Terreur d’état: Tchétchénie, une guerre sans traces

Manon Loizeau, alors correspondante à Moscou, a découvert la Tchétchénie
en 1995, lors de la guerre déclenchée par Boris Eltsine contre ce petit
pays du Caucase pour le punir d’avoir proclamé son indépendance.

En 1999, c’est Poutine qui, au prétexte de lutter contre le terrorisme,
lançait ses blindés et ses bombes contre les Tchétchènes, ciblant
combattants et civils avec une égale férocité.

Vingt ans et quelque cent cinquante mille morts plus tard, la
réalisatrice retrouve un pays « pacifié » par la terreur qu’inspirent
désormais les milices tchétchènes, et non plus l’armée russe.

Inféodé à Moscou, le régime du président Ramzan Kadyrov s’emploie
méthodiquement à éradiquer la mémoire de la guerre comme l’histoire du
pays, et impose un culte de la personnalité digne de l’ère stalinienne.

Généreusement financé par la Russie, le jeune Ramzan Kadyrov (38 ans) a
aussi spectaculairement reconstruit son pays ravagé par la guerre.
Grozny, capitale rasée par les bombes il y a dix ans, a pris des allures
de Dubaï, avec néons, centres commerciaux et mosquées rutilantes.

Ses avenues neuves portent les noms des principaux bourreaux de la
population, Poutine en tête.

Mais chaque jour, des gens continuent de disparaître, victimes du
pouvoir absolu d’un gouvernement qui s’arroge ouvertement le droit de
torturer et de tuer.

De rares voix dissidentes prennent pourtant le risque de dénoncer cette
terreur d’État : une femme harcelée par le pouvoir, qui raconte comment,
peu à peu, son clan est décimé dans le silence ; le Comité des mères de
Tchétchénie, fondé lors de la première guerre, qui en vingt ans de
combat n’a retrouvé que deux personnes vivantes sur les dix-huit mille
portées disparues ; un couple de vieux paysans dont les deux filles,
enlevées un soir à Grozny par des miliciens, n’ont jamais reparu ; le
Comité contre la torture, enfin, un collectif de jeunes juristes russes
qui enquête sans peur sur les disparitions et les conditions de
détention, et dénonce « une petite Corée du Nord » au sein de la
Fédération de Russie…

Dans ce « tunnel sans lumière » décrit par Madina, présidente du Comité
des mères, Manon Loizeau a pu aller à leur rencontre en se cachant et en
rusant, et même suivre le procès d’un politicien respecté, Rouslan
Koutaiev, accusé sans aucune vraisemblance de détention d’héroïne et
jugé par un tribunal aux ordres.

En réalité, sa « faute », sanctionnée par quatre années de prison, avait
consisté à braver l’interdiction de commémorer les 70 ans de la
 déportation des Tchétchènes par Staline. Un témoignage poignant,
exceptionnel, sur la tragédie d’un peuple que le monde a oublié.

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