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Dans les couloirs de la culture tourangelle, d’aucuns se félicitent de la nomination de Françoise Nyssen comme Ministre de la culture. Mais savent-ils vraiment qui elle est ? Ce texte, dont voici quelques extraits, en donne un aperçu. Il a initialement été publié en 2011 sur le blog des éditions Agone.
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Après des flots de plaintes « amères » contre les « arrangements entre éditeurs » et d’étonnement devant les « étrangetés scientifiques [sic] » du système des prix littéraires, le petit éditeur en Région [Actes Sud], décroche un Nobel deux ans avant de participer au partage du gâteau : le Goncourt en 2004, le Femina en 2006, en 2008 celui du Livre Inter tandis qu’en 2009 trente-cinq ouvrages d’Actes Sud ont reçu un prix ; en 2000, treize ans après avoir acheté sa première maison et trois autres entre-temps, le petit éditeur indépendant accueille dans sa holding le géant italien Rizzoli (RCS Media Group) ; enfin, lorsque Antoine Gallimard est élu en mai 2010 à la présidence du syndicat (patronal) de l’édition (SNE), l’équipe qu’il met en place accueille trois nouveaux, dont… Françoise Nyssen.
Au moment où celle qui recevra le « prix de la Femme d’affaires de l’année », décerné par Veuve-Clicquot, commence sa carrière chez Actes Sud, la maison d’édition que son père vient de créer, Françoise Nyssen déclarait : « J’ai vite appliqué la politique de la calculette. [1] » On ne peut dire aussi exactement comment l’acte fondateur d’Actes Sud n’est pas plus le premier livre que les succès d’une vieille conteuse russe et d’un beau ténébreux new-yorkais mais la fusion-acquisition par la famille Nyssen d’un des plus gros propriétaires immobiliers d’Arles, Jean-Paul Capitani. Ce qui permet à ce dernier de convertir un héritage assez peu présentable dans les salons littéraires mais bien utile pour traiter avec les banquiers et les élus : diverses sociétés de location de logements, de terrains et autres biens immobiliers ainsi que plusieurs exploitations agricoles allant de la culture de céréales à l’élevage de bovins [2].
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Mobilisant ses cours de première année à l’université, Françoise Nyssen expose ce « style nouveau dans le monde de l’édition » :
« Nous sommes attentifs à utiliser un autre vocabulaire. Nous réfléchissons au concept d’“entreprise humaine”. Il existe d’autres voies que celles de l’économie classique. Nous devons appliquer le nouveau paradigme des sciences [celui du principe d’incertitude de Heisenberg] à l’économie : l’entreprise n’est pas figée dans un schéma, elle est vivante. »
On croyait que cet « autre mode de gouvernance » appartenait depuis plus de vingt ans au vieux vocabulaire de la révolution néolibérale. Eh bien non, il a été inventé par les Nyssen dans une bergerie provençale à partir des principes de la « révolution de la physique au XXe siècle ».
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On raconte entre libraires qu’un confrère s’est trouvé engagé récemment dans un dialogue avec un taxi arlésien :
« — Et vous faites quoi ?
— Je suis libraire.
— Alors vous devez être riche ! »
Si Arles n’avait pas déjà eu l’empereur Auguste comme protecteur et si Hubert n’était pas un humble maverick, voilà belle lurette que la ville aurait été rebaptisée « Nyssen City ». Comme on dit outre-Atlantique, « Ce qui est bon pour Actes Sud est bon pour la Provence ».