Un mois est passé depuis l’attaque de l’antenne de Zurich—Waidberg, un mois de silence suspicieux du côté des médias et des autorités. Ce n’est que la semaine dernière qu’ont commencé à sortir les premiers détails, et on apprend par les médias que l’antenne en question n’était rien moins que le système radio d’urgence de la police de Zurich, qui devrait entrer en fonction au cas où le système radio normal ne fonctionnerait plus. Les câbles à la base de cette antenne ont été livrés aux flammes, causant des centaines de milliers de francs suisses de dommages, et la mettant hors service « pendant plusieurs jours », et on apprend aussi qu’un mandat d’arrêt international a été émis contre le compagnon recherché [voir Ding Dong – C’est l’Etat].
A la lumière de ces nouveaux faits, le silence qui a suivi ce sabotage ne nous surprend pas, parce qu’avec cette attaque, ce qui a été touché est un nerf à vif qui a mis dans l’embarras l’ensemble des forces de police de la ville de Zurich, en mettant en évidence sa vulnérabilité. Qu’aurait-il pu arriver si, à ce moment-là, pour une raison quelconque, il y avait eu une panne du système radio de la police ? Sans pouvoir utiliser la radio pour communiquer, transmettre des ordres et des informations, la police de Zurich se serait probablement retrouvée sérieusement limitée dans sa capacité à se coordonner et à réagir, créant une situation favorable pour quiconque a des comptes à régler avec cette société. Mais faisons un pas supplémentaire. Et si cela s’était produit lors de moments de tensions sociales, comme par exemple au cours des émeutes de Bellevue d’il y a quelques années ou celle d’Europa-Allee ? Sans pouvoir se coordonner, les forces de l’ordre se seraient retrouvées avec de sérieuses difficultés pour reprendre le contrôle de la situation et garantir un retour à la normalité. Ces émeutes, au lieu d’être des émeutes éclair de quelques heures, auraient peut-être eu assez d’oxygène pour se diffuser à travers l’espace et le temps. Même leur caractéristique aurait pu se transformer en quelque chose de différent : en créant une cartographie difficilement contrôlable par les autorités à cause de leur incapacité à se coordonner, elles auraient pu ouvrir de nouveaux espaces de réflexion. Europa-Allee, et ensuite ? Que voulons-nous ? Comment voulons-nous vivre ? Des questions qui auraient trouvé des réponses pratiques et immédiates sur le moment. Le problème de la gentrification, par exemple, est lié au problème de la richesse, de ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, et sans la protection des forces de l’ordre, l’expropriation de la part de ceux qui n’ont pas aurait pu être une réponse. La révolte pourrait même aller bien au-delà du seul problème de la gentrification, mettant en cause la propriété privée, et avec elle une des racines mêmes de la société de l’autorité.
Face aux injustices et aux abus de cette société, nous nous sentons souvent impuissants. Au fond, transformer la société est un objectif quasi impossible, alors, que peut faire une simple personne ? Sans trop y réfléchir, nous nous abandonnons à des traditions, des rituels, des identités collectives et des répétitions d’actes simplement parce que c’est ce qui s’est toujours fait.
La quantité de personnes descendues dans la rue, des dégâts causés et des flics blessés deviennent les paramètres de mesure du succès ou pas d’une manifestation. Nous ne voulons pas admettre que mesurer uniquement le côté quantitatif n’est rien d’autre qu’une illusion que nous nous créons pour continuer à réitérer les mêmes rituels. La logique du « dix aujourd’hui, cent demain » nous empêche de regarder au-delà de notre nez, de voir que quelque chose d’autre peut être fait, que même un petit acte peut changer plus drastiquement une situation que la répétition permanente de recettes « qui ont fait leur preuves ». Nous pensons qu’il est nécessaire de développer la capacité de regarder au-delà de tous ces rituels et de ces habitudes commodes qui atrophient notre capacité d’imagination, afin de trouver également d’autres manières d’agir.
Le silence qui a suivi cette attaque a donc été la feuille de vigne qui a tenté de couvrir une vérité simple : la supériorité numérique et en armement ne comptent pas beaucoup face à l’intelligence et à l’ingéniosité humaines. Un noeud de câbles livré aux flammes au bon endroit et au bon moment par une personne singulière ont le pouvoir de désarticuler une armée entière, de transformer une situation qui peut sembler statique en quelque chose de nouveau, de différent et d’imprévisible. Maintenant, si on pense au fait que la société dans son ensemble ne peut fonctionner que grâce à la présence d’infrastructures qui permettent la circulation des flux, des informations, de l’électricité, des marchandises, des personnes, etc., au fait que ces infrastructures sont présentes partout dans l’espace physique, c’est un monde entier de possibilités d’agir et interagir qui s’ouvre sous nos yeux.
Ces derniers mois, on a vu comment un petit feu, au bon endroit peut aussi paralyser « la moitié de la Suisse » [Dissonanz nr. 30], comment les câbles d’une antenne brûlée peuvent mettre hors d’usage une partie du système de communication de la police : qu’aurait-il pu arriver si ces sabotages s’étaient produits à des moments particuliers en interagissant avec d’autres événements ?
L’Etat, l’économie et l’autorité ne sont pas du tout abstraits et intouchables, il suffit d’en trouver les points faibles, il suffit d’un peu d’esprit et d’imagination.
Pour qui sait où regarder, le roi est nu et vulnérable.
Au compagnon en fuite, nous souhaitons bonne chance, où qu’il soit.
[Traduit de de Dissonanz (Zurich), n°34. 17 août 2016]