Archives mensuelles : décembre 2018

Tendances Sauvages Misanthropes : autres expressions d’autoritarisme et de pensée sacrée

sans attendredemain

C’est de la récente prolifération d’éco-extrémisme et de certaines opinions déversées dans les médias proches de cette tendance, qu’a surgi la nécessité de ce texte. Sans prétendre établir un dialogue, nous allons éclaircir quelques points qui nous paraissent essentiels.

Depuis quelques années, diverses individualités de différents endroits du continent américain (particulièrement du territoire dominé par l’État mexicain), proches de positions et de luttes contre la civilisation ont donné forme à une tendance qu’elles ont appelée « éco-extrémisme ». Qu’est-ce que l’éco-extrémisme ? Bien qu’il y ait de subtiles différences entre celles et ceux qui se reconnaissent dans ce concept, nous pouvons plus ou moins dire qu’elles sont d’accord sur le fait de considérer comme leur ennemi l’ensemble de l’humanité : celle-ci et sa civilisation seraient incompatibles avec la Nature Sauvage. A leur avis, la guerre contre la civilisation est indiscriminée, et chaque personne représenterait donc un ennemi. L’humanité étant le problème, n’importe qui peut être une cible, quel que soit le genre, la condition économique, l’âge etc. Les formes d’attaque de ces groupes s’inspirent des expériences les plus diverses, peu leur importe de reprendre les « enseignements » de fanatiques religieux¹ comme ISIS ou de partis misant sur la libération nationale, tout leur sert, pourvu que les formes soient indiscriminées.

Un des groupes d’action les plus emblématiques de ce courant est « les Individualités Tendant au Sauvage » (ITS). En 2011, elles ont commencé à attaquer à l’explosif des centres de recherche technologique dans différentes villes mexicaines. Au fil des ans, les attaques ont continué et divers autres groupes proches sont apparus, tous ayant comme objectif commun la lutte contre la civilisation. En 2014, apparaît « Réaction Sauvage » (RS), qui concentre en son sein divers groupes éco-extrémistes et abandonne les sigles ITS. En 2016, ITS revient avec pour but principal d’étendre le projet à de nouveaux endroits. Cette même année, des attaques et des revendications liées à ITS sortent des territoires dominés par les États chilien, argentin et brésilien. Des organisations sympathisant avec cette tendance, allant d’une optique individualiste à l’anti-civilisation, comme par exemple les Sectes Egoarcas en Italie existent aussi autre part et des affinités avec l’éco-extrémisme sont également apparues en Allemagne, en France, en Finlande, etc.

Pour atteindre leur objectif, soit la fin de l’humain civilisé, ils se sont attribué toutes sortes d’attaques, allant d’engins explosifs laissés de jour en pleine rue à des incendies, des colis piégés et quelques assassinats. Ils considèrent en outre chaque phénomène naturel occasionnant des dommages aux vies et aux biens humains comme allant dans le sens de leurs principes d’en finir avec la civilisation et ont ainsi revendiqué sur leurs sites internet des raz de marée, des tremblements de terre, des avalanches, etc.

Entre la radicalité esthétique et le sacré

Les éco-extrémistes se qualifient d’individualistes et de nihilistes, beaucoup viennent de l’anarchisme et, selon leurs propres mots, ils et elles se sont rapproché.e.s de l’anarchisme en quête de « salut » et de « communauté libre » ; n’y ayant trouvé « qu’un ensemble de chrétiens moralistes », ils ont alors opté pour quelque chose de « plus radical ». Nous comprenons cette quête de « radicalité » plutôt comme l’appropriation de tout ce qui peut être vu comme « politiquement incorrect », selon les paramètres de l’opinion commune. Ainsi, si demain surgit un nouveau concept qui dérange ou gêne « l’humain normal », ils se l’approprieront sans doute. Or, la radicalité consiste à en finir avec la racine du problème, pas à sauter sur le plus extrême ou le plus provocant.

Leurs bases théoriques se fondent sur l’étude de quelques peuples de chasseurs-cueilleurs nomades ; selon leurs propres mots, ils et elles ont repris l’animisme païen, tout en créant pourtant une nouvelle foi, basée sur diverses déités ancestrales. Leur pensée sacrée polythéiste n’est peut-être pas aussi brutale que le Dieu chrétien, mais ça reste en fin de compte un (ou des) Tout-Puissant… Il nous semble étrange qu’ils se définissent eux-même comme individualistes et nihilistes, en croyant en même temps en des entités qui seraient au-dessus d’eux. Comment l’individu peut-il se développer intégralement, si sa réalité est conditionnée par quelque chose qui la contrôle ? Nous appelons et luttons pour détruire toutes les chaînes, crédos et lois et nous sommes ennemi-e-s de toute religion, qu’elle s’appelle christianisme, paganisme animiste ou Nature Sauvage. Aucune doctrine statique n’est au-dessus de nous.

« Libérons-nous de tout ce qui est sacré, n’ayons ni foi ni loi, et nos discours n’en auront pas non plus. »

Max Stirner

Nous voyons dans leurs textes à quel point ils prétendent détenir la Vérité et sacralisent leur guerre contre la civilisation dans une sorte de nouvelle inquisition contre tout ce qui, à leur avis, n’est pas correct ou contre tout ce qui représente les valeurs « civilisées ». En affirmant leur position comme « la seule réalité possible », ils et elles se placent nécessairement au-dessus des autres, définissant la ligne « du bien et du mal ». Leurs positions autoritaires évidentes sont étroitement liées à l’absolutisme de se sentir en possession d’une certaine sagesse et de se croire élu-e-s pour la Croisade Naturaliste.

Donc Saint est l’Être Suprême et tout ce en quoi il se manifeste ou se manifestera ; sanctifiés sont ceux qui reconnaissent l’Être Suprême, y compris ce qui est sien, c’est-à-dire y compris ses manifestations. Le Saint sanctifie en retour son adorateur qui par son culte même devient un saint et dont toutes les actions désormais sont saintes : un saint commerce, des pensées et des actions saintes, de saintes aspirations, etc… »

Max Stirner

Sur les critiques opportunistes

Comme ils et elles l’affirment justement, nous sommes différent-e-s, et il ne nous intéresse donc pas de nous étendre sur une critique détaillée et moins encore de tomber dans l’issue facile de l’insulte. La manière dont ils et elles questionnent l’anarchisme ne nous affecte pas, puisque nous ne partageons en rien leur manière de le voir, comme une doctrine avec des normes comportementales rigides et inamovibles. Pour notre part, nous le concevons et le vivons comme un ensemble d’idées et de pratiques anti-autoritaires qui s’affrontent à toute forme de domination. C’est une tension constante, pas une réalisation ou une idéologie. C’est la destruction de tout ce qui nous réduit en esclavage, en construisant de nouvelles relations entre tous les êtres qui habitons ce monde, et avec la Terre.

Alors que les anarchistes sont critiqué-e-s pour avoir une morale, comme si nous étions des religieux-ses en possession de la Vérité, nous affirmons pour notre part clairement que nous rejetons la morale, que nous considérons comme l’institutionnalisation de certaines normes et de comportements inamovibles, c’est-à-dire quand cela devient « c’est comme ça » et pas un apprentissage reposant sur l’expérience de ce que nous voulons. Nous préférons le terme d’éthique , venant d’ethos ou coutume, qui ne se réfère pas à une tradition, mais à l’expérience, à ce qui est dans nos habitudes. Nous ne sommes ni naïf-ve-s ni conformistes, nous savons qu’il existe dans l’anarchisme un large éventail de tendances, y compris opposées. Certain-e-s voient l’anarchisme comme un dogme, reprenant les postulats de compagnon-nes d’autres époques comme s’il s’agissait de saintes écritures. Nous pensons que cela revient à restreindre la liberté individuelle dans des formes organisatives. Les critiques de ces manières de penser et les divergences en ce qui concerne l’agir existent depuis que des anarchistes ont donné la priorité à l’intégralité de l’individu et/ou ont fait un saut qualitatif et radical dans les formes d’attaque. Les critiques de quelques éco-extrémistes à l’encontre de certaines formes d’anarchisme n’ont rien de nouveau… Des anarchistes le font depuis des décennies (pour ne pas dire plus d’un siècle). Nous n’attendons pas un jour pour la révolution, ni la légitimité des masses et nous n’avons pas de modèle uniforme de conduite à suivre.

Notre option est de détruire toute autorité

Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, beaucoup d’éco-extrémistes viennent de la mouvance acrate, particulièrement de la mouvance éco-anarchiste et primitivistes, et logiquement nous pouvons partager certaines choses, mais de nombreux problèmes de fond nous opposent. Nous pourrions nous étendre sur plusieurs points, mais nous aborderons plus spécifiquement la vision de l’autorité. Dans un texte que nous avons trouvé dans leurs médias de diffusion digitale, intitulé « Mythe anarchiste » il est écrit :

« Nous pensons que l’autorité et l’organisation hiérarchique ne sont par conséquent ni « bonnes » ni « mauvaises », mais que c’est simplement, que cela vous plaise ou non, quelque chose de très naturel dans le comportement humain depuis toujours. Nous pouvons donc être faux et tomber dans l’hypocrisie des anarchistes et des « antiautoritaires », ou assumer la réalité et l’utiliser comme il nous convient ».

Pourtant, bizarrement, ils et elles se définissent dans le même texte comme individualistes qui « ne baissent la tête devant personne » et qui plus est « n’ont pas besoin qu’on leur dise ce qu’ils ont à faire, quoi penser ou quelles décisions prendre ». Cette dichotomie, qui met dans le même sac hiérarchie et liberté individuelle, exprimée par l’auteur-e nous semble profondément contradictoire. Notre idée de l’individualisme part de la base de placer l’individu au centre de toute activité, c’est-à-dire qu’il n’est ni au-dessus du collectif, ni en-dessous, rien ne le soumet. Nous sommes complètement opposé-e-s à la position des éco-extrémistes, nous sommes ennemi-e-s de toute forme d’autorité et nous ne voyons pas la hiérarchie comme quelque chose de « très naturel » dans les organisations humaines. Pour le dire clairement ; anarchie vient du préfixe grec « an- » qui signifie « sans » ou « non »et de la racine « arkê » qui se traduit par « pouvoir » ou « commandement ».

Nous pensons que les relations de pouvoir reposent sur les ordres et l’obéissance, de manière plus ou moins coercitive, mais toujours violente. Pour appuyer leur « hiérarchie naturelle », ils invoquent habituellement divers comportements de peuples de chasseurs-cueilleurs. Nous leur répondrons sur ce terrain. Comme l’affirme Pierre Clastres dans « La Société contre l’État », après avoir étudié différentes tribus du cône sud (en laissant de côté les grandes civilisations Incas et Mayas) :

« C’est donc bien le défaut de stratification sociale et d’autorité du pouvoir qu’il faut retenir comme trait pertinent de l’organisation politique du plus grand nombre des sociétés indiennes ; certaines d’entre elles comme les Ona ou les Yagan² de la Terre du Feu, ne possèdent même pas l’institution de la chefferie ; et l’ont dit des Jivaros³ que leur langue ne possédait pas de termes pour désigner le chef. »

Presque tous les écrits connus sur le comportement de nombreux peuples originels américains proviennent de prêtres évangélisateurs, de conquistadors européens et de chercheurs contemporains. Les premiers et les suivants venaient de grands royaumes et connaissaient donc parfaitement l’obéissance, et les études suivantes l’ont confirmé. Clastres l’explique clairement :

« Or, l’expérience directe du terrain, les monographies des chercheurs et les chroniques les plus anciennes ne laissent là-dessus aucun doute : s’il est quelque chose de tout à fait étranger à un Indien, c’est l’idée de donner un ordre ou d’avoir à obéir, sauf en des circonstances très spéciales, comme lors d’une expédition guerrière. »

Nous observons, analysons et apprenons de différentes populations, mais il est clair pour nous que nous ne sommes pas et nous ne voulons pas être comme elles, sachant qu’il est même difficile pour nous, à partir de notre vision occidentale (que nous essayons de détruire aussi) de comprendre beaucoup de choses. Nous voulons en finir avec la domination et c’est dans cet exercice que nous construisons de nouvelles formes de relations, que nous créons de nouvelles dynamiques. Nous ne voulons pas celles d’autres, que ce soient des partis, des avant-gardes ou des indigènes.

Écrire cela nous fera très certainement taxer d’anthropocentristes hyper civilisé-e-s chrétien-ne-s ; peut-être le sommes-nous, nous ne cherchons à donner de leçons à personne, mais nous voulons poser les choses clairement. Nous ne voulons rien laisser de ce monde, pas même ses ombres, nous voulons détruire chacun des maillons de cette immense chaîne qui nous réduit en esclavage, y compris la civilisation, puisque nous sommes conscient-e-s des dommages qu’elle cause à tout l’environnement, mais nous ne pensons pas pour autant que la solution soit la misanthropie et de sacraliser la nature, nous pensons en outre que cela fait partie du problème.

[Publié dans Kalinov Most #1 (Octobre 2017), revue anarchiste internationale]


Notes :

¹Nous avons trouvé plusieurs articles se référant, selon les éco-extrémistes, à « ce qu’on peut apprendre de différents groupes pour la guerre contre la civilisation », ils parlent principalement de reprendre des expériences, des formes d’attaque, etc. Pour citer quelques exemples, il y a l’article de la revue Ajajema, intitulé Armée du peuple paraguayen (EPP). Que peut-on en apprendre ?, dans lequel il est fait mention : « des choses précieuses que l’on peut apprendre des groupes armés, tant de gauche que de droite, et nous n’avons aucun problème moral à l’admettre, puisque nous avons revendiqué plus d’une fois une tendance marquée à l’anti-politique et à l’anti-idéologique. Et un autre dans la revue Extincion n°6, « Les Leçons laissées par l’État Islamique avant sa chute », qui professe que : « La guerre de l’État Islamique est une guerre authentique contre la civilisation et, même si, en cas de triomphe, ils imposeraient certainement leur civilisation islamique avec une main de fer, c’est une guerre de toutes manières, si bien que personnellement je n’ai aucun problème moral à apprendre d’elle. Les éco-extrémistes retiennent notamment d’ISIS l’utilisation de poules, d’ânes et même d’enfants avec syndrome de Down comme bombes vivantes. L’ensemble se passe de commentaires.

²Ona et Yagan étaient des peuples vivant en Terre du Feu. Les Onas ou Selknam ont été exterminés, en 2006 est morte la dernière femme Yagan.

³Les Jivaros est un nom dépréciatif pour le peuple Shuar, ce sont les indigènes les plus nombreux en Amazonie. Les Shuar habitent entre les forêts du Pérou et de l’Équateur.

Texte:Sur le mouvement des Gilets jaunes

 

L’image contient peut-être : plein air

image récupérée chez un camarade italien

 dimanche 2 /12, par Temps critiques

Un autre fil historique que celui des luttes de classes

On pour­rait rai­son­na­ble­ment y voir des ana­lo­gies avec plu­sieurs événements his­to­ri­ques comme le soulèvement des Fédérés pen­dant la Révolu­tion française. Même si bien évidem­ment il n’y a jamais de vérita­ble répétition dans l’his­toire, force est de cons­ta­ter que des éléments com­muns caractérisent les gran­des révoltes popu­lai­res dont la lutte anti­fis­cale représente sûrement le point le plus basi­que1. Ainsi en fut-il du soulèvement insur­rec­tion­nel des Fédérés de l’été 1793 dans les Provinces du sud-est et de l’ouest de la France, qui s’oppo­sait au coup d’État des Jacobins, les­quels cher­chaient à impo­ser leur pou­voir des­po­ti­que sur l’État-nation bour­geois dans l’ensem­ble du ter­ri­toire. Il n’est pas irrai­sonné de faire une ana­lo­gie entre les Fédérés et les Gilets jaunes puis­que les uns comme les autres ne contes­tent pas les fon­de­ments républi­cains de l’État, mais deman­dent une reconnais­sance de leur citoyen­neté pro­vin­ciale et la fin de leur condi­tion de sous-citoyens. De la même façon, cer­tai­nes doléances des mani­fes­tants rap­pel­lent les fameux « Cahiers de doléances » des années 1788-89, ainsi que les oppo­si­tions actuel­les aux taxes rap­pel­lent les actions menées contre les fer­miers généraux à l’époque. Cette ana­lo­gie peut pren­dre consis­tance lorsqu’on sait que la puis­sance du capi­tal glo­ba­lisé et tota­lisé a conduit à un affai­blis­se­ment de la forme État-nation démo-républi­cain. Or c’est cette forme2 qui conte­nait le prin­cipe d’égalité de condi­tion célébré par Tocqueville dans son livre sur la démocra­tie en Amérique. Elle s’est pro­gres­si­ve­ment accom­plie dans les formes républi­cai­nes ou/et par­le­men­tai­res à tra­vers les poli­ti­ques réfor­mis­tes plus ou moins social-démocra­tes et la vic­toire contre l’alter­na­tive fas­ciste des années 1930-1940. Sortie plus forte de 1945, elle s’est développée dans les différentes formes d’État-pro­vi­dence de la période des Trente glo­rieu­ses jusqu’à même triom­pher du der­nier sur­saut des luttes prolétarien­nes des années 1960-70.

La perte de légitimité de l’État-nation

À partir de la fin des années 1970, les restruc­tu­ra­tions indus­triel­les et le pro­ces­sus de glo­ba­li­sa­tion/ mon­dia­li­sa­tion s’enclen­chent alors, dans ce qui n’est pas pour nous une contre-révolu­tion (il n’y a pas vrai­ment eu révolu­tion), mais une révolu­tion du capi­tal. Elle s’initie puis prospère sur les limi­tes du der­nier cycle de lutte de clas­ses et épuise la dyna­mi­que his­to­ri­que de l’égalité portée par l’idéologie uni­ver­sa­liste de la première bour­geoi­sie sou­te­nue par la classe ouvrière au sein de l’État-nation. Désor­mais l’équité rem­place l’égalité, la lutte contre les dis­cri­mi­na­tions rem­place la lutte contre les inégalités

Des formes précapi­ta­lis­tes de rap­ports sociaux subor­donnés réémer­gent alors : les rela­tions socia­les (« le piston »), l’hérédité sociale, repren­nent de l’impor­tance à l’intérieur même du pro­ces­sus démocra­ti­que comme le montre la situa­tion dans l’éduca­tion où de plus en plus d’élèves entrent dans le cycle supérieur sans que le pour­cen­tage d’enfants d’ouvriers s’élèvent pour autant ; comme le montre aussi une aug­men­ta­tion des taxes qui, dans le système redis­tri­bu­tif français où 50 % de la popu­la­tion ne paie pas d’impôt sur le revenu, est la façon la plus directe de faire contri­buer les pau­vres, comme sous l’Ancien régime fina­le­ment. Toutes ces mesu­res sont à la racine de la révolte fis­cale actuelle. C’est d’autant plus injuste que contrai­re­ment à ce qui se dit sou­vent sur la part res­pec­tive de chacun à la pol­lu­tion, ce ne sont pas les moins aisés qui pol­lue­raient le plus (on accuse l’auto­mo­bile et le diesel), mais les plus riches. Tout cela est posé en termes indi­vi­duels comme si cela était du res­sort de chacun et non pas du rap­port social capi­ta­liste dans son ensem­ble. 

D’après des sta­tis­ti­ques3 récentes, un cadre supérieur sera beau­coup plus pol­lueur et aura une empreinte car­bone supérieure (à cause sur­tout de ses loi­sirs supérieurs et des dépenses en essence bien supérieu­res, en valeur abso­lue, à un ouvrier ou une aide-soi­gnante, mais sa dépense en essence représen­tera une part pro­por­tion­nelle bien moins impor­tante de son budget en valeur rela­tive. Statistiquement en France, les 10 % les plus riches émet­tent quatre fois plus d’empreinte car­bone que les 50 % les plus pau­vres donc chaque foyer des 10 % des plus riches émet­tent vingt fois plus que les plus pau­vres alors que le mode de vie des plus riches (avions, gros­ses voi­tu­res, 4×4) est non seu­le­ment préservé, mais en voie de démocra­ti­sa­tion avec crédit et voya­ges low cost4. Ces données s’ins­cri­vent en faux contre l’image donnée des Gilets jaunes comme de gros beaufs pol­lueurs. Certes, ils accor­dent sûrement moins d’atten­tion idéolo­gi­que à l’écolo­gie que les cadres ou pro­fes­sions intel­lec­tuel­les, mais leurs pra­ti­ques sont moins contra­dic­toi­res que les leurs.

L’aug­men­ta­tion de la CSG avait déjà eu cet effet de taxa­tion de tous (pau­vres comme retraités), mais comme toutes les taxes, elle est pro­por­tion­nelle et non pas pro­gres­sive avec donc elle n’a aucun caractère redis­tri­bu­tif, bien au contraire puis­que cer­tai­nes taxes tou­chent des pro­duits qui représen­tent une plus grande part du budget des famil­les en dif­fi­culté que des famil­les riches (c’est par exem­ple le cas de la TVA). Il ne faut donc pas s’étonner de voir des petits retraités dont beau­coup vivent mal le paie­ment de la CSG, être très actifs sur les bar­ra­ges, d’autant qu’ils ont le temps dis­po­ni­ble pour eux. C’est donc la fonc­tion sociale de l’impôt qui est remise en ques­tion du fait du sen­ti­ment de déclin des ser­vi­ces publics de proxi­mité au profit de leur contrac­tua­li­sa­tion (pres­ta­tions-clients, numérisa­tion) par­ti­culièrement évidente en ce qui concerne la SNCF, ce qui pro­duit une réaction indi­vi­duelle face à l’impôt fai­sant la balance entre ce qui est payé et ce qui est reçu. Toute soli­da­rité, même abs­traite, s’efface devant des réflexes indi­vi­dua­lis­tes qui se por­te­ront faci­le­ment vers et sur des boucs émis­sai­res.

Si toute aug­men­ta­tion des prix sur des pro­duits de consom­ma­tion cou­rante a ten­dance à plus tou­cher les ménages à petit budget, les indi­vi­dus réagis­sent en général moins à ces mou­ve­ments de prix qui leur appa­rais­sent comme quasi natu­rels, au moins dans les pays capi­ta­lis­tes développés. Néanmoins, de plus en plus de prix leur appa­rais­sent comme des prix arti­fi­ciels soit parce qu’ils sont admi­nistrés par l’État et subis comme des prix poli­ti­ques entraînant une aug­men­ta­tion des dépenses contrain­tes, soit comme des prix de mono­pole imposés par les firmes mul­ti­na­tio­na­les et la grande dis­tri­bu­tion. Mais, hormis dans les DOM-TOM et encore aujourd’hui à la Réunion, ces prix sont rare­ment attaqués de front dans des émeutes popu­lai­res qui exis­tent pour­tant dans les pays pau­vres (Tunisie, Égypte). Il n’y a pas d’émeutes de la faim dans des pays comme la France et la lutte contre les prix s’avère indi­recte dans le cadre d’une lutte contre les aug­men­ta­tions de taxes qui appa­rais­sent sou­vent incompréhen­si­bles, du moins en France, vu le prin­cipe de non-affec­ta­tion. Il n’en faut donc pas plus pour que les Gilets jaunes et leurs sou­tiens refu­sent une taxa­tion soi-disant « verte » qui en fait ren­floue la caisse glo­bale de l’État qui ensuite seu­le­ment procède aux arbi­tra­ges budgétaires5. Question sociale et ques­tion envi­ron­ne­men­tale res­tent donc séparées, même si elles sont reconnues comme légiti­mes, car beau­coup de présents sur les bar­ra­ges ou dans les mani­fes­ta­tions refu­sent l’image de « beauf » qui leur a été collée et qu’ils res­sen­tent comme un mépris de caste si ce n’est de classe. Il n’empêche que la phrase énoncée dans les ras­sem­ble­ments : « Les élites par­lent de la fin du monde quand nous par­lons de fin du mois » est peut être la plus forte enten­due parce qu’elle consa­cre cette ten­sion.

La révolte contre l’impôt ou les taxes ne peut donc être assi­milée au refus pur et simple exprimé par de nom­breu­ses cou­ches supérieu­res, pro­fes­sions libérales et autres petits patrons crou­lant sous les char­ges socia­les.

D’où aussi des contes­ta­tions contre les nou­veaux « privilèges », et contre la paupérisa­tion de la vie quo­ti­dienne. Un autre argu­ment joue en faveur de cette thèse d’un soulèvement du peuple fédéré : la carte des révoltes et des soulèvements des Fédérés de l’été 17936 cor­res­pond assez bien à la carte des régions où les blo­ca­ges et les actions des Gilets jaunes sont les plus forts. Mais, là encore, la spécifi­cité de l’État français et de son cen­tra­lisme qui per­dure malgré la crise générale de la forme État-nation, empêche cette révolte de suivre la ten­ta­tion ita­lienne ou espa­gnole de l’auto­no­mie (Padanie) ou de l’indépen­dance (Catalogne) ou encore de la séces­sion européenne comme avec le Brexit7. Il n’empêche que le redéploie­ment de l’État-nation en État-réseau ne se fait pas d’un coup de baguette magi­que. La contra­dic­tion entre le ver­ti­ca­lisme cen­tra­liste de ce qui per­dure d’État-nation dans la ges­tion des rap­ports sociaux se heurte à la forme décen­tra­lisée que prend l’aménage­ment des ter­ri­toi­res. Une forme qui privilégie le dévelop­pe­ment des métro­po­les au détri­ment des villes peti­tes et moyen­nes qui se trou­vent dans le dilemme inso­lu­ble d’avoir à pren­dre plus de choses en charge avec moins de moyens. D’où le mou­ve­ment de démis­sions des maires qui se pro­duit aujourd’hui et un sen­ti­ment de solde pour tout compte qui fait resur­gir un « Peuple » qui n’a pas attendu Marine Le Pen où Mélen­chon et leur notion de « peuple cen­tral » pour être affirmé. Une notion qu’on retrou­vait déjà chez Arlette Laguiller dont on se moquait de la for­mule plus popu­laire que prolétarienne : « tra­vailleu­ses, tra­vailleurs, on vous exploite, on vous spolie8 » et qui semble assez proche de la per­cep­tion actuelle de beau­coup de mani­fes­tants qui ont à la fois l’impres­sion d’être exploités (chômage, CDD, allon­ge­ment des temps de trans­port) et spoliés par des taxes qui por­tent en soi l’injus­tice dans la mesure où elles tou­chent pro­por­tion­nel­le­ment davan­tage les pau­vres que les riches. C’est parce qu’ils sont arrivés à une grande connais­sance intui­tive de cette situa­tion d’exploi­ta­tion (qui ne passe pas par la case « cons­cience de classe ») que la radi­ca­li­sa­tion du méconten­te­ment n’épouse pas les formes d’orga­ni­sa­tion tra­di­tion­nel­les (par exem­ple syn­di­ca­les) et diffère dans sa com­po­si­tion sociale. Mais pour­quoi s’en étonner quand les restruc­tu­ra­tions du capi­tal ont liquidé les ancien­nes for­te­res­ses ouvrières et qu’on est bien loin de l’époque où domi­nait la figure de l’ouvrier-masse de Renault ou de Fiat. L’ouvrier de petite entre­prise, du bâtiment, des ser­vi­ces, l’employé du Mac Do trou­vent à cette occa­sion un lieu d’expres­sion de la révolte qui a du mal a existé sur des lieux de tra­vail frac­turés où les col­lec­tifs de tra­vail pei­nent à s’agréger. L’ancrage local des points de fixa­tion ren­force cette pos­si­bi­lité de ras­sem­ble­ment, hors des cadres struc­turés et ins­ti­tu­tion­na­lisés. Cette connais­sance intui­tive s’appuie sur le fait que la crois­sance des reve­nus en valeur abso­lue qui apparaît dans les sta­tis­ti­ques et qui est répercutée par les médias entre en contra­dic­tion avec une baisse du pou­voir d’achat à cause de l’aug­men­ta­tion des dépenses contrain­tes (char­ges fixes). Mais cette connais­sance intui­tive n’est pas sans matérialité objec­tive. En effet, si ce sont les habi­tants des régions rura­les et périur­bai­nes qui ont ten­dance à mani­fes­ter c’est aussi en rap­port avec un budget dédié à la « cohésion ter­ri­to­riale » qui vient d’être amputé de 1,4 Mds d’euros.

Il y a conjonc­tion entre trois éléments, un « ça suffit » qui ne vise pas seu­le­ment Macron, comme avec le « Dix ans ça suffit » contre de Gaulle, en Mai-68, mais l’ensem­ble du corps poli­ti­que ; une exi­gence d’égalité, de jus­tice et de fra­ter­nité, même si on ne sait pas bien jusqu’où s’étend cette dernière, devant des rap­ports sociaux dont la dureté ne semble plus com­pensée par les acquis sociaux des années 1960-1970 et l’air de grande liberté (“libération”) qui l’accom­pa­gnait ; enfin des condi­tions matériel­les de vie sou­vent dif­fi­ci­les eu égard aux stan­dards en cours dans une société capi­ta­liste avancée.

La soudaineté de l’événement

 Ce mou­ve­ment échappe aussi aux divers cor­po­ra­tis­mes qui ont pu être à la base d’autres mou­ve­ments plus anciens sou­vent désignés comme « inclas­sa­bles » comme l’était celui de Poujade (rat­taché aux commerçants et arti­sans avec l’UDCA9). La preuve en est qu’alors que les syn­di­cats de taxis et des trans­ports rou­tiers (FNTR) res­tent à l’écart ou même condam­nent le mou­ve­ment (la FNTR demande au gou­ver­ne­ment de dégager les routes !) puis­que ce sont des orga­ni­sa­tions qui ont négocié et obtenu quel­ques avan­ta­ges, de nom­breux rou­tiers et des chauf­feurs Uber sont aperçus sur les blo­ca­ges. Les rou­tiers jouant d’ailleurs sou­vent au « bloqué-blo­queur » et conseillant par­fois les novi­ces du blo­cage à déter­mi­ner les bons objec­tifs comme les dépôts d’essence (cf. Feyzin dans le Rhône, Fos-sur-Mer ou Brest). De la même façon, cer­tains s’aperçoivent que les blo­ca­ges des grands axes ont des réper­cus­sions sur l’appro­vi­sion­ne­ment en pièces pour les gran­des entre­pri­ses qui sous-trai­tent au maxi­mum. Ainsi, l’usine Peugeot de Montbéliard s’est retrouvée momen­tanément à l’arrêt.

On assiste bien là à un sur­gis­se­ment événemen­tiel qui se situe en dehors des habi­tuel­les conver­gen­ces ou appels à conver­gence des luttes socia­les tra­di­tion­nel­les, parce qu’il pose, dans l’immédiateté de son expres­sion directe sa capa­cité à faire ras­sem­ble­ment10 en mêlant à la fois le caractère « bon enfant » et une grande déter­mi­na­tion. Il faut dire que beau­coup de mani­fes­tants en sont à leur première mani­fes­ta­tion. Ils s’éton­nent, naïvement de l’écart entre les enga­ge­ments for­mels à par­ti­ci­per qui pleu­vent sur les réseaux sociaux et le nombre rela­ti­ve­ment res­treint des présents sur les bar­ra­ges et aux mani­fes­ta­tions. Le fait de les inter­ro­ger sur leur absence ou indifférence aux mani­fes­ta­tions de ces dernières années les inter­lo­quent, mais ne les aga­cent pas tant ils ont l’impres­sion d’un dévoi­le­ment sou­dain, d’être à l’ori­gine de quel­que chose de nou­veau. Certains res­sen­tent bien la contra­dic­tion entre d’un côté le fait de rester calme et en même temps la nécessité de rester décidés et déterminés dans une ambiance qui ne peut tour­ner qu’à la confron­ta­tion (deux morts, 500 blessés, dont une ving­taine de graves, y com­pris chez un com­man­dant de police11) si ce n’est à l’affron­te­ment vio­lent (le 24 novem­bre à Paris). Il s’en suit un chan­ge­ment de posi­tion pro­gres­sif vis-à-vis des forces de l’ordre qui passe par­fois de la compréhen­sion mutuelle à l’invec­tive ren­forcée par le fait que le mou­ve­ment ne cher­che pas d’abord et avant tout à négocier et ne déclare pas ses points de blo­cage, qu’il développe des moyens de com­mu­ni­ca­tion par réseau et des moyens d’action qui sont plus ceux des asso­cia­tions que des grou­pes poli­ti­ques ou syn­di­cats (les « flash­mob12 », par exem­ple). De la même façon qu’une ligne de par­tage de classe ne par­court pas le mou­ve­ment (nous y revien­drons), les tenants de la ligne amis/enne­mis, comme ceux de la ligne droite/gauche en seront pour leur frais. Certains s’essaient à des varian­tes comme « la France d’en bas contre la France d’en haut » ou, plus ori­gi­nal, comme D. Cormand, secrétaire natio­nal d’Europe-écolo­gie-les-Verts qui retient la sépara­tion entre ceux qui crai­gnent la fin du monde et ceux qui crai­gnent la fin du mois13 ou une déloca­li­sa­tion et le chômage comme les salariés de Renault-Maubeuge qui ont eu le gilet jaune facile avant l’action du samedi 17 car l’exem­ple ne vient évidem­ment pas d’en haut, bien au contraire. La com­mu­ni­ca­tion gou­ver­ne­men­tale, par­ti­culièrement mala­droite parce que peu au fait des stratégies poli­ti­ques s’avère par­ti­culièrement contre-pro­duc­tive. Les phra­ses macro­nien­nes sur le fait de n’avoir qu’à tra­ver­ser la rue pour trou­ver du tra­vail ont fait plus pour réintégrer les chômeurs dans la com­mu­nauté vir­tuelle du tra­vail que tout popu­lisme de gauche. De même la phrase de cer­tains élus de la majo­rité sur les Gilets jaunes « de la clope et du diesel » a exprimé au grand jour que la ciga­rette n’était pas, pour l’État et le pou­voir une ques­tion de santé publi­que, mais de santé morale dans le monde asep­tisé dont ils rêvent14.

La tarte à la crème de l’interprétation en termes de classes moyennes

On ne sait pas encore si c’est « l’insur­rec­tion qui vient », mais comme dit Patrick Cingolani dans Libération du 21 novem­bre 2018, on a déjà « un peuple qui vient ». Il est tou­jours dif­fi­cile de savoir ce qu’est « le peuple », mais concept mis à part, faut-il encore que ce « peuple » ne soit pas celui cons­titué autour de l’iden­tité natio­nale, fut-elle de gauche qui clôture­rait le choix entre popu­lisme de droite et popu­lisme de gauche, mais un « peuple » qui se cons­ti­tue­rait dans le mou­ve­ment en dépas­sant la coexis­tence de différentes luttes et dans une sorte de coex­ten­sion.

Car d’une manière générale et encore une fois tout le dis­cours de clas­ses est mis à mal. L’insis­tance sur la notion de clas­ses moyen­nes, de la part des jour­na­lis­tes sur­tout, en est la démons­tra­tion. Dans les années 60 et 70, cette notion pou­vait encore avoir quel­que per­ti­nence, du point de vue des pou­voirs en place pour saisir les modi­fi­ca­tions alors en cours (la « grande société » de Kennedy-Humphrey, la démocra­tie de clas­ses moyen­nes de Giscard) quand crois­sance et progrès social sem­blaient mar­cher de pair, mais aujourd’hui ce terme cher­che juste à éviter de parler sim­ple­ment en termes de riches et de pau­vres en assi­mi­lant aux clas­ses moyen­nes tous ceux qui ne sont pas assez aisés pour être riches et assez pau­vres pour être assistés (un clas­se­ment que le Rassemblement natio­nal et la France insou­mise repren­nent à leur compte) et bien évidem­ment en termes de prolétariat, notion deve­nue complètement obsolète dans les pays ou une partie non négli­gea­ble des indi­vi­dus qui « tirent le diable par la queue » en fin de mois sont propriétaires de leur appar­te­ment (hors gran­des métro­po­les) et possèdent une ou deux auto­mo­bi­les.

Le conseiller du Prince (en géogra­phie) Christophe Guilluy a essayé de croi­ser cette ana­lyse en termes de clas­ses (ce qu’il appelle les « clas­ses popu­lai­res »), avec les nou­vel­les ter­ri­to­ria­li­sa­tions et ce qu’il appelle « la France périphérique ». Mais pour lui tous les salariés non-cadres et les arti­sans, commerçants, petits entre­pre­neurs for­ment cette classe moyenne inférieure (une autre appel­la­tion pour « clas­ses popu­lai­res ») qui serait majo­ri­taire en nombre. Ce grand niveau de générali­sa­tion le conduit à ne pas dis­tin­guer les Gilets jaunes des Bonnets rouges de 2013 et à ne pas tenir compte de la grande différence de com­po­si­tion sociale entre les deux mou­ve­ments. En fait, chez lui le ter­ri­to­rial surdéter­mine l’ana­lyse en termes de cou­ches socia­les ce qui l’amène à exclure de sa notion de clas­ses popu­lai­res les habi­tants des cités de ban­lieues et les immigrés récents qui peu­plent cer­tains quar­tiers des gran­des métro­po­les, en les racia­li­sant par oppo­si­tion aux « petits blancs » de la périphérie15. C’est qu’effec­ti­ve­ment les formes de révolte qui peu­vent exis­ter dans ces ne pren­nent pas la même forme (révolte de 2005). Mais pour­quoi faire comme si la seg­men­ta­tion ter­ri­to­riale était défini­tive alors que la mobi­lité géogra­phi­que est de plus en plus forte et que beau­coup d’anciens tra­vailleurs immigrés quit­tent ces cités pour aller habi­ter dans le pavillon­naire des périphéries ? D’ailleurs la diver­sité des per­son­nes présentes dans les actions des Gilets jaunes, plus sur les bar­ra­ges que dans les mani­fes­ta­tions d’ailleurs, infirme les sim­plis­mes de Guilluy. Bien sûr les médias se feront un malin plai­sir d’exhi­ber quel­ques actes anti­mu­sul­mans ou homo­pho­bes, aux­quels on pourra faci­le­ment, sur les bar­ra­ges ou dans les ras­sem­ble­ments, oppo­ser d’autres faits et décla­ra­tions16. De telles dénon­cia­tions, repo­sant sur un nombre de faits très réduit, ont d’ailleurs cessé, preuve qu’ils étaient montés en épingle dans le but de discréditer le mou­ve­ment et sur­tout de mettre l’accent sur ce qui serait son orien­ta­tion fon­da­men­ta­le­ment réaction­naire et droitière.

S’il y a bien des réactions à une paupérisa­tion rela­tive, ce n’est pas non plus une mani­fes­ta­tion des « sans parts17 » comme le prétend un dis­ci­ple de Rancière dans Libération du 24 novem­bre 2018. Les per­son­nes les plus pau­vres où les plus en détresse sont dans les villes et éven­tuel­le­ment dans les cités, mais ce ne sont pas elles qui mani­fes­tent, car elles vivent en partie de l’assis­tance de l’État et il leur est dif­fi­cile de s’y oppo­ser. Sauf à La Réunion où Gilets jaunes et jeunes des cités sem­blent coexis­ter pen­dant la journée sur les bar­ra­ges avant que les débor­de­ments que l’on sait inter­vien­nent pen­dant les nuits entre jeunes de Saint-Denis et forces de l’ordre. Il est vrai que la ques­tion de la vie chère dans les DOM-TOM a déjà entraîné de nom­breux conflits et affron­te­ments depuis une ving­taine d’années et aujourd’hui, à La Réunion le couvre-feu qui a duré une semaine montre que la lutte est intense et pro­fonde. Mais ce n’est pas un cas tota­le­ment isolé. À Douai, le 17 novem­bre, la proxi­mité d’un bar­rage avec une cité a entraîné des heurts avec la police, soit un exem­ple de coexis­tence de différentes formes de lutte sans coex­ten­sion.

Une même coexis­tence entre plu­sieurs forces, semble se mani­fes­ter dans les ras­sem­ble­ments autour des raf­fi­ne­ries de pétrole, comme à Feyzin, près de Lyon où les ouvriers du cou­loir de la chimie des syn­di­ca­lis­tes et des mili­tants poli­ti­ques ont par­ti­cipé à une assemblée générale avec les Gilets jaunes avant de se rendre sur d’autres lieux d’action.

« Dans quel régime vivons-nous ? »

Ce qui se trans­forme dans la société capi­ta­lisée, c’est la per­cep­tion que les indi­vi­dus ont du capi­tal et de l’État. Le pre­mier n’apparaît plus comme four­nis­seur d’emploi, de lien social et de progrès (tech­ni­que et social associés), mais comme un ensem­ble de mono­po­les au niveau ou même au ser­vice d’un hyper­ca­pi­ta­lisme du sommet : les com­pa­gnies pétrolières, les entre­pri­ses du CAC40, les gran­des ban­ques too big pour qu’on ne les ren­floue pas en temps de crise, les hyper­marchés de la grande dis­tri­bu­tion, les GAFAM créent certes encore des emplois, mais dans des lieux res­treints à forte densité capi­ta­lis­ti­que comme on vient de le voir avec l’ins­tal­la­tion de nou­veaux sièges de Google à Washington et New York qui lais­sent des zones entières en déshérence.

Dans quel régime vivons-nous est une inter­ro­ga­tion qui semble faire le tour des bar­ra­ges et mani­fes­ta­tions. Beaucoup res­sen­tent un système complètement corseté parce qu’ils n’ont pas de rela­tions intermédiai­res avec l’État qui leur ferait penser qu’il y a du don­nant-don­nant ou du « grain à moudre » comme disent les syn­di­cats ouvriers, à condi­tion de res­pec­ter un cer­tain nombre de formes (décla­ra­tion préalable de mani­fes­ta­tion par groupe ou per­son­nes auto­rités, décla­ra­tion de lieu de départ et trajet) qui font partie des règles du jeu social entre par­te­nai­res sociaux bien élevés. Le refus des « Gilets jaunes » d’être « parqués » au Champ-de-Mars est en revan­che signi­fi­ca­tif de ce rap­port direct à l’État qui leur fait choi­sir les Champs-Élysées alors qu’ils savent qu’ils vont y ren­contrer les forces de l’ordre. Le mou­ve­ment a beau ne pas être « orga­nisé », quelle est belle l’image retrans­mise par les télévisions de ce champ de Mars abso­lu­ment vide à l’heure où il devait être plein ! 

Les médias, tou­jours dans une forme spon­tanée ou calculée d’infan­ti­li­sa­tion par rap­port aux « gens du peuple », invo­quent une colère à la base du mou­ve­ment (type « grosse colère », ça leur pas­sera), pour­tant le mou­ve­ment a une tout autre ampleur que celui des motards de la Fédération française des motards en colère ou du mou­ve­ment né en jan­vier 2018, de manière infor­melle et lui aussi à partir des réseaux sociaux, les deux ini­tia­ti­ves s’oppo­sant à la limi­ta­tion de la vitesse à 80 km/h sur les routes. Des médias qui légiti­ment le mou­ve­ment… tant qu’il reste dans la légalité et l’inter­ven­tion paci­fi­que, tout en mon­trant ce qui est pour eux la mani­fes­ta­tion d’une autre France. S’ils ont jugé la grève des che­mi­nots illégitime, celle des Gilets jaunes serait, elle, légitime. On ne peut mieux trans­crire la perte de cen­tra­lité du tra­vail dans la société du capi­tal qui rend ines­sen­tielle la force de tra­vail pour la valo­ri­sa­tion. Mais lors­que l’action de Gilets jaunes se pour­suit et que ladite simple « colère » se mani­feste dans des formes jugées illégalis­tes, les médias son­nent l’alarme et mul­ti­plient la désin­for­ma­tion.

Comme diraient les marxis­tes ortho­doxes, le mou­ve­ment des Gilets jaunes est de l’ordre de la cir­cu­la­tion, il n’est donc pas fon­da­men­tal, alors que nous le voyons depuis plu­sieurs années, le blo­cage des flux est un élément essen­tiel des luttes dans la mesure où la société du capi­tal est basée sur la flexi­bi­lité/flui­dité et le mini­mum d’immo­bi­li­sa­tions et de stocks. Nous ne dirons pas que le mou­ve­ment est cons­cient de cela, mais le fait que des Gilets jaunes aient été réticents à se rendre à Paris, qu’ils aient main­tenu les bar­ra­ges et ras­sem­ble­ments en pro­vince indi­quent qu’ils sen­tent bien la nécessité de rester un mou­ve­ment diffus et à cent têtes en quel­que sorte (et donc sans leader la Poujade ou Nicoud), un mou­ve­ment qui ne laisse pas prise au spec­ta­cu­laire, mais impose sa présence en qua­drillant tout le ter­ri­toire, ce que ne peu­vent pas faire les forces de l’ordre par exem­ple. Bien sûr, ils ne refu­sent pas la présence des médias sur les ras­sem­ble­ments, mais ils la contrôlent mieux (c’est du don­nant-don­nant) que dans des opérations telle la « montée » sur Paris. En fait, peut être pour la première fois, les médias sont sup­plantés par les réseaux sociaux et sont obligés de donner une cham­bre d’écho encore plus forte pour représenter le mou­ve­ment puisqu’ils veu­lent tout représenter et parce qu’ils veu­lent le faire entrer dans un cadre connu et ins­ti­tu­tion­nel (com­ment le réintégrer dans l’espace démocra­ti­que). 

Si Gérard Noiriel, dans sa tri­bune du jour­nal (op. cit.) met bien l’accent sur la façon dont cette ques­tion sociale se repose aujourd’hui, c’est-à-dire fina­le­ment en dehors de l’hypothèse stric­te­ment clas­siste qui a dominé au XXe siècle, via les différentes formes de partis com­mu­nis­tes, une des fai­bles­ses de son ana­lyse est d’affir­mer que la presse ne pense que spec­ta­cle et que donc elle est pour le mou­ve­ment si elle peut en tirer des images spec­ta­cu­lai­res. Les images et paro­les des médias au soir des vio­len­ces du 24 novem­bre mon­trent au contraire une réaction viru­lente contre des « cas­seurs » que les images n’ont pas réussi à trans­for­mer en Black Bloc18. Il était d’ailleurs piquant de voir des jour­na­lis­tes retrans­crire en direct ce qu’ils représen­tent comme le spec­ta­cle de désola­tion laissé derrière eux par les « cas­seurs », alors qu’en arrière-fond des Gilets jaunes qui n’étaient sûrement ni des iden­ti­tai­res ni des mem­bres de « l’ultra gauche », hur­laient contre les « flics col­la­bos ».

Quand le pou­voir, en la per­sonne de Macron, invo­que une « souf­france » qui s’exprime, ren­voyant les Gilets jaunes à ce qui serait leur condi­tion de sacrifiés de la conju­gai­son aujourd’hui struc­tu­relle de la mon­dia­li­sa­tion et de la start-up nation, cela ne suggère-t-il pas qu’il s’agit d’un mou­ve­ment qui dépasse l’indi­gna­tion démocra­ti­que telle qu’elle s’était développée autour du Manifeste des Indignés, et qui s’appa­rente à une révolte ? Cette dimen­sion de soulèvement col­lec­tif bous­cule les règles du débat et des luttes habi­tuel­les main­te­nues dans le cadre démocra­ti­que et poli­ti­que tra­di­tion­nel, dont celle de la SNCF nous a fourni un der­nier exem­ple affli­geant. Mais elle n’est pas dégagée d’une ten­dance au res­sen­ti­ment (cette haine de classe sans cons­cience de classe) contre les élites et les « gros », les « voleurs », les « pro­fi­teurs » qui donne dans la faci­lité et fait que la dimen­sion « anti­système » sou­vent relevée est fina­le­ment assez super­fi­cielle, le « système » étant réduit à quel­que tête d’affi­che (le « ban­quier Macron », le mafieux Castaner, le clientéliste Gaudin à Marseille, etc.), mais non pas remis en cause dans ses fon­de­ments. Le rap­port à l’État qui trans­pa­rait ici est d’ailleurs très ambigu puisqu’à la différence du mou­ve­ment anti­fis­cal des Tea Party aux États-Unis, les Gilets jaunes ne sont pas, dans l’ensem­ble, pour une poli­ti­que plus libérale ni pour un État mini­mum. Pour la plu­part d’entre eux il est pro­ba­ble qu’ils n’étaient pas des­cen­dus dans la rue en 2015 pour la défense du ser­vice public puisqu’ils aujourd’hui ont l’impres­sion de ne plus en avoir que les ves­ti­ges (fer­me­tu­res d’écoles pri­mai­res, de petits hôpitaux, de gares fer­ro­viai­res et de postes19). C’est un mou­ve­ment non exempt de contra­dic­tions puisqu’il réclame la baisse générale des taxes tout en ayant encore des deman­des par rap­port à l’État conçu encore comme État social. Or la baisse des impôts et taxes est contra­dic­toire à une action sociale de l’État. Cela peut accroi­tre la crise de légiti­mité de l’État qui fait que les per­son­nes défavo­risées ne se reconnais­sent plus dans son action et peu­vent en cela rejoin­dre des frac­tions, elles aussi popu­lai­res, qui ne veu­lent plus de cette action sociale de l’État, en direc­tion des chômeurs, des migrants et dénon­cent le trop grand nombre de fonc­tion­nai­res, les « assistés », etc. Il est vrai que ce mou­ve­ment n’est pas guidé par la Théorie révolu­tion­naire his­to­ri­que ni par ses frac­tions com­mu­nis­tes ou anar­chis­tes contem­po­rai­nes, qu’il est « inter­clas­siste » (quelle hor­reur20 !) et ouvert à tous les vents. Il s’ins­crit en tout cas dans un ensem­ble de mou­ve­ments diffus qui, depuis l’occu­pa­tion des places dans de nom­breux pays, des luttes comme celles du No-TAV ou de NDDL ou encore cer­tai­nes actions au cours de la lutte contre la loi-tra­vail, fédèrent des ini­tia­ti­ves qui ne dépen­dent pas de partis ou syn­di­cats et qui se dévelop­pent d’une façon hori­zon­tale à partir des réseaux sociaux. Leurs caractéris­ti­ques sont tou­te­fois suf­fi­sam­ment différentes pour qu’on n’y cher­che pas des conver­gen­ces pos­si­bles au sein d’un supposé bloc anti­ca­pi­ta­liste et a for­tiori « com­mu­niste ». Pour le moment, ces luttes coexis­tent sans connaître de coex­ten­sion.

 

Temps cri­ti­ques, le 29 novem­bre 2018

 

Notes

1 – Certains par­lent de jac­que­rie ou de « jac­que­rie numérique », mais le phénomène n’est pas réduc­ti­ble au monde rural du fait même de la trans­for­ma­tion générale des ter­ri­toi­res et la place prédomi­nante du rur­bain (H. Lefebvre) dans l’espace, hors métro­pole. À la limite, le terme de fronde serait plus appro­prié. Une fronde popu­laire qui fait mou­ve­ment contre ce qui lui apparaît comme une nou­velle caste, dont Macron se veut le roi Soleil. Dans un pre­mier temps, la Fronde a été un mou­ve­ment très popu­laire avec ces « maza­ri­na­des » avant de connaître un deuxième temps cor­res­pon­dant à la Fronde des Princes.

2 – Comme le fait remar­quer Gérard Noiriel dans Les gilets jaunes et les « leçons de l’his­toire » (url:http://www.fon­da­tion-coper­nic.org/index.php/2018/11/22/les-gilets-jaunes-et-les-lecons-de-lhis­toire/) ces cahiers de doléances, première forme d’écrit popu­laire, ont changé la donne par rap­port aux jac­que­ries ou autres révoltes popu­lai­res précédentes, parce qu’ils ont permis une exten­sion de la lutte à l’ensem­ble du ter­ri­toire. C’est ce qu’ont réalisé aujourd’hui les réseaux sociaux pour les Gilets jaunes.

3 – Cf. Observatoire du bilan car­bone des ménages et aussi Planetoscope « Concernant le type de foyers, il apparaît que les foyers dis­po­sant des niveaux de reve­nus les plus élevés affi­chent des bilans glo­ba­le­ment plus mau­vais que la moyenne. La quan­tité de CO2 induite par la consom­ma­tion des ménages est, en effet, crois­sante avec le niveau de vie et plus spécifi­que­ment avec la capa­cité à consom­mer des loi­sirs. À l’inverse, les catégories socio­pro­fes­sion­nel­les et les tran­ches de reve­nus plus modes­tes se dis­tin­guent par des niveaux d’émis­sions moin­dres. Les foyers des pro­fes­sions intermédiai­res, des employés et des ouvriers présen­tent des bilans car­bone rela­ti­ve­ment pro­ches ».

4 – Toujours pour tordre le cou aux idées reçues, ce sont les per­son­nes les moins aisées (moins de 9600 euros de revenu par an) qui uti­li­sent le moins l’auto­mo­bile pour se rendre à leur tra­vail (38 %) et le décile inférieur de revenu ne roule en moyenne que 8000 kilomètres par an contre 22000 pour le décile supérieur. Par ailleurs, la part car­bu­rant des ménages dans le budget total reste stable depuis 1970 (4 %), mais est plus forte évidem­ment en valeur rela­tive dans le budget des per­son­nes du décile inférieur (8 %).

5 – Si ce prin­cipe de non-affec­ta­tion est bien républi­cain à l’ori­gine et fait pour ne pas favo­ri­ser le cor­po­ra­tisme et les luttes d’influence, il ne peut rester légitime que dans le cadre incontesté de l’État-nation. À partir du moment où cette forme entre en crise, c’est tout l’édifice et les prin­ci­pes sur les­quels il repose qui mena­cent de s’effon­drer.

6 – Soulèvement insur­rec­tion­nel qui est parti des pro­vin­ces du sud-est et de l’ouest de la France, qui s’oppo­sait au des­po­tisme du pou­voir cen­tral des Jacobins les­quels met­taient en place à allure forcée l’État-nation bour­geois sur l’ensem­ble du ter­ri­toire. Les Fédérés comme les Girondins dont ils étaient par­fois pro­ches étaient républi­cains et patrio­tes, mais ils ne fai­saient pas table rase de cer­tains modes de vie ruraux et agri­co­les issus de la féodalité.

7 – Le mou­ve­ment des « Bonnets rouges » de 2013 contre l’écotaxe sur les poids lourds a gardé un aspect régional dans une région bre­tonne par­ti­culièrement touchée par la crise et c’est pour cela qu’il est resté isolé. Il avait aussi une colo­ra­tion plus cor­po­ra­tiste et moins sociale, à base de petits patrons.

Si les Gilets jaunes ont une cor­res­pon­dance en Italie, c’est plutôt avec le mou­ve­ment des for­coni (les four­ches) qui barrèrent les routes quel­ques années avant l’orga­ni­sa­tion des Cinque Stelle.

8 – Le groupe Lutte ouvrière a d’ailleurs pris fait et cause pour le mou­ve­ment, ce qui n’est pas le cas de cer­tains « radi­caux » pour qui « le peuple ça n’existe pas » parce que « c’est une chimère qui masque les frac­tu­res » (suit une énumération de par­ti­cu­la­ris­mes) et pour qui « cette colère est non-éman­ci­pa­trice » contrai­re­ment à celle qui règne dans le quar­tier de La Plaine à Marseille ! (cf. l’arti­cle de Défense Collective sur le site DNDF inti­tulé : « C’est moche, c’est jaune et ça peut vous pour­rir la vie »).

9 – Le mou­ve­ment de révolte fis­cale com­mence en 1953, dans les cam­pa­gnes et peti­tes villes. C’est un mou­ve­ment de commerçants contre les contrôleurs fis­caux qui s’appuie aussi sur le tissu de voi­si­nage, mais il se veut général (« L’armée des braves gens en marche ») avant de deve­nir clai­re­ment natio­na­liste (« contre les trusts apa­tri­des et le gang des cha­ro­gnards ») puis anti­par­le­men­taire après l’inva­li­da­tion des députés de l’UDCA en 1955. À noter que le PCF les sou­tien­dra jusqu’à cette date parce qu’ils sont des représen­tants de la France rurale laissée de côté par la marche forcée vers la moder­nité. Plus proche de nous, dès le début des années 1970, le CID-UNATI de Gérard Nicoud repren­dra le flam­beau contre les contrôles fis­caux et pour l’intégra­tion des arti­sans-commerçants dans le régime de Sécurité Sociale. Là encore, bien que plus apo­li­ti­que à ses débuts, le mou­ve­ment sera sou­tenu par la Gauche prolétarienne, au moins jusqu’au procès de Nicoud à Grenoble en mai 1970 car elle y voyait un moyen de réaliser l’unité popu­laire et la vio­lence des affron­te­ments entre commerçants et forces de l’ordre s’insérait dans leur stratégie de confron­ta­tion directe avec l’État.

10 – « On a tou­jours une raison pour se ras­sem­bler » dit un Gilet jaune dans L’Obs du 22 novem­bre 2018.

11 – Sur cer­tains bar­ra­ges le fil­trage se fait en ne lais­sant passer que les auto­mo­bi­lis­tes ou camion­neurs qui revêtent le gilet jaune. Berger, de la CFDT y voit une atteinte fon­da­men­tale à la liberté. On peut sup­po­ser qu’il s’oppo­se­rait aussi aux piquets de grève devant les usines qui empêchent les non-grévistes (les « jaunes » là aussi) de pren­dre leur poste de tra­vail. Sur cette base on donne peu de chance à la pro­po­si­tion de ce même Berger à ce que la CFDT joue son rôle de média­teur entre l’État et le mou­ve­ment.

12 – Moyens lar­ge­ment employés par d’autres « Gilets jaunes », en 2009-2010 avec École en danger qui ras­sem­blait parents et pro­fes­seurs des écoles contre la réforme de l’école pri­maire et le fichage des élèves. Là aussi les pro­ta­go­nis­tes avaient défini de nou­vel­les formes de luttes (« les ensei­gnants désobéisseurs plus que reven­di­cants, des décla­ra­tions plus ou moins aléatoi­res de mani­fes­ta­tions, six porte-paro­les natio­naux et des délégués par dépar­te­ment).

13 – Or, si on en croit beau­coup de per­son­nes inter­rogées, le souci écolo­giste n’est pas éloigné des préoccu­pa­tions des Gilets jaunes, mais ils s’esti­ment floués sur la fis­ca­lité verte puisqu’ils lui repro­chent son manque d’affec­ta­tion précise et le fait qu’elle serve sur­tout à réduire le déficit public pour res­pec­ter les accords de Maastricht.

14 – Si beau­coup de mani­fes­tants en sont à leur première mani­fes­ta­tion, beau­coup d’hommes poli­ti­ques macro­niens sont des novi­ces en stratégie poli­ti­que et ges­tion des conflits sociaux.

15 – On en arrive au para­doxe d’un auteur anti post-moderne et plutôt classé aujourd’hui dans les « néo-réacs » par les grou­pes poli­ti­ques de gauche et une Université qui lui dénie le titre de géogra­phe (il n’a pas de cer­ti­fi­ca­tion uni­ver­si­taire offi­cielle), s’expri­mant fina­le­ment dans les termes mêmes du lan­gage post-moderne et par­ti­cu­la­riste qu’il reprend à son compte par sim­pli­fi­ca­tion idéolo­gi­que à fina­lité poli­ti­que (chas­ser sur les terres du Rassemblement natio­nal pour oppo­ser un popu­lisme de gauche au popu­lisme de droite). Ce sur quoi il met le doigt avec raison, par exem­ple la déconnexion entre la per­cep­tion de « l’immigré » aujourd’hui et celle du tra­vailleur immigré de la période des Trente glo­rieu­ses (thème que nous abor­dons ailleurs dans « Immigration et salai­res, un retour inat­tendu » [http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip….]) perd tout son intérêt poli­ti­que et flirte avec l’idéologie de l’iden­tité natio­nale.

16 – À Lyon, au ras­sem­ble­ment de la place Bellecour, à 11 h 30 le 24 novem­bre, un porte-parole orga­ni­sa­teur local des Gilets jaunes définit clai­re­ment le mou­ve­ment comme n’étant ni raciste, ni xénophobe, mais le mou­ve­ment de tous ceux qui veu­lent porter un gilet jaune. C’est affir­mer sans gran­di­lo­quence et sans rappel his­to­ri­que exagéré la ligne poli­ti­que des clubs révolu­tion­nai­res de 1789-1793 fai­sant citoyens tous ceux qui œuvraient pour la Républi­que et contre le pou­voir royal et ses alliés étran­gers, quel­que soit leur natio­na­lité d’ori­gine et leur cou­leur de peau.

17 – La notion de « sans parts » (sans papiers, sans domi­cile fixe) n’est pas sans intérêt, mais elle contri­bue à frac­tion­ner les domi­na­tions, sans qu’une pers­pec­tive d’ensem­ble puisse se dégager.

18 – Sur la grosse cen­taine de mani­fes­tants déférés à la jus­tice pra­ti­que­ment aucun n’avait eu à faire à la police précédem­ment. Cette référence systémati­que aux « cas­seurs » montre bien que pour l’État les Gilets jaunes ne sont pas reconnus comme des inter­lo­cu­teurs : ils ne sont pas des pay­sans encadrés par la FNSEA qui ont « le droit » d’atta­quer les préfec­tu­res et de casser sans être accusés d’être des « cas­seurs ».

19 – Cf. Les décla­ra­tions du maire de Guéret pour sa région. Pour lui, les Gilets jaunes sont des « invi­si­bles », des « inters­ti­tiels ». Il n’est tou­te­fois pas exclu que ce mou­ve­ment très contra­dic­toire puisse débou­cher en négatif sur un Tea Party à la française sous une forme propre à la France : trop de taxes, trop d’impôts, trop de dépenses publi­ques, trop pour les migrants (leit­mo­tiv du Rassemblement natio­nal au démar­rage du mou­ve­ment), les immigrés, trop de coti­sa­tions sur le tra­vail donc contraire à l’emploi et au pou­voir d’achat, trop de fonc­tion­nai­res…

20 – Cf. Le com­men­taire assez veni­meux, d’ori­gine com­mu­ni­sa­teur de la page « Agitations », sur le site Des nou­vel­les du front (DNDF), titré : « Des gilets jaunes à ceux qui voient rouge » qui lui repro­che son inter­clas­sisme tout en affir­mant la « dis­so­lu­tion de toute iden­tité ouvrière reconnais­sa­ble et communément partagée ». C’est fort de café quand même de reconnaître qu’un mou­ve­ment est inter­clas­siste quand on reconnaît qu’on ne peut plus « reconnaître » une classe ! Une partie de l’ana­lyse (faite après le 17) est d’ailleurs inva­lidée par le 24 (atti­tude de la police et des médias préten­du­ment favo­ra­bles au mou­ve­ment ce qui prouve bien que…).

Deux enquêtes per­met­tent de se faire une idée de la com­po­si­tion sociale des Gilets jaunes actifs aux bar­ra­ges des ronds-points. Le géogra­phe Aurélien Delpirou a relevé (url :https://lavie­de­si­dees.fr/La-cou­leur…), lui, « infir­miers, tra­vailleurs sociaux, pro­fes­seurs des écoles, per­son­nels admi­nis­tra­tifs de catégorie B des col­lec­ti­vités loca­les, tech­ni­ciens de l’indus­trie, employés des ser­vi­ces com­mer­ciaux ou comp­ta­bles des entre­pri­ses, etc. ». Benoît Coquard, qui était sur un bar­rage en zone rurale le 17 novem­bre, a inter­rogé 80 per­son­nes sur leur pro­fes­sion : « à 9 excep­tions près (pro­fes­sions intermédiai­res du privé, arti­sans, agri­culteurs), celles et ceux que j’ai ren­contrés appar­tien­nent sans sur­prise aux clas­ses popu­lai­res. Typiquement, il s’agis­sait de femmes employées et d’hommes ouvriers » (source : Alternatives écono­mi­ques, 27 novem­bre 2018, arti­cle de Xavier Molénat : « A quoi car­bu­rent les Gilets jaunes »).

Montélimar, France l : les deux lycées bloqués.. La rage Lycéenne est en marche?

Mari 4 décembreDevant le lycée Alain Borne, à Montélimar toujours, ils étaient une centaine d’élèves  se sont rassembléspour .faire un blocage pour se faire entendre..

Le même jou rle blocage mis en place des Catalins à l’entrée du lycée pour refuser les réformes blanquer ( réforme du lycée et parcoursup)200 à 250 élèves s’étaient rassemblés au plus fort de la manifestation ce mardi matin devant le lycée des Catalins à Montélimar. Certains ont mis le feu à des containers de papier à recycler. Les pompiers ont dû intervenir pour éteindre les flammes. Les forces de l’ordre ont été accueillies par des jets de pierre. Une policière a eu un petit bobo . la flicaille a utilisé des lacrymogène et en riposte une volée de pierres se sont abattu sur une voiture de police  Un lycéen sur les lieux a été interpellé.

Une poignée d’élèves s’est donc déplacée devant le commissariat de police de Montélimar et manifestait pour réclamer la libération de leur camarade en hurlant « police partout justice nulle part. » Et comme le lycéens a été transféré au commissariat de valence., certain d’entre eux sont déplacés devant le comico de valence et un prof du syndicat CNT STP26 est venu jusqu’à valence pour demander la libération de l’élève.  celui-ci sera convoqué  le jeudi 6/12 devant la PJJ pour une mesure de réparation ( cette  mesure pendant  6 mois)

reformulé d’après  la presse

Coup répressif en Argentine : Une compagnonne gravement blessée dans une explosion et une dizaine d’anarchistes incarcérés

 

Le 14 novembre dernier, à Buenos Aires, se sont produits deux faits réels, qui ont été suivis de retombées médiatiques et d’une réponse politique et judiciaire rapide. Dans la soirée, au cimetière de la Recoleta, plus précisément à l’endroit du mausolée dédié au colonel Ramon Falcon (exécuté par le compagnon Simon Radowitzky) [1] a explosé une bombe, qui a blessé la compagnonne Anahi Salcedo. Cette dernière a été transférée à l’hôpital Fernandez, sous mandat d’arrêt et blessée à la poitrine, à la tête, et ayant perdu trois doigts à l’une de ses mains. Elle est actuellement maintenue dans un coma artificiel, au même endroit où est détenu le compagnon Hugo Rodrigez.

Des heures plus tard, en face de la maison du juge Bonadio (célèbre pour sa dureté, il a un passé inoubliable dans la Guarde de Fer, un groupe fasciste péroniste, et se distingue aujourd’hui pour ses pratiques et ses discours répressifs vis-à-vis des secteurs et des individus dissidents à l’ordre actuel), est arrêté le compagnon Marcos Vidal, accusé d’avoir jeté un autre objet explosif sur le véhicule du magistrat.

L’engin explosif retrouvé chez le juge Bonadio
Détail

Dans la matinée et tout au long de la journée qui a suivi, des perquisitions ont eu lieu dans différents espaces du milieu anarchiste, des squats, des locaux, ainsi que dans quelques logements privés. Elles ont eu pour résultat l’incarcération de douze personnes supplémentaires.

Les détenus ont été transférés au 2200, rue Cavia, où se trouve une section anti-terroriste, puis à la super-intendance de la police, rue Madariaga, pour être enfin amené, dans la matinée de samedi, aux tribunaux de Comodoro Py, devant le juge Ercollini et le procureur Di Lello, après 72 heures d’incertitudes, d’impossibilité de communiquer, et qui sait quelles autres humiliations.
Au final, deux personnes ont été remises en liberté, ce qui laisse au total 10 compagnons et compagnonnes inculpés pour association illicite, intimidation publique, et détention de matériel explosif. Par là-même, le pouvoir aura fait d’une pierre deux coups.

  • Des images de la presse au mausolé dédié au colonel Ramon Falcon (cimetière de la Recoleta) :

Tout ceci achève de démontrer que le ministère de l’Intérieur, sous la direction de Patricia Bullrich, en coordination avec le chef de la police Nestor Roncaglia, et avec l’appui de la presse, a suscité et incité à la psychose collective, alors que des colis suspects se mettent à surgir de toutes parts, alors que les rues sont quadrillées, qu’on réalise des opérations, qu’on enferme deux jeunes sur foi d’une dénonciation anonyme, les accusant d’appartenir au Hezbollah, qu’on fait au passage quelques perquisitions préventives avant le sommet du G-20, pour assurer son déroulement pacifique et sans les incidents que pourraient provoquer les anarchistes ou autres.

Pour le moment, c’est tout ce que nous pouvons affirmer avec certitude, mais nous savons que d’autres lieux sont placés sous surveillance, ainsi que des personnes, puisque le gouvernement a confirmé la mise sur écoute de plus d’une centaine de lignes téléphoniques de militants, ainsi que la réouverture d’enquêtes sur des actions directes ayant eu lieu dans la ville depuis l’année 2005 (certaines revendiquées par des anarchistes, d’autres non).

Le signal est clair et ne laisse aucune place au doute.
Tout geste de solidarité concrète est bienvenu et encouragé.
Ne laissons pas seuls les compagnons séquestrés par l’État argentin : sans peur et avec persévérance, étendons l’offensive.

Compagnons et compagnonnes anarchistes, nihilistes, aintiautoritaires, soyez forts, ici nous le sommes.
Sans peur et avec plus de rage que jamais.
Liberté pour tous les anarchistes inculpes.

[Traduit de l’espagnol de Publicacion Refractario.]


[1Simón Radowitzky, né le 10 septembre ou novembre 1891 à Stepanice (Ukraine) et mort le 29 février 1956 à Mexico (Mexique), était un ouvrier argentin d’origine ukrainienne et militant anarchiste. Il fut l’un des prisonniers les plus connus de la colonie pénitentiaire d’Ushuaia, Province de Terre de Feu (Argentine), où il fut détenu 21 ans pour l’assassinat de Ramón Falcón, chef de la police de Buenos Aires et responsable de la répression brutale de la Semana Roja (Argentina) en 1909. On pourra consulter, à propos de son parcours, on pourra consulter en ligne l’ouvrage De la Russie à l’Argentine, Parcours d’un anarchiste au début du XXe siècle à cette adresse. (NdNF)

 repris de nonfides.fr

 

France : Les plus beaux blocus sont ceux qui s’enflamment –

sans attendre demain

Depuis vendredi 30 novembre, de nombreux lycées sont bloqués un peu partout. Si certains jeunes tiennent à mettre des revendications derrière leurs actions (contre la « réforme du Bac », « Parcoursup » ou encore « le service national »), d’autres ont compris depuis bien longtemps que la révolte n’a pas besoin de revendications. Des manifs sauvages ont brisé la normalité dans de nombreuses villes de province, comme à Lille, Nantes, Dijon, Auxerre et Avallon (Yonne), Besançon, Limoges, Tours, Orléans, Noisy-le-Grand et Montreuil (Seine-Saint-Denis), Toulouse, Montauban, Saint-Raphaël (Var), Marseille…

Lundi 3 décembre, plus d’une centaine de lycées sont de nouveau bloqués dès 8h du nord au sud de l’Hexagone (188 précisément, d’après un décompte du ministère). A Aubervilliers, l’entrée du lycée J-P Timbaud, déjà ciblée par les flammes vendredi dernier (très vite éteinte par les pompiers), est incendiée à l’aide barricades de poubelles. Lors de la déambulation dans les rues, des poubelles et une voiture sont incendiées, des commerces, mobilier urbain et pubs attaqués, et une voiture de flics prise en chasse par des dizaines d’enragés perd une vitre… Les pompiers venus éteindre les incendies sont pourchassés à coups de caillasses. Dans le quartier des 4 Chemins, des magasins sont pillés et saccagés, comme un de téléphonie. Une riveraine raconte les scènes de pillages: « Tout le monde est rentré à l’intérieur et chacun se servait. Il y avait même des habitants du quartier qui sont descendus de chez eux avec des sacs, qui ont pris des choses et qui sont remontés […] »(Sud Radio, 04.12.2018)

Aubervilliers, 3 décembre

A Toulouse, plusieurs lycées ont aussi été bloqués. Des manifs ont été saccageuses au centre-ville: « Place Esquirol, une supérette a été prise pour cible par des pilleurs, […] qui n’ont eu le temps que de dérober des boissons. Un peu plus loin, c’est une boutique de sandwichs qui a essuyé quelques pertes alors que des voleurs venaient juste de s’introduire dans la boutique Lacoste du centre commercial Saint-Georges qui a d’ailleurs été momentanément fermée, par mesure de sécurité. Sur le Pont Neuf, vers 14 h 30, plusieurs dizaines de manifestants ont été repoussés en direction de Saint-Cyprien avant que certains d’entre eux parviennent à rejoindre la place du Capitole par le pont Saint-Pierre ». Des échaufourées ont eu lieu tout au long de l’après-midi, paralysant l’activité commerciale du centre.

Mardi matin, il y a eu des rassemblements spontanés devant au moins cinq lycées du Val-d’Oise, où des poubelles, des caddies ont été incendiés, selon la gendarmerie et la police. À Villiers-le-Bel, les forces de l’ordre ont reçu des « jets de projectiles ». Plusieurs lycées du Val-de-Marne sont également partiellement bloqués. Au lycée polyvalent de Cachan, dans le Val-de-Marne, une voiture a été incendiée en début de matinée. « La police a fait usage de gaz lacrymogène sur les lycéens qui étaient rassemblés devant l’établissement bloquant l’arrivée des pompiers », a précisé une source proche du dossier. Au moins 24 lycées de Toulouse et de Haute-Garonne sont touchés par des départs de feux, blocages ou échauffourées. A Blagnac, près de Toulouse, l’entrée et la façade du lycée professionnel Saint-Exupéry a brûlé. Pour le deuxième jour consécutif, les transports Tisséo de l’agglomération toulousaine sont à l’arrêt en raison des émeutes. C’est à Marseille que les lycéens sont le plus mobilisés: la ville compte 21 établissements perturbés, dont dix en blocage total. Au total, 23 lycées sont perturbés sur l’académie de Marseille-Aix-en-Provence.

Sur l’académie de Créteil, 32 établissements sont touchés en début de matinée, dont cinq bloqués totalement. Pour les autres, les lycéens contestataires ont installé des poubelles devant les grilles ou mis en place un barrage filtrant aux entrées. Les premières remontées obtenues auprès de quelques académies recensent un lycée perturbé à La Rochelle, un à Amiens, deux dans le Puy-de-Dôme et trois à Montpellier.

Lycée Saint-Exupéry de Blagnac, mardi 4 décembre

Un véhicule renversé près du lycée Raymond Naves à Toulouse

à proximité du lycée Dédodat-de-Séverac à Toulouse.

Devant le lycée Raymond Naves, route d’Albi, à Toulouse

[Reformulé de la presse, 03 et 04.12.2018]

Marseille, France: le 8 /12/ 2018 présentation du livre »Ma peste de vie », autobiographie de Claudio Lavazza.

[reçu par mail]

À partir de 17h présentation du livre “Ma Peste de Vie”,autobiographie de Claudio Lavazza (éditions L’ Assoiffé)

Qui est Claudio Lavazza se comprend dès la première page de ce livre : les actions dont il est accusé parlent clairement. Un rebelle, un guerrier, qui a participé, ensemble avec tant de
jeunes de sa génération, à la tentative de changer la société et le monde, assumant
l’entière responsabilité de l’avoir fait avec tous les moyens adéquats. Claudio ne prétend
pas tirer des conclusions de son expérience parce qu’il ne la considère jamais terminée,
même quand, en décembre 1996 à Cordoue, il est blessé dans une fusillade et arrêté : sa
bataille continue aussi en prison, et aussi dans cette « prison dans la prison » qu’est le régime
FIES de l’État espagnol, auquel il sera soumis pour une très longue période. À travers ses récits, encore une fois, Claudio nous transmet la force qui a animé ses batailles, mises à dure épreuve par l’exil au début et par la prison jusqu’à maintenant, sans perdre l’enthousiasme qui lui a permis
d’affronter, jour après jour, l’isolement et la torture de l’enfermement. Un enfant pestiféré,
Claudio. Un rebelle, un anarchiste, un guerrier, un expropriateur qui, dans l’ardeur
d’une bataille sans trêve, a su conjuguer ses vertus aux durs temps présents.

La présentation sera suivie par un interview téléphonique avec Claudio, réalisé lors de la sortie de
son autobiographie en Italie (2011) et par un repas en soutien à l’imprimerie L’Impatience
Imprimerie anarchiste L’Impatience45, Boulevard Pardigon, Marseille

Affiche en PDF

 

Privas, france: Procés deux personnes accusés d’être des émeutiers du Pouzin

france bleu drome ardèche  lundi 3 décembre 2018 à 20:28

Deux jeunes soupçonnés d’avoir participé aux échauffourées de samedi soir au Pouzin (Ardèche) seront jugés en comparution immédiate ce mardi devant le tribunal correctionnel de Privas. Selon un dernier bilan, 23 gendarmes ont été blessés dans ces affrontements.

L’un est du Pouzin, l’autre de Loriol. Ces deux jeunes gens d’une vingtaine d’années ont été envoyés en prison ce lundi soir en attendant leur comparution immédiate mardi après-midi à Privas. Ils devront répondre de violences en réunion sur personnes dépositaires de l’autorité publique et de participation à des attroupements en vue de commettre des dégradations et des violences.

crève la taule!!

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Fermons ce triste cirque!

Il me faut le reconnaître à mon grand dam, me voilà trop fatigué (l’âge, la maladie) pour aller respirer le parfum de l’émeute.

J’ai donc décidé d’écouter l’ennemi.

Destination logique : BFM-TV.

Voici le Premier ministre du pays, ce samedi 1er décembre 2018. Il tente de conserver un maintien « british » : tweed and self-control ironique.

Mais son regard fuyant donne plutôt l’impression qu’un hélicoptère l’attend sur le toit…

Il n’est là que pour empêcher son ministre de l’Intérieur de se ridiculiser une fois de trop.

Il fallait l’entendre la semaine précédente, le Premier flic de France, buter sur les mots (que lui avait dit le coach déjà ? « C’est simple Christophe : sujet – verbe – cod. — C’est aux dés ? »).

Il avait répété en boucle le chiffre de « Gilets jaunes » mobilisés estimé par ses services: 106 301. Ah ! ce cent six mille trois cents unième trublion, ça paraissait une bonne idée… Voyez comme on compte, pas un qui nous échappe !

Maintenant, auprès d’Édouard Philippe, il a un air de chien battu. On lui aura fait comprendre qu’il n’y a pas de place pour lui dans l’hélico : « Navré Christophe ! Tu comprends, avec l’escorte et les enfants… ».

Au début de cette deuxième journée d’émeutes, il a bravement affirmé partout que les événements montraient la validité de son nouveau dispositif. Calme absolu sur les Champs-Élysées !

Il fut plus délicat d’expliquer par la suite que le plus beau dispositif ne peut offrir que ce qu’il a – son centre, en l’occurrence – et que ses marges restent accueillantes à des affrontements plus violents encore.

— N’empêche ! au centre…

Il a pas de chance Christophe.

Comme le premier éborgné venu par une « balle de défense » : il est au mauvais endroit, au mauvais moment.

Un de ces mauvais moments – pour les types comme lui – où plus rien ne marche comme d’habitude. Il ne suffit pas de quelques coups de menton (le sien se double peu à peu, on ne se voit pas vieillir !) ou de matraque… On a beau même balancer des milliers de grenades de tous les modèles disponibles… On dirait que les gens n’ont plus peur !

On essaye de rebattre les cartes… C’est l’ «ultra-droite» ! (et en effet, y’en a ! comme dans la mixture des Tontons flingueurs). Les Conseillers ont suggéré de laisser, pour une fois, la « mouvance anarcho-autonome » au vestiaire… Mais voilà qu’elle s’affiche à l’Étoile, drapeau au vent.

Il faut, du coup, importer d’urgence (au mépris probable des règlements sanitaires en vigueur) un sociologue canadien francophone, M. Bock-Coté, pour affirmer (toujours sur BFM-TV) que « ces militants ont le culot de se réclamer de l’antifascisme, alors que leur évidente fascination pour la violence est d’essence fasciste »…

Qu’est-ce qu’on lui a promis à ce pauvre garçon ? Une soirée aux Folies-Bergère ? Une visite de La Madrague avec la propriétaire ? Un dîner en Bateau-Mouche sur la Seine ?

Des comme lui, et indigènes, le gouvernement peut en sortir quelques-uns de sa manche. Il a encore quelques cabots au chenil. Cohn-Bendit à l’Information ? Romain Goupil à l’Intérieur, Finkielkraut à l’Éducation ?…

Des clowns tristes.

Le système capitaliste, lui, se porte plutôt bien. Vous m’en voyez navré. Mais ce régime tient à un fil. Peut-être seul son président l’ignore-t-il ? Et encore ! Les seconds couteaux l’ont compris. Édouard Philippe et Christophe Castaner avaient, ce samedi, la même expression que Ceausescu, le jour où – pour la première fois – les sifflets ont couvert sa voix dans un meeting en plein air.

Parce que des gens – quelles que soient leur condition et leurs aspirations – en ont tellement marre que leur écœurement domine leur peur, laquelle, comme on dit « change de camp ».

Il fallait entendre les habitants des quartiers chics hurler à la mort et affirmer – dans leur ignorance absolue de l’histoire des manifestations parisiennes – qu’on n’avait jamais vu ce qu’on voyait là… !

Il est impossible de prévoir ce que « donnera » d’autre cet épisode de révolte sociale. Je suis, au jour d’aujourd’hui, plutôt dubitatif quant aux possibilités de « convergences » en dehors des émeutes. Je me contente cependant, de bon cœur, de la – énième – preuve qu’il nous offre que le système politico-policier au moins (autre chose est le système capitaliste dans sa globalité mondiale) est d’une fragilité extrême.

texte d’un écrivain claude guillon

texte:Sans demander pardon

jeudi 28 mai 2015

[On avait publié ici la mauvaise nouvelle de l’arrestation de Marco, à Milan, accompagnée de l’expression de notre solidarité. Mais si la solidarité va à tous les révoltés sincères quand l’État les frappe, elle ne peut pas aller à ceux qui se dissocient de leurs propres actes. Parce qu’on est pas solidaires des malheurs répressifs, mais de la dignité de la révolte !]

Toulouse, 21 février 2015. Une manifestation contre le barrage de Sivens et (pour certains) les nuisances de ce monde, part en vrille, comme beaucoup le prévoyaient, et se termine avec des affrontements avec les flics et des dégradations de magasins, voitures et mobilier urbain. Comme cela arrive malheureusement souvent, il y a des arrestations parmi les manifestants. Parmi eux il y a François. Selon les merdes des journaux, il aurait été arrêté en train de défoncer à coup de masse les vitrines d’une agence immobilière et d’un magasin d’ameublement.
François refuse la comparution immédiate et passe donc devant le juge le 25 mars, après un mois de préventive. Voici quelques extraits de sa déclaration : « Je me suis laissé entraîner. […] D’un côté les policiers, de l’autre nous. J’ai fait l’erreur de considérer les policiers comme des ennemis, les autres comme mes amis. […] On m’a donné une masse. Je m’en suis servi… Je suis désolé. »
La juge, qui est un bourreaux, mais n’est pas stupide, lui demande ce qu’il faisait à Toulouse, étant donné qu’il habite à l’autre bout de la France, à Rennes, et qui plus est, avec un masque à gaz sur le visage. François joue l’ex-étudiant sage et gentil, il se dit « concerné par l’écologie ». La juge, en bon bourreau pas stupide, fait son travail et le renvoi à l’ombre pour cinq mois de plus, plus six de sursis et l’obligation de rembourser les dégâts.

Milan, 1er mai 2015. Une manifestation contre l’Exposition Universelle et (pour certains) ce monde nuisible, part en vrille, comme le prévoyaient même les pavés, et se termine avec de durs affrontements avec les flics et de grosses dégradations de magasins, voitures et mobilier urbain. Comme cela arrive malheureusement souvent, flics et juges se vengent à froid. Le 19 mai, Marco est arrêté chez lui. Selon l’accusation, il aurait pris part au tabassage d’un flic. Une accusation à leur avis prouvée par quelques photos prises par des journalistes et qui ont fait le tour des médias, où on le verrait à visage partiellement découvert.
Pendant l’interrogatoire précédent l’incarcération, Marco déclare [1] : « J’ai vu que les policiers emmenaient une fille de façon violente et j’ai pris un gourdin qui était par terre et j’ai frappé un policier. Après je suis parti. […] J’ai agi de façon impulsive, je suis désolé et je demande pardon au policier ». On ne sait pas si le fait de ramper lui servira à manger moins au tribunal.

Mais pourquoi demander pardon ? Pourquoi annuler avec un geste de lâche accommodement des actes de courage sincère et, chose encore plus importante, les raisons pour lesquelles on les fait ? On peut comprendre le fait de ne pas vouloir empirer sa situation. Mais personne n’exige qu’on crache à la gueule du juge (il y en a qui le font et c’est tant mieux, mais c’est leur choix individuel). Il peut suffire de la fermer.
Pourquoi se rabaisser jusqu’à ce point ? Par peur ? Par opportunisme (qui d’ailleurs souvent ne marche pas) ? La peur est un sentiment humain et compréhensible, mais elle ne justifie pas la trahison, ni d’autrui, ni de ses idées. L’opportunisme… Changer d’attitude, changer de discours selon l’opportunité, selon la direction du vent. Mais, à part ceux qui choisissent de se renier pour manger moins de taule, il y a aussi ceux qui ne peuvent ou ne veulent, par dignité et cohérence, pas le faire. Et quand quelqu’un se présente au tribunal comme un gentil garçon, de façon implicite il est déjà en train de faire une distinction entre lui-même et les méchants.
Mais alors, pourquoi aller défoncer des vitrines, pourquoi tabasser un flic ? Si je tabasse un flic c’est parce que ce larbin en uniforme me dégoûte, parce que tant qu’un seul flic existera, la liberté sera lointaine. Ou bien je le fais par grégarisme, parce que d’autres sont en train de le faire ?
Si je vais à une manifestation prévue pour être chaude et que je ne veux pas d’emmerdes, je ne défonce pas de vitrines (on pourrait aussi se demander pourquoi aller à une manifestation si on ne veut pas de problèmes et à quoi ça sert une manif’ sans problèmes, mais passons…). Si vraiment je veux quelques frissons, je reste à regarder, comme le fait déjà trop de monde. Comme ceux trop nombreux qui prennent des photos, une très mauvaise habitude qu’il est désormais à la mode de tolérer. D’ailleurs, à combien on paye la légèreté de ne pas avoir chassé (avec les bonnes ou les mauvaises manières, mieux vaut les mauvaises) des journalistes professionnels ou « alternatifs », qui vont à une manif’ non pas pour manifester, mais pour fabriquer des preuves qui souvent sont très utiles à la police et la magistrature ? Quelques appareils photo, caméras ou smartphones pétés en plus, ça voudrait dire des compagnons en moins en taule ; quand nous rendrons-nous compte de cela ?

Mais retournons au fait de se repentir de ses mauvaises impulsions quand ça tourne mal. Il y a quelques années c’était appelé dissociation.
Il n’y a aucune obligation de faire quoi que ce soit, chacun fait seulement ce qu’il sent, mais il faut qu’il y ait la responsabilité de ses choix. Chacun doit les assumer jusqu’au bout. Et si je crois vraiment en ce que j’ai fait, pourquoi en nier les raisons quand cela tourne mal ? Personne ne veut des martyrs. Mais, comme le dit le proverbe, le silence est d’or. Certains gestes parlent tous seuls. En demander pardon veut dire qu’ils n’étaient pas fondé sur des idéaux de libération : autant alors se taper avec les bleus dans un stade de foot.

Qu’est ce que cela signifie d’assumer son idéal révolutionnaire, avec toutes les conséquences pratiques qui en découlent ? Que dés que ça tourne mal, les idées ne sont rien d’autre que des jolis mots à mettre de côté ? Pourquoi cette tentative de se démerder coûte que coûte, même au prix de la dignité ? Si cette attitude est acceptée (par exemple parce que « on ne critique pas quelqu’un qui est en taule »), alors en quoi les anarchistes et les révolutionnaires seraient-ils différents de la gauche ? En quoi serions-nous ethiquement différents de la gauche, en quoi serions-nous révolutionnaires ? Pour les vitrines brisées, quand ça fonctionne et qu’on ne se fait pas chopper ? Cela ne suffit pas. Les méthodes ne suffisent pas, un moyen est un moyen et rien d’autre, et il peut être utilisé par n’importe qui. Même un nazi peut briser une vitrine ou tabasser un flic. La Mafia fait plus de victimes, parmi les flics et les juges, que tous les révolutionnaires d’Europe confondus. Je ne pleure pas une seule larme pour eux, mais je n’applaudis pas la Mafia non plus. Parce que ce qui compte ce sont les idées, un idéal de liberté individuelle, et la façon dont j’applique ces idées concrètement, dans ma vie, avec toutes les difficultés et les compromis que je ne peux pas éviter. Ce qui compte est la cohérence entre mes idées et pratiques, ce qui signifie entre autre un comportement digne même dans l’adversité, le refus de renier ses idées. Cette tentative de cohérence est une tension toujours insatisfaite, mais elle donne un sens à ce que je fais et ce que je dis. Sinon, l’anarchisme se réduirait à une ribambelle de jolies phrases, la révolution à un bavardage comme tant d’autres.
La révolution… et aussi les petites tentatives conflictuelles qu’on fait entre temps, toujours en gardant l’œil sur cette objectif peut-être lointain.
On demandera peut-être la permission ? Et si ça tournait mal ? Suffirait-il de demander pardon ?

Mieux vaut être mal élevé que vendu.

www.non-fides.fr

 

Crest France: 3/12/2018 libre Pensée rassemblement devant la statue de l’insurgée

Ci-joint l’invitation à se réunir devant la statue de l’Insurgé de Crest, dont nous avons avancé exceptionnellement la date, du fait que la Libre Pensée est (nationalement) à l’initiative de rassemblements devant les préfectures les 7, 8, 9 décembre sur le mot d’ordre « Ne touchez pas à la loi de 1905 » (Privas le 8 à 11h, Valence le 8 à 14h30).

texte de l’invitation en PDF