Syrie : L’intifada de Deir Al-Zour contre l’Etat Islamique

ça n’empêche pas la solidarité avec la révolution au  Rojava

 

Contre le régime, contre les réactionnaires, pour la révolution sociale.

 

La révolution syrienne pour la liberté et la dignité ne se bat aujourd’hui pas seulement contre le régime sanguinaire de Bashar Al Assad, mais aussi contre d’autres forces liberticides comme les djihadistes, et en particulier ceux de l’Etat Islamique, qui essayent d’imposer leur vision réactionnaire à la population. L’Etat Islamique, connu localement sous le nom de « Daech » (ex-Isis), s’est spectaculairement renforcé ces derniers mois, surtout après leur invasion de l’Irak. Cela les a amené à reconstituer un « Califat » [1] dans le nord de la Syrie et dans le nord et l’est de l’Irak. Partout où ils apparaissent, les Daech imposent leur loi, commettent des massacres sectaires et d’autres atrocités, emprisonnent et assassinent des révolutionnaires. Il est aussi important à souligner que les Daech ont peu combattu au front contre le régime d’Assad, préférant s’imposer dans les territoires libérés. Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si les positions de Daech ont été peu bombardées par le régime syrien, Assad ayant clairement fait le choix d’alimenter un conflit sectaire afin de pouvoir mieux continuer de régner. Pourtant, la résistance et la lutte contre Daech n’ont pas été des moindres. Dans beaucoup de villes, il y a eu des manifestations et des affrontements, des « vendredis de rage contre Assad et Isis » ; beaucoup de milices anti-régime se battent aujourd’hui également contre les Daech. Mais ici, nous voulons à présent raconter ce qui s’est passé dans la province orientale de Deir Al Zour, près de la frontière irakienne. Là-bas, la population locale elle-même a déclenché une insurrection contre les Daech.

Début juillet, lorsque les rivaux islamistes Jabhat al Nousra et Ahrar Al Sham se retirent de Deir Al Zour, la région est aussitôt occupée par les Daech. Autour de la ville, des combats féroces avaient lieu depuis des mois entre des brigades révolutionnaires, les forces islamistes et le régime de Bashar. A la fin, lorsque les bataillons de l’Armée Syrienne Libre ont dû se retirer par manque d’armes et de provisions, c’est l’Etat Islamique qui s’est jeté dans la brèche…

Rapidement, dans toute la région de Deir Al Zour, des manifestations ont été organisées contre l’Etat Islamique. En même temps, de petits groupes d’action partisane connus sous le nom de Kufn Al Abiyyad (« Le Linceul Blanc ») se sont créés pour assassiner des militants de Daech et lancer des attaques contre leurs positions. Ces groupes disposent d’une autonomie maximale d’action et ne se connaissent même pas forcément entre eux. Ils représentent une autre méthode de lutte pour combattre les Daech et le régime : plutôt que des grandes milices qui libèrent et défendent des zones, il s’agit ici de petits noyaux de partisans qui frappent l’ennemi partout où il se trouve. Leurs actions ont jusqu’ici surtout été l’élimination physique de leaders et de militants de Daech, des attaques à la bombe contre leurs bases, des guets-apens contre leurs convois et des jets de grenades contre des rassemblements de Daech. Plutôt que d’actions complexes, il s’agit d’une diffusion assez importante de petites attaques contre les hommes et les structures de la répression islamiste. Dans un de ses communiqués, Kufn Al Abiyyad s’adresse à l’Etat Islamique dans les termes suivants : « Cassez-vous de notre région. Il n’y a pas de place pour vous parmi le peuple syrien qui s’est insurgé contre l’injustice, et pas pour remplacer un règne tyrannique par un nouvel oppresseur. »

Dès le 30 juin, la résistance contre Daech s’est intensifiée après l’arrestation de trois personnes de la tribu de Shoueitat. Les villageois ont alors pris les quelques armes qu’ils avaient encore et ont lancé un appel à l’insurrection contre Daech dans tous les villages et bourgades alentours. Les affrontements on été très durs, mais ce mouvement a réussi à libérer les villages de Abu Hamam, Kishkiyeh et Granij. Dans de nombreuses localités, les bureaux et les postes de Daech ont été incendiés. La résistance des Shoueitat a inspiré d’autres villages à s’insurger, comme à Mayadin, Souwaydan et Albukamal. Le 4 août, les Daech ont repris les zones libérées. Ces guérillas autonomes se sont alors retirées vers Qalamoun, où elles ont formé de nouveaux bataillons sous le nom de Usud al Sharquia (« Les Lions de l’Est »), avec comme but spécifique de combattre l’Etat Islamique et d’ainsi continuer la révolution syrienne. L’insurrection a aussi eu des échos en Irak, dans la province d’Anbar, où dans quelques bourgs et villages, la population locale aurait également chassé les Daech.

Mais vers la mi-août, les Daech ont réussi à réprimer cette intifada populaire. Comme partout, leur arrivée a été sanguinaire et atroce. Au moins 700 habitants de la région ont été décapités en guise de punition collective. Face aux cris de liberté qui gagnent les coeurs et arment les mains, la réponse ultime de tout pouvoir est toujours la répression féroce et le massacre.

Ce soulèvement nous montre que le désir de liberté qui a inspiré la révolution syrienne ne se laisse pas facilement écraser, ni par le régime, ni par d’autres forces autoritaires. Il montre aussi que mêmes dans les pires conditions, la lutte auto-organisée et autonome reste possible, la lutte révolutionnaire contre tous les autoritaires qui veulent étouffer l’élan de liberté.

Si les Etats du monde entier se disent désormais « contre » les Daech, on ne peut certainement pas oublier que ces mêmes Etats sont aussi d’énormes sources d’oppression et massacre. Le combat étatique qu’ils entendent mener contre Daech n’est évidemment qu’un prélude à l’arrivée d’un autre pouvoir encore, qui sera lui-aussi prêt à incarcérer, torturer et massacrer en masse. La lutte pour la liberté ne peut donc être qu’autant contre les Daech, le régime syrien et les forces autoritaires que contre tous les Etats du monde entier.

[Extrait de Hors Service n*46.]

Notes

[1Le terme « Califat » s’applique historiquement aux Etats islamiques dirigés par un leader politique et religieux suprême, le « calife » (ou « successeur » du prophète Mohammed), et où est appliquée la sharia. Le Califat abbasside (750–1258) est considéré comme l’Age d’Or islamique, son règne s’étendait de l’Iran à l’Algérie. Le « Califat » a donc une signification particulière dans le monde islamique, il s’agit bel et bien d’une référence mythifiée à un règne juste (selon la sharia) et avancé.