Malgré l’hostilité de l’opinion japonaise, la relance du nucléaire est acquise

 

 

Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

La relance des réacteurs nucléaires japonais semble acquise. Mais son calendrier reste flou Malgré le soutien du gouvernement du premier ministre Shinzo Abe et des milieux d’affaires, elle reste suspendue à différents facteurs, politiques et juridiques notamment. Ce qui n’empêche pas certains d’évoquer une relance en mai.

Le redémarrage peut concerner quatre des quarante-huit réacteurs nippons progressivement arrêtés après la catastrophe de Fukushima de mars 2011. Ils ont obtenu le feu vert de l’Autorité de régulation du nucléaire (ARN) pour repartir.

Deux d’entre eux, de la centrale de Sendai (département de Kagoshima, sud-ouest), ont reçu l’aval obligatoire des autorités locales et attendent le signal gouvernemental. Les deux autres, de la centrale de Takahama (département de Fukui, centre), attendent l’accord des autorités locales et du gouvernement.

La lenteur des décisions est notamment liée aux élections locales du mois d’avril. « Personne ne veut que la question occupe le cœur de la campagne », estime un observateur. C’est particulièrement le cas dans les régions à forte implantation nucléaire. Dans le département de Fukui – baptisé le « Ginza du nucléaire », en référence au quartier du luxe de Tokyo, car il abrite treize réacteurs et le surgénérateur de Monju –, le gouverneur Issei Nishikawa fait tout pour que la question ne s’immisce pas dans les débats.

Dissimulations d’informations

De fait, l’opposition à la relance des réacteurs reste réelle et profonde. Le 8 mars, 23 000 personnes ont défilé à Tokyo contre le nucléaire. Un sondage réalisé fin janvier par le quotidien Nihon Keizai révélait que seuls 36 % des Japonais approuvaient la relance. Le gouverneur du département de Niigata (nord), Hirohiko Izumida, reste opposé à la relance de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa.

L’hostilité à l’atome est renforcée par le comportement du « village nucléaire » nippon, qui réunit industriels, compagnies d’électricité, hauts fonctionnaires et universitaires. Fin février, la compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco) a admis que de l’eau hautement contaminée de la centrale endommagée de Fukushima s’écoulait dans l’océan. Elle le savait depuis mai dernier.

Cette attitude a ravivé le souvenir des dissimulations d’informations dénoncées dès le début de la catastrophe de Fukushima. Elle contredit les engagements du secteur en faveur de la sûreté et de la transparence.

En plus, la justice japonaise a décidé le 22 janvier de ne pas poursuivre les dirigeants de Tepco pour leur responsabilité dans la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl. « Nous avons estimé que les preuves n’étaient pas suffisantes pour conclure qu’ils auraient pu prévoir ou éviter » l’accident, avait alors déclaré Ryoichi Nakahara, du parquet de Tokyo. Une justification qui a donné le sentiment d’une certaine impunité pour ces responsables.

Risque sismique

Le redémarrage se heurte également à des obstacles juridiques. Des plaintes ont été déposées contre celui des réacteurs de Sendai et de Takahama. Elles portent sur la sous-estimation du risque sismique et sur l’incapacité du gouvernement à établir des plans d’évacuation crédibles en cas de catastrophe.

Plusieurs scientifiques expriment aussi leurs inquiétudes. En matière volcanique, « les risques sont sous-estimés », estime le vulcanologue Masato Koyama, de l’université de Shizuoka. « Dans un rayon de 160 km autour de la centrale de Sendai, il y a cinq caldeiras. » Or la Compagnie d’électricité du Kyushu, qui gère la centrale, négligerait ce risque.

Le nucléaire générait 28 % de l’électricité de l’archipel avant Fukushima. L’arrêt des réacteurs a eu un impact économique fort. Les compagnies d’électricité ont dû augmenter les importations de gaz, notamment pour faire tourner leurs centrales thermiques, contribuant au creusement du déficit commercial nippon. Les coûts additionnels ont été répercutés sur la facture des consommateurs – particuliers et entreprises –, qui a augmenté entre 20 à 30 %.

Source : Le Monde