note: DEPUIS LA LIGNE DE FRONT….. Tierra Y Libertad 8 avril 1932

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On a toujours dit et affirmé que les anarchistes étaient les meilleurs connaisseurs de ce qu’on appelle la farce politico-parlementaire. Et non sans raison, car pour résister de façon irréductible aux mesquineries de la politique dont la seule aspiration est de se
placer au gouvernement, il faut un grand esprit critique qui creuse jusqu’à ses ultimes détours les honteuses spéculations de la politique et main-tient toujours en surface la discorde et l’inhumanité qui constituent toutes formes de gouvernement. Par gouvernement, il faut entendre la subordination de la collectivité à l’intérêt abstrait d’une théorie ou d’un credo et à l’intérêt pas si abstrait, mais bien matériel qui préside l’action de gouverner par des castes et des dynasties sur l’ensemble du collectif. Il arrive souvent, sans que cela soit possible au niveau de la philosophie, de concilier le concept anarchiste de la vie avec l’acceptation transitoire ou momentanée, face à certaines circonstances historiques, de l’action politico-parlementaire, de voir que certains, tout en se disant anarchistes, croient aux prêches et promesses des politiciens qui se disent de gauche et d’extrême gauche.
Pour nous, qui sommes en prison occupant les secteurs les plus exposés sur la ligne de mire de ce dur combat pour la révolution sociale qui se mène tout le long du front ibérique, nous sommes choqués, attristés de lire si souvent dans les journaux la tenue de meetings où se mêlent les orateurs anarchistes et les politiciens de la minorité parlementaire de l’extrême gauche révolutionnaire et fédérale.
Du fond de cette prison, et si nous y sommes encore c’est pour bien vouloir maintenir de façon irréductible notre position franchement révolutionnaire, nous souhaitons attirer l’attention de tous ceux qui, connus en tant qu’anarchistes, collaborent publiquement avec ces hommes représentant cette minorité politico-révolutionnaire dont la seule raison de se dire révolutionnaire est d’abord de conserver ses places dans l’actuel parlement pour essayer par la suite de devenir une majorité parlementaire, en ayant exploité l’image aux yeux de l’opinion d’être le secteur ultrarévolutionnaire de toute l’Espagne.
Il nous est insupportable de savoir que ce sont les anarchistes eux-mêmes qui, par leur présence et collaboration, cautionnent les promesses mensongères de cette minorité politique.
Les anarchistes se doivent non seulement de refuser toute collaboration avec ces politiciens, mais aussi d’inlassablement les combattre et dénoncer toutes les dérives politiques.Il serait malvenu qu’alors que des anarchistes intègres et fidèles à l’esprit de la révolution critiquent les meetings des socialistes, des radicaux et de ceux de la gauche catalane, d’autres anarchistes proposent leur contribution. Même si ces manifestations prennent comme prétexte le soutien aux prisonniers et aux déportés. Même pour notre propre défense, notre devoir d’anarchistes serait de ne compter que sur nous-mêmes.
N’oubliez pas compagnons, que le grand problème de la reconstruction économique et morale du monde ne trouvera sa solution que dans l’action révolutionnaire impulsée par tous pour aboutir à la conquête des moyens de production et d’enseignement. En dehors de la révolution prolétarienne, tous les chemins mènent dans une impasse. L’action politique et parlementaire est pour nos générations de l’après-guerre mondiale une inutile vieillerie tout comme le fut le christianisme pour les descendants de la Révolution française. En espérant que vous anarchistes ne fassiez pas comme ces grands enfants qui s’amusent à faire de la politique révolutionnaire depuis Moscou. Ayez conscience que le peu de rayonnement de la Révolution russe n’est dû qu’à l’imposition de la politique parlementaire sur le prolétariat mondial.
Jamais autant qu’aujourd’hui nous n’avons pu croire dans la possible réalisation de nos idéaux anarchistes. Après l’expérience communiste libertaire du Haut Llobregat, nos cœurs doivent déborder d’enthousiasme, car nous sommes déjà loin de ceux pour qui être anarchistes supposait le sacrifice de la liberté et de la vie, pour une vie meilleure pour les générations à venir.Aujourd’hui, nous luttons enfin pour nous-mêmes.La société qui va naître méconnaîtra le parlementarisme et les ruses révolutionnaires des politiciens minoritaires. Notre devoir est de savoir se passer des plateformes des politiques et d’apprendre à avoir confiance en nos propres forces.
Depuis sa cellule, le 27/5/32.

 

Juan GARCÌA OLIVER
1)
D’après«L’écho des pas» JuanGARCÌA OLIVER – ÉditionsLe Coquelicot- 2014