Pour infos, plusieurs services de l’administration pénitentiaire, dont le Bureau Central du Renseignement Pénitentiaire (BCRP) créé par décret du 16 janvier 2017 au sein de la toute nouvelle Sous-direction de la sécurité pénitentiaire qui remplace l’ancien Bureau de renseignement pénitentiaire (EMS 3) créé en 2004 au lendemain des attentats de Madrid, sont regroupés depuis janvier 2016 sur un nouveau site au 35, rue de la Gare – 75019 Paris (Site Olympe de Gouges)*. Cet immeuble de 7 étages, 32 000 m² de bureaux et 1 600 agents réunis, a été conçu par le cabinet d’architecte KPF et réalisé par la société Icade pour un coût de 223 millions d’euros.
Spectaculaire vs inodore…
Officiellement, la mission du BCRP et des CIRP (cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire) ne se limite pas au seul « terrorisme », mais « consiste à recueillir, analyser et diffuser l’ensemble des informations utiles, d’une part, à la prévention du terrorisme et de la criminalité et de la délinquance organisés et d’autre part, et à la prévention des évasions, au maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires« . D’ailleurs, dans son discours d’inauguration du 21 avril 2017, le ministre de la Justice a étrangement insisté sur ce point : » Enfin 3ème défi : éviter l’écueil qui consiste à être accaparé par la lutte contre le terrorisme. Cette menace est majeure, prégnante et visible. Mais elle ne doit pas occulter le défi de la criminalité organisée. A la différence des groupes terroristes qui cherchent à faire connaître leur cause en se livrant à des actes de violence spectaculaires, les ramifications criminelles agissent dans le plus grand secret. Elles ont beau être silencieuses, parfois inodores, elles n’en demeurent pas moins une menace absolument déterminante. Vous devrez continuer d’y consacrer une attention soutenue. »
Depuis le début de l’année, un officier de la DGSI et un autre du SCRT (ex-RG) ont été mis à la disposition du renseignement pénitentiaire, et un autre de la SDAO (sous-direction de l’anticipation opérationnelle de la gendarmerie) et de la DRPP (direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris) devraient suivre**.
CAR à ta gueule
Au titre de la Loi de finances 2017, 6 millions d’euros ont été budgétés pour accompagner la montée en puissance technologique du BCRP : 4 millions destinés à l’acquisition d’équipement de renseignement (IMSI catchers, sonorisation des cellules et des parloirs,…) et 2 millions consacrés au développement d’un système informatique. En attendant ce dernier, le renseignement pénitentiaire utilise toujours son logiciel interne CAR (« Collecter/Analyser/Renseigner »), qui intègre les données de ses autres fichiers, dont celui conçu spécialement pour l’AP en 2011 contre 5 millions d’euros par l’entreprise d’ingénierie Sopra Steria basée à Annecy : GENESIS (« gestion nationale des personnes détenues en établissement pénitentiaire« ), déjà chargé de collecter un max d’infos sur chaque prisonnier à l’intérieur et venu remplacer GIDE (« gestion informatisée des détenus en établissement« ) en 2013-2015, toujours consultable par les matons***.
L’autre logiciel de l’AP désormais relié au CAR, est le fameux cahier électronique de liaison (CEL) également accessible aux magistrats, et qui fiche quotidiennement les prisonnierEs à partir d’un nombre étendu d’items proposés aux matons sur la base d’une observation comportementale : « propension à gérer un leadership par des moyens négatifs« , « déprime« , « incapacité à vivre avec les autres/non-adhésion aux règles de la collectivité« , « refus de promenade« , « pas de visites aux parloirs« , « souhait de rencontrer un visiteur de prisons« , « ne reçoit pas de courrier« , « n’envoie pas de courrier« , « se plaint« , « s’isole« , « ne s’exprime pas« . etc. Parmi les nombreuses rubriques à renseigner dans le CEL par « oui/non/ne se prononce pas », on pouvait déjà relever celle sur la gestion de la « dangerosité » avec ce magnifique « d) Facteurs sociaux : instabilité dans l’emploi avant incarcération ; instabilité dans le logement ; absence de visites ; nie les faits objets de la condamnation ou de la détention provisoire ; accepte l’incarcération« . A l’intérieur comme à l’extérieur, les services de renseignement n’ont pas besoin de partir de zéro, puisque par l’autofichage (réseaux sociaux, téléphone, bavardage intempestif) ou à travers les fichiers existants, ils n’ont souvent qu’à faire un tri laborieux en rajoutant des larbins spécialisés. A moins bien sûr que l’inodore, qui n’est pas le cas le plus fréquent, ne nécessite des méthodes spéciales d’infiltration…
A ce titre, sur les 250 postes actuels du renseignement pénitentiaire, on compte notamment l’embauche récente de 15 « analystes-veilleurs », de 20 « investigateurs numériques » et de 10 traducteurs d’arabe (mais pas que). Le travail des premiers consiste par exemple à attribuer un degré de crédibilité au renseignement afin de pouvoir l’exploiter selon la méthode dite de « cotation ». Cette dernière se présente sous la forme d’un “bigramme” dont la lettre indique la qualité de la source et le chiffre donne la valeur du renseignement. Ces coefficients sont susceptibles d’être modifiés si d’autres sources le confirment ou l’infirment (par recoupement). La qualité de la source est codifiée de A à F (source complètement sûre pour A, à sûreté ne pouvant être appréciée pour F). La valeur du renseignement est codifiée de 1 à 6 (confirmé par d’autres sources pour 1, à exactitude ne pouvant être appréciée pour 6).
* Pour l’Outre-Mer, les services de l’administration pénitentiaire (dont ceux du renseignement), sont situés au 42 rue Denis Papin, 94 200 Ivry-sur-Seine (selon ses offres de recrutement récentes parues sur le site de la Bourse Interministérielle de l’Emploi Public (BIEP), ou au n°48 selon l’annuaire).
** Assemblée nationale. Audition du ministre de la justice par la mission d’information de suivi des conclusions de la commission d’enquête sur la lutte contre le terrorisme – Mercredi 18 janvier 2017
*** Sopra Steria ne travaille pas qu’au service de l’AP, cette entreprise est aussi sous contrat avec l’OTAN, les forces armées britanniques, la marine allemande et l’armée française, pour laquelle 150 de ses consultants, architectes système et intégrateurs sont par exemple chargés de livrer « des configurations adaptées aux centres de commandement Terre, Marine, Air et interarmées« . Sopra Steria dispose ainsi d’un Data Center basé près de Rennes et exclusivement dédié aux activités de Défense à caractère opérationnel. Et comme tout est lié, en plus de la justice et de l’armée, c’est aussi elle qui a mis en oeuvre et assure la maintenance du système de contrôle de l’immigration EURODAC et a signé un accord de Recherche&Développement avec le Commissariat à l’énergie atomique (CEA Tech). Et on vous passe tout le reste.
Renseignement, des moyens inédits déployés en prison
La Croix, 21/04/2017 à 7h41
Jean-Jacques Urvoas inaugure vendredi 21 avril 2017 le Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) . Face à une radicalisation accrue et une menace terroriste maximale, la pénitentiaire se dote de moyens inédits.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En l’espace d’un an, le nombre de détenus radicalisés est passé de 700 à la fin de l’année 2015 à près de 1 400 aujourd’hui. Les auteurs d’infraction terroriste actuellement incarcérés avoisinent les 400 – contre 90 fin 2014. Autant de profils à surveiller de très près pour éviter que les condamnés de droit commun ne « basculent » lors de leur passage par la case prison.
Face à ces nouvelles menaces, l’exécutif a un temps tergiversé. Et notamment Christiane Taubira, convaincue que le déploiement de l’espionnage en détention alimenterait encore la défiance des détenus envers les agents. L’arrivée de Jean-Jacques Urvoas à la Chancellerie, en janvier 2016, a changé la donne. Depuis, le renseignement pénitentiaire s’est considérablement étoffé.
Des agents dotés d’une puissance inédite
L’inauguration ce vendredi du Bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) en est sans doute la meilleure démonstration. « Cette nouvelle entité aura pour mission d’établir des synthèses quotidiennes à partir des remontées de terrain », explique-t-on à la Chancellerie. Doté d’une quarantaine d’agents, le bureau devra aussi, et surtout, jouer les courroies de transmission entre les agents chargés de l’espionnage en détention et les services centraux spécialisés (Uclat, DGSI, etc.)
Les moyens technologiques octroyés aux agents vont, eux aussi, changer du tout au tout. La loi contre le crime organisé et le terrorisme – votée en juin 2016 – a en effet fait entrer le renseignement pénitentiaire dans le second cercle du renseignement.
La mesure pourrait paraître technique et secondaire, il n’en est rien. Intégrer ce fameux « second cercle » confère aux agents de la pénitentiaire des techniques de surveillance d’une puissance inédite – et ce, hors contrôle du juge.
Ils seront ainsi équipés d’IMSI catchers, ces petits ordinateurs capables d’« aspirer » – sur une zone définie – l’ensemble des données des téléphones portables et le contenu des communications. Appels, SMS, mails, tout y passera…
Un réseau densifié
Autre outil de choix entre les mains de la pénitentiaire : il sera désormais possible de sonoriser cellules ou parloirs à l’insu des détenus. Là encore, aucun contrôle préalable du juge ne sera nécessaire. Objectif : détecter des cas de radicalisation passés inaperçus chez les détenus pratiquant la « taqîya » (la dissimulation).
Côté effectifs, la chancellerie s’est engagée à « densifier le réseau ». Concrètement, en l’espace de quelques mois, elle a multiplié par deux le nombre d’agents dédiés au renseignement. Les cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP) sont ainsi passées d’une quarantaine de fonctionnaires à un peu plus de 80. On compte par ailleurs 44 délégués locaux au renseignement pénitentiaire (DLRP) et 143 à temps partiel.
Enfin, des profils plus techniques viennent d’être recrutés : quinze emplois d’analystes-veilleurs, vingt d’investigateurs numériques et dix de traducteurs.