Vernissage d’une antiquité : le « défaitisme révolutionnaire »

note du laboratoire,une explication pour les lectrices et lecteurs du blog le laboratoire : une discussion et peut être un débat ici dans la Drôme pour que la discussion continue face au discours de la bande complotiste( soral and co) et à un autre niveau en approfondissant nos divergences face à la lecture des crises contenues dans le livre » à nos amis » (édition la fabrique)et avec aussi « crises » de Léon de Matis ( édition entremonde) .Face à la situation de l’état d’urgence qui continuera jusqu’en février2016 et les attaques contre les précaires,chômeuses chômeurs,…. .

voici ce texte de la revue temps critique reçu par mail bien avant les débats au laboratoire du 4/12 ou du 11/12 2015.

1 À propos des atta­ques isla­mis­tes de Paris, nous avons reçu un tract1 qui passe une couche de vernis sur une ancienne posi­tion de la gauche com­mu­niste deve­nue aujourd’hui une anti­quité : le défai­tisme révolu­tion­naire.

Premièrement, le tract est marqué par son inca­pa­cité à reconnaître ce qui est nou­veau

2 D’après lui, nous serions dans un système capi­ta­liste mon­dia­lisé. On peut donc sup­po­ser, sans pour cela perdre du temps à s’inter­ro­ger sur la vali­dité de la notion (kauts­kienne je crois) de « super-impéria­lisme », que les sou­ve­rai­netés natio­na­les ont aujourd’hui peu de poids face à l’imbri­ca­tion des différentes frac­tions du capi­tal dans ce que nous appe­lons, à Temps cri­ti­ques, le « capi­ta­lisme du sommet » (cf. no 15). Le tract devrait donc en tirer toutes les conclu­sions pos­si­bles. Au lieu de cela, le texte nous dit qu’en fait la situa­tion de guerre est engendrée par des puis­san­ces visant à la défense de leur pré carré ! Cela sup­pose de main­te­nir une vision tra­di­tion­nelle des luttes anti-impéria­lis­tes comme si on en était encore à l’époque colo­niale ou même post­co­lo­niale des années 1960-1980. Or le mou­ve­ment mon­dial de glo­ba­li­sa­tion a déplacé la ques­tion ancienne de la pos­ses­sion colo­niale ou de la domi­na­tion néoco­lo­niale avec maîtrise des ter­ri­toi­res vers celle du contrôle des flux par le biais de poli­ti­ques financières et de mises en réseaux clientélistes. Pour ne pren­dre qu’un exem­ple, il ne s’agit pas tant de s’appro­prier le gaz ou le pétrole moyen orien­tal que de garder les robi­nets de dis­tri­bu­tion ouverts afin qu’il n’y ait pas de risque de rup­ture d’appro­vi­sion­ne­ment pour l’ensem­ble des pays consom­ma­teurs de la com­mu­nauté inter­na­tio­nale. Seuls les quel­ques pays soumis à embargo sont tenus à l’écart de ce consen­sus.

3 Cet objec­tif inter­na­tio­na­lisé même s’il est cha­peauté par la puis­sance domi­nante, c’est-à-dire les États-Unis, change tout du point de vue stratégique. La sta­bi­lité d’un ordre mon­dial est pri­mor­diale pour garan­tir cette flui­dité du capi­tal et la cir­cu­la­tion des res­sour­ces énergétiques ou des matières premières. Les stratégies ne sont donc plus dictées essen­tiel­le­ment par des efforts de désta­bi­li­sa­tion de « l’autre camp » comme dans les sou­bre­sauts de l’après-guerre froide ; ou pour s’appro­prier des parts de gâteau dans une situa­tion de guerre écono­mi­que sau­vage2. Si on ne tient pas compte de ce nouvel ordre mon­dial, forcément ins­ta­ble dans cer­tai­nes zones, alors pour­quoi parler en termes de mon­dia­li­sa­tion comme le fait le tract ? Il n’y aurait rien de nou­veau alors depuis 1945 !? C’est faire fi de toutes les réunions inter­na­tio­na­les inces­san­tes, qu’elles soient de type com­mer­cia­les, cli­ma­ti­ques ou poli­ti­ques.

4 Qui peut penser, comme le sou­tient par exem­ple le tract, qu’El Assad veut dévelop­per son « capi­tal natio­nal » ? que Daech dont les anten­nes s’éten­dent, paraît-il, dans trente pays vise­rait à dévelop­per son capi­tal natio­nal ? Et les tali­bans aussi, c’était ça aussi leur objec­tif en trans­for­mant Kaboul en un vil­lage du Moyen Âge ?

5 Cette incohérence ne permet pas de com­pren­dre une double contra­dic­tion du capi­tal. L’une au niveau stratégique de l’hyper-capi­ta­lisme du sommet entre d’un côté la ten­dance domi­nante à la mon­dia­li­sa­tion et donc à la crise des États sous leur forme d’État-nation et de l’autre la résur­gence de poli­ti­ques de puis­sance aussi diver­ses que celles menées récem­ment par le Japon, la Russie et l’Iran. L’autre au niveau de la ges­tion encore en grande partie natio­nale d’une situa­tion où coexis­tent de façon conflic­tuelle, d’un côté une crois­sance de flux humains (migrants et réfugiés) parallèle à celle des flux finan­ciers ou de mar­chan­di­ses et de l’autre une ten­dance pro­tec­tion­niste et sou­ve­rai­niste-iden­ti­taire.

Deuxièmement, la guerre est conçue dans des termes anciens

6 Cela découle de ce qui précède. Pour l’auteur du tract, la guerre ne peut être qu’une guerre entre États dans laquelle les gros man­ge­ront les petits puis­que les luttes de libération natio­nale qui avaient semblé inver­ser cette ten­dance ne sont plus vrai­ment d’actua­lité lais­sant place à une désagrégation des différents blocs issus de la Seconde Guerre mon­diale puis de la Guerre froide. Pourtant ce qui caractérise les actions mili­tai­res depuis 2001, pour nous donc des opérations de police (cf. note 1) c’est ce qui a été théorisé par les experts en stratégie mili­taire, comme des guer­res asymétri­ques ou dissymétri­ques, ce qui change la donne et pour tout le monde. Du côté des puis­san­ces et du pou­voir la désigna­tion des enne­mis n’est plus claire ; l’ennemi est-il encore extérieur ou en partie intérieur ? Le poli­ti­que3 retrouve ici sa dimen­sion incontour­na­ble par rap­port à la dimen­sion mili­taire et au rap­port de force brut. C’est aussi pour cela que la posi­tion de faci­lité à court terme pour l’État apparaît comme celle du tout sécuri­taire.

7 Mais de « notre côté » les choses ne sont pas plus clai­res. S’oppo­ser direc­te­ment à la guerre comme ce fut le cas encore pour le Vietnam alors que la cons­crip­tion exis­tait tou­jours n’était déjà plus qu’une pos­si­bi­lité indi­recte au moment de l’inter­ven­tion en Irak de forces opération­nel­les spéciales. Cette pos­si­bi­lité est main­te­nant deve­nue très problémati­que dans une confi­gu­ra­tion où s’affron­tent pro­fes­sion­nels tech­no­lo­gisés et dronés d’une part, com­bat­tants fana­tisés (et bien armés aussi), d’autre part. Les « lois de la guerre » ne sont d’ailleurs plus res­pectées ni par les uns ni par les autres. En conséquence, pra­ti­quer le « défai­tisme révolu­tion­naire » s’avère sans objet ; et se réfugier dans un refus de l’unité natio­nale comme si c’était l’objet du problème et par ailleurs comme si cela pou­vait avoir un quel­conque effet pra­ti­que, relève du slogan qui devient gran­di­lo­quent et même ridi­cule quand il nous promet, dans le cas contraire, une mort pro­grammée (le catas­tro­phisme encore et tou­jours).

Troisièmement, il est marqué par sa confu­sion entre capi­tal et capi­ta­lisme

8 Pour l’auteur tout est capi­ta­liste et donc les États et même le « proto-État » Daech4 sont des États capi­ta­lis­tes. Il s’ensuit, entre autres, qu’aucune ana­lyse fine des par­ti­cu­la­rités de Daech ou d’Al-Qaïda n’est pos­si­ble puis­que le tract néglige complètement le fait que ces orga­ni­sa­tions prospèrent sur le tri­ba­lisme et non pas sur le capi­ta­lisme (ça n’empêche certes pas la valeur de cir­cu­ler) et qui plus est sur un tri­ba­lisme reli­gieux, le tri­ba­lisme sun­nite en conflit ouvert avec un chiisme plus cen­tra­lisé et ins­ti­tu­tion­na­lisé sur le modèle ira­nien. Le même phénomène se retrouve en Libye où la mort de Kadhafi a libéré la lutte cla­ni­que. Cet écla­te­ment des guérillas peut même être l’objet d’une vérita­ble stratégie comme celle des « fran­chi­ses » d’Al-Qaïda, réplique mili­taire des fran­chisés com­mer­ciaux occi­den­taux. Cette orga­ni­sa­tion à l’hori­zon­tale se rap­pro­chant aussi de cer­tai­nes orga­ni­sa­tions mafieu­ses comme à Naples, ce qui rend « la traque » plus dif­fi­cile.

9 Si elle revêt par­fois des formes anti-capi­ta­lis­tes ou anti-impéria­lis­tes, cette guerre de guérilla est avant tout appuyée sur trois axes, le pre­mier reli­gieux qui oppose révélation à raison est très éloigné des formes reli­gieu­ses de l’islam intégré des pays occi­den­taux, le second fami­lial et patriar­cal en concor­dance plus étroite avec les piliers de l’Islam et enfin le troisième de type mafieux repo­sant sur l’acca­pa­re­ment de la rente, le pillage et le com­merce illégal y com­pris l’escla­vage. Il est donc inap­pro­prié de trai­ter de capi­ta­lis­tes des orga­ni­sa­tions comme Daech et Al-Qaïda alors que leur orga­ni­sa­tion et leurs pers­pec­ti­ves sont toutes autres. Il est aussi erroné de les trai­ter de fas­cis­tes comme le font sou­vent les liber­tai­res et les gau­chis­tes parce que le fas­cisme est un sous-pro­duit du socia­lisme et du natio­na­lisme alors que ces orga­ni­sa­tions n’ont jus­te­ment pas de visées natio­na­les ; elles sont même direc­te­ment mon­dia­les et s’adres­sent à une com­mu­nauté des croyants poten­tiel­le­ment sans limi­tes. Ce sont donc bien ces orga­ni­sa­tions et pas celles de la gauche radi­cale qui ont dépassé en pra­ti­que le cadre de référence de la nation même si ce n’est pas dans la pers­pec­tive de la com­mu­nauté humaine, mais dans celle aliénée de la com­mu­nauté reli­gieuse. C’est par­ti­culièrement vrai pour Al-Qaïda et si Daech présente au départ une option plus ter­ri­to­ria­lisée avec le projet de Califat5, il semble que son orien­ta­tion récente rejoi­gne celle de l’orga­ni­sa­tion concur­rente. Au rebours de ce que prétend le tract, on peut même dire que ces orga­ni­sa­tions sont le fruit de la défaite des pou­voirs natio­naux-socia­lis­tes nassériens, baa­sis­tes et kadha­fis­tes dans la région.

Quatrièmement, sa pers­pec­tive est d’ori­gine his­to­ri­que décaden­tiste (mais dra­peau dans la poche en quel­que sorte).

10 Une phrase en est emblémati­que : « la guerre rode par­tout sur l’ensem­ble de cette planète vivant une vérita­ble agonie ». À la limite, on peut dire que les dji­ha­dis­tes sont plus clair­voyants qui s’atta­quent au capi­ta­lisme et par­ti­culièrement à une société capi­ta­liste pour­voyeuse de plai­sirs et fonc­tion­nant sur un modèle hédoniste adopté par toutes les cou­ches de la popu­la­tion y com­pris les plus défavo­risées. En effet, les lieux choi­sis ne tien­nent pas du hasard. Les lieux de diver­tis­se­ment spor­tifs, musi­caux, bars ou res­tau­rants à la mode ont été taxés de lieux « d’abo­mi­na­tions et de per­ver­sion » par le com­mu­niqué de reven­di­ca­tion des atten­tats par l’EI du 14/11/2015. La crise avec un grand C n’est donc pas encore là quoiqu’en pense ou sou­haite le tract. Les dif­fi­cultés actuel­les à repro­duire les rap­ports sociaux dans leur ensem­ble, n’empêchent pas la pour­suite d’une dyna­mi­que de capi­ta­li­sa­tion dont l’un des axes est cons­titué par le consumérisme, festif de préférence.

11 C’est mal­heu­reu­se­ment une tra­di­tion, dans l’ultra-gauche, que de réacti­ver cette ten­dance décaden­tiste qui voit du mortifère et de la misère par­tout, mais aujourd’hui cela s’effec­tue sous une forme radi­ca­lisée catas­tro­phiste bien rendue par la phrase : « ces atten­tats dont ceux de Paris ne sont qu’un hors d’œuvre ». Qui écrit cela frôle le cynisme et sur­tout pra­ti­que la poli­ti­que du pire parce qu’il n’a pas de solu­tion de rechange. Noircir le tableau est le signe d’une désespérance du cou­rant com­mu­niste radi­cal.

Cinquièmement, le spec­tre du prolétariat rem­place la lutte des clas­ses

12 Tout d’abord la classe ouvrière est définie comme la classe « anti­na­tio­nale par défini­tion ». On se demande bien qui a pu établir cette défini­tion. Le Larousse ? Non. Marx ? Oui, mais avec plu­sieurs bémols. Tout d’abord Marx n’est qu’un théori­cien-mili­tant à l’épreuve de la pra­ti­que et on connaît aujourd’hui la pra­ti­que qui a mis à mal ce qui devait être l’inter­na­tio­na­lisme prolétarien resté tou­jours très mino­ri­taire au sein de la classe ouvrière. Ensuite la phrase du Manifeste adorée comme une Bible pour croyant est une phrase tronquée dont le contenu com­plet est moins clair ou uni­vo­que. Je cite : « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur ôter ce qu’ils n’ont pas… Comme le prolétariat de chaque pays doit d’abord conquérir le pou­voir poli­ti­que, s’ériger en classe diri­geante de la nation, deve­nir lui-même la nation [c’est nous qui sou­li­gnons], il est encore par là natio­nal ; mais ce n’est pas au sens bour­geois du mot6 ». Certes, Marx est encore à l’époque, imprégné de démocra­tisme révolu­tion­naire (deuxième partie de la cita­tion) et sa pers­pec­tive com­mu­niste reste loin­taine même si elle est affirmée en tête de cita­tion. C’est bien pour cela qu’il ne s’avance pas trop sur le caractère « anti­na­tio­nal » du prolétariat. Il se lais­sera même par­fois aller à un cer­tain pan­ger­ma­nisme comme, par exem­ple, dans son oppo­si­tion au sla­visme de Bakounine ou dans ses prises de posi­tion au début de la guerre franco-alle­mande avant de com­pren­dre l’impor­tance de la Commune de Paris. En tout cas, s’il cède par­fois à un essen­tia­lisme du prolétariat parce qu’il le pense déposi­taire final de l’uni­ver­sa­lisme bour­geois (c’est sa posi­tion dans les œuvres de jeu­nesse7), il sait aussi com­bien la classe ouvrière est une classe déterminée par ses condi­tions (c’est sa posi­tion à partir des Grundrisse). Alors pour­quoi repren­dre cela dans un tract répon­dant à un événement actuel ? La situa­tion serait-elle plus favo­ra­ble à l’expres­sion de ce côté uni­ver­sel qu’au côté par­ti­cu­la­riste ? On aime­rait bien mais on en doute. Le tract lui-même en doute quand il espère « le réveil du prolétariat inter­na­tio­nal » sans se poser la ques­tion du pour­quoi de son grand som­meil et sans se deman­der com­ment les tirs de kalach­ni­kovs au Bataclan son­ne­raient ce réveil.

13 Ce qui est patent, mais bien évidem­ment dur à reconnaître pour les cou­rants com­mu­nis­tes radi­caux, c’est que ce genre d’événements nous met tout sim­ple­ment hors-jeu et on peut dire celui de novem­bre bien plus encore que ceux de jan­vier. Dans cette situa­tion que nous subis­sons au plus haut point, toute posi­tion « pro­gram­ma­ti­que », sous condi­tion même qu’elle puisse être fondée en prin­cipe, s’avère arti­fi­cielle et velléitaire. Pour éviter qu’elle appa­raisse trop décalée il faut alors se replier sur une posi­tion du type de celle prise par Erri de Luca8.

14 Cette inter­ven­tion d’Erri de Luca est en effet cohérente avec son actuelle posi­tion démocrate et « antifa ». Il pro­pose l’orga­ni­sa­tion d’une défense citoyenne sur le modèle de ce qui se fai­sait dans les quar­tiers de l’Italie des années 1970 pour neu­tra­li­ser les fas­cis­tes, même s’il s’agit cette fois de neu­tra­li­ser les ter­ro­ris­tes et ainsi d’éviter ce qu’il nomme un risque de « mili­ta­ri­sa­tion » exces­sive de l’État et donc sa droi­ti­sa­tion extrême. Les dis­po­si­tifs stratégiques imaginés par l’ancien diri­geant du ser­vice d’ordre de Lotta conti­nua refont sur­face mais conver­tis pour un usage citoyen dans l’État de Droit de façon à nous sauver de l’État d’excep­tion expérimenté un temps par l’État ita­lien au cours des « années de plomb9 ». Sans par­ta­ger ce propos, le réduire à un appel à la délation auprès de la police, comme le font déjà cer­tains, est un réflexe révolu­tio­na­riste qui pense que la dénon­cia­tion est bien supérieure à la délation mais sans rien pro­po­ser d’autre qu’un mot d’ordre abs­trait qui présup­pose une guerre (de classe ?) entre deux enne­mis, d’une part un État-poli­cier et d’autre part des « révolu­tion­nai­res » qui le com­bat­tent. Où trou­ve­rait-on un collégien, même intoxiqué par le NPA, pour croire à cette fic­tion ?

15 Pour conclure et répondre indi­rec­te­ment à une inter­ven­tion d’un cama­rade à propos de Jaurès et du patrio­tisme, nous joi­gnons ci-des­sous des extraits d’une lettre adressée à quel­ques cama­ra­des dans le cadre des dis­cus­sions préparant notre texte10 sur les événements de jan­vier.

La phrase de Renan (« L’oubli, et je dirai même l’erreur his­to­ri­que, sont un fac­teur essen­tiel de la création de la nation ») date d’une conférence de 1882 et ton énoncé n’est d’ailleurs pas com­plet. Il convient pour­tant de lire toute la phrase puis­que Renan ajoute à l’oubli, l’erreur his­to­ri­que (c’est-à-dire fina­le­ment la nécessité d’une réécri­ture qui fasse une « his­toire »). Une cita­tion donc très Troisième Républi­que et une défini­tion fort éloignée de celle de Sieyès (« la nation c’est l’asso­cia­tion ») et autres révolu­tion­nai­res de 1789. Une défini­tion qui s’expli­que par la volonté de fonder en théorie une concep­tion de la nation qui puisse être reconnue par tous, du bour­geois jusqu’à l’ouvrier, du républi­cain jusqu’au roya­liste. Le patrio­tisme ori­gi­nel, par exem­ple de « l’armée révolu­tion­naire », se trans­for­mera alors pro­gres­si­ve­ment en reli­gion de la patrie.

Les propos a-his­to­ri­ques que profèrent les « anti-nation » de prin­cipe et par­ti­culièrement ceux venus de l’ultra-gauche ou de l’anar­chie, méconnais­sent et c’est un peu éton­nant, le fait qu’au moins jusqu’à la Commune de Paris, nation et patrie étaient des notions révolu­tion­nai­res puis inter­na­tio­na­lis­tes jusque dans la Première Internationale et que l’Église, la noblesse, les fran­ges conser­va­tri­ces de la bour­geoi­sie ne s’en reven­di­quaient pas, bien au contraire. On sait que la Révolu­tion française a com­battu « le parti de l’étran­ger », mais qu’elle a accueilli comme français tous les volon­tai­res étran­gers dans ses légions, ancêtres des bri­ga­des inter­na­tio­na­les de 1936, les sta­li­niens en moins.

Plutôt que de résumer ici des posi­tions his­to­ri­ques de marxis­tes sur la nation pour en mon­trer les limi­tes ou les ambiguïtés (Marx et sa cita­tion tronquée du Manifeste, Bauer et la nation comme com­mu­nauté de destin que le socia­lisme ne « dépas­sera » pas plus d’un cla­que­ment de doigts qu’il ne « dépas­sera » la reli­gion, Strasser, Pannekoek et leur déter­mi­nisme mécaniste, etc.) nous ren­voyons aux 100 premières pages du no 33-34-35 de la revue Ni patrie ni frontières d’Yves Coleman sur « Les pièges de l’iden­tité natio­nale ». On doit pou­voir le com­man­der ou le lire direc­te­ment sur le site de NPNF et « mon­dia­lisme.org11 ».▪

Temps cri­ti­ques, le 19 novem­bre 2015

Notes avant de lire les notes de bas de page se reporter au texte paru de temps critique

1 – http://matie­re­vo­lu­tion.org/IMG/pdf/-58.pdf

2 – Des sta­tis­ti­ques mon­tre­raient que les États-Unis sont inter­ve­nus en Irak et la France en Libye alors que ces deux pays ne sont pas leurs four­nis­seurs essen­tiels. Ce n’est pas pour rien que dans notre no 3 de Temps cri­ti­ques nous avons désigné la première inter­ven­tion en Irak comme étant une opération de police inter­na­tio­nale et non pas une nou­velle offen­sive de l’impéria­lisme américain. Pour plus de dévelop­pe­ments on peut se repor­ter aussi à nos deux textes : « L’unité guerre-paix dans le pro­ces­sus de tota­li­sa­tion du capi­tal » in Anthologie de Temps cri­ti­ques, vol. III : Violences et glo­ba­li­sa­tion, p. 9-50 et « Soubresauts », ibid., p. 304-332. Ces deux textes sont dis­po­ni­bles sur notre site.

3 – D’où au niveau théorique, le retour en grâce des théories de Carl Schmitt sur l’état d’excep­tion per­ma­nent et leur mise en pra­ti­que par exem­ple dans le Patriot act de 2001 et peut être dans les pro­jets de réforme cons­ti­tu­tion­nelle du gou­ver­ne­ment français en cette fin 2015.

4 – Cf. L’arti­cle de J. Guigou : « Al-Qaïda, un proto-État ? Confusions et méprises », Anthologie des textes de Temps cri­ti­ques, vol. III, p. 332-336. Texte dis­po­ni­ble ici :http://tempscritiques.free.fr/spip.php?article334

5 – Projet de Califat qui n’a pas de limi­tes ter­ri­to­ria­les puisqu’il existe par­tout où un groupe se récla­mant de lui mène ses acti­vités à visée des­po­ti­que (Sinaï, Libye, Nigeria, etc.)

6 – Karl Marx, Manifeste du Parti Communiste, Bourgois, 10/18, p. 43.

7 – C’est dans L’Idéologie alle­mande que Marx reprend, de Hegel, le concept de classe uni­ver­selle en essayant de dépasser l’anti­no­mie entre le fait qu’une classe est forcément une par­ti­cu­la­ri­sa­tion de la tota­lité, mais qu’en même temps cette classe n’a pas d’intérêt par­ti­cu­lier à faire valoir, d’où sa dimen­sion uni­ver­selle et dirions-nous, sa pers­pec­tive de révolu­tion à titre humain.

8 – cf. « Il faut lancer l’alerte au niveau zéro de la société » : www.libe­ra­tion.fr/france/2015/11/15/erri-de-luca-il-faut-lancer-l-alerte-au-niveau-zero-de-la-societe_1413478.

9 – Sur cette expérience de l’État d’urgence ita­lien des années 1970-1980, on peut se repor­ter au livre de Paolo Persichetti et Oreste Scalzone, La révolu­tion et l’État, Dagorno, 2000.

10 – http://temps­cri­ti­ques.free.fr/spip.php?arti­cle328

11 – http://www.mon­dia­lisme.org/spip.php?rubri­que117

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Documents joints

Vernissage d’une antiquité : le « défaitisme révolutionnaire »(3 feuilles A4 – 12 pages, PDF – 88 ko)