lu sur brèves du désordre
Sur l’action directe
Qu’est-ce que c’est l’action directe ? Ensemble avec d’autres ou seul, détruire, voler ou saboter des choses. Bloquer le train-train quotidien, attaquer l’infrastructure,… les possibilités vont jusqu’où va notre imagination. L’action directe, c’est donc cette infinité de moyens et de méthodes que nous pouvons utiliser pour exprimer ce qui est dans notre tête ou ce qui tape dans notre estomac. Nous pouvons l’utiliser pour souffler de la vie dans nos sentiment, nos pensées, nos idéaux, nos rêves. L’action directe nous enthousiasme parce que sa simplicité logique contraste violemment avec une société qui semble si complexe et où nous sommes facilement amenés à se sentir petits et impuissants. Nous regardons autour de nous, nous réfléchissons et nous tentons d’intervenir. Qu’est-ce qui se passe lorsque nous décidons d’agir de notre propre gré et de réagir contre quelque chose de petit ou de grand dans cette vie quotidienne qui insulte nos rêves ? Qui nous contrôle, nous rend malade ou nous détruit ? Alors, tout change. Alors change la façon dont nous vivons la vie et regardons ce qui nous entoure. Quand des ouvriers glissent une pièce de plastique dans la machine en sachant qu’ainsi, la chaîne s’arrête et qu’il faut au moins une journée pour la réparer, alors ils peuvent rentrer chez eux, alors à ce moment tout change. D’un côté, ceci montre que les patrons ne sont pas les seuls à pouvoir donner des coups, et qu’il dépend simplement de nous-mêmes de déterminer l’ordre du jour. De l’autre côté, la machinerie, qui d’une première vue semblait peut-être trop forte voire intouchable, est démasquée. Toute personne qui a les yeux ouverts peut alors voir que derrière les grondements intimidants des moteurs, il y a tout un ensemble d’engrenages, tangibles et vulnérables. Au-delà des murs de l’usine, c’est la même chose.
Je suis moi, et je fais ce que je veux
Bien sûr que cette société me laisse de l’espace pour protester. Si je ne suis pas d’accord avec quelque chose, on m’incite même à « faire entendre ma voix ». En rassemblant des signatures, en votant pour tel ou tel parti, en m’affiliant à un syndicat ou une association de jeunes. Le fil rouge entre ces moyens que m’offre amicalement l’Etat, est de dissoudre mon impulsion à agir sainement dans quelque chose plus grand que moi, réduisant souvent ma protestation à une signature ou une carte de membre. Presque subitement, le rapport entre moi-même et contre quoi (ou pour quoi) je me bats devient indirect et circonscrit. Vu que je dois prendre en compte l’organisation et son image, vu que je dois me tenir aux règles que je n’ai jamais décidées et qui existent clairement pour empêcher que la protestation devienne dangereuse, il devient alors impossible de changer ou remettre quelque chose en question fondamentalement. L’action directe flanque tous ces obstacles pénibles et me permet d’écrire ma propre histoire qui me met face-à-face avec mon objectif. Je décide moi-même sur ce que je veux faire et de quelle manière. Je fais des choix et j’en prends la responsabilité. J’entre donc sur un terrain où je détermine mes propres règles de jeu. Un terrain où je laisse derrière beaucoup de certitudes, en route vers une cohérence croissante entre ce que je pense et ce que je fais.
… et je veux ce que je fais.
Car ces deux choses me semblent intrinsèquement liées. Je crois fortement que l’action directe peut exprimer ce qu’on pense à travers ce qu’on fait, que certains actes peuvent parler d’eux-mêmes. Si je vois une prison et je suis conscient du fait de ne pas vouloir vivre dans un monde où existent de telles structures, je ne peux faire que ce qui porte déjà en soi ce rêve. Je peux tenter de bloquer, de saboter ou de détruire le fonctionnement des prisons. Je peux inviter d’autre à faire pareil. Je ne peux pas adresser un courrier à un ministre pour lui demander d’améliorer les conditions dans les prisons (dans le cas où il serait de très bonne humeur ce jour-là) ou de les abolir tout court. Faisant ainsi, je ne ferais que confirmer le pouvoir qu’ils détiennent (et surtout mon impuissance), je délègue mon choix et je me mets hors jeu. L’action directe peut me donner l’occasion pour découvrir ma propre force et l’utiliser. Aussi futile que peut sembler un geste, il aura toujours son sens dans l’affrontement entre mes idées et le monde que je veux changer, ici et maintenant, de manière directe et sans compromis.
[La Cavale, mai 2015]