Derrière la prolongation de l’état d’urgence, une nouvelle loi antiterroriste
Le Monde | 22.07.2016 à 11h31
L’Assemblée nationale et le Sénat ont voté jeudi 21 juillet la loi qui proroge l’état d’urgence jusqu’au 26 janvier 2017. L’état d’urgence devrait durer au total un peu plus d’un an et deux mois depuis son instauration le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats du Bataclan, des terrasses parisiennes et du Stade de France.
Dans le climat d’émotion et de peur provoqué dans le pays par l’attentat de Nice, députés et sénateurs se sont accordés pour aller très au-delà de la simple prolongation de ce régime d’exception « temporaire ». Au sortir d’un examen parlementaire bouclé en quarante-huit heures, le projet de loi approuvé en conseil des ministres mardi 19 juillet est passé de deux articles à vingt et un, a changé de nature et de nom. Une nouvelle loi antiterroriste s’est greffée au texte initialement cantonné à la prorogation de ce régime dérogatoire du droit commun et à la modification de la loi de 1955 sur l’état d’urgence pour permettre de nouveau les perquisitions administratives et les saisies informatiques que le Conseil constitutionnel avait censurées en février. Le compromis trouvé en commission mixte paritaire mercredi soir illustre la surenchère sécuritaire du moment.
Un arsenal durci
Moins de deux mois après la loi du 3 juin, particulièrement riche sur la lutte contre le terrorisme et la procédure pénale, et qui faisait même entrer dans le droit commun certaines mesures s’inspirant de l’état d’urgence, la France choisit d’alourdir encore son arsenal. Elle durcit les peines infligées pour les infractions criminelles d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (de vingt à trente ans de prison), des mesures que l’on sait sans portée pour lutter contre cette menace. Mais elle touche aussi à certains principes du droit pénal au nom de la lutte contre le terrorisme.
La loi votée jeudi exclut les personnes condamnées pour des faits liés au terrorisme du régime de crédit de réduction de peine. La droite avait déjà tenté au printemps de faire passer cette disposition en dénonçant « un régime de remise de peine automatique ». Ce qu’il n’est pas. Pour inciter les détenus à respecter les règles en prison et à faire preuve de volonté de se réinsérer, un système, voté sous Nicolas Sarkozy, permet d’attribuer à tout condamné un crédit de trois mois de réduction de peine la première année, puis de deux mois tous les ans. Ce crédit est amputé à chaque incident en détention (violence, introduction de drogue, de téléphones, etc.). In fine, c’est le juge d’application des peines qui décide. Les syndicats de surveillants pénitentiaires, y compris l’UFAP, le plus à droite des grands syndicats, sont unanimes pour juger cette carotte indispensable pour gérer la détention afin de limiter le risque de voir certains se comporter comme des fauves qui n’ont rien à perdre. La majorité socialiste et le garde des sceaux avaient repoussé l’offensive de l’opposition sur ce sujet au printemps. Pas cette fois.
Pascal Popelin, rapporteur socialiste du projet de loi à l’Assemblée, plaide n’avoir pas cédé sur l’essentiel. « C’est l’épaisseur du trait, on inverse le dispositif en laissant au juge d’application des peines la possibilité d’accorder des remises de peine », se justifie-t-il. Mais quel juge accordera de son propre chef une remise de peine à un terroriste ? Un des responsables socialistes de l’Assemblée s’inquiète de ce précédent : « Aujourd’hui cantonnée au terrorisme, cette mesure risque de s’étendre facilement à d’autres infractions au gré de faits divers terribles, viol, meurtre de policier ou autre. »
« Sous le coup de l’émotion »
Les tractations entre les rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée avaient commencé dès ce week-end. Les députés étaient ainsi convaincus de la mesure donnant aux préfets la possibilité de permettre aux forces de l’ordre de procéder à des contrôles d’identité administratifs et de fouiller les véhicules, un pouvoir que les procureurs ont déjà. Les magistrats y voient une preuve supplémentaire d’une défiance à leur égard.
En revanche, l’Assemblée a cédé face à la majorité sénatoriale sur l’introduction d’une peine complémentaire automatique d’interdiction du territoire, sauf avis motivé du juge, des étrangers condamnés pour terrorisme. Cette automaticité contredit le principe de l’individualisation de la peine que le président Sarkozy avait voulu remettre en cause avec les peines planchers.
L’Union syndicale des magistrats (USM), le syndicat apolitique qui pèse 72 %, dénonce cette loi « adoptée sous le coup de l’émotion ». Pascale Loué Williaume, conseillère à la cour d’appel de Versailles et secrétaire nationale de l’USM, y voit « des atteintes supplémentaires aux libertés votées après un débat hâtif et inquiétant vu le manque de retenue de certains parlementaires ». Les assignations à résidence extrajudiciaires [soit administratives], hors état d’urgence, créée par la loi du 3 juin, pourront désormais durer trois mois, au lieu d’un.
Parmi les autres mesures votées, la loi élargit les possibilités d’écoute administrative à toute personne « susceptible d’être en lien avec une menace ». La précédente rédaction du texte, qui a tout juste un an (la loi renseignement du 24 juillet 2015), ne concernait que les personnes « présentant une menace ». De plus, le texte permet d’étendre les écoutes aux « personnes appartenant à l’entourage de la personne concernée ». Le Syndicat de la magistrature (gauche) estime que la majorité s’est vu « imposer un marchandage indigne des circonstances ».
Le seul progrès en matière de défense des libertés, ou plutôt de garde-fous aux atteintes aux libertés, est le renforcement du contrôle parlementaire sur l’état d’urgence. A l’information donnée « sans délais » à l’Assemblée et au Sénat sur les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence, la loi ajoute désormais que « les autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu’elles prennent en application » de ce régime. De quoi nourrir la curiosité des parlementaires sans passer par le filtre du ministère de l’intérieur.
L’état d’urgence durci
Le Parisien |21 juillet 2016, 7h00|
Les députés n’ont pas seulement décidé de la prolongation de l’état d’urgence pour six mois, ils ont également décidé de l’enrichir de nouvelles mesures qui devraient donc entrer en application le 27 juillet, pour une durée de six mois. Les sénateurs ont voté hier, en début de soirée, le texte des députés, mais en le renforçant. Une commission mixte paritaire devait se réunir dans la foulée pour trouver une version commune aux deux Chambres. En cas de réussite, la prolongation ferait l’objet d’une dernière navette jeudi, qualifiée de formalité au Sénat. En cas d’échec, c’est l’Assemblée qui aura le dernier mot.
Le texte tel qu’adopté par les députés signe d’abord le retour des perquisitions administratives. Décidées par le préfet en dehors de tout cadre judiciaire, près de 3 600 perquisitions administratives avaient été menées entre le 14 novembre et le 26 mai, c’est-à-dire durant les deux premières périodes d’application de l’état d’urgence. Elles avaient été abandonnées lors de la 3 e prolongation, du 26 mai au 26 juillet, notamment en raison d’une censure du Conseil constitutionnel qui avait interdit l’exploitation des données informatiques saisies à l’occasion de ces perquisitions. Le projet voté les rétablit et prévoit désormais la possibilité de saisir et d’exploiter les données informatiques découvertes. De plus, les personnes présentes sur les lieux de ces perquisitions pourront être en retenue administrative le temps de ces perquisitions, dans la limite de quatre heures maximum.
Le texte généralise également les fouilles des véhicules et bagages lors d’un contrôle d’identité sans avoir besoin d’instructions préalables du procureur de la République. Les crédits de réduction de peine automatique sont supprimés pour les condamnés pour terrorisme, y compris des faits d’apologie du terrorisme. Enfin, le texte permet de placer les cellules de détenus sous vidéosurveillance 24 heures sur 24 lorsque « l’évasion ou le suicide du détenu pourrait avoir un impact important sur l’ordre public ». Cette décision est prise par le ministre de la Justice, pour une durée de trois mois renouvelable. Un dispositif déjà appliqué à Salah Abdeslam, détenu à Fleury-Mérogis.