Il me faut le reconnaître à mon grand dam, me voilà trop fatigué (l’âge, la maladie) pour aller respirer le parfum de l’émeute.
J’ai donc décidé d’écouter l’ennemi.
Destination logique : BFM-TV.
Voici le Premier ministre du pays, ce samedi 1er décembre 2018. Il tente de conserver un maintien « british » : tweed and self-control ironique.
Mais son regard fuyant donne plutôt l’impression qu’un hélicoptère l’attend sur le toit…
Il n’est là que pour empêcher son ministre de l’Intérieur de se ridiculiser une fois de trop.
Il fallait l’entendre la semaine précédente, le Premier flic de France, buter sur les mots (que lui avait dit le coach déjà ? « C’est simple Christophe : sujet – verbe – cod. — C’est aux dés ? »).
Il avait répété en boucle le chiffre de « Gilets jaunes » mobilisés estimé par ses services: 106 301. Ah ! ce cent six mille trois cents unième trublion, ça paraissait une bonne idée… Voyez comme on compte, pas un qui nous échappe !
Maintenant, auprès d’Édouard Philippe, il a un air de chien battu. On lui aura fait comprendre qu’il n’y a pas de place pour lui dans l’hélico : « Navré Christophe ! Tu comprends, avec l’escorte et les enfants… ».
Au début de cette deuxième journée d’émeutes, il a bravement affirmé partout que les événements montraient la validité de son nouveau dispositif. Calme absolu sur les Champs-Élysées !
Il fut plus délicat d’expliquer par la suite que le plus beau dispositif ne peut offrir que ce qu’il a – son centre, en l’occurrence – et que ses marges restent accueillantes à des affrontements plus violents encore.
— N’empêche ! au centre…
Il a pas de chance Christophe.
Comme le premier éborgné venu par une « balle de défense » : il est au mauvais endroit, au mauvais moment.
Un de ces mauvais moments – pour les types comme lui – où plus rien ne marche comme d’habitude. Il ne suffit pas de quelques coups de menton (le sien se double peu à peu, on ne se voit pas vieillir !) ou de matraque… On a beau même balancer des milliers de grenades de tous les modèles disponibles… On dirait que les gens n’ont plus peur !
On essaye de rebattre les cartes… C’est l’ «ultra-droite» ! (et en effet, y’en a ! comme dans la mixture des Tontons flingueurs). Les Conseillers ont suggéré de laisser, pour une fois, la « mouvance anarcho-autonome » au vestiaire… Mais voilà qu’elle s’affiche à l’Étoile, drapeau au vent.
Il faut, du coup, importer d’urgence (au mépris probable des règlements sanitaires en vigueur) un sociologue canadien francophone, M. Bock-Coté, pour affirmer (toujours sur BFM-TV) que « ces militants ont le culot de se réclamer de l’antifascisme, alors que leur évidente fascination pour la violence est d’essence fasciste »…
Qu’est-ce qu’on lui a promis à ce pauvre garçon ? Une soirée aux Folies-Bergère ? Une visite de La Madrague avec la propriétaire ? Un dîner en Bateau-Mouche sur la Seine ?
Des comme lui, et indigènes, le gouvernement peut en sortir quelques-uns de sa manche. Il a encore quelques cabots au chenil. Cohn-Bendit à l’Information ? Romain Goupil à l’Intérieur, Finkielkraut à l’Éducation ?…
Des clowns tristes.
Le système capitaliste, lui, se porte plutôt bien. Vous m’en voyez navré. Mais ce régime tient à un fil. Peut-être seul son président l’ignore-t-il ? Et encore ! Les seconds couteaux l’ont compris. Édouard Philippe et Christophe Castaner avaient, ce samedi, la même expression que Ceausescu, le jour où – pour la première fois – les sifflets ont couvert sa voix dans un meeting en plein air.
Parce que des gens – quelles que soient leur condition et leurs aspirations – en ont tellement marre que leur écœurement domine leur peur, laquelle, comme on dit « change de camp ».
Il fallait entendre les habitants des quartiers chics hurler à la mort et affirmer – dans leur ignorance absolue de l’histoire des manifestations parisiennes – qu’on n’avait jamais vu ce qu’on voyait là… !
Il est impossible de prévoir ce que « donnera » d’autre cet épisode de révolte sociale. Je suis, au jour d’aujourd’hui, plutôt dubitatif quant aux possibilités de « convergences » en dehors des émeutes. Je me contente cependant, de bon cœur, de la – énième – preuve qu’il nous offre que le système politico-policier au moins (autre chose est le système capitaliste dans sa globalité mondiale) est d’une fragilité extrême.
texte d’un écrivain claude guillon