lu sur le blog sous la cendre
L’agitation par le jardin
« A Moscou par exemple, nous devrions créer tout un réseau de jardins potagers sur une base communiste. Ce serait le meilleur moyen de faire de l’agitation parmi les gens, les gens qui sont par essence des anarchistes naturels ».
Lorsque Maria Nikiforova prononce ce discours au Congrès panrusse des anarchistes-communistes en décembre 1918, elle sort tout juste de la prison de Boutirki et est sous surveillance du pouvoir bolchévik qui se constitue. Les anarchistes cherchent alors par où faire repartir un processus révolutionnaire stoppé par les bolchéviks. Ce n’est pas pour rien que ressurgit ces idées de pratiques pour croiser les gens, tisser des liens, favoriser une certaine autonomie matérielle, et finalement pour essayer de maintenir un cap révolutionnaire dans une période où l’Etat reprend la main et les révolutionnaires de l’ordre sonnent la fin de la récré.
Maria Nikiforova est née en 1885 en Ukraine. Elle rejoint très jeune un groupe d’anarchistes-communistes, et prend part à diverses expropriations armées. En 1908, elle est arrêtée et condamnée à mort, peine commuée finalement en 20 ans de travaux forcés. Déportée en Sibérie après une tentative d’évasion, elle parvient à s’échapper. Elle rejoint le Japon, puis les Etats-Unis, et s’installe à Paris, lieu depuis lequel elle participe à au moins un braquage de banque à Barcelone avec des compagnons espagnols.
Elle s’engage dans l’armée pendant la Première guerre mondiale contre l’Allemagne, d’où elle apprend le début de la révolution en Russie au début 1917. Elle rentre immédiatement au pays et participe à l’agitation anarchiste-communiste appuyant le processus révolutionnaire, en visant la suppression du gouvernement et de la propriété privée, des prisons et des casernes, de l’argent, et le développement d’une fédération de communes libres. Concrètement, les compagnons diffusent des journaux et tissent des complicités, notamment avec les révolutionnaires de Kronstadt, exproprient les villas de notables pour développer des activités sociales (jardins d’enfant, bibliothèques…), et participent aux révoltes contre le gouvernement provisoire.
Elle rejoint ensuite l’Ukraine, où elle participe à la lutte contre les armées austro-allemandes et tsaristes, et contre les nationalistes. Elle est alors considérée comme une « héroïne de la révolution ». C’est là-bas qu’elle est arrêtée par les bolchéviks. Transférée à Moscou, elle sortira de prison sous caution, avec l’appui de révolutionnaires de tous bords. C’est à ce moment qu’elle tient ce discours sur les jardins potagers.
Il est évident que cette cheffe de guerre sous surveillance modère alors ses propos – par la suite, elle se lance avec d’autres compagnons dans une série d’attaques armées contre les bolchéviks et les tsaristes, ce qui la mènera à son exécution en septembre 1919. Pour autant, les pratiques de jardins collectifs, de squats, d’activités sociales diverses sur des bases révolutionnaires et antiautoritaires font écho avec ce que nous pouvons modestement expérimenter les uns, les unes et les autres aujourd’hui.
Pour en savoir plus : Maria Nikiforova. La révolution sans attendre, de Mila Cotlenko, Mutines séditions, 2014.