Fukushima : cogérer l’agonie

Il est indispensable dans ce sud est  de la france de  lutter pied à pied contre cette chaîne humaine du réseau  sortir du nucléaire qui avec l’aide des pouvoirs publics faite année après année . Cette année c’était à partir du 14 Mars au tricastin et à Marcoule ( 100 personnes étaient présentes.)

le texte de  Thierry Ribault  qui est à la table de presse antinucléaire du laboratoire anarchiste  il nous semble utile de reiayer ce texte ci dessous

Fukushima_nuclear
Fukushima : cogérer l’agonie  lu sur sous la cendre

En ce 11 mars 2015, quatre ans après l’inachevable désastre nucléaire de Fukushima, on  peut, bien  entendu, établir  un bilan officiel : 87 enfants  atteints  d’un  cancer  de  la thyroïde, 23 autres suspectés  de l’être, 120.000 «réfugiés», 50.000 liquidateurs mobilisés au  seuil  sacrificiel  dûment  relevé, des  piscines  remplies  de  combustibles  prêtes  à  nous exploser au nez, des rejets massifs et réguliers d’eau contaminée dans l’océan, pas moins de 30 millions de m3 de déchets radio actifs à stocker pour l’éternité.

Ce bilan existe. Nous vous y renvoyons.
L’État fait des habitants de Fukushima des cogestionnaires du désastre
Une fois ce «bilan» dressé, une fois les victimes et les inquiétudes considérées avec respect, il s’agit de tirer les conclusions qui s’imposent. L’une d’entre elles est la suivante : au fur et à mesure que se mettait en place l’aide fournie par des groupes citoyens, des ONG, des  structures  plus  ou  moins  indépendantes,  l’État faisait des  habitants  de  Fukushima, indéniablement  et  sous  couvert  de  «participation  citoyenne», des cogestionnaires du désastre. On pourra nous opposer que cet élan civique a relevé de la spontanéité, voire de l’amour du prochain, que l’État n’a donné aucun ordre allant dans ce sens, que chacun était, et reste, libre de «s’engager» dans de tels mouvements, certes ! Cependant, beaucoup des hommes et des femmes qui l’ont fait, même si c’est inconsciemment, ont fait le jeu de l’État.
Voilà ce que nous avons constaté.
La  plupart  de  ses  groupes  citoyens,  ces  ONG,  ces  structures  plus  ou  moins indépendantes  ont  appelé  les  habitants  à  s’équiper  de  dosimètres,  les  ont  aidé  à  s’en procurer  ou  à  s’en  fabriquer  sur  le  mode do‐it‐yourself,  les  ont  assistés  dans  la  tâche pharaonique  d’une  impossible  décontamination,  ont  réuni  des  fonds  aux  sommes  parfois colossales  pour  acheter  des  équipements  permettant  d’effectuer  des anthropogammamétries, y ont fait asseoir leurs congénères pour leur asséner des chiffres dont ils ne savaient que faire, ont élaboré des cartes des retombées radioactives au mètre près, ont ouvert des dispensaires dédiés à l’évaluation des doses reçues et au suivi sanitaire des populations. Ces «initiatives citoyennes» ont visé à rendre compte d’une réalité dont les protagonistes estimaient qu’elle était niée par les autorités. Ce faisant, plutôt que de les mener à «sauver leur vie», autrement dit prendre leurs jambes à leur cou (comme l’ont fait certaines  structures,  dans  le  Yamanashi  par  exemple,  aidant  les  gens  à  refaire  leur  vie ailleurs), la plupart d’entre elles ont aidé les gens à rester sur place, ce qui a fait le jeu d’un État  qui  n’avait  d’autre  objectif,  dès  le  début  des  évènements,  que  de maintenir  les populations en place. Ce faisant, plutôt que de remettre en question la thanato‐politique de folles sociétés humaines bâties sur le danger et le gouvernement par la mort, ces structures ont appris aux gens à vivre avec, attendu que les dosimètres créeraient le miracle.
De  Tchernobyl  à  Fukushima,  la  cogestion  a  fait  faire  un bond  qualitatif  à l’administration du désastre
: travaillant à la grande inversion du désastre en remède, elle a porté à un degré de perfection jamais atteint jusqu’à présent la responsabilisation de chacun dans sa propre destruction et la nationalisation du peuple qui la fonde.
Groupes indépendants… intégrés
Prenons  deux  exemples  qui  montrent  comment,  un  jour  ou  l’autre, ces  structures plus  ou  moins  indépendantes  l’ont  été  de  moins  en  moins  et  se  sont,  avec  plus  ou  moins d’état d’âme, ralliées aux structures étatiques.
Premier exemple : Ethos, programme développé en Biélorussie dans les années 1990 pour  «améliorer  les  conditions  de  vie  dans  les  zones  contaminées»,  soutenu  par  la commission  européenne,  dont  le  leader  était  notamment  directeur  du  CEPN, Centre d’études  sur  l’évaluation  de  la  protection  dans  le  domaine  nucléaire,  association  financée par EDF, le CEA, la Cogema et l’IRSN. Un clone de ce programme, Ethos in Fukushima, est né au Japon six mois après le 11 mars 2011, à l’initiative d’une ONG locale visant à soutenir le moral  des troupes  contaminées  à  travers  des  réunions  d’information  où  sont  prônées l’entraide entre les habitants et des mesures illusoires de protection contre la radioactivité. Le mot d’ordre de l’ONG, dont la foi, logiquement, renverse les montagnes, est : « Malgré tout, vivre ici,c’est merveilleux, et nous pouvons transmettre un avenir meilleur ». L’élève ayant rapidement dépassé le maître, cette initiative a fait l’objet d’une prise en main de la Commission Internationale de Protection Radiologique(CIPR), qui a mené à la mise en place de  «Dialogues».  Ces  séminaires  participatifs  ont  alors  rassemblé  des  élus,  des  experts scientifiques  et  des  groupes  de  citoyens  soucieux  de  «revitaliser»  les  zones  contaminées qui en avaient bien besoin, afin d’inculquer une «culture pratique radiologique» et d’aider chacun à «optimiser les doses».
Deuxième  exemple : Safecast, « réseau  global  de  capteurs  qui  recueille  et  partage des mesures de radiation afin d’habiliter les gens à gérer la situation grâce à des données relatives  à  leur  environnement.» Suite  à  leur  participation  à  une  conférence  de  l’AIEA  en février 2014 à Vienne, le leader de Safecast définit ses membres comme «des hackers, mais pas de ceux qui dévalisent les banques (sic), de ceux qui sont les moteurs de l’innovation», et  montre  clairement  le  cap,  considérant  «avoir modifié  avec  succès  les  présupposés qu’avait l’AIEA par rapport à ce que les groupes indépendants sont capables de faire (…) afin de fournir des sources alternatives d’information», se déclarant avec une fierté affligeante «certain que cela fera son chemin dans la prochaine révision des directives de réponse au désastre que prépare l’AIEA.» La déléguée norvégienne à l’AIEA, qui a saisi tout l’intérêt des «capteurs citoyens», a immédiatement vu en Safecast « des gens créatifs et innovants qui développent des solutions efficaces par eux‐mêmes, et en cas d’accident dans votre propre pays, vous serez bien contents d’avoir des gens comme eux. En fait, vous devriez même, dès maintenant, chercher des gens comme eux».
Se  félicitant  de  ce  que cette  déclaration  ait  été  suivie  d’applaudissements,  les responsables faussement naïfs de Safecast précisent : «Le consensus dans la salle a tourné (…), la CIPR nous a proposé de trouver des financements, le ministère de l’énergie américain veut  intégrer  nos  inputs  dans  leur  nouveau  système  d’information  d’urgence,  l’IRSN  veut que nous les aidions dans un de leurs projets, la Commission de régulation nucléaire discute avec nous pour voir comment faire au mieux pour intégrer la mesure citoyenne dans leurs plans de catastrophe ».
Les «capteurs‐citoyens » de Fukushima : des citoyens captifs
La cogestion des dégâts fonde le consensus : saluée par tous au nom de la nécessité à dépasser  la  situation,  elle  est irréversiblement  souhaitée  et s’inscrit dans  une  stratégie fondée  sur  cet  art  d’accommoder  les  restes  qu’est  la résilience.  Approche  prisée  des pronucléaires, elle s’intègre également, pour nombre d’antinucléaires, à une mise en œuvre de la participation citoyenne qu’ils appellent ‐ ne reculant devant aucun paradoxe ‐ de tous leurs vœux, achoppant alors de manière redoutable devant la remise en cause du recours à l’énergie nucléaire censée fonder leur lutte, et de la société industrielle qui rend ce recours indispensable. Au final, l’objet de la cogestion, au nom de la démocratie, est l’État lui‐même. En faisant de chacun un contre‐expert qu’il faut éduquer, informer, équiper, pour faire de lui un  mesureur  performant,  pour  qu’il  se  soumette  par  avance  à  l’autorité  scientifique  qui édictera les nouvelles normes nécessaires au bon fonctionnement de la machine sociale, la cogestion  s’affiche  pour  ce  qu’elle  est :  l’art  de  répandre  des métastases étatiques,  pour reprendre la limpide formule de Jaime Semprun et de René Riesel.
Certains sociologues du gyrophare, qui ne manquent jamais une occasion de louer les «lanceurs  d’alerte», ont  persisté  à  vanter les  mérites des  «réseaux  de  capteurs‐citoyens qui participent  à  la  construction  d’une  intelligence collective  instrumentée et confèrent une capacité active aux citoyens pour interpréter leur environnement, le capter et le mesurer et in fine agir sur lui». De la sorte, les alertologues se sont refusés à voir la réalitéde  ce  devant  quoi  ils  s’ébahissaient :  bien  des  «capteurs‐citoyens »  de  Fukushima étaient bel et bien devenus des citoyens captifs.
Cogérer, consentir, obéir
Cogérer les  dégâts  du  désastre  nucléaire aide  à  franchir  la  distance  qui  séparait  le terrible de  l’acquiescement  au  terrible.  Cogérer  les  dégâts  du  désastre  nucléaire  amène  à prendre  part  au  dispositif  permettant  de consentir  à  la  contamination,  à  apprendre  aux hommes à vivre dans de mauvaises conditions d’existence et à faire pénétrer celle‐ci dans la culture de masse. Cogérer les dégâts du désastre nucléaire, c’est s’inscrire dans le paradigme de l’ordre, non dans celui de la transformation. C’est accompagner l’agonie au quotidien des corps et celle, aussi grave, des esprits et de leur éventuelle pensée contraire. Passé maître dans l’art de mépriser ses adversaires que sont les individus conscients d’eux‐mêmes, l’État cogéré, désiré par tous, n’a plus que de faux ennemis dans la main desquels il a su glisser la sienne. L’identification  à  celui  que  l’on  craint  joue  ici  d’autant  plus  fortement  que  la cogestion tend vers l’autogestion, qui est au désastre nucléaire ce que l’autocritique fût au stalinisme : une technique d’intériorisation de la culpabilité et, ce faisant, de la domination, car la cogestion est une congestion de la liberté et du refus d’en être privé. Il s’agit alors de se  trouver  une  cause  commune  pour  éviter  de  s’affronter  à  son  propre  sauvetage  par  le refus. Or les causes communes abondent à Fukushima : tirer partie d’une expérience unique, apprendre à  faire  face  au  prochain  désastre,  restaurer  la  communauté,  redynamiser  les forces économiques, faire renaître l’emploi des jeunes, inciter les populations à un «retour au pays  natal»…  Des menaces  de  non  remboursement  des  frais  de  santé  aux coupons  de réduction  pour les touristes,  du redéveloppement  de  l’industrie  des  loisirs  (stades  de baseball,  musées) à  la  construction  de supérettes  avec  terrasses  «plus  conviviales»…  à Fukushima, nul doute: l’inventivité morbide fait fureur. Assurément, en prétendant sauver d’un côté ce que l’on détruit de l’autre, on ne fait que répéter l’obéissance au pouvoir.
11 mars 2015
Nadine et Thierry Ribault
Auteurs de
Les sanctuaires de l’abîme – Chronique du désastre de Fukushima,
Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2012.