Chroniques de frontières alpines – 1 / Réprimer les solidarités : La stratégie de la peur

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Depuis 2015, dans le cadre de la « lutte anti-terroriste » menée par l’Etat français, on a assisté à une intensification de la répression policière et juridique vis-à-vis des citoyen·nes solidaires avec les étranger·es, notamment aux zones frontalières. Entre juillet 2015 et janvier 2017, de 9 citoyen·nes des Alpes Maritimes ont été inculpé·es, et le 24 avril 2018, trois militant·es suisses et italienne ont été mis·es en détention préventive suite à une manifestation solidaire à la frontière des Hautes-Alpes. Ces récents événements ont fait ressusciter les débats autour du poussiéreux « délit de solidarité », institué en 1938 (dans un climat dont chacun·e devine qu’il était particulièrement xénophobe…)

Le dossier en ligne du Gisti sur le délit de solidarité montre comment les évolutions progressives du droit sont devenues de plus en plus floues de sorte qu’il n’ait plus vocation à réprimer les trafics et réseaux mafieux à la frontière, mais à englober dans le champ des répressions les pratiques d’aide gratuite et solidaires vis-à-vis des étrangers. Cette évolution est le fruit d’une représentation de continuité entre l’immigration clandestine et le terrorisme : ainsi, dès 1996, l’aide au séjour irrégulier est intégrée parmi les infractions à visée potentiellement terroriste. Depuis les années 2000, on assiste à une extension des immunités (notamment pour « motifs humanitaires ») mais aussi, simultanément, à une aggravation des sanctions et de la répression des citoyen·nes solidaires avec les étranger·es sans-papiers.

Tout un arsenal législatif a ainsi vocation à limiter les activités bénévoles de citoyen·nes solidaires : l’ « aide à l’entrée et au séjour irréguliers », punis de 10 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, mais aussi les « délits d’outrage, d’injure et de diffamation ou de violences à agent publics », utilisés selon le Gisti pour  » défendre l’administration et la police contre les critiques dont leurs pratiques font l’objet ». A ces motifs s’ajoutent des pratiques plus sournoises de dissuasion, qui procèdent de la même volonté politique : « Il s’agit de priver l’étranger en situation irrégulière en France de toute forme de soutien : amical, politique ou juridique mais aussi, au-delà, de signifier à la population en général et aux militant·es en particulier qu’on ne peut s’opposer impunément à la politique gouvernementale quelles que soient la détresse humaine et les horreurs qui lui sont inhérentes. »

A la frontière franco-italienne, depuis quelques années, la répression judiciaire des personnes solidaires avec les exilé·es a concerné avant tout la zone de Menton-Vintimille, avec des garde-à-vue à tours de bras, la distribution de plus de soixante-dix interdictions de territoire pour des militant·es français·es et italien·nes, et puis l’ouverture des procès d’habitant·es de la Roya et de Menton. Les personnes incriminées assument leur solidarité avec les sans-papiers, en arguant que ce sont les pratiques illégales par la police de refoulement aux frontières qui (re)mettent en danger les personnes exilées, dont elles violent les droits.

Dans les Hautes-Alpes, la route qui s’est ouverte progressivement au cours de l’année 2017 fait de la région briançonnaise, depuis plus de six mois, un des principaux passages vers la France. Les mêmes événements se sont enchaînés, rapidement, qu’à Menton et dans la Roya : forte augmentation du nombre de personnes traversant la région pour entrer en France, organisation citoyenne pour faire face à une situation humanitaire d’urgence, militarisation de la frontière grâce à des équipements et des renforts policiers, répression des personnes clandestines… Et prise en étau des bénévoles solidaires au coeur de ce dispositif de répression, lequel vise avant tout les personnes étrangères, mais également tous les gens qui leur viennent en aide.


 

Documentaire : « Libre »de Michel Toesca.

 quand Mercredi 30 Mai à 20h30

🙁au Ciné Galaure) à saint vallier (26240), Drôme

 

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Le film a été présenté en séance spéciale au Festival de Cannes 2018