nous avons diffusé un autre texte de Préliminaires de Miguel Amoros paru à l’édition de la Roue une perspective anti-industrielle le samedi 2 juillet lors de la table de presse lors de la journée anti rep à Eymeud. ce texte on le publie sur le blog
Minuit dans le siècle
notes contre le progrès
« Pour sortir des labyrinthes, il ya des moments où l’on peut passer à travers les murs , il yen a d’autres où les murs sont trop solides, et où il faut que la mémoire parvienne à renouer le fil du temps, pou rejoindre le point de vue central d’où peut découvrir le chemin. Au -delà commence la reconquête d’une puissance d’un jugement critique qui réponde , sur les faits constatables , à l’avilissement de la vie , et qui précipite la scission dans la société, préliminaire à une révolution , sur la question historique par excellence qu’est la question du progrès » Encyclopédie des nuisances ,N° 2février 1985, « Histoire de dix ans , esquisse d’un tableau historique des progrès dans l’aliénation sociale »
Portée par l’esprit philosophique du siècle des lumières , l’idée du progrès était, à son origine, quasi subversive. L’Église avait imposé les dogmes de la création et le fixisme, qui établissaient l’immuabilité des êtres vivants sortis, une fois pour toutes et tels qu’ils sont, du moule divin. C’est pourquoi il se trouve dans l’Encyclopédie peu de lignes sous la rubrique du « Progrès », défini simplement comme « mouvement allant de l’avant ». Par ailleurs, Diderot, et les autres encyclopédistes ne considéraient pas la société civilisée comme étant supérieur à celle des sauvages ; bien au contraire, leur position par rapport au progrès était pour le moins prudente, voir sceptique. Sans doute la lecture des récits de voyages de l’abbé Raynal, du baron de Lahontan ou de Louis-Antoine de Bougainville y contribua -t-elle. D’une façon ou d’une autre, l’idée s’est imposée en Europe à partir de la révolution industrielle. Comme le dit Mumford : « le progrés était l’équivalent , dans l’histoire, du mouvement mécanique à travers l’espace ».C’était l’interprétation du changement comme un fait unidirectionnel d’où la marche arrière , la décadence ou le recul étaient explicitement exclus. La pensée éclairée interprétait la production industrielle comme l’annonce d’un monde libre de préjugés religieux et gouverné par la Raison où tous aurait le bonheur à portée de main. Les faits la contredisait souvent, mais la contradiction était du mouvement ; par exemple,on supposait que la laideur de la société industrialisée était grosse d’un futur ou l’abondance matérielle serait la norme et la liberté son résultat.. En outre , la science résoudrait tous les problèmes, l’économie croîtrait et l’ État démocratique offrirait l’égalité devant la loi à l’heure de la distribution.
Cependant, toute médaille a son revers , et à force de science, d’étatisme et de productivité, le progrés nous a conduit au bord du précipice : la science et la technologie ont transformé les moyens de production en forces toujours plus destructives ; le développement économique a engendré inégalité, injustice sociale et misère partout, en dévastant au passage l’environnement . L’État s’est transformé en monstre bureaucratique tentaculaire qui dévore la vie de ses sujets . Les désastres sociaux et écologiques sont devenus monnaie courante et l’insatisfaction, comme la crises’est généralisée. Les individus, sous le joug de la production et de la politique, sont incapables de dominer leur destin. Ils sont habités par un vide qui ne cesse de s’amplifier depuis plus de deux siècles et qui les empêche de formuler et de communiquer leur mécontentement, alors que pour la première fois d’une façon générale , la croyance d’un avenir meilleur s’est effondrée. Confrontée aà la réalité d’un monde entré dans des difficultés majeures annonçant sa fin à moyen terme, l’idée d’avenir a perdu toute crédibilité. A l’Aune de toutes les régressions que le progrès a finalement produites , les souffrances des générations antérieurs semblent avoir été endurées en vain. Le fait est d’importance , car toutes les idéologies émancipatrices, de la Révolution française à Mai 68, se justifiaient au nom de la raison scientifique et du progrès.
Pour les progressistes ,, la science révélait des lois économiques et sociales inexorables dont la nécessité historique ne pouvait être contestée, car elles étaient inscrites dans la nature des choses et se situaient au-dessus du dessein des humains : il s’agissait simplement de les observer et de leur obéir pour être équitable et juste.. a loi la plus importante postulait – selon Godwin , le plus ancien référent de la pensée anarchiste– la perfection continue et illimitée de l’être humain grâce au régne de la raison scientifique. Fourrier disait que c’était le désir de la nature que d’aller par étapes de la barbarie vers la civilisation .. Proudhon affirmait même que l’idée du progrès remplaçait l’idée d’Absolu en philosophie.Marx désignait la classe ouvrière come son principal agent historique en tant que « force productive principale ».Le processus historique, selon Hegel, « l’autel où ont été sacrifiés le bonheur des peuples , la sagesse des États et la vertu des individus » était le sillage que l’Idée—le progrès– laisse dans sa marche.Marx, son disciple , nous enseignait que ce processus n’était rien d’autre qu’un enchaînement naturel d’étapes économiques obéissant à des lis contre lesquelles la volonté humaine ne pouvait rien ; de plus, celle-ci était déterminé par celles -là. Le devenir historique associé au développement scientifique et technique de la production allait occuper le centre de la doctrine marxiste –fortement critiquée par Bakounine– dans laquelle il était implicite que la connaissance scientifique de ses lois illuminerait une classe de dirigeants qui , organisé en parti, guiderait les masses révolutionnaires vers le meilleur des destins dans une société sans classe. C’était là des coups terribles portés à la métaphasique et à la religion, mais qui, loin de les abattre , allait les renforcer par le biais d’une nouvelle superstition : la superstition scientifique.
Le fétichisme scientifique est la substance de l’idée du progrès..Pour les progressistes de toutes les écoles , la science apparaissait comme le remède à tous les maux.. La totalité de la pensée n’avait plus qu’à adopter ses méthodes et accepter ses conclusions . Les réflexions sur la vérité, la justice ou l’égalité qui ne ressortissaient pas à la science, seraient qualifiées de digressions métaphysiques . Si la religion était chose du passé, la science appartenait au développement futur , au progrés. Toutefois, elles étaient moins incompatibles que l’on pourrait pu le croire. Dans le progressisme, la science se révélait être non seulement connaissance, mais aussi foi. Saint- Simon,l’un des premiers réformateurs socialistes, considérait ses premiers adeptes comme les « évangélistes de l’ingénieur » et les « apôtres de la nouvelle religion de l’industrie », suscitant en lui un « désir noble d’incorporation honorable dans l’existence suprême »qui , en conséquence , le portait à une « unité parfaite » avec le « grand Être », forme définitive de l’existence.. Un des livres les plus populaires du v dix neuvième siècle , cent ans après, ou l’An 2000, une utopie techno-scientifique écrite par Edward Bellamy, décrivait la prise de conscience de l’inhumanité des relations sociales sur le plan religieux:le lever du soleil , après une nuit si longue et si noire , dut être éblouissant. Du jour où les hommes comprirent qu’après tout l’humanité n’avait pas été créée pour rester éternellement naine , mais qu’elle se trouvait au seuil d’un avatar de progrès illimité , la réaction fut irrésistible , rien ne put arrêter l’enthousiasme qu’inspirait la foi nouvelle […..]]Pour la première fois depuis la Création, l’homme se tint droit devant Dieu[…] la route s’ouvre infinie et [..] son extrémité disparaît dans la lumière . Car l’homme doit revenir à Dieu. »La divinité avait placé dans le cœur des hommes l’idée du Progrès, « qui nous fait trouver insignifiants nos résultats de la veille et toujours plus éloigné le but à atteindre » L es racines arrachées récemment au terrain religieux s’implantaient maintenant sur un autre , similaire , grâce à la fascination que provoquait la magie scientifique. En achevant de mettre à bas l’autorité divine, la nouvelle foi promettait de changer les hommes en dieux mortels habitants l’olympe techno-scientifique. Mais lorsqu’elle a fondé l’économie sur la séparation entre les individus , sur la séparation entre eux et le produit de leur activité et entre celui-ci et la nature , son développement soutenu par la science a apporté une plus – value d’irrationalité.
Très tôt sont apparues dans la nouvelle « espèce » dirigeante, nourrie de présupposés scientifiques, des tendances suspectes, qui avec le temps allaient devenir éclatantes , à L’Est comme à l’Ouest, aussi bien dans le camp libéral qu dirigiste:par exemple, la tendance à légitimer les moyens par la fin , le présent par le futur, le réel par l’idéal ; la classe dirigeante faisait appel aux impératif urgent de la situation.du moment pour supprimer la poésie de la révolution libératrice , n lui substituant sine die une justice et une liberté qui devenaient de moins en moins concrètes.
En conséquence, la vie sociale impulsée d’abord par la bourgeoisie, puis par la classe bureaucratique née de la révolution, a été réglé sur la base de critères pragmatiques : renonçant aux préceptes de la raison objectives, ceux ci se réduisaient à leur dimension utilitaire, subjective et formaliste.. Ainsi, tandis que la conduite morale se dissolvaient dans l’égoïsme mesquin, l’ordre économique et politique était garanti . Auguste Comte dont la devise était « ordre et progrès », avait déjà spécifié que « dans tous les cas les considérations sur le progrès devaient être subordonnées à celle de l’ordre ».. t en remontant plus loin dans le cours de l’histoire, un illustre précurseur comme Fontenelle soutenait que la vérité, détermination principale de la Raison, devait être subordonnée à des critères d’utilité et qu’elle pouvait même être sacrifié si les convenances sociales le nécessitaient . La même chose pouvait être dite des autres déterminations. La Raison, en se réconciliant avec le pouvoir absolu , s’ auto-immolait.. La classe bourgeoise et à sa suite la bureaucratie, en liquidant la Raison, inventaient une nouvelle métaphasique pseudo-rationaliste qui se manifestait comme une foi aveugle dans les développements économique ; cette foi se dénommait « matérialisme »et cette destinée débouchait sur un présent perpétuel d’injustice et de barbarie. Le stalinisme, par exemple, allait démontrer que le trop célèbre « progrès historique » ne fut rien de plus qu’une idéologie au service d’une nouvelle classe dominante : la bureaucratie de parti, qui devait imposer une oppression aux dimension colossales.
A partir d’un certain niveau de progrès, celui qui a conduit à la première guerre mondiale et à l’essor du nazisme, les effets négatifs l’emportent largement sur les acquis positifs, jusqu’à constituer une menace pour l’espèce humaine ; dans l’étape suivante du développement, le moment ultime du progrès se révélerait comme la fin de l’humanité, matérialisé d’abord dans l’armement nucléaire, dans l’état policier et l’industrialisation du vivant, et enfin dans la pollution , l’extension des OGM et le réchauffement climatique. Si l’histoire suit le cours marqué par l’hybris progressiste, qu’elle en soient les variantes, le point final sera la désolation et non l’Éden de l’heureux consommateur ou le paradis communiste.
L’idée de progrès postule une trajectoire ascendante depuis les sociétés dites primitives jusqu’à la civilisation moderne actuelle. Dans la pratique, cela signifie une transformation incessante du milieu social et un renouvellement constant des conditions économiques qui le déterminent : le présent n’est qu’une étape passagère sur le chemin d’un avenir meilleur . L’idée de Progrès amène donc à considérer la société présente comme supérieure à toutes les époques antérieures, mais plus que cela, et surtout, elle n’envisage l’avenir que comme son propre aboutissement. En réalité, celui-ci n’est rien d’autre que l’apogée du présent : le futur se dissout dans l’idéologie et cesse de signifier le mouvement du temps pour devenir une vulgaire apologie de l’existant. C’est pourquoi toute la classe dominante, politique et économique , revendique le progrès comme un signe d’identité , car dans la mesure où elle domine le présent, récrit le passé dont elle se sent l’héritière et évacue du futur la part qu’elle ne peut contrôler , son progrès est le progrès . Les dirigeants progressent – je prends le risque de me répéter— grâce au progrès de l’ignorance et du contrôle, en mettant en place des organisations toujours plus gigantesques où, pour revenir à Hegel, on suppose que devrait se manifester « l’inquiétude du subjectif, du concept , posée en dehors du sujet »
On peut imaginer les possibilités de domination qu’offrent les technologies de surveillance, la culture de masse—cette sorte de coléreuse négativité inhumaine–, sans parler de la propagation du modèle éducatif.étatique(dans lequel les premiers progressistes mettaient leurs espoirs) créateur d’une forme d’ignorance structurelle que l’espace virtuel a généralisée. Ainsi s’explique le fait que les individus soient moins que jamais maître de leur destin, bien que la science ait progressé.
Ce qui s’appelle aujourd’hui Progrès ne conduit aucunement au développement de l’intelligence ni de l’autonomie personnelle, car il vise essentiellement à la croissance économique et au mode de vie consumériste qui lui est associé.. Le pouvoir séparé qui le revendique a besoin de créatures égoïstes, apeurées ou mieux encore robotisées.il n’aime pas les individus ayant un jugement indépendant, capables d’ orienter leur conduite morale en accord avec la connaissance objective ; il préfère des gens irréfléchis et uniformisés, absorbés par l’accessoire et l’instantané, et tenaillé par la peur.. Des gens programmés pour se soumettre aux messages envoyés dans l’appareil de domination . La standardisation et la marchandisation de toutes les activités humaines produisent cette déraison typique que les dirigeant consacrent sous le nom de Progrès ; pendant ce temps le génie génétique construit ses fondements biotechnologiques. Vérité et justice ne sont plus les fruits de cet arbre mort, mais son prestige sert d’alibi à l’esclavage et à l’oppression. Les prétendues avancées sociales sont toujours accompagnées par l’inconscience, la déshumanisation et l’anomie, de sorte que ce fameux progrès élimine le plus grand de ses postulats : l’idée même de l’individu libre et émancipé.
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