note: ce texte a été reçu par mail et diffusé dans l’info-kiosque de la bibliothéque du laboratoire anarchiste le Samedi 18 juin au Rassemblement contre le Center Parcs de Roybon à Saint Marcellin
Le 26 janvier dernier, alors qu’ils et elles s’apprêtaient à ouvrir la bibliothèque anarchiste la Discordia, les compagnons et compagnonnes anarchistes qui organisaient un débat intitulé « Islamophobie : du racket conceptuel au racket politique » ont eu le « plaisir » de découvrir que la façade de l’immeuble qu’ils et elles louent dans le 19ème arrondissement de Paris avait été recouverte de tags.
« Cependant, en arrivant mardi après-midi, on a vu que la devanture de la Discordia avait été taguée, probablement dans la nuit. Des A cerclés (merci !) et des invectives (« fafs » et « racistes ») particulièrement mal écrites et pensées à la bombe de peinture noire. Le tout accompagné d’un feuillet de « revendication », affirmant que nous véhiculerions « des théories racistes et islamophobes » et que nous serions « la courroie de transmission des idéologies du pouvoir », etc. »
Quelques jours plus tard, rebelote—et malheureusement pas dix de der. Cette fois des jets de peinture sont venus s’ajouter aux premières « dégradations ». Il y a quelques jours enfin, les compagnons et compagnonnes ont eu cette fois l’occasion de découvrir la vitrine de leur bibliothèque brisée.
A la suite quelques mots de solidarité face à ces « attaques » répétitives et ces tentatives d’intimidation.
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Salut compagnons et compagnonnes,
Nous vous écrivons ces quelques mots pour vous exprimer notre solidarité face à ce que vous vivez en ce moment. Que ces barbouillages aient été peinturlurés par quelques radicaux ou radicales qui jugent que le refus d’employer le terme « islamophobie » est le signe irréfutable d’un racisme larvé, ou par quelques barbouzes vengeresses de votre incursion il y a quelques semaines à l’école Montessori1, ou encore par quelques fafs cherchant à foutre le dawa… ne change rien au fait que depuis plusieurs mois l’air devient irrespirable dans le « milieu radical » lorsque l’on évoque sa réticence à déployer les modèles conceptuels issus des théories post-coloniales. Que ce soit celui « d’islamophobie » ou ceux de « racisé » ou de « races sociales ». Quelques remarques toujours, cette fois sur votre texte de réponse qui a suivi ces premiers « exploits ». Que nos gribouilleurs et gribouilleuses soient jeunes ou vieux et vieilles, qu’ils ou elles soient veules ou courageux et courageuses, ne change pas grand chose à l’affaire. Ce qui est clair, c’est qu’en bien des lieux et des circonstances, il semble devenu très complexe qu’un discours critiquant l’usage des termes « islamophobie », « racisé » ou « race sociale » dans le milieu militant « libertaire », « marxiste antiautoritaire » ou « autonome » ait droit de citer sans être immédiatement taxé de raciste. Il ne s’agit pas pour nous ici de se solidariser pour soutenir une quelconque liberté d’expression, ni de stigmatiser l’utilisation de « l’attaque » de manière abstraite, encore moins de demander que nos peintres en bâtiments se dénoncent ou soient balancés, mais juste de dénoncer les tentatives d’intimidation dont vous êtes l’objet et les étranges rapprochements qui semblent s’opérer entre une partie du milieu radical et certains groupes pro-religieux et/ou « indigénistes »2. Oui, contrairement à ce que veulent nous faire accepter certains et certaines « camarades », il nous apparaît à nous aussi légitime et même salutaire de questionner la lecture qu’ils et elles opèrent en ces termes. Et ce n’est pas intérioriser des réflexes racistes ou post-coloniaux que de réfuter cette analyse. Pourquoi est-il à notre avis légitime de refuser d’employer les termes « islamophobie » , « racisé-e » ou « race sociale »?
1. Parce que le racisme qui sévit en France et un peu partout en Europe, malgré son nouveau camouflage idéologique laïcard, n’en demeure pas moins un racisme qui touche l’ensemble des personnes qui sont renvoyées à cette identité religieuse. Et qu’il ne s’applique pas tant à une religion, l’islam, qu’à ceux et celles basané-e-s le plus souvent qui sont censé-e-s la pratiquer. Ce n’est pas parce que les thèses ethno-différentialistes attaquent verbalement l’intégration prétendument complexe des musulmans et des musulmanes qu’il n’en reste pas moins un racisme qui vise structurellement l’ensemble des immigré-e-s.
2. Parce que de nombreuses personnes qui sont victimes de ce racisme refusent d’être assignées à une religion qu’ils ou elles ne pratiquent pas et à laquelle les racistes les assimilent déjà. Faut-il rappeler que certains et certaines immigré-e-s ont fui leur pays, pour fuir le poids de l’oppression religieuse et étatique qui s’y exerçait ? Que dans ces pays, les groupes intégristes musulmans se sont imposés comme réponse réactionnaire, étatique et policière aux soulèvements qui ont échoué quelques années plus tôt.
3. Parce que l’approche en terme « d’islamophobie » renvoie non pas à un racisme qui toucherait les musulmans et les musulmanes mais à une phobie contre la religion elle-même. Ce qui délégitime et rend suspect de fait toute critique de l’islam ou toute entreprise blasphématoire. Le blasphème ou l’athéisme est immédiatement renvoyé à un phobie, une peur irrationnelle ou pire un racisme inconscient.
4. Que certains des promoteurs et certaines des promotrices du concept visent ouvertement cette interdiction du blasphème. C’est le cas de l’Organisation de la coopération islamique3, qui réunit plusieurs dizaines d’Etat dont une poignée théocratiques, et qui a réussi à imposer au niveau de nombreuses instances internationales ce concept. Des organisations comme le CCIF, les Frères musulmans, ou encore Participation ou spiritualité musulmane4 défendent cette ligne idéologique. D’autres groupes de pression religieux emboîte le pas. C’est ainsi qu’observatoire de la christianophobie et autres riposte catholique fleurissent.
5. Que tous ceux et toutes celles qui sont victimes de ce racisme n’emploient pas tous et toutes le terme islamophobie pour le qualifier. Spontanément, il est souvent question de racisme. Ce sont souvent ceux et celles qui s’autodéfinissent comme leurs représentants et représentantes qui imposent cette terminologie. C’est le cas des groupes et associations cités plus haut mais également de la MAFED (marche des femmes pour la dignité) et du Parti des Indigènes de la République (PIR), et de certains groupes militants d’extrême gauche, antifascistes ou libertaires. La MAFED et le PIR, qui ne regroupent que quelques dizaines de militants et militantes et qui n’ont de leur propre aveu qu’une implantation très relative dans les quartiers dits « populaires », ont par contre une réelle audience médiatique et universitaire : Hourria Bouteldja du PIR à Ce soir ou jamais chez Taddéi, Wiam Berhouma de la MAFED à Des paroles et des actes sur France 2 pour interrompre l’ineffable Finkelkraut et lui intimer de se taire—ce qui nous la rendrait presque sympathique— Siham Asbague et Nacira Guenif Souilamas toujours chez Pujadas. Ces mêmes groupes bénéficient également de réels relais en milieu universitaire en mal de révolution abstraite et théorique. Ces représentantes autoproclamées des damné-e-s de la terre sont pourtant loin de partager leurs conditions. Sociologues ou universitaires, elles ont la faculté d’incriminer les « privilèges », taux de mélanine ou sexe de leurs opposants et opposantes, mais de masquer les leurs.
6. Parce que le Parti des indigènes de la république en faisant d’une lecture décoloniale et de la domination raciale l’axe principal et unique de sa lecture des rapport de domination en vient à essentialiser ces dernières. Les blancs et dans une moindre mesure les blanches deviennent par essence sociale des colons et des oppresseurs. Ce qui conduit Hourria Bouteldja et ses ami-e-s à défendre le concept de « races sociales ». Ainsi, celui ou celle qui a un vécu de blanc ou de blanche reproduirait de fait les rapports de domination coloniaux ou post-coloniaux, tandis que les « indigènes » subissant les rapports de domination seraient quant à eux et elles les nouveaux sujets révolutionnaires. Cette lecture essentialiste—comment définir un blanc, un noir, autrement que par sa couleur de peau ? – en vient à faire de notre taux de mélanine un critère de domination structurel. Les frères et sœurs indigènes peuvent quant à eux et elles reproduire les pires dominations, parce qu’ils et elles sont dominé-e-s. C’est ainsi qu’au moment où Valls a voulu interdire les spectacles de Dieudonné, le PIR a non seulement refusé de se ranger au côté de Valls et de l’Etat—ce qui est légitime—mais surtout a refusé de condamner le frère « indigène » Dieudonné, dont les positions antisémites sont réduites à des errements. Le communiqué se conclut de la sorte : « Pour conclure, nous ne participerons à aucune chasse à la quenelle décrétée par un ministre de l’intérieur islamophobe, philosémite de circonstance et « éternel » ami d’Israël. Ce triste sire n’est pas qualifié pour donner des leçons d’antiracisme à Dieudonné et ses aficionados. Nous ne nous soumettrons pas non plus à l’injonction de crucifier Dieudonné sur l’autel de la respectabilité au prétexte de son infréquentabilité. Nous sommes trop familiers de l’immoralité du pouvoir et d’une grande partie de l’opposition pour nous émouvoir de celle d’un clown. En revanche, Dieudonné qui est d’une part un frère de condition mais aussi un indigène doué d’un libre arbitre peut faire le choix de prolonger sa servitude ou s’en libérer radicalement. A l’instar d’un Malcolm X qui, après des débuts désastreux, a su trouver une voie juste et révolutionnaire pour devenir la légende politique que l’on sait, Dieudonné doit faire face à son destin en rompant avec tout le fatras idéologique blanc et renouer avec l’Afrique, le tiers-monde et nos aïeux les plus prestigieux. Une occasion historique s’offre à lui. Entre Faurisson et Fanon, il doit choisir. »5 Dans ce cas précis, on voit bien que le concept de « race sociale » est très flou, puisqu’en s’alliant aux pires défenseurs du colonialisme, Dieudonné devrait être de fait un blanc… pourtant, il demeure un frère « indigène ». Dans son récent ouvrage, dont le titre est un programme à lui seul, Les blancs, les juifs et nous, Hourria Bouteldja écrit : « La critique radicale du patriarcat indigène est un luxe. Si un féminisme assumé devait voir le jour, il ne pourrait prendre que les voies sinueuses et escarpées d’un mouvement paradoxal qui passera obligatoirement par une allégeance communautaire. Du moins aussi longtemps que le racisme existera », et plus loin « En Europe, les prisons regorgent de Noirs et d’Arabes, les contrôles au faciès ne concernent pratiquement que les hommes et ils sont les principales cibles de la police. C’est à nos yeux qu’ils sont diminués. Et c’est bien nous qu’ils tentent désespérément de reconquérir, souvent par la violence. Dans une société castratrice, patriarcale et raciste (ou subissant l’impérialisme), exister, c’est exister virilement. « Les flics tuent les hommes et les hommes tuent les femmes. Je parle de viol, je parle de meurtre », dit Audre Lorde. Un féminisme décolonial ne peut pas ne pas prendre en compte ce « trouble dans le genre » masculin indigène car l’oppression des hommes rejaillit immédiatement sur nous. Oui, nous subissons de plein fouet l’humiliation qui leur est faite. La castration virile, conséquence du racisme, est une humiliation que les hommes nous font payer le prix fort. En d’autres termes, plus la pensée hégémonique dira que nos hommes sont barbares, plus ils seront frustrés, plus ils nous opprimeront. Ce sont les effets du patriarcat blanc et raciste qui exacerbent les rapports de genre en milieu indigène. C’est pourquoi un féminisme décolonial doit avoir comme impératif de refuser radicalement les discours et pratiques qui stigmatisent nos frères et qui dans le même mouvement innocente le patriarcat blanc ». D’où, toujours dans le même ouvrage : « Si une femme noire est violée par un noir, c’est compréhensible qu’elle ne porte pas plainte pour protéger la communauté noire. » En clair, face au patriarcat qui sévit chez les « frères », il faut que les sœurs ferment leur gueule, comme jadis chez les staliniens et les staliniennes il fallait que les femmes de prolos refusent la contraception et l’avortement6. Outre que pour le PIR la lutte des « races sociales » se substitue à ce qu’était la lutte des classes pour les ouvriéristes, c’est-à-dire le conflit central de nos sociétés, c’est également une logique avant-gardiste reproduisant le pire léninisme qui s’exprime dans ses pratiques. C’est parce qu’elle se considérait comme la représentante des indigènes de banlieues qu’Hourria Bouteldja refuse, dans de nombreux communiqués, de dénoncer l’homophobie et le sexisme qui y sévit, comme dans bien des franges de la société. En substance, ça donne à peu près : les banlieusards et banlieusardes ne sont pas prêts pour ses positions, et comme je les représente, je dois mettre de côté ces positions… Bref, on est dans la plus pure tradition politicienne. C’est d’ailleurs avec les mêmes visées politiciennes qu’Hourria Bouteldja structure sa position sur Dieudonné. Dans un entretien pour la revue Ballast, notre porte parole autoproclamée peut ainsi nous dire : « Derrière la convergence, il y a un présupposé universaliste, lui-même fondé sur l’idée qu’il y aurait des oppressions universelles et qu’il faut donc s’en émanciper. » et de poursuivre « Il y a des priorités. Nous devons d’abord exister pour nousmêmes et construire notre propre espace. Notre choix premier est de toujours parler aux Indigènes, de ne pas perdre le fil avec nous-mêmes — en particulier quand nos alliés nous somment de condamner Dieudonné… Ce sont des positions très dures à tenir quand on pense aux deux pôles entre lesquels nous sommes pris : d’un côté, les Indigènes sociaux qui sont très sensibles, par exemple, aux questions relatives à Dieudonné, que certains voient comme un héros, un résistant ; de l’autre, nous avons construit un système d’alliances avec certains milieux de gauche pour qui Dieudonné est un fasciste. Quand nous devons sacrifier l’un de ces pôles, c’est celui des Blancs que nous sacrifions ». Au confusionnisme, cette vision ajoute la domination Politique, celle qui décide de parler au nom d’une classe, d’une race, d’un peuple, d’un genre.
7. Que l’utilisation de ce dénominateur commun d’islamophobie a amené certains radicaux et certaines radicales à côtoyer ces organisations. Dans les faits, l’usage du terme islamophobie produit déjà les pires alliances de circonstance. En quelques mois, de la marche pour la dignité et contre le racisme, à diverses meeting, les liens entre la gauche de périphérie— Parti de gauche, EELV, NPA, etc.—, diverses organisations comme le CCIF, le PIR, Tariq Ramadan ou Présence et Spiritualité Musulmane évoquée plus haut, et certains militants et militantes antifascistes ou libertaires se raffermissent.
8. Parce que la légitimation de l’identité religieuse comme identité dominée encourage le recours à la religion comme forme de résistance sans questionner les rapports de domination religieux et culturels que cela implique : patriarcat, condamnation de l’homosexualité, exaltation de la cellule familiale, etc. et que contrairement à ce que nous avaient annoncé certains philosophes et sociologues, le religieux est loin d’être une valeur en voie de disparition, voire reprend du poil de la bête chez bien des dominé-es. Et sur ce registre l’islam est loin d’être l’unique vecteur de ce retour du religieux. Les évangélistes, entre autres, ne cessent de faire des adeptes. L’un des combats de nombreux et nombreuses « décoloniaux » s’exprime non seulement légitimement dans la dénonciation du racisme que subissent les musulmans et les musulmanes, mais également, et là c’est plus problématique, dans la revendication d’une identité musulmane. Les « rencontres autour de la question des races », intitulées Paroles non blanches, organisées pendant le récent mouvement dit contre la loi travail au bâtiment C de l’université Paris 8 de St Denis, a ainsi tourné autour de ces thèmes. Nul étonnement donc d’y voir invité le rappeur converti et prosélyte Kerry James. Nulle surprise de retrouver également dans le documentaire Un racisme à peine voilé diffusé à cette occasion, qui porte par ailleurs une critique fort juste sur l’interdiction du voile, Hourria Bouteldja, ou Pierre Tevenian qui tentent de réconcilier révolution et religion.
9. Que le racisme qui vise les supposé-e-s musulmans et musulmanes n’est pas une phobie. La racisme d’hier ripoliné par l’ethno-différentialisme de la nouvelle droite, ou le racisme d’Etat qui vise à enfermer les classes dangereuses dans une identité qui puisse servir de bouc-émissaire, ne sont pas juste des peurs irrationnelles, « psychiatrisables », mais un appareillage idéologique pensé et structuré. Qu’il n’est pas juste un ensemble de peurs qui nous traverseraient tous et toutes de manière diffuse, mais qu’il s’incarne dans des institutions, des idéologies, des groupes.
10. Parce qu’il n’existe pas de religion des dominés—les dominés ne peuvent être assignés à une religion -, mais des religions qui dominent et oppriment. Si des musulmans et des musulmanes sont opprimés, ça ne peut justifier, au nom des circonstances, le fait d’invisibiliser en quoi la religion opprime. Ca veut juste dire qu’il faut être clair dans le propos et refuser d’hurler avec les loups. Et rappeler que toutes les religions oppriment. Ce qui ne peut justifier d’opprimer les croyants et les croyantes.
11. Parce que l’anti-religion n’est pas une religion. Dans de nombreuses prises de parole on entend parler de « bigots de l’anti-religion ». Comme sur bien d’autres domaines, la confusion règne ou est savamment entretenue par certains et certaines. Nous avons même droit aux fameuses oxymores orwelliennes. A « la guerre c’est la paix », « l’antiracisme c’est intolérant », « l’antisexisme est sexiste », s’ajoute donc aujourd’hui « l’anti religion est une religion ». La nouveauté c’est que ce sont des camarades qui entretiennent aujourd’hui une telle confusion. Non, la critique de la religion n’est pas une religion mais s’appuie sur une analyse qui refuse le dogme, que des vérités révélées et des lois divines quelles qu’elles soient régissent nos vies de manière hétéronome, que la religion joue son rôle de pacification sociale au nom des paradis futurs qu’aucune ne manque de promettre, qu’elle justifie au nom de textes sacrés les hiérarchies quotidiennes ou les hiérarchies ecclésiastiques, etc. Ni dieu, ni maître n’est pas qu’un slogan que quelques communistes, blanquistes et anarchistes psalmodient dans leurs locaux poussiéreux mais la critique radicale d’une soumission. Il ne faut pas confondre idéologies teintées d’éléments un brin sacralisés parfois mais qui envisagent leur remise en cause permanente, avec une vérité révélée et incontestable.
12. Parce que refuser de parler d’islamophobie et d’en faire un axe de lutte ne veut pas dire que nous ne nous sentons pas solidaires de musulmans et musulmanes—et pas qu’eux et elles—qui vivent le racisme au quotidien. Ca ne veut pas plus dire que nous nous associons aux laïcards et laïcardes de tous poils ou aux culs bénis à la mode frontiste qui cachent derrière cette riposte laïque un racisme des plus éculés, pour demander l’interdiction du voile ou autres foutaises. Nous ne sommes ni l’Etat, ni l’Eglise.
13. Non, être solidaire face à une oppression ne veut pas dire étouffer le feu de la critique envers celles et ceux qui la subissent, nous-mêmes compris. Être solidaire du prolétariat ne veut pas dire accepter sa dictature ; être solidaire des migrants et des migrantes ne veut pas dire accepter les discours autoritaires que certains et certaines peuvent porter ; être solidaire face à un aménagement urbain ou la construction d’un aéroport ou d’une centrale nucléaire ne veut pas dire se résigner à adopter des options d’alteraménagement ; tisser des complicités avec des compagnons et des compagnonnes révolutionnaires ne veut pas dire taire nos divergences. A chaque fois, il s’agit d’embrasser une cause commune, contre l’oppression vécue ou comprise, et de tenter de se défaire du monde qui lui permet d’exister.
14. Parce qu’il ne suffit pas d’être dominé pour détenir la vérité. L’identité « biologique » et sociale du locuteur ou de la locutrice n’est pas gage à elle seule de la pertinence du discours et des pratiques, ni même qu’ils visent l’émancipation. Combien de prolétaires justifient le salariat ? Combien de femmes se soumettent aux rôles que la société patriarcale cherche à leur assigner ? Combien de dominé-e-s acceptent de jouer le jeu de la séparation et de la domination Politique ?
15. Que le contexte social et politique ne peut imposer de réduire la critique. Il n’y a pas de contexte où le maître est acceptable, il n’y a pas de contexte où dieu est acceptable. Comme hier, lorsque les citadelles assiégées du socialisme réel intimaient au nom de ce siège et des circonstances aux révolutionnaires de se taire, il est primordial de refuser cette dictature de l’histoire. Parce qu’elle forge le tombeau de toutes les libertés, celles que l’on remet aux lendemains, mais qui une fois disparues ne reviennent jamais à l’ordre du jour.
16. Parce que la religion est bien un outil de pacification sociale. C’est dans cette optique qu’elle est encouragée en taule. C’est également dans les quartiers les plus « confessionnalisés » ou les plus dominés par l’économie souterraine que les émeutes de 2005 avaient le moins pris. D’ailleurs, en même temps qu’il stigmatise structurellement les musulmans et les musulmanes, qu’il traite de manière différenciée les différentes religions, l’Etat cherche dans la plus pure tradition coloniale à propager un islam de France, à dégager des interlocuteurs.
17. Parce que même lorsque la religion sert un projet révolutionnaire, ce n’est pas un projet qui vise l’autonomie réelle des révoltés, mais qui suit des préceptes religieux, qui prescrit des rôles sociaux et politiques déterminés par les textes ou un rapport au divin. La théologie de la libération ou les hérésies qui se sont affrontés aux différents monothéismes ne font non seulement pas exception à la règle, mais restent de plus minoritaires, le plus souvent assiégées ou exterminées elles-mêmes par leurs hiérarchies religieuses. Ainsi, la théologie de la libération, même teintée de marxisme et d’indigénisme, reste une théologie avec ses obligations morales, ses normes imposées. Quant aux hérésies, si certaines ont pu porter des éléments d’émancipation sociale, est-ce réellement leur caractère religieux qui menait à cette émancipation ou au contraire l’émancipation qui contaminait les préceptes religieux ? Chez les bogomiles, hérésie religieuse née au Xème siècle qui influença les cathares, décrits notamment par Umberto Ecco dans Le nom de la rose, on vit une vie ascétique, on récuse le mariage, on condamne l’église comme corrompue, comme œuvre terrestre du diable, on rejette toutes les autorités constituées, ce qui a participé à son engouement populaire et sa répression. Pour autant, on respecte l’autorité du dogme, celle des Parfaits, leurs guides spirituels. Il n’en demeure pas moins que dans le cas de la théologie de la libération comme dans celle du bogomilisme, les autorités religieuses, ici chrétiennes, vont les combattre. A travers les positions anticommunistes prises par le Vatican et son soutien aux politiques contre-insurrectionnelles menées dans de nombreux pays pour la première, à travers l’inquisition et l’expropriation des biens bogomiles pour la seconde. Ce que combattent alors les autorités religieuses, c’est la remise en cause de leurs propres privilèges et leur collaboration active aux régimes en place.
18. Parce que si les destructions et les raffinements de la technique et de la science, de la rationalité instrumentale ont fini au XXème siècle de remettre en cause des principes issus du rationalisme des Lumières, il n’est pas pour autant question de réfuter la nécessité de recourir à une raison critique, de faire de la religion un rempart aux dégâts de la technique et de la science déchaînée, liées aux développements les plus avides, prédateurs et morbides du capitalisme et de l’Etat. Les ténèbres de la raison ne peuvent faire oublier celles de la religion.
19. Parce que soutenir des personnes qui cherchent à se défaire de l’oppression religieuse, qu’elle soit politique comme au Kurdistan, en Tunisie et dans bien d’autres régions, ou plus quotidienne ici ou là-bas, ce n’est pas de l’impérialisme, mais bel et bien une solidarité élémentaire face à l’oppression. Elle n’est d’ailleurs pas liée qu’à l’islam loin s’en faut. Faut-il rappeler le rôle que jouent les institutions orthodoxes dans une Russie où le racisme et l’homophobie sont particulièrement forts ? Ou le rôle que jouent des groupes comme Civitas ou des institutions catholiques plus mainstream dans l’organisation des manifs pour tous, auxquelles au passage des organisations musulmanes ont accepté de s’associer.
20. Non, ce n’est pas parce que l’on nous identifie comme « blanc » ou « blanche » et « français » que nous sommes responsables du colonialisme et que nous devrions nous taire comme « privilégié-e-s ». Non seulement nous ne sommes pas des colons parce que « blancs » ou « blanches », mais certains « blancs » et certaines « blanches » se sont depuis longue date engagé-e-s dans les luttes anticoloniales, ont dénoncé le rôle d’Areva ou Total en Afrique, etc. Définir notre vécu et notre positionnement en se rapportant à la seule couleur de notre peau, c’est non seulement réducteur mais ça implique de reconduire les catégories raciales, sous formes de « races sociales », des vieilles théories racialistes. Et s’il est évident que certains et certaines sont victimes de racisme, que ce racisme est non seulement un rapport interindividuel, mais également une rapport structurel, il n’en demeure pas moins que la « blancheur » de notre épiderme, notre vécu de non dominé-e-s ne fait pas de nous des dominant-e-s. L’absence d’un vécu de victime d’une oppression ne veut pas dire que nous ne sommes pas en mesure d’en comprendre l’essentiel : son refus.
21. Parce que l’islam n’est pas au cœur du projet anticolonialiste. La montée de l’islamisme politique est d’ailleurs postérieur au combat décolonial. Jamais le FLN ne se réclamait d’une identité religieuse. Mais bel et bien d’une identité nationale et autoritaire qui conduira d’ailleurs là où l’on sait. L’islamisme algérien a d’ailleurs fertilisé son expansion sur la domination autoritaire du FLN et de l’Etat algérien.
22. Que les circonstances ou la situation sociale historique ne sont pas limitées au « racisme anti-musulmans et musulmanes » ici en France, mais qu’en parallèle cherche à s’imposer dans bien des régions du globe et ici même, un islamisme politique qui se veut être un nouvel universalisme conquérant. Cet islamisme qui vise une implantation politique et militaire nécessite que nous lui opposions une résistance toute aussi claire. En même temps que nous devons nous opposer au « racisme anti-musulmans et musulmanes », nous devons combattre avec la même vigueur les visées islamistes radicales de Daech et autres Al-Quaïda.
23. Non, les caricaturistes de Charlie Hebdo n’ont pas été abattus parce qu’ils étaient islamophobes, et encore moins pour leur misogynie7. Ils et elles ont été assassinés parce qu’ils et elles avaient représenté le prophète. « Le commandement d’AQPA [ Al Quaïda dans la péninsule arabique] a dirigé l’opération et ils ont choisi leur cible avec attention pour venger l’honneur du Prophète. La cible était en France en particulier à cause de son rôle évident dans la guerre contre l’Islam et les nations opprimées. L’opération est le résultat de la menace du Cheikh Oussama, qui avait averti l’Occident des conséquences de la persistance du blasphème contre les valeurs sacrées des musulmans » . La tuerie de l’hyper casher de Vincennes attribuée à Daech visait des juifs. C’est un acte clairement antisémite. Les attentats de novembre, surenchère dans la stratégie concurrentielle des succursales du terrorisme8 et acte de guerre9, ne vise pas autre chose : « Et la France et ceux qui suivent sa voie doivent savoir qu’ils restent les principales cibles de l’Etat Islamique et qu’ils continueront à sentir l’odeur de la mort pour avoir pris la tête de la croisade, avoir insulté notre prophète, s’être vanté de combattre l’islam en France et frapper les musulmans en terre du Califat avec leurs avions qui ne les sert en rien dans les rues malodorantes de Paris. » [source communiqué de revendication de DAECH]
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Par contre, si notre solidarité va à la Discordia, nous ne ferons pas le raccourci qui voudrait que ceux et celles qui parlent d’islamophobie ou de racisé -e-s soient tous et toutes des « théophiles » qui renoncent à toute critique du religieux, ou qu’ils et elles soient tous et toutes des « racistes ». Et ce pour des raisons essentielles.
Tout d’abord, parce que l’analyse que portent certains et certaines camarades qui réfléchissent et agissent à partir du concept d’islamophobie s’appuie sur certains constats justes. Les musulmans et les musulmanes de France subissent effectivement un racisme. En effet, s’il n’existe pas de religion des opprimée-s et que la religion opprime, il existe bien un racisme anti-musulmans et musulmanes10 qui frappe d’ailleurs de nombreuses personnes qui ne sont pas musulmanes. Ce que nient à notre avis nullement au passage les compagnons et compagnonnes de la Discordia. Ce racisme quasi ancestral, souvent alimenté par l’imaginaire colonial et post-colonial, gagne singulièrement en virulence depuis quelques années. Ce racisme doit être dénoncé sans complicité avec le fait religieux, pour ce qu’il est. Les perquisitions et les assignations à résidence qui sont tombées plus rapidement que les décisions des Etats pendant la COP21 frappent majoritairement ces populations musulmanes et celles et ceux qui sont assignée-s à cette identité. De nombreuses perquisitions se font comme à la belle époque sur dénonciation. Et le racisme policier s’y exprime dans toute son étendue. Ce racisme policier ne s’exprime d’ailleurs pas uniquement contre les supposé-e-s musulmans et musulmanes. Dans ce contexte chacun et chacune d’entre nous peut être amené à faire des raccourcis et des erreurs. Mais ces erreurs ne peuvent être dénoncées pour ce qu’elles ne sont pas.
Ensuite, l’anticléricalisme et une laïcité toute fictive11, servent aujourd’hui de cache-sexe à la vieille idéologie raciste de l’extrême droite. Ce sont même des transfuges du chevènementisme comme Paul-Marie Couteaux et Florian Philippot, ou par ailleurs Riposte Laïque et Zeymour qui restructurent ce nouvel angle d’attaque raciste. Certains comme Onfray pour ne citer que lui s’appuient sur une lecture anticléricale ou sur la laïcité pour masquer un racisme latent et son rapprochement de la théorie du choc des civilisations. Radio Libertaire s’est elle-même fait piéger il y a quelques années en invitant Riposte Laïque sur son antenne. Onfray qui s’est rapproché de de Benoist et de sa revue Elément12 à qui il a accordé récemment une interview et de Zeymour avec lequel il a tenu un débat public à Nice, en est à défendre une gestion « diplomatique » (sic !) du choc des civilisations. Négocier avec le Calife Ibrahim le chacun chez soi. Cette nouvelle rhétorique des racistes ou des adeptes des théories du choc des civilisations rend plus complexe la tenue d’un discours antireligieux qui vise l’islam.
Les collectifs et camarades qui privilégient à l’heure qu’il est la lecture décoloniale et/ou déconstructiviste, ne refusent pas tous et toutes la lecture anticléricale. C’est que leurs protagonistes ne souhaitent pas mettre en avant cette approche face à la montée de ce qu’elles et ils nomment « islamophobie », et face à l’instrumentalisation de la laïcité à des fins racistes. Ce qui nous semble une erreur même si objectivement la situation est des plus délicates.
Dans cette période extrêmement confuse, la nouvelle droite par le développement de la théorie ethno-différentialiste a remodelé le racisme en une théorie plus discrète mais tout aussi porteuse d’essentialisation et de naturalisation des rapports de domination. Ces derniers l’ont emporté sur le terrain Gramscien de l’hégémonie culturelle13, et les mots même que le mouvement radical emploie recouvrent des réflexes « identitaires ». En offrant un statut singulier au ou à la racisé-e avant même que celui ou celle-ci ne s’empare de manière autonome d’une non-mixité, réponse à une oppression ressentie ou réelle, on leur détermine un statut à part. C’est ainsi qu’en parlant de « racisé-e-s », on « racialise » ceux et celles qu’on entend défendre, ou avec lesquels on cherche à nouer une solidarité et à construire une égalité. Le fait même que la situation nous impose une prudence sémantique et stratégique pour ne pas être assimilé à la logorrhée raciste en dit long sur la défaite culturelle que nous subissons. L’important est donc bien d’opposer à cette hégémonie un discours révolutionnaire qui ne recule sur rien, et qui soit clair. Sans Dieu, sans Maître.
Cependant, ces réflexes d’une partie du milieu ne sont pas portés par les mêmes intentions que celles d’un Onfray, d’un de Benoist ou d’un Soral. On ne peut donc pas réduire cette approche au racisme ripoliné de de Benoist ou d’une défense des « lumières » à la sauce Onfray. Dénoncer le danger des raccourcis du discours dé-colonial et déconstructiviste portés par une partie du milieu, questionner comment s’appuyer sur les identités dominées risquent de faire ressurgir des réflexes « identitaires », éclairer les dérives gauchistes parfois à l’œuvre pour ce qu’elles portent, ne peut se faire en amalgamant ces positions avec un discours raciste, ou même avec celui du PIR. Même si des rapprochements et des glissements sémantiques et pratiques augurent de très mauvaises perspectives.
Ca part même d’une position assez juste portée par les groupes « déconstructivistes », que c’est aux dominé-e-s de s’organiser pour renverser ce vieux monde. L’idée reprise de la première Internationale que l’émancipation des dominé-e-s sera l’œuvre des dominé-e-s eux et elles-mêmes, est loin d’être fausse. C’est cette optique, d’ailleurs parfois davantage que le prisme déconstructiviste et surtout dé-colonial, qui s’exprime dans une bonne part du milieu. Nous ne referons que brièvement le détour par le Black Feminism, et par les luttes féministes au sein même des groupes révolutionnaires, anarchistes compris. Dans les années 60-70, des groupes de féministes noires soulignent aux Etats-Unis comment aussi bien au sein des groupes féministes que de groupes comme les Black Panthers, leur vécu de noires, de pauvres dans un cas et de femmes dans l’autre ne sont pas véritablement pris en compte dans leur réalité. Le manifeste des féministes noires du Combahee River Collective entendait combattre dès cette époque simultanément toutes les oppressions sans fractionnement ni repli identitaire, ni hiérarchie. Tout en considérant que le déterminisme biologique constitue une base politique réactionnaire et dangereuse ce travail cherchait à rendre possible une convergence révolutionnaire et émancipatrice. A la même époque en France, les groupes gauchistes ou libertaires sont eux aussi confrontés à la même remise en cause des formes de domination notamment patriarcales qui les traversent. Encore récemment— dans les années 2000—des organisations anarchistes14 ont connus scissions et départs sur ce genre de dominations. Quant à nos différents groupes ou collectifs, ils ne sont pas exempts de reproduction de formes de domination intériorisées. Faut-il rappeler que la non-mixité comme outil de libération de l’expression a permis que dans des organisations, des groupes ou des expériences émergent des questions tues ? Ça ne peut pas être balayé d’un revers de main, comme ont pu le faire certains groupes libertaires ou gauchistes lorsqu’ont émergé des groupes antipatriarcaux en leur sein.
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Privilégier un rapport de domination par rapport aux autres – ici le racisme face à la religion— expliquer que les circonstances nécessitent de passer au second plan un rapport de domination, ça se rapporte à une histoire. Jadis, c’était l’économie et la lutte des classes qui prévalait15. On se devait d’accepter de manière transitoire l’Etat, repousser à l’après révolution les luttes d’émancipation secondaires ou périphériques comme les luttes féministes, écologiques, antipolitiques, homosexuelles, indiennes ou noires, etc. Aujourd’hui, c’est à contrario à partir d’un élément d’oppression considéré jadis à tort comme secondaire ou spécifique, que l’on intime aux autres de se taire. C’est comme si, dans certaines options se reproduisaient sans mauvais jeu de mot le pire de la tradition ouvriériste, celle qui clamait que le prolétaire avait toujours raison. Celle qui permettait aux léninistes de clouer le bec des anarchistes et des gauchistes en les traitant de petits-bourgeois. Ces identités qui intiment l’ordre de se taire, comme lors d’un récent texte d’appel à participer à la Marche pour la dignité et contre le racisme :
„Globalement, se reconnaitre blanc, admettre l’existence et la permanence du système racial français, tenter d’en comprendre les origines (coloniales notamment) mais surtout les effets, relève du devoir. Devenons des traitres. Dénonçons. Refusons, par tous les moyens à notre disposition, de participer à la reproduction de ce système. Nous n’y parviendrons qu’en redonnant la parole et la place aux « racisées », en accordant foi et soutien à leurs témoignages, actions et expériences autonomes. Nous devons nous taire pour leur faire enfin place. Marcher derrière, pour une fois (la première d’une longue série) mais marcher avec. Proposer un soutien, pas noyauter un mouvement, pas prendre des décisions à leur place. Les mouvements autonomes « racisés » ne nous excluent pas, ils nous interpellent. Nous pouvons et nous devons y participer. A notre juste place.“
Pourquoi en tant que blanche, je participe à la marche de la dignité, par Privilégiée, 28 octobre 2015, Indymédia Nantes.
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Dès lors, plus rien n’unit nos luttes entre égaux. Il n’existe que des rapports d’alliances. Chaque groupe oppressé ne cherche plus qu’à en nouer. Plus rien ne se dégage de commun qu’une visée stratégique de luttes juxtaposées, où se tissent des alliances entre identités dominées et séparées. Les principaux et principales concerné-e-s ne trouvent plus que des allié-e-s, qui au nom de leur manque de vécu de l’oppression n’ont plus leur mot à dire. A l’oppression répond la subordination des allié-e-s. Au manque d’égalité réelle des espaces de lutte, la négation de toute égalité.
Alors, l’idée universelle de révolution devient un fantôme, un héritage obscur de blancs. Les nombreux et nombreuses révolutionnaires qui, comme l’anarchiste kabyle Mohamed Saïl qui a lutté contre le colonialisme et rejoint la colonne Durruti dans l’Espagne révolutionnaire de 36 ou les compagnons et compagnonnes communistes libertaires égyptiens qui se sont opposés durant le printemps arabe aux sbires de Moubarak, ont combattu de front capital, Etat, racisme et religion apprécieront ou auraient apprécié.
Nous sommes de ceux et celles qui pensent que cette vieille, obsolète et idéologique idée de révolution sociale, « la sociale », comme on disait avant, reste d’actualité. Une révolution qui bouleverse à la fois les fondements de ce monde et nos existences, les structures sociales et nos êtres. C’est en ce sens que nous nous sentons solidaires, malgré bien des divergences, des compagnons et compagnonnes de la Discordia. Et que nous envisageons ceux et celles qui les attaquent de la sorte comme des ennemi-e-s.
Nous ne sommes pas que ce que la nature, la culture, le capitalisme, l’Etat ou la technoscience ont pu produire en nous,
Que crève ce vieux monde et que vive la sociale,
Sans dieu, sans maître.
• Quelques rétifs au nouveau vieux monde, Caen, mai 2016
– c’est possible le télécharger en cliquant ici