Bar-le-Duc, France : 13 procès et le tribunal évacué

Ce mardi 16 octobre, 13 personnes passaient en procès pour des affaires liées à la lutte anti-CIGEO.
Une spécialité du tribunal de Bar-le-Duc est de rassembler toutes les affaires militantes le même jour, afin d’assurer un déploiement policier proportionné : une centaine de flics.

La journée a commencé à 9h, sur les sièges du tribunal de Bar-le-duc

Malheureusement, une des avocates des militant.e.s, s’étant cassée le pied, ne pouvait pas être présente et avait demandé des renvois pour ses dossiers.
La juge principale (Catherine Buchster-Martin) et le procureur (Olivier Glady) s’en énervent vite et font donc pression sur l’un.e des copaines prévenu.e.s :
« proc : Pourquoi avoir choisi un avocat de Lille alors que vous habitez ici ? »
« juge : Avez-vous choisi maître R par opportunisme pour obtenir un renvoi ? »
ponctué de « vous êtes bien sûr que vous avez choisi cette avocate ? »
puis la juge, daignant enfin regarder ses notes, constate que l’avocate en question avait demandé le dossier pénal de la copaine le 25 juin.

Une avocate de la partie civile (des flics) demande le renvoi de l’un des procès parce qu’elle a eu un accouchement prématuré, le procureur refuse car « elle aurait pu anticiper ». Les avocates présentes dénoncent ce sexisme latent.

7 renvois au 5 février 2019 finissent par être prononcés, les demandes d’allègement de contrôle judiciaire, comprenant des interdictions de territoire et des pointages lourds, sont rejetés pour 2 des 3 copaines qui en avaient fait la demande. On applique donc des restrictions fortes de liberté, pendant plus de 4 mois, pour des personnes « présumées innocentes ».

Les réactions du public face aux élucubrations du procureur et à l’absurdité des procès énervent la présidente du tribunal, au point qu’elle commence à faire évacuer des personnes de la salle au tout début du premier procès. Ainsi, 3 copaines se font trainer jusqu’à l’extérieur du tribunal.

Premier procès

Ce procès s’annonce long, les faits datent d’avril (refus de signalétique, violences, menaces de mort et outrages) et le procureur se met à plaindre les compagnies de gendarmes mobiles :

  • « harcèlement typique que subit au quotidien la gendarmerie mobile à Bure » ;
  • « c’est une sorte de jeu d’aller emmerder les gendarmes » ;
  • « La mairie de Bure doit consacrer presque l’entièreté de son budget pour pallier aux dégradations des opposantes » ;
  • « on peut comprendre que les gendarmes mobiles en ont assez d’être caillassés, d’être insultés, … » ;
  • « A travers leur mission de surveillance les gendarmes subissent trop souvent du harcèlement »

Le harcèlement, dans sa bouche, c’est les gendarmes qui le vivent. Par contre pas de harcèlement policier : à cause du mensonge et du refus de s’identifier des opposant.es, « c’est par l’interpellation systématique que leurs identités se sont révélées ».
En passant, il évoque au juge que les attestations d’hébergement sont « des bouts de papiers, des torchons » et que « c’est du bidon » en déclarant qu’une habitante (qui allait être jugée peu après, et qui donc était dans la salle) est une menteuse. Et puis de toute façon, comme dit Glady, « la maison de la résistance de Bure, que je connais pour m’y être invité plusieurs fois cette année accompagné des forces de l’ordre, est une vaste auberge de jeunesse » et se permet de faire des remarques sur l’intérieur de la maison.

Malgré les différentes incohérences du dossier, le procureur demandera 3 mois fermes avec mandat de dépôt, une révocation de sursis (2 mois) et une interdiction de Meuse pendant 2 ans.
Le jugement pour les parties civiles est reporté mais 7 « victimes » policiers demandent chacun 600 euros d’amende pour s’être fait insulter.

Après une courte pause du tribunal, dossier suivant

Les faits remontent cette fois-ci à janvier 2017 : blocage d’engins de chantier dans le bois Lejuc. Le renvoi demandé précédemment pour manque de pièces au dossier envoyé à l’avocat et car une personne n’avait pas été prévenue qu’elle passait en procès, a été refusé. Ce renvoi avait été négocié la veille entre l’avocat et le procureur, celui-ci bien entendu est revenu dessus, l’avocat n’a donc pas pu préparer le dossier.

Pour excuser ce procès qui se fait en bafouant clairement le droit à la défense, le procureur assurera que la personne est « radicalement introuvable ».

Elle est accusée de s’être tenue sur le chemin devant l’engin pendant … moins d’une minute !

Le procureur évoquera « la ténacité éprouvée pour bloquer l’engin, agripper l’engin est une technique, toute une grappe s’y est accrochée, l’engin de chantier était littéralement recouvert » (par 3 personnes ^^).
Et c’est ce qu’on reproche à la seconde prévenue, l’obstruction des travaux par la « technique de grimpe ».
Elle avait eu la tête projetée contre le rétroviseur, ce qui lui occasionna une blessure au nez. Un vigile déclarera : « elle avait une croûte sur le nez avant, elle l’a frottée avec de la neige pour l’arracher et se faire saigner ». Sa plainte pour coups et blessures a été classée sans suite.

L’avocat rappelle que l’ANDRA avait, auparavant, fait des travaux illégaux dans le bois lejuc. Les travaux bloqués n’étaient donc pas d’utilité publique mais de réparation d’ordonnance pénale, et au vu du contexte (6 mois après l’ordonnance de remettre en état la forêt, avec des machines pas adaptées aux travaux à faire) ils étaient faits purement par provocation par l’ANDRA, pour montrer qu’ils voulaient faire les travaux mais qu’on les en empêchait.

Réquisition : 3 mois de sursis simple pour chacun.e pour « obstruction à des travaux publics par violence ou voie de fait ».
La partie civile (l’ANDRA) demande 2721 euros pour des travaux qui ont été interrompus mais tout de même facturés et 700 euros pour leurs frais d’avocat.

Au cours de cette affaire, une autre rangée de 4 copaines a été « évacuée » du tribunal.

14h, un dossier qui date du 22 février, date de l’expulsion du bois Lejuc

La prévenue de 60 ans est acusée d’avoir violenté les gendarmes qui la portaient lors de son expulsion de la maison de la résistance. Elle leur aurait donné des coups de pied au niveau de la tête et de l’avant-bras.

Le procureur joue la victime :

  • « le discours de la défense est teinté de situationisme et de conspirationisme »
  • « on pourrait croire que je suis un manipulateur de projet politique »
  • « il paraît que je ne serais qu’une moitié, voir moins d’une moitié de magistrat »
  • « un judas, un vassal du nucléaire, cela a même été taggué dans le tribunal »
  • « dans tous les torts de l’histoire, je serais parmi les plus grands scélérats »
    Pour conclure avec un « c’est un petit peu agaçant »

La défense évoque la complexité de voir toutes les prévenu.e.s en Garde à Vue car les gendarmes font en sorte de les éparpiller à travers le département. Le procureur répond :  » on n’allait pas lancer une invitation à l’ensemble de l’équipe des avocats des opposants pour le 22 février, puisque cette perquisition était inopinée ».

Une copaine ne tient plus et un rire lui échappe, la juge ordonne son « évacuation », ce à quoi les Gendarmes mobiles procèdent en filmant. Le procureur continue sa plaidoirie alors que nous protestons contre la présense d’une caméra dans la salle d’audience, ce qui est strictement interdit.

Un huis-clos non-officiel, non-assumé

La juge ordonne l’évacuation immédiate de la salle, puis une suspension de l’audience. Les GM nous encerclent tout en filmant. Nous sommes poussé.e.s, pressé.e.s vers la salle d’à côté.
Devant l’escalier, nous sommes poussé.e.s plus violemment. Deux autres copaines finiront le trajet vers la sortie (comprenant 2 volées d’escaliers) en étant portées jusqu’à la porte.

Peu de temps après, l’audience reprend. La juge déclare qu’elle reste publique et que les portes sont ouvertes. Malgré cela, les GM ne laisseront entrer que les prévenu.e.s restant.e.s et les avocates. Un huis-clos non-officiel, non-assumé.

Réquisition : 3 mois de sursis simple pour le dossier qui était en cours au moment de l’évacuation de la salle.
La partie civile (le commandant Dubois, qui n’en est pas à sa première affaire) demande 300 euros.

L’affaire suivante, qui a donc été jugée dans ce huis-clos non officiel, concerne une copaine arretée début septembre alors qu’elle marchait dans les rues de Mandres en Barrois. Les flics la contrôlaient pour la 9e fois en 3 semaines, il se serait énervé et les aurait traité de nazis. Les flics l’ont interpellé. En l’entendant crier, pas mal de monde a débarqué, les GMs ont pris peur et ont gazé. La copaine interpellé crache suite au gazage, il sera donc chargé d’outrage et de rebellion en réunion (puis d’un refus de signalétique : photos et empreintes).

Le réquisitoire du procureur s’appuie principalement sur le casier judiciaire de la copaine (2 condamnations), pour démontrer sa culpabilité. Le crachat poserait des problèmes sanitaires et aurait une portée symbolique.

La partie civile fait savoir, par recommandé, qu’elle demande 69 euros pour une paire de lunettes et 450 euros pour le crachat.

Réquisition : payer les parties civiles + 6 mois de prison avec mandat de dépot dont 3 avec sursis et mise à l’epreuve : obligation de travailler et interdiction de Meuse pendant 2 ans.

La juge exprimera qu’elle regrette les propos de l’avocate par rapport à la police, celle-ci ayant dénoncé le harcèlement et l’acharnement policier au sens large.

Dernier procès

La dernière personne est jugée pour un outrage qui aurait eu lieu lors d’un contrôle routier à 10m de la maison de résistance, en août dernier. Cette personne a fait le choix de se présenter sans avocat.
Le proc attaque le droit à garder le silence en dressant un profil psychologique type anti-tout « et peut-être même anti-anti ». Pour appuyer ses propos il se réfere une fois de plus à l’audience du 19 mars où des copaines avaient fait le choix de ne pas se prêter au jeu de la justice.

Réquisition : 3 mois de sursis avec mise à l’epreuve : obligation de travailler et interdiction de Meuse pendant 2 ans

Tous les rendus des procès seront donnés le 13 novembre.

[Publié sur Manif-Est.info, 20.10.2018]