, la construction d’une usine de broyage du bois et de plateforme de stockage à 1,5 km du site de la centrale, alors qu’elle devait être implantée sur le site de la centrale. Cela occasionne des nuisances multiples parmi lesquelles des transports incessants en camion entre les deux structures et le bruit permanent de la machine à broyer. Les associations pointent aussi l’épandage non-contrôlé de cendres et de copeaux de bois, partout à proximité du site. Pour Alain Volle, « les conséquences sanitaires peuvent être importantes pour les riverains. Les cendres volantes risquent de devenir un vrai sujet de santé publique à Pierrelatte ».
La centrale a également eu un impact direct sur l’activité économique locale. Longue de 180 mètres et haute de 30 mètres, la centrale de Pierrelatte s’est implantée à quinze mètres d’une serre agricole. L’ombre portée par cette structure massive empêche le maraîchage sous serre, et l’exploitation a accusé des pertes de 40 000 euros par cycle de culture (deux par an), selon une expertise judiciaire, qui a conclu que la présence de la centrale oblige à reconstruire 5000 mètres carrés de serres ailleurs. Loïk de Feraudy, le propriétaire de l’exploitation, a ainsi dû déposer le bilan. Au 28 janvier, ce sont donc dix-sept salariés qui se retrouveront au chômage. S’il a intenté plusieurs actions en justice, il veut aujourd’hui « mettre au défi le président de Coriance d’un débat en face-à-face pour démonter les discours portés sur l’environnement et l’emploi local ».
Sollicité plusieurs fois par Reporterre, Areva n’a pas souhaité répondre à nos questions, renvoyant à la société d’exploitation, Coriance. Celle-ci n’a pas donné suite à nos appels répétés. En attendant, la mobilisation s’organise et une manifestation se déroule ce samedi, à 11h, devant la mairie de Pierrelatte.
En attendant de prochaines actions juridiques sur les différents aspects controversés de ce projet, c’est donc par la revendication citoyenne et locale que se prolonge l’opposition à la centrale biomasse de Pierrelatte. Comme à Gardanne, que Reporterre suit également. Et comme souvent dans tous ces projets absurdement inutiles, grands ou petits.
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Source : Reporterre.
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