Adresse aux défenseurs du projet de construction d’un Center Parcs à Roybon suite aux violences commises en leur nom

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Adresse à ceux qui soutiennent le projet de
construction du Center Parcs de Roybon et
qui sauraient encore entendre raison

Avant de formuler mes griefs contre ce projet que vous défendez, et de vous faire part de
mes plus profondes inquiétudes à votre égard, étant donné le climat de violence auquel
certains d’entre vous participent concrètement, il me paraît vraiment important de
rappeler la nature des problèmes auxquels notre époque se trouve confrontée, et de
situer le contexte dans lequel ce projet est porté. « 700 emplois » peuvent paraître une
aubaine si notre attention s’y attache de manière exclusive empéchant de considérer ce
que nous ne voyons plus ; un peu comme lorsque notre regard se concentre sur la tache
qui trône au milieu du pare-brise et qui nous masque la route qui défile et la succession
de zones industrielles, commerciales et d’habitations en tout genre traversées.
Dans quel genre de monde vivons-nous ?
Dans son œuvre principale de 1776 Recherches sur la nature et les causes de la richesse
des nations, Adam Smith disait : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du
marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du
soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité,
mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est
toujours de leur avantage. »
Près de 250 ans plus tard, la puissance productive développée de cette façon,
socialement et techniquement séparée des individus, affecte tous les aspects de la vie. Le
monde qui se trouve aujourd’hui dans l’obligation de créer des emplois – non pour
satisfaire impérativement nos besoins, mais pour maintenir les rapports sociaux
capitalistes – a engendré maints dommages et catastrophes environnementaux et
humains au cours des 60 dernières années. 1 Sans oublier le mal-être général de nos
Comme à Kyshtym et Windscale (rebaptisée Sellafield) en 1957, Three Mile Island en 1979, Tchernobyl en 1986 et Fukushima en 2011. Comme avec le Torrey Canyon en 1967, l’Amoco Cadiz en 1978, l’Exxon Valdez en 1989, l’Erika en 1999, le Prestige en 2002 ou l’explosion de la plate-forme de forage Deepwater
Horizon en 2010. Comme aussi à Flixborough en 1974, à Seveso en 1976, à Bhopal en 1984, à Channelview en 1990 et à Toulouse en 2001.
Comme avec les affaires de la vache folle, de l’hormone de croissance, de l’amiante et de la dioxine. Ou encore les pluies acides, la modification du climat due aux gaz à effets de serre qui se traduit par une augmentation de la fréquence des sécheresses, des inondations, des ouragans partout dans le monde ; l’augmentation du nombre des cancers (et notamment des cancers professionnels), de nouvelles maladies ; la baisse de la qualité du sperme, le nombre d’allergies qui a doublé en quinze ans et les épidémies à bactéries résistantes aux antibiotiques… les contemporains qui se trouvent dépossédés par l’organisation et la complexité de notre
société qui délabrent la vie sociale et aussi intellectuelle.
En effet, nos capacités à appréhender et comprendre la vie qu’on nous dit devoir mener
sont affectées, et encore plus dans le contexte de crise actuel. C’est centralement notre
bon sens qui est mis à mal. Voyons-nous que cette économie présente ses fondements
comme indiscutables, comme si elle était régie par des lois naturelles ? Qu’elle nous
propose invariablement comme solution à la crise qu’elle a engendrée de continuer à
produire sans discernement et valoriser tout ce qui existe ? Qu’elle impose ses seuls
critères de fonctionnement pour remédier à un mal dont elle est la cause ?
En réalité la production ne sert qu’en partie à la satisfaction des besoins primordiaux
des hommes qu’elle tente de convaincre de mille manières de consommer des quantités
colossales de marchandises à partir de la création de pseudo besoins. Elle a
fondamentalement pour seul but de transformer cent euros en cent-dix, et ensuite en
cent-vingt, etc., c’est-à-dire de passer de l’argent à davantage d’argent, de produire de la
valeur à partir du travail humain transformé en simple quantité indifférenciée. Et, à une
échelle toujours plus large depuis plus de quarante ans, ce processus est mû par un
dynamisme aveugle qui consomme les énergies humaines et les ressources naturelles
jusqu’à plus soif. Où sont désormais les limites ? Qui contrôle ce mécanisme
autoréférentiel qui sacrifie le monde concret à une abstraction fétichisée ?
C’est la marchandisation des nerfs, des muscles et du cerveau des hommes qui engendre
toutes les autres, et bientôt celle de l’air que nous respirons. On veut bien entendre que
l’économie des hommes dévaste le monde physique, peut-être irrémédiablement, et que
les lois du marché qui entretiennent les inégalités sociales sont parfois scandaleuses ;
mais on ne veut pas voir que le fondement du marché repose sur la vente et l’achat de
notre force de travail, cette première occurrence de la marchandisation des rapports
sociaux, et que c’est de là qu’il faut partir pour se dégager du chantage qu’on exerce sur
les chômeurs. L’obligation de travailler – et par conséquent de trouver un emploi à tout
prix, sans discuter de sa nature et de ses conséquences – taraude l’esprit de nos
contemporains qui ne font pas la relation entre la fonction du travail en société
capitaliste, le chantage qui est exercé à partir de lui quand cette marchandise-là vient à
manquer, et les dégradations environnementales, sociales et humaines.
Ainsi, les problèmes liés à l’urbanisation galopante (78 000 ha par an aujourd’hui dans
notre pays contre 40 000 dans les années soixante), à la déforestation, au déclin des
populations des espèces sauvages (52% entre 1970 et 2010 dans le monde), à
l’augmentation du nombre d’espèces disparaissant chaque année, ou encore aux graves
pénuries d’eau que connaît un tiers de la population mondiale (2,7 milliards de
personnes pendant au moins un mois par an) paraissent bien loin des emplois envisagés
qui justifieraient à eux seuls, selon votre avis, la construction du Center Parcs.
2Le malheur n’est pas seulement dans la disparition du bois des Avenières ni dans tous
les problèmes environnementaux qui y sont liés ; il est aussi dans le fait que la société
puisse accepter ou imaginer une aberration de plus sans se poser la question de son
utilité sociale. Comment peut-on imaginer de réaliser un centre commercial à 29°C toute
l’année avec ses parkings totalisant 2300 places, loin de toute urbanisation, en pleine
forêt, sur une zone humide, en tête de bassin versant alors qu’aucune demande sociale
réelle n’avait été formulée par les habitants auparavant ? La construction du Center
Parcs avec ses 1023 bungalows et sa bulle tropicale a-t-elle une autre utilité sociale pour
les riverains que de répondre aux besoins de créer des emplois ? Devrions-nous alors
continuer à faire creuser inutilement des trous dans le sol pour ensuite les remplir, pour
uniquement faire travailler, non pas « ceux qui ont envie de travailler », mais plutôt
ceux qui ont besoin d’un salaire pour survivre ? La voie désastreuse de l’économisme
marchand qui ravage notre environnement, détériore aussi les conditions sociales, broie
des vies et crée du chômage. Mais le besoin de survivre est bien évidemment essentiel
pour le chômeur. Paradoxalement ce n’est pas lui qu’on entend le plus défendre le projet
de construction du Center Parcs de Roybon
De la déraison touristique
L’association de soutien au projet qui s’est constituée officiellement en mai 2012 à
Roybon comptait essentiellement des artisans et des commerçants. Mais le chef
d’orchestre est ailleurs ! Cette association et les intérêts qu’elle défend ne sont que la
partie visible de l’iceberg.Ses adhérents ne sont que des petites mains au service des intérêts de la grande industrie
et de l’État qui garantit la « paix sociale » indispensable à la bonne marche du montage
économique mis en route dans les Chambarans. Quels sont donc les acteurs de la grande
industrie qui agissent pour ce qui nous concerne ?
En 2008, Christine Lagarde, alors ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, et
Luc Chatel, secrétaire d’État chargé de la Consommation et du Tourisme, ont réuni un
groupe de travail constitué de « chefs d’entreprise de dimension internationale et de
personnalités qualifiées en matière de tourisme et d’attractivité du territoire »
pour réaliser une étude prospective sur le tourisme en France dans le cadre du plan
stratégique « Destination France 2020 ». Cette étude devait couvrir l’ensemble du
secteur du tourisme et des voyages, sur l’ensemble de la chaîne du tourisme : transport,
hébergement, loisirs, restauration etc. La mission globale avait pour objectif de
répondre à trois questions précises : « Quel sera le touriste de 2020 ? Quelle France
veut-on lui vendre ? Comment adapter l’outil existant pour y parvenir ? » 2 Parmi
http://www.tourmag.com/Destination-France-2020-C-Lagarde-et-L-Chatel-reunissent-un-groupe-de-Travail_a24240.html

les chefs de dimension internationale qui composaient ce groupe de travail, Gérard
Brémond, le Président du groupe Pierre & Vacances – Center Parcs, proposait très
sérieusement à une journaliste du Dauphiné Libéré cette piste de réflexion : « Il s’agit de
définir des objectifs d’évolution de l’offre touristique par rapport à la concurrence
mondiale. Des rénovations, des adaptations sont nécessaires. En termes
d’aménagement du territoire d’abord, car aujourd’hui 20% du territoire
hexagonal accueille 80% des touristes. Ce qui veut dire qu’il y a un or vert :
l’intérieur du territoire offre des potentialités énormes. »
Une France à vendre au chaland, 80 % du territoire avec des potentialités énormes
restant à exploiter, un or vert pour faire rêver le boutiquier. Les ambitions sont claires et
à la hauteur d’un Brémond qui s’est ensuite donné les moyens de les concrétiser !
Aujourd’hui les projets de Center Parcs font florès en France. Après le cinquième Center
Parcs qui ouvrira ses portes cette année 2015 dans la Vienne, plusieurs projets sont en
cours : à Roybon bien sûr, dans le Jura, en Saône-et-Loire ou encore dans le Lot-et-
Garonne. À ces nombreux projets que le promoteur espère ajouter aux 300 sites existant
déjà en Europe et en Méditerranée, nous devons aussi ajouter le chantier titanesque du
« Villages Nature » qui vient de commencer en Seine-et-Marne où Pierre & Vacances –
Center Parcs, en partenariat avec Euro Disney, espère construire l’un des plus gros sites
touristiques de France. Ce projet prévoit de construire d’ici une dizaine d’années jusqu’à
5500 appartements et cottages, et 150.000 m 2 d’équipements sur 500 hectares, une
surface grande comme deux fois et demi le Center Parcs prévu à Roybon. 4
Selon l’OMT (Organisation mondiale du tourisme), le tourisme est devenu la première
activité économique mondiale devant les industries pétrolières et automobiles. Il
emploie 200 millions de personnes, soit 8 % de l’emploi mondial qui a engendré, en
2006, 733 milliards de dollars US.
Secteur-clé aussi de l’économie française, le tourisme pesait 7,4% du PIB français en
2013 et représentait un solde excédentaire de 10,3 milliards d’euros dans la balance des
paiements. En 2013, le président François Hollande nous dit même que « le tourisme
doit être érigé en grande cause nationale , ce qui suppose d’améliorer l’accueil
dans les aéroports, de renforcer la sécurité, de relever le niveau des équipements
comme celui des prestations ». 5
Alors qu’il est numéro un en nombre de touristes internationaux accueillis (84,7
millions en 2013), le pays affiche « seulement » 42,2 milliards d’euros de recettes
touristiques, ce qui ne le place qu’au 3 e rang mondial, derrière les États-Unis et
3
Interview de Gérard Brémond par la rédaction du Dauphiné Libéré, le 6 mars 2008
(http://chambarans.unblog.fr/2009/09/19/gerard-bremond-il-y-a-un-or-vert-80-du-territoire-reste-inexploite/)
4 Le côté très naturel et énergie « propre » vanté par les promoteurs du projet consiste à chauffer un lagon
extérieur à plus de 30 degrés grâce à de l’eau chaude puisée à 1,8 km sous terre.
(http://lci.tf1.fr/politique/villages-nature-ce-projet-immobilier-conteste-sera-t-il-un-nouveau-8531523.html)
5 http://www.atout-france.fr/actualite/tourisme-doit-devenir-grande-cause-nationale-selon-francois-hollande
4l’Espagne. Cela est visiblement considéré comme inadmissible, et c’est pourquoi il
devient si urgent et primordial d’imposer un contexte favorable et compétitif au
développement du tourisme, et de persuader la société tout entière de cette nécessité.
Le ministre des Affaires étrangères et du Développement international, Laurent Fabius –
le créateur de la notion de diplomatie économique – qui a, par conséquent, endossé le
rôle de promoteur du tourisme, veut que la France accueille 100 millions de touristes
d’ici 2020. Lors de son discours concernant les « contrats de destination » du 16
décembre 2014, il déclarait : « Je commencerai par deux évidences. Premièrement,
le tourisme est un atout majeur pour notre pays – j’emploie souvent le terme de
«trésor national» –, à la fois pour notre redressement économique et pour notre
rayonnement international. Deuxièmement, la France est en matière touristique
un peu comme un élève surdoué qui ne donne pas encore sa pleine mesure : je
suis persuadé que notre pays « peut encore mieux faire » dans ce domaine.
Comment ? En s’organisant davantage et en mettant en commun tous les efforts.
C’est le sens de notre réunion d’aujourd’hui. »
Au nom de cette « compétitivité » du tourisme français sur le plan international et de
« l’attractivité », le projet de loi Macron prévoit la création de « zones touristiques
internationales dans lesquelles le travail le dimanche et en soirée sera possible
toute l’année ». Et le directeur général de l’Alliance 46.2, Frédéric Pierret, déclarait :
« C’est un formidable signal qui est envoyé : la France veut être plus attractive et
accepte de s’ouvrir au monde et au temps des touristes qu’elle accueille ». En
vacances, le touriste serait roi et l’employé, son porteur de valises corvéable à merci
pour que le pays devienne compétitif et attractif, et atteigne le chiffre fatidique des 100
millions de touristes internationaux accueillis, mais aussi pour qu’il gagne la première
place dans le chiffre des recettes touristiques, devant les États-Unis et l’Espagne.
L’employé doit endosser ce merveilleux challenge : tout le monde est d’accord, c’est
important pour le pays, il faut savoir se sacrifier ! 7
L’Alliance 46.2 réunit les grands groupes français soucieux d’attirer davantage de
touristes dans l’Hexagone. 8 La présidence de cette Alliance est assurée par Gérard
Brémond, président de Pierre & Vacances.
http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?fichier=bafr2014-12-16.html#Chapitre8
http://www.veilleinfotourisme.fr/en-reaction-au-projet-de-loi-macron-presente-ce-mercredi-alliance-46-2-et-l-omt-interroges-par-l-afp-considerent-le-shopping-dominical-comme-un-argument-de-poids-dans-la-bataille-du-tourisme-en-europe–134637.kjsp
Accor (Sofitel, Pullman, MGallery, Grand Mercure, Novotel, Suite Novotel, Mercure, Adagio, ibis, ibis Styles,
ibis budget et hotel F1), la SNCF (gestion et valorisation des gares en France), la Caisse des dépôts (groupe
public au service de l’intérêt général et du développement économique du pays), la BNP Paribas (banque
leader de la zone euro), Yelloh ! village (camping-villages, hôtellerie de plein air, Aéroports de Paris), Elior
(restauration, boutiques et services dans les aéroports, gares, aires d’autoroutes, musées, sites de prestiges et
parcs d’exposition ou de loisirs), Homair Vacances (aménagement de terrains sportifs et de loisirs (golfs) pour
le compte des collectivités locales, aménagement et gestion de campings en Délégation de Service Public,

Cette association s’est créée en février 2014 « pour que la France renforce son
leadership d’attractivité à l’international » 9 . Elle propose « de partager avec les
autorités publiques [sa] capacité de vision stratégique et d’action afin d’intensifier
la croissance du tourisme français pour optimiser ses impacts économiques et
sociaux ». Elle souhaite aussi « constituer une force de réflexion, de propositions et
d’actions pour stimuler la création d’emplois par les activités liées au tourisme et
pour que, dans le débat public, les moyens dédiés à la croissance du tourisme
soient retenus comme une priorité nationale ». Et pour cela bien sûr,
« l’extraordinaire potentiel dont bénéficie notre pays peut contribuer de façon
décisive à la croissance et la création d’emplois s’il parvient à desserrer les freins
qui entravent son développement » 10 [c’est moi qui souligne].
Les défenseurs du projet du Center Parcs de Roybon comprendront mieux pourquoi le
projet de loi Macron espère aujourd’hui un certain « assouplissement » pour obtenir
l’autorisation du travail en soirée et le dimanche. Le promoteur du projet et président de
Pierre & Vacances, Brémond-les-dents-longues, s’intéresse de près à l’assujetissement
des travailleurs en général et plus particulièrement à celui de ses employés. Les 700
emplois proposés par le projet de Roybon feraient travailler les petites mains de
l’orpailleur.
Vous qui soutenez son projet de construction de la bulle à 29 °C, vous serez son commis
tandis que le touriste ne serait plus qu’un lécheur de vitrines faisant du shopping. Dans
le journal très libéral l’Opinion, qui consacrait le 9 décembre 2014 un article à la loi
Macron et le travail du dimanche, Frédéric Pierret, directeur général de l’association
Alliance 46.2 soutenait ceci : « Depuis 20 ans est apparue une nouvelle forme de
tourisme dite tourisme de shopping. Autrefois, les touristes consommaient, mais
mobil-homes), la Compagnie des Alpes (leader de l’industrie des loisirs ; à la tête de 11 domaines skiables
parmi les plus prisés du monde, et de 15 parcs de loisirs renommés), l’APST (Association Professionnelle de
Solidarité du Tourisme : Agences de Voyages Distributrices, Tour Opérateurs, Agences de Voyages Réceptives,
Agences de Voyages Tourisme d’Affaires, Agences de Voyages de Groupes et d’incentives, Offices de Tourisme,
Comités Régionaux et Départementaux de Tourisme, Syndicats d’Initiative, Croisiéristes, Hôteliers,
Autocaristes…) les Galeries Lafayette (leader du commerce de centre-ville et spécialiste de la mode), Lagardère
(2 700 magasins au sein de plus de 140 aéroports et de 700 gares ; commerces pour les voyageurs: duty free et
luxe, essentiels du voyage (Relay) et restauration), le groupe Flo (restauration à thème (Hippopotamus, Bistro
romain, Tablapizza, Taverne maître kanter) et grandes brasseries parisiennes (La Coupole, Bofinger, le Bœuf sur
le Toit, Le Vaudeville), le groupe Lucien Barrière (hôtels de luxe et Casinos), Kering (leader mondial de
l’habillement et des accessoires de luxe (Gucci, Bottega Veneta, Saint Laurent, Alexander McQueen,
Balenciaga, etc.) et de sport (Puma, Volcom, Cobra, Electric et Tretorn)), GL Events (événement, congrés,
salons, expositions, manifestation culturels, sportifs ou politiques), Euro Disney (Disneyland® Paris), le groupe
CityVision (excursions pour découvrir, avec ou sans guides, les plus grands sites touristiques français), Viparis
(filiale d’Unibail –Rodamco et de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris fédérant les principaux sites
d’accueil à Paris pour les salons, les congrès, les événements d’entreprises et les spectacles) le Club
Méditerranée (leader mondial des vacances Tout Compris), et bien sûr l’incontournable Pierre et Vacances –
Center Parcs (Pierre & Vacances et ses labels premium et villages clubs, Maeva, Center Parcs, Sunparks,
Aparthotels Adagio et sa gamme Access).
9 http://www.tourmag.com/Alliance-46-2-19-entreprises-du-tourisme-s-associent-pour-renforcer-l-attractivite-de-la-France_a64688.html
10 http://www.alliance462.org/vision.html
6il s’agissait surtout d’achats d’opportunité. Désormais, pour certaines clientèles,
le shopping est un but de voyage en lui-même. Dans un séjour, la majorité des
touristes se réservent une demi-journée voire une journée pour visiter des
boutiques, même s’ils n’achètent pas forcément dans chacune d’entre elles. Le
shopping est, en soi, une activité touristique ». C’est une manière de dire que le
commerce et le tourisme sont intimement liés et qu’il sera essentiel de « desserrer les
freins » qui empêchent les commerces d’ouvrir en soirée et les dimanches et leurs
employés d’y travailler.
Avec Pierret, Gérard Brémond voudrait attirer le client pour qu’il fasse du shopping et le
faire venir de loin. De très loin. Pierre & Vacances espère même conclure avec le groupe
chinois Beijing Capital Land (BCL) spécialisé dans l’immobilier « un partenariat à long
terme pour développer en Chine et en France des sites touristiques inspirés du
concept Center Parcs ». Mais ce partenariat de Pierre & Vacances avec le groupe
chinois « compte aussi tirer les bénéfices de ce rapprochement sur ses marchés
français et européens. BCL aura pour tâche, aussi, d’envoyer des milliers de
touristes chinois vers les Center Parcs en France et en Europe. » 11 Ceux qui
pensaient encore qu’il s’agissait d’un tourisme de proximité soucieux de
l’environnement comme le martèlent inlassablement certains promoteurs du projet de
Roybon, se sentiront-ils trahis au point de ne plus leur faire confiance ?
36 métiers, 40 misères
Le tourisme et les services qu’il propose – dépendants de l’accès aux nouveaux
territoires à aménager : Brémond laisse entendre qu’il resterait 80 % du territoire
national à exploiter – sont avec les nouvelles technologies et les énergies, les nouveaux
gisements de valeur ajoutée dont on doit tirer profit dans les prochaines décennies. Mais
pour cela, les employés devront participer à cette concurrence redoutable : si on ne veut
pas se faire bouffer par le plombier et le transporteur polonais ni par les Chinois, nous
devons admettre qu’il est essentiel d’accepter la flexibilité au travail et de bas salaires.
C’est probablement la raison pour laquelle les conditions de travail dans les Center Parcs
sont terribles ; et depuis que le projet de Roybon a été rendu public, de nombreuses
grèves dans les différents « Domaines » déjà ouverts dans le pays ont eu lieu.
Tout d’abord dans le Domaine du Lac d’Ailette à Chamouille, près de Laon dans l’Aisne,
qui a essuyé depuis 2008 pas moins de quatre mouvements de grèves liés notamment à
de mauvaises conditions de travail ou à des méthodes employées par la direction qui
seraient selon le délégué syndical CFDT « d’un autre âge ». Il ajoute à propos de la
http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/12/05/bientot-des-center-parcs-en-chine_4534808_3234.html
11
7dernière grève organisée le 10 octobre 2014 que « [la direction] profite de détails
pour licencier ou pousser certains employés à la dépression ». 12
Auparavant, au cours de la grève du vendredi 13 juillet 2012, une soixantaine de
salariés ont distribué des tracts à l’entrée de ce même Center Parcs pour dénoncer des
salaires trop bas, un manque de personnel, une surcharge de travail, un manque de
moyens et une injustice entre les dirigeants et les salariés de base. 13
Le lundi 3 août 2009, une quinzaine de personnes étaient venues sur leur lieu de travail
pour dénoncer les « salaires bas, la surcharge de travail et le manque de personnel
». Les plus déterminés se sont retrouvés sur le site : « Tous les services étaient
représentés, mais une quarantaine de collègues sont restés chez eux. […] Ils nous
ont assuré de leur soutien » 14 . Le porte-parole de la CGT ajoutait : « Les pressions à
Center Parcs sont constantes et énormes ». Il disait aussi : « Nous travaillons
presque tous les week-ends sans aucune compensation, avec des horaires pas
faciles pour la vie de famille. Nous sommes actuellement plus de 280 salariés alors
que nous avons été plus de 300 l’année passée pour autant de travail si ce n’est
plus. Le parc de L’Ailette a pour particularité de ne pas avoir le nettoyage intégré
dans les effectifs. Nous avons une société de nettoyage. Les salariés de cette boîte
trinquent encore plus que nous (c’est peu dire. Nombre d’entre eux sont
actuellement en procédure aux Prud’hommes)».
Soixante-dix employées de cette société de nettoyage (du Groupe K) dont nous parlait ce
délégué CGT avaient en effet manifesté le 9 mai 2008 devant le Center Parcs du Lac
d’Ailette contre certains cadres aux méthodes jugées dégradantes et insultantes : «
Pourquoi nous fouille-t-on systématiquement dès que nous sortons du Parc ? ». Et
aussi : « On nous humilie, on nous rabaisse, on nous insulte plus bas que terre».
Sans oublier la question des cadences : « 118 minutes pour nettoyer une maison
pour 8 personnes, c’est intenable ! » et des « retards dans le versement des
salaires et des absences de régularisation pour des heures effectuées en
supplément ou les jours fériés » 16 …
En Moselle dans le Domaine des Trois Forêts à Hattigny près de Sarrebourg, une
cinquantaine de salariés s’étaient mis en grève le 14 novembre 2011. Comme pour le
Center Parcs du Lac d’Ailette, les salariés se plaignaient ici du manque de
reconnaissance et des conditions de travail : « On est des esclaves, souffle une
Http://www.lunion.com/region/mouvement-de-greve-a-center-parcs-de-chamouille-ia3b26n421223
http://mncp71.fr/mouvement-de-greve-a-center-parcs/
14 : http://chambarans.unblog.fr/2009/08/08/greve-dune-partie-du-personnel-du-center-parcs-de-
laisne-pour-denoncer-les-salaires-bas-la-surcharge-de-travail-et-le-manque-de-personnel/comment-
page-1/
15 http://chambarans.unblog.fr/2009/08/08/greve-dune-partie-du-personnel-du-center-parcs-de-laisne-
pour-denoncer-les-salaires-bas-la-surcharge-de-travail-et-le-manque-de-personnel/comment-page-1/
16 http://chambarans.unblog.fr/2009/08/09/une-entreprise-de-nettoyage-peu-scrupuleuse-du-droit-pour-le-center-parcs-de-laisne/

une manifestante. On travaille trois week-ends par mois et on n’a aucune
reconnaissance. » Les femmes de ménage dénonçaient : « On commence à la piscine à
5 h jusqu’à 9 h 30. De 10 h à 15 h, on est dans les cottages. Certains sont propres,
d’autres très sales. Les temps qui nous sont donnés pour nettoyer les chalets sont
trop courts. Pour que les clients aient leur logement à 15 h nous sommes obligées,
la plupart du temps, de ne pas prendre notre pause de 12 h à 12 h 30. Je touche
270 € par mois pour deux jours de travail par semaine, témoigne un agent
technique de nettoyage. Si on rajoute la mutuelle « obligatoire » de 30 €, il ne
reste plus grand-chose à la fin du mois. » 17
Un an après l’ouverture du Domaine des Trois Forêts, « près de 30 % des employés
initialement embauchés par Center Parcs ont déjà quitté leur emploi, pour
diverses raisons. […] “[ Bruno Guth, manager cleaning des Trois-Forêts affirmait
qu’] un tel turn-over durant la première année est tout à fait normal. Nous avons
observé le même phénomène sur tous les sites. ”» 18
Florence Aubenas décrit très bien les conditions épouvantables (au travail et dans la vie
quotidienne) des femmes de ménage à temps partiel dans son récit autobiographique Le
Quai de Ouistreham 19 . Elle décrit un travail très dur et très physique où il faut un grand
courage au quotidien, où l’on passe parfois autant de temps à se déplacer qu’à travailler,
où on est humilié, où on se trouve en concurrence entre collègues, où l’on est ballotté
d’un temps partiel à un autre quand on n’est pas à la recherche de quelques heures à
faire pour compléter ses revenus. C’est le genre d’emploi où l’on gagne de l’argent sans
vraiment gagner sa vie (on n’a pas vraiment un travail, mais seulement des heures).
C’est le genre de travail qu’on accepte en se disant que ce n’est que provisoire ; c’est le
genre d’emploi que l’on ne cherche pas vraiment mais que l’on se voit contraint de faire,
à défaut.
Selon une étude publiée par l’INSEE concernant le Domaine des Trois Forêts, « Les
femmes sont très fortement surreprésentées dans les diverses boutiques (86%) et
les activités de nettoyage (87%). Mais ces dernières ne leur procurent la plupart
du temps que 36 heures de travail par mois (soit 9 heures par semaine) et un
cinquième seulement des salariés occupés à ces tâches y travaillent plus de 100
heures par mois. […] Les 632 postes de travail créés par le Center Parcs mosellan
correspondent à plus de 470 emplois en équivalent temps plein et les deux tiers
sont en contrat à durée indéterminée. […] Reste que si le nombre d’emplois créés
est particulièrement important, un sur quatre est en contrat à durée déterminée
et surtout, les salaires offerts sont faibles. […] Parmi les 304 salariés de Pierre &
http://www.republicain-lorrain.fr/moselle/2011/11/15/la-frustration-grandissante-des-travailleurs
repris ici : http://chambarans.unblog.fr/2011/11/22/greve-a-center-parcs-on-est-des-esclaves-souffle-
une-manifestante/
18 http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2010/09/08/90-des-clients-veulent-revenir-a-center-parcs
19 Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham, Éditions de l’Olivier, 2010.
17
Vacances, 60% touchent le Smic horaire, dont près de la moitié seulement 319
euros par mois du fait d’un contrat de travail hebdomadaire de 9 heures en tant
qu’agent technique de nettoyage. Le salaire brut horaire moyen appliqué par
Center Parcs se situe ainsi près de 1,50 euro en dessous de celui pratiqué dans
l’hôtellerie-restauration du bassin d’emploi, et près de 2 euros en dessous de celui
relevé dans le département dans le même secteur d’activité. »
Un autre article, celui-ci publié le 28 mai 2009 par le Républicain Lorrain, exprimait
quelques craintes sur ces « temps-partiels [qui] constituent un appel d’air pour les
demandes d’allocation RSA. Soit une ponction supplémentaire des finances
publiques qui cadrerait mal avec les substantiels bénéfices dégagés par le groupe
de Gérard Brémond. » 21
En Normandie, les salariés du Domaine des Bois Francs à Verneuil-sur-Havre se sont mis
en grève le lundi 21 et le jeudi 24 décembre 2009 en demandant une augmentation
de salaire de 4%. La direction leur a seulement proposé une augmentation de 1,3%. Les
salariés qui gagnaient environ 1000 euros par mois, pour ceux qui travaillaient à temps
plein, auraient donc bénéficié d’une augmentation de… 13 euros seulement. 22
En Sologne, dans le Domaine des Hauts de Bruyères, le personnel du Center Parcs de
Chaumont-sur-Tharonne s’est mis en grève contre une procédure de licenciement
économique collectif en décembre 2009 parce que la Société Pierre & Vacances avait
décidé de délocaliser en Hollande le service comptabilité ( onze personnes de Chaumont
et quatre de Paris). Elles avaient écrit une lettre assez saisissante signée « Les
naufragés de la bulle » envoyée aux maires, à leur député et aux journaux. Elles
disaient dans cette lettre de détresse combien elles étaient surprises de voir l’entreprise
faire des bénéfices en France, et déplacer leurs emplois en Hollande. Elles disaient aussi
combien elles se sentaient isolées, se posant même la question : « Faudra-t-il faire la
Une des journaux avec “ Premier suicide chez Center Parcs ” pour que cesse cette
course infernale lancée par des financiers peu intéressés du sort de ces salariés
qu’ils jettent à la rue avec des indemnités dérisoires, alors qu’eux seront
grassement récompensés par une prime d’objectif atteint ? » 23
Le fanatisme économique
http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=17266&reg_id=17
http://chambarans.unblog.fr/2009/05/28/center-parcs-le-defi-de-lemploi/
22 http://www.humanite.fr/node/429975
23 http://www.humanite.fr/node/429975 et
http://chambarans.unblog.fr/2009/11/02/les-naufrages-de-la-bulle-appel-de-salaries-de-center-parcs-
vises-par-une-procedure-de-licenciement-economique-collectif/

Les promesses d’emplois sont avancées par les défenseurs du projet du Center Parcs de
Roybon comme des arguments indiscutables. Il serait justifié de privatiser un bien
commun, d’abattre une partie de la forêt des Chambarans, de bouleverser sa vie sauvage
mais aussi la vie locale des habitants. L’industriel avec son éloquence du bonimenteur et
ses soutiens inconditionnels 24 auraient-ils réussi à retourner une partie de la population
contre ses intérêts ? L’expansion économique tant attendue, malgré toutes les
conséquences déplorables, n’est-elle pas qu’un miroir aux alouettes ?
Les élus, quant à eux, obéissent aux intérêts des entreprises qui contenteraient les
administrés, par ricochet. Vallini, Monsieur « 700 emplois », alors président du Conseil
général de l’Isère disait à la tribune lors d’un rassemblement des défenseurs du projet le
29 juin 2012 : « Les entreprises de bâtiment ont des problèmes en ce moment de
carnets de commandes, nous faisons ce que nous pouvons au Conseil général,
pour les travaux publics avec les routes, pour le bâtiment avec les collèges » 25 . On
ne se soucie guère ici de répondre à une nécessité, on cherche seulement à satisfaire les
entreprises du BTP. La sortie de crise passerait nécessairement par là.
Pour Vallini, sortir de crise impliquerait de s’affranchir de la complexité de la
réglementation relative aux problèmes environnementaux, qui contredit la raison
économique, et entrave la réalisation de chaque nouveau projet d’aménagement du
territoire ou de construction. En Isère « […] Á l’occasion de l’inauguration du
nouveau collège à l’Isle d’Abeau, […] André Vallini [alors président du Conseil
général] s’est lancé dans une diatribe contre les tritons. Plusieurs spécimens de
cette espèce protégée ont en effet été repérés lors de la construction du nouvel
établissement scolaire. Il a fallu les déplacer dans une mare écologique. Ce qui a
eu pour effet de retarder de trois mois le chantier. “Nous avons eu le même
problème lors de la construction d’un pont à St-Quentin-Fallavier, et dans les
Chambarans, pour le projet de Center Parcs. L’accumulation de réglementations,
comme la loi sur l’eau, paralyse l’action publique. Cela ne peut plus continuer. ” »
(Le Dauphiné Libéré, 13/10/2012) 26
Visiblement toute considération ralentissant l’action publique et les travaux en cours
exaspèrent les professionnels et la plupart des élus. Ainsi nous avons pu les voir
manifester publiquement contre le blocage de différents chantiers comme à Nantes le 14
novembre 2014 où s’était formé « un cortège de plus d’une centaine de véhicules […]
pour rejoindre le centre-ville où [étaient] attendus un millier de participants. Une
délégation [a été] reçue en préfecture et [a remis] une motion dans laquelle il
[était] notamment demandé le lancement rapide des travaux du futur aéroport de
La Chambre de Commerce et de l’Industrie de l’Isère, le MEDEF, des chefs d’entreprises en général, de la
grande majorité des élus UDI-UMP-PS-PC-FN et même un syndicat de salariés (la CFDT Isère a signé un
communiqué de soutien au projet de Center Parcs proposé par le MEDEF :
http://grenoble.indymedia.org/img/pdf/communique_du_medef_sur_cp.pdf)
25 http://bienvenue-au-center-parcs-des-chambarans.over-blog.com/article-le-film-de-notre-rassemblement-du-29-juin-2012-107831804.html
26 http://www.ledauphine.com/isere-nord/2012/10/12/andre-vallini-s-attaque-aux-tritons
24
11Notre-Dame-des-Landes. Il y [était] également question du projet d’autoroute
A831 entre Fontenay-le-Comte (Vendée) et Rochefort (Charente-Maritime) et plus
globalement de tous les investissements prévus par l’État dans l’Ouest » 27 .
À Albi, le 15 novembre 2014 « Les agriculteurs du syndicat majoritaire FNSEA,
rejoints par la Coordination rurale, ont obtenu le soutien de nombreux élus
locaux, du PS à l’UMP, pour la première grande manifestation en faveur du projet
de retenue d’eau, vivement contesté depuis des mois. Les manifestants ont défilé
derrière une banderole résumant leur principale revendication: “Laissez-nous
décider de l’avenir de nos terres” » 28 . Auparavant, le 5 novembre – quelques jours
après la mort de Rémi Fraisse dont l’État porte l’entière responsabilité – « dans un
climat tendu par la crise du barrage de Sivens, les agriculteurs ont manifesté un
peu partout en France contre ce qu’ils estiment être un trop-plein de
réglementation » 29 . C’est durant ces manifestations organisées par la FNSEA, qu’eut
lieu celle qui alimenta la polémique sur les ragondins : « Lors d’un rassemblement
organisé à Nantes […], des ragondins acheminés dans un chariot sont pris comme
boucs émissaires. Les manifestants les aspergent de peinture, leur assènent des
coups de pied, l’un d’eux finit même écrasé par un tracteur » 30 . À l’appel de la
Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA ) et des Jeunes
Agriculteurs (JA) du Tarn, du 28 février au 6 mars 2015, durant la semaine précédant
l’évacuation des occupants de la ZAD par les forces de l’ordre, de véritables milices se
sont constituées non seulement pour assiéger les occupants du chantier, les empéchant
de se ravitailler, mais aussi semer la terreur en détruisant leur vehicules, le chapiteau et
en saccageant leur cabane radio.
À Roybon, les manifestations des 7 et 14 décembre s’inscrivent dans ce mouvement que
l’on pourrait qualifier de néo-populiste où certains « citoyens » se retrouvent à
revendiquer ce que le MEDEF, la Chambre de Commerce et de l’Industrie, la Chambre
des Métiers et de l’Artisanat, les syndicats professionnels des PME et des BTP, etc.
partagent comme valeurs à défendre : une croissance et une production sans entrave
parce que c’est bon pour l’entreprise et pour l’emploi !
http://www.courrierdelouest.fr/actualite/grand-ouest-les-entreprises-du-btp-manifestent-a-nantes-
en-direct-14-11-2014-193987
28 http://www.20minutes.fr/societe/1481186-20141115-sivens-manifestations-pro-barrage-anti-
zadistes-albi
29 http://tempsreel.nouvelobs.com/social/20141105.OBS4098/les-agriculteurs-crient-leur-ras-le-bol-partout-en-france.html
30 http://www.terraeco.net/Ragondins-comment-les-agriculteurs,57255.html
31 La préfecture déclarait à propos des tensions entre pro et anti barrage : « Les forces de l’ordre n’ont
pas une mission offensive mais d’interposition » (http://www.sudouest.fr/2015/03/05/barrage-de-
sivens-extreme-tension-et-situation-explosive-1849717-706.php). Après le meurtre de Rémi Fraisse, cette
nouvelle stratégie des casques bleus de l’intérieur donnera probablement une image honnorable des
forces de l’ordre. L’État aura-t-il réussi, en instrumentalisant ce genre de milices et en les « neutralisant »
avec sa « mission d’interposition », à résoudre les conflits sur les ZAD ?

Une grande majorité d’élus de la région soutient cette même idée. Il faut dire que
Brémond, « le fondateur et président de Pierre et Vacances », en bon représentant de
commerce, leur avait expliqué auparavant, dans une lettre adressée à tous les conseillers
généraux de l’Isère, combien les profits de son projet seraient grands pour les
collectivités locales. 32 Ses explications n’ayant bien évidemment jamais abordé la
question de la baisse du cours du salarié ou plus généralement celui de l’être humain. De
toute manière le Conseil général de l’Isère s’était déjà positionné sur cette question :
n’avait-il pas sacrifié 150 postes en 2014, et augmenté le temps de travail des pompiers
qui durant le conflit avaient été très sévèrement réprimés au point que deux d’entre eux
avaient été grièvement blessés lors d’une manifestation dont l’un a perdu un œil ? 33
Les élus ont ainsi pris fait et cause pour cette entreprise et son projet. Aux alentours du
chantier, les communes ont affiché ostensiblement leur soutien sur des banderoles
proposées et financées par le Conseil général. Aucun projet et aucune entreprise
n’avaient jusque-là autant bénéficié d’honneurs et de considération par autant d’élus et
leurs institutions. Le Dauphiné Libéré du 9 novembre 2014 publiait un communiqué de
presse dans lequel les signataires (des parlementaires, des conseillers généraux de
droite comme de gauche y compris les communistes, ainsi que les deux secrétaires
d’État du département : Fioraso 34 et l’incontournable Vallini) affirmaient leur « soutien
ferme et définitif à la réalisation du Center Parcs Isère ». En se drapant du voile des
« défenseurs de la démocratie », ils dénonçaient des minorités qui « imposent leur
refus à des majorités élues, interrompent et bloquent des projets élaborés,
décidés et votés par une large majorité d’élus locaux, départementaux et
régionaux, l’État de droit est en cause ». 35 Le personnel politique, élu sur de vagues
promesses, ne tolère pas que soient mis en cause son omnipotence et son infaillibilité.
N’y a-t-il pas eu depuis une suspension des travaux ordonnée par le tribunal
administratif ? Il laisse entendre que l’État de droit mis en avant par ces soi-disant
démocrates n’était pas observé, non pas par cette « minorité bruyante voir violente »,
mais plutôt par le passage en force d’un arrêté signé à la hâte par le préfet de l’Isère qui
« Center Parcs : une lettre pour expliquer le projet aux élus », article du Dauphiné Libéré du 5 novembre
2014.
33 Dans un tract de l’Union départementale de la CGT Isère, « Dividendes formidables, salaires minables »
du 21 janvier 2014, où il est question du conflit qui opposait le Conseil Général et les salariés, on pouvait
lire : « Le Conseil général subventionne des grands projets : [15] millions au Center Parcs en forêts
des Chambarans, 25 millions pour NANO 2017… Pour ne pas augmenter les impôts, il faut sacrifier
les missions de service public. »
34 Geneviève Fioraso qui était alors secrétaire d’État chargée de l’enseignement supérieur et de la
recherche, a présenté depuis sa démission pour raisons de santé.
35
Ce communiqué a été publié intégralement au mois de décembre dans la revue du Conseil général Isère
Magazine tirée à 490 000 exemplaires, et distribuée dans toutes les boîtes aux lettres du département. Ce
communiqué accompagnait un article de quatre pages qui prétendait répondre aux arguments des
opposants se résumant curieusement en huit points non développés. C’est probablement cette forme de
démocratie que les élus de gauche, de droite et d’ailleurs confondus, défendaient avec beaucoup d’entrain
dans ce communiqué de presse … Vous pourrez trouver à l’adresse suivant une réponse aux arguments de
propagande du Conseil général : http://www.pcscp.org/Center-Parcs-de-Roybon-Reponse-a-Isere-Magazine.html32
13autorisait le début des travaux sans tenir véritablement compte de l’avis défavorable de
la commission d’enquête concernant la loi sur l’eau.
Le projet de loi Macron prévoit des dérogations qui régulariseraient les coups de forces
qui ont été tentés à Notre-Dame-des-Landes, à Sivens et à Roybon. Plusieurs articles du
projet de loi ont pour but d’ « accélérer les grands projets pour favoriser le retour
de la croissance ». Parmi les objectifs fixés par le gouvernement, il y a notamment celui
de pouvoir délivrer les permis de construire en cinq mois, de soutenir la filière du BTP en
pleine crise, et de sécuriser les projets : « Le projet de loi prévoit d’étendre
l’expérimentation de l’autorisation unique en matières d’installations classées
(ICPE) [Installations Classées pour la Protection de l’Environnement qui sont des
installations et des usines susceptibles de générer des risques ou des dangers,
soumises à une législation et une réglementation particulières] aux projets
d’intérêt économique majeur sur l’ensemble du territoire. Il habilite également le
Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure permettant de pérenniser
cette expérimentation, de même que celle de l’autorisation unique pour les
installations relevant de la loi sur l’eau. […] Le texte habilite par ailleurs le
Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures législatives visant à
réformer l’étude d’impact et l’enquête publique. » 37 Cette simplification de la
réglementation n’envisage à aucun moment de bloquer ou d’abandonner les projets
non-conformes à la réglementation environnementale et destructeurs de territoires qui
avaient été jusque-là épargnés, mais seulement de les adopter et de les réaliser bien plus
rapidement.
Le Dauphiné Libéré du dimanche 4 janvier 2015 consacrait une pleine page à une
interview de Vallini sur « Ce que les zadistes doivent savoir… ». Dans cette interview
Vallini confirme ce que la loi Macron envisage : « En France, des réglementations trop
lourdes et des procédures trop longues permettent d’entraver des projets portés
par des élus du suffrage universel. C’est pourquoi le gouvernement a lancé un
grand chantier de simplification dont nous sommes chargés avec Thierry Mandon,
lui pour l’État et moi pour les collectivités locales. » Il enfonce le clou un peu plus
loin : « Pour que la France reste la France, nous devons continuer à construire des
aéroports, des barrages, des autoroutes, des lignes de TGV, des équipements de
tourisme. » Les tritons sont maintenant prévenus : la politique de protection
environnementale entrave le bon déroulement des affaires !
À la question posée sur les zadistes de Roybon, notre secrétaire d’État est d’une
intransigeance sans appel, digne d’un Machiavel sachant recourir à la violence pour
36
Cf. le texte « Center Parcs, l’administration du désastre généralisé et la soumission durable au monde
économique » (http://grenoble.indymedia.org/IMG/pdf/Center_Parcs_l_administration_du_de_sastre.pdf)
37
http://www.actu-environnement.com/ae/news/loi-macron-reforme-droit-environnement-accelerer-grands-projets-23465.php4
continuer à gouverner : « Ils doivent savoir que l’État prendra, le moment venu, les
dispositions nécessaires pour faire cesser cette illégalité ».
Les élites incitent à la violence
Après le meurtre de Rémi Fraisse, l’État a été qualifié de brutal et de violent, et les
zadistes et opposants au projet de barrage apparaissaient alors comme des victimes. À
Roybon, depuis des années, les élus ont soutenu un discours visant à criminaliser les
opposants et à attiser les tensions et les propos haineux. Le 29 juin 2012, lors du
rassemblement des défenseurs du projet dans le stade de Roybon, André Vallini,
menaçait les opposants à la tribune : « Moi, j’ai dit souvent aux écologistes, pour ne
pas les nommer – à ceux qui s’opposent en tout cas à Center Parcs – [ que ] je ne
voudrais pas pour eux qu’ils aient toujours à s’expliquer devant le peuple si
Center Parcs venait à échouer parce qu’il y aurait trop de familles déçues, de gens
qui attendent un emploi » 38 … Le ton est donné !
Depuis on a pu entendre son remplaçant, monsieur Cottalorda président du Conseil
général, du Parti Socialiste aussi, dénoncer « les extérieurs qui décident pour un
territoire qu’ils n’habitent pas » 39 . Les relents haineux et xénophobes sont relayés par
l’organisateur des manifestations des défenseurs du projet – Christian Lucciani,
président de l’association « Vivre en Chambaran », qui qualifie les occupants de « gens
qui sont sur notre territoire, qui ne sont pas chez eux et qui viennent bloquer les
projets sans même les connaître » 40 .
Une habitante de Roybon, opposante au Center Parcs, qui avait voté aux dernières
élections municipales pour Serge Perraud, déclare à ce dernier sa déception, et dénonce
les injures xénophobes qu’il a proférées, dans une lettre qu’elle lui a envoyée avant de la
rendre publique. 41 À Roybon des banderoles témoignent de ce climat xénophobe où on
peut lire des slogans nauséabonds tels que « Zadistes dehors » ou encore « Libérer
mon village » qui recouvre la statue de la liberté sur la place principale du village.
Lors du rassemblement du 8 décembre 2014 à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs qui
réunissait plus de 800 élus et citoyens favorables à l’implantation du Center Parcs, le
maire de Roybon, Serge Perraud chauffait la foule contre les occupants de la maison
Forestière de la Marquise : « Pourquoi la décision n’est pas prise d’évacuer ces gens-
là ? ». Ces propos soutenaient ceux de la fédération départementale du BTP tenus
quelques jours plus tôt et qui envisageait « d’envoyer ses adhérents assurer eux-
http://bienvenue-au-center-parcs-des-chambarans.over-blog.com/article-le-film-de-notre-
rassemblement-du-29-juin-2012-107831804.html
39 Dauphiné Libéré du 15 octobre 2014.
40 https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=1K7jKoitXYE
41 http://chambarans.unblog.fr/2014/12/17/a-serge-perraud-maire-de-roybon/
38
15mêmes leur protection » 42 . Monsieur Perraud adhère-t-il à cette volonté de créer des
milices patronales contre des opposants à un chantier qui n’aurait jamais dû
commencer, selon l’avis même du Tribunal administratif qui l’a suspendu une semaine
plus tard ?
Toujours à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs, le socialiste Alain Cottalorda enfonçait le clou
en comparant les actions des zadistes à du « terrorisme ». Au cours de la manifestation
de soutien au projet du Center Parcs du 7 décembre, devant la caméra de BFMTV, Serge
Perraud parlait des occupants de la Maquizad, 43 dans les mêmes termes : « Il est bien
temps que le gouvernement prenne ses dispositions pour chasser de notre
territoire ces terroristes » 44 . Ce n’est quand même pas rien de parler de terrorisme et
de terroristes, comme d’autres ont parlé de « djihadistes verts ». Après ce qui s’est
passé dans les locaux de Charlie Hebdo puis à la Porte de Vincennes et à Dammartin-en-
Goële début janvier, on pourrait espérer que ces propos ne soient plus utilisés à tort et à
travers. Á moins que l’on ne cherche à souffler sur les braises… N’oublions jamais que
c’est un des opposants au barrage qui est mort à Sivens !
L’inflation verbale des responsables d’associations, des patrons du BTP et des élus de
droite comme de gauche – qui ont accepté que l’élue du Front National manifeste le 7
décembre avec eux – émet des relents puants. Nous constatons que cette stratégie visant
à dresser une partie de la population contre les opposants est bien reçue par certains
d’entre vous qui profèrent sur le net des propos abjects et des menaces de mort, dignes
de ce qu’on pouvait entendre au Café du Commerce en d’autres temps, lors de périodes
que nous pensions révolues. 45 Ces propos ne sont pas restés lettre morte. Après
l’intervention de Jean-Pierre Barbier député de l’UMP à l’Assemblée Nationale, le 3
février 2015, lors de la séance des questions au gouvernement pour lui demander de
faire évacuer la ZAD de Roybon et d’interdire une manifestation des opposants 46 , la
guérite d’accueil de la ZAD de Roybon a été incendiée le 5 février volontairement par
plusieurs cocktails Molotov. « Cette attaque n’est pas un simple acte de destruction
et fait suite à une série de jet de projectiles sur cette même installation, servant
chaque nuit d’habitation, depuis le 30 novembre dernier. Cet incendie criminel
visant à détruire cette habitation et à atteindre l’intégrité physique de tiers de
manière volontaire, est ni plus ni moins qu’une tentative d’homicide. » 47
http://vivreenchambaran.fr/public/Pdf/OPINION-Notre-Dame-des-Landes-S.rreur-verte-_-
LOpinion2.pdf
43 Nom donné à la maison forestière de la Marquise par ses occupants.
44 http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/center-parcs-a-roybon-la-majorite-silencieuse-manifeste-
pour-defendre-le-projet-367427.html
45
Cf. le texte « Center Parcs : menaces violentes venant de certains « pro » + propos diffamatoires d’élus » :
http://grenoble.indymedia.org/2015-01-22-Center-Parcs-menaces-violentes
46 https://www.youtube.com/watch?v=8faR34jcIaA
47 Communiqué de presse des occupants de la ZAD, du 05/02/15, suite à l’incendie volontaire de la guérite
d’accueil de la ZAD de Roybon. https://zadroybon.wordpress.com/2015/02/06/urgence-info-zad-roybon-communique-de-presse-050215/42
16Deux jours plus tard, le rassemblement « Open Barrikad » organisé par les occupants
du bois des Avenières pour construire de nouvelles cabanes habitables a essuyé
plusieurs agressions. Il y a eu bien sûr les barrages que vous avez mis en place
empêchant les véhicules de monter les matériaux sur le site. Mais il y a eu aussi
l’agissement de certains nervis de votre camp qui voulaient en découdre. Après les
insultes et les menaces, la tension jusqu’à l’inacceptable : intimidations à la
tronçonneuse devant une barricade, plusieurs pneus de voitures d’opposants à Center
Parcs dégonflés et crevés, deux voitures brûlées, 4×4 poursuivant des manifestants (l’un
s’est retrouvé sur le capot du véhicule) et plusieurs agressions violentes sur des
personnes. 48
Dans cette situation, nous retournons les propos de Vallini contre lui-même et ceux qui
ont choisi la haine et la xénophobie pour soutenir ce monde que nous dénonçons. Les
Barbier, Cottalorda et autres élus 49 qui se sont manifesté de cette manière, comme les
Luciani et autres responsables d’association et de syndicats patronaux auront à
répondre de leur façon de souffler sur les braises et de ses conséquences.
Les occupants du chantier n’ont aucun intérêt économique
dans l’affaire
Dans le défouloir du net, et notamment sur les réseaux sociaux et les forums, certains
qualifient les occupants de la maison forestière de la Marquise, de « branleurs » qui
« ne bossent pas », tandis que les entrepreneurs chargés du défrichement se plaignent
de ne plus pouvoir travailler. Pour tous les défenseurs du projet, le travail est toujours
présenté comme l’argument indiscutable. Mais qu’entendez-vous par « bosser » ? Est-ce
avoir une activité qui répond à un besoin ressenti et formulé par une collectivité ? Ou
bien un travail à fournir contre un salaire pour une entreprise qui calcule pouvoir
gagner plus d’argent qu’elle en aura dépensé pour l’acquérir ? De leur côté, les occupants
de la Marquise sont très actifs puisqu’ils ont non seulement protégé le bois des
Avenières de l’appétit des puissants, mais aussi organisé des débats, des rencontres, des
concerts ou encore créé des blogs, écrit des textes et des communiqués et construit des
barricades et des cabanes. On ne peut donc pas dénoncer leur paresse ! Mais peut-être
était-ce le fait que leurs activités n’aient pas de contrepartie pécuniaire qui dérange
certains d’entre vous – remettant en question cette valeur indiscutable qu’est le travail
rémunéré ? Il s’agirait ainsi pour vous de défendre l’activité rémunérée le (travail et le
http://zadroybon.noblogs.org/post/2015/02/09/communique-du-09-fevrier-2015-special-open-
barrikad/
49 Manuel Valls avait déclaré à Villeneuve-le-Comte, jeudi 11 décembre 2014, lors de l’ouverture du
chantier de « Villages nature » : « Il n’est pas acceptable que certains projets (…) puissent être pris en
otage par des opposants dont certains utilisent la violence pour se faire entendre, qui ne
respectent pas le choix légitime qui est celui des élus ». Cette déclaration a été faite 12 jours avant que
le Tribunal administratif ne reconnaisse le bien-fondé du recours au titre de la loi sur l’eau remettant en
cause l’arrêté du préfet qui autorisait le début du chantier.
48
17salariat) qui répond exclusivement aux besoins de l’économie marchande. Et puisqu’il
vous paraît inconcevable que les occupants de la Maquizad puissent survivre sans
vendre leur force de travail, les rumeurs les plus incroyables ont fusé.
On peut lire sur le net que ces « zadistes » profitent du système car ils toucheraient le
RSA. Il y a probablement des occupants qui touchent le RSA. Le RSA est accordé par
l’État aussi pour maintenir la paix sociale dans la mesure où l’économie capitaliste
détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée dans sa course folle à l’innovation et à la
concurrence. Mais Pierre & Vacances aussi profite indirectement de ce RSA, puisque la
société propose des emplois de 9 heures par semaine seulement, ce qui obligera le
Conseil général, pour soutenir celles et ceux qui perçoivent un salaire mensuel aussi bas,
à verser un complément pour atteindre le revenu garanti par le droit au RSA.
Parmi les rumeurs des plus extravagantes, il y a celle qui consiste à faire croire que la
FRAPNA et les Verts rémunèrent les zadistes de Roybon à hauteur de 90 euros par jour
pour occuper le site. Le Canard enchaîné a mené son enquête et parvient à découvrir que
certains élus entretiennent cette rumeur. Pour Serge Perraud le Front de gauche
participerait peut-être aussi à cette rémunération. Tandis que Jean-Pierre Barbier nous
dit : « Effectivement, on peut se poser la question de savoir qui les finance, parce
qu’ils ont des moyens de subsistance. C’est une mouvance très organisée, avec des
ordinateurs. » 50
Le bois des Avenières était pour moi jusque-là un endroit où j’aimais simplement me
promener ou encore méditer. Henry David Thoreau, l’auteur de La Désobéissance civile
disait dans un autre texte La Vie sans principe 51 : « Si un homme marche dans la forêt
par amour pour elle la moitié du jour, il risque fort d’être considéré comme un
tire-au-flanc ; mais s’il passe toute sa journée à spéculer, à raser cette forêt et à
rendre la terre chauve avant l’heure, on le tiendra pour un citoyen industrieux et
entreprenant
».
Apparemment les choses n’ont pas beaucoup évolué depuis ce constat. Bien au
contraire l’homme moderne brille aujourd’hui davantage en participant activement à
modeler les choses et le monde en décrochant des records ; la compétition et
l’économisme ont beaucoup en commun. Nos contemporains reçoivent les honneurs
lorsqu’ils conquièrent et participent à des exploits et des aventures contrairement à
ceux qui contemplent et méditent. Le merveilleux des lutins et des hamadryades 52
résulte bien modeste face à notre époque blasée et revenue de ces puérilités.
Les bois et les forêts étaient des lieux magiques où l’imaginaire régnait. Il n’y a encore
pas très longtemps, ils représentaient un refuge, un asile, un repaire où la poésie
trouvait encore sa place, loin des excès de notre monde si agité. La forêt restait un lieu
Cf. l’article du Professeur Canardeau « Les zadistes sont pleins aux as ! » publié dans le Canard
enchaîné du 11 février 2015.
51 Paru pour la première fois dans la revue Atlantic Monthly n°12, en 1863.
52 Dans la mytologie grecque, une hamadryades est une nymphe des bois identifiée à un arbre qu’elle était
censée habiter, naissant et mourant avec lui. (définition du Nouveau Petit Robert)

non chosifié et quantifié par les obsessionnels de la rentabilité et du développement. Et
lorsque je me trouvais dans le bois des Avenières, je n’étais pas dans le bois de la
Marquise, même si j’adorais aussi m’y promener. J’essaie de vous faire comprendre
pourquoi un hectare de forêt ici ou là ne sont pas équivalents…
Il y a 150 ans, Thoreau espérait faire prendre conscience à ses contemporains que la
valeur d’une chose n’est pas l’équivalent de l’argent qu’on peut en retirer sur le marché.
Depuis, l’argent et la marchandisation ont colonisé 53 presque toute l’activité humaine, et
celui ou celle qui cherche à gagner cet argent se tamponne totalement des conséquences
sociales et environnementales ; d’autant plus que les lois sont bien plus conciliantes avec
les préoccupations pécuniaires immédiates : la société demeure une société capitaliste
avant tout ! Savez-vous que monsieur Brémond a réussi à obtenir de ses relations au
Parlement des décrets qui lui sont favorables, décrets baptisés dans les couloirs de
l’assemblée « les amendements Brémond » 54 ? Ainsi, les investisseurs ont-ils pu
bénéficier de la loi Perissol de 1996 à 1999, de la loi Demessine jusqu’en janvier 2011 et
de la loi Censi-Bouvard – qui devait être abandonnée fin 2012 et que Jérôme Cahuzac,
alors ministre de l’Économie et des finances, a prolongé de quatre ans, sur les conseils
de Gérard Brémond.
Conclusions

Le développement industriel a totalement bouleversé le monde. L’eau, l’air, la terre et la
vie ont continué, malgré toutes les « précautions » qui ont été prises, à être empoisonnés
au nom de la liberté d’entreprendre.
Nous sommes contemporains de l’effondrement du marché du travail et de la généralisation
d’une économie informelle basée sur une haute valeur ajoutée (électronique, finance,
armement, énergies…) dont sera exclue – ici comme dans le monde entier – une grande
partie des travailleurs non qualifiés. À ces hommes « en trop » sont proposés (au plus) des
emplois de merde, un peu à la façon dont on jetait naguère des verroteries aux « sauvages ».
Pensez-vous vraiment que les travaux d’infrastructures industrielles et d’aménagements de
territoires forestiers réduiront le chômage ? Une population qui garde les yeux rivés sur la
Le président du comité « Vivre en Chambaran », Christian Luciani, évoquait dans un appel à une
réunion du 3 février visant à ne pas laisser le champ libre aux opposants que les défenseurs du projet « ne
laisseront pas ces marginaux coloniser [leur] territoire ». Le sens que l’on donne aux mots permet
dans un conflit de désamorcer et de détourner les idées de l’adversaire. Ici comme lorsqu’ils drapent la
statue de la liberté du slogan « Libérer mon village », les défenseurs du projet se présentent comme
étant les victimes d’une occupation colonisatrice. Mais une colonisation s’opère toujours dans un but de
profit, de domination et avec une préoccupation mercantile sous un prétexte idéologique que les colonisés
admettront comme vérité. L’habit de colon est bien trop grand pour « ces marginaux » mais va par contre
comme un gant à la société Pierre & Vacances qui s’est appropriée 200 ha de forêt et compte exploiter une
main d’œuvre corvéable à merci sous prétexte de créer des emplois…
54 Cf. article paru dans le journal Les Echos du 1/02/2007
http://archives.lesechos.fr/archives/2007/Enjeux/00232-041-ENJ.htm?texte=Bremond
53
1courbe du chômage abdique son libre-arbitre.
Parmi les jeunes opposants au Center parcs, beaucoup sont diplômés et refusent de faire
carrière : malgré les emplois bien payés qu’on leur propose, ils font le choix conscient de ne
pas participer – via le travail – à des rapports sociaux hantés par le chantage permanent et la
destruction de ce qui donne du goût à la vie. Les jeunes « zadistes » ont la seule prétention
de savoir regarder ce qui se passe et de vouloir avec la folle générosité de leur jeunesse : la
fuite en avant suicidaire de la compétition économique.
Les 700 emplois ne sont qu’une manière pour Pierre & Vacances d’avoir le soutien des
élus et les aides financières. Pierre & Vacances s’est installé à Roybon parce que le
président du Conseil général Vallini s’était engagé à mettre la plus grosse somme
d’argent sur la table (30 millions d’euros au départ : 15 du Conseil général plus 15 de la
Région que Queyranne, le président de la Région a ensuite réduit à 7 millions) 55 . Il a
proposé d’acheter le terrain à 0,10 euro/m 2 pour généreusement en donner 0,30
euro/m 2 ensuite. Les conditions de travail dans les Center Parcs sont ignobles ; les
témoignages ne manquent pas. Les engagements environnementalistes de Pierre &
Vacances sont du même niveau qualitatif que les emplois proposés. Alors que l’avis
défavorable de la commission d’enquête au titre de la loi sur l’eau était sans équivoque,
l’arrêté du Préfet autorise le début des travaux : d’un bout à l’autre, toute cette affaire
repose sur la fraude, l’escroquerie, et le passage en force.
Et maintenant, allez-vous rester sourds et aveugles vis-à-vis de la violence de ces nervis
qui œuvrent pour Pierre & Vacances satisfait de voir que certains exécutent de basses
œuvres pour soutenir son projet. Les gros bras ne liront probablement pas ces quelques
lignes qui suivent. Alors, à vous qui me lisez, je dis que l’expression même de la passion
mauvaise à coup de bouteilles incendiaires et de poêle à frire 56 indique que tous nos
arguments contre le projet de Center Parcs ont porté :
Ne supportant pas que les leurs soient réduits à peu de choses, et ayant perdu leur
capacité à se rebeller contre les conditions d’existence qui leur sont faites, les nervis
vont à ce qui leur semble le plus facile : aller casser du zadiste ou assimilé en bande de
mecs (comme d’autres, il n’y a pas si longtemps, allaient casser du « bougnoule »).
Certes les pompiers, maire et gendarmes et autres détenteurs de l’autorité leur laissent
pour le moment pratiquer leur terrorisme de proximité, mais qu’ils ne croient pas que
Cf. article du Dauphiné Libéré paru dans l’édition 38B du 17/06/2009
http://chambarans.unblog.fr/2009/06/29/chambarans-center-parc-les-collectivites-paieront-
davantage/
et article paru dans l’édition 38H du 20/06/2009
http://chambarans.unblog.fr/2009/06/29/le-soutien-au-projet-de-center-parc-de-roybon-divise-la-
majorite-regionale/
56 Lors d’une agression, un occupant s’est pris un coup de poêle à frire sur sa figure qui lui a fait perdre connaissance.
55
cette impunité durera toujours. Rien de plus facile que de tuer ou de blesser gravement
quelqu’un, même quand on ne l’a pas forcément voulu. Et si cela arrivait, ils finiraient en
taule car l’instrumentalisation du ressentiment des hommes se conclut toujours par le
sacrifice des exécuteurs des sales besognes, vaincus et cocus de l’histoire.
Sont-ils vraiment prêts à tuer quelqu’un pour gagner le droit de récurer des chiottes à
319 euros par mois ?
À bon entendeur, salut !
Henri Mora, le 15 février 2015
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