Silence raduio, Zurich: Au compagnon de nulle part

Cher ami

Plus de trois années se sont écoulées depuis que tu as été obligé de disparaître du jour au lendemain. A l’époque, il n’y avait plus le temps pour quelques mots d’adieu ou une accolade avant ton voyage vers l’inconnu, mais restent la sensation d’avoir été dépassé.e.s, la tristesse et une incertitude quant à la façon d’affronter ces milliers de questions. Ta première lettre de nulle part a brisé le silence qui nous entourait dans les premières semaines, tes lettres suivantes pleines de force, d’amour et de confiance ont ouvert un espace de débat et d’échanges entre compagnon.ne.s. Des textes plus anciens sur le thème de la clandestinité ont été lus, il y a eu de petits et grands débats et des discussions auxquels d’autres personnes intéressées n’ont pris part que rarement. Ce n’était pas facile mais nécessaire de sortir de cela et c’est pourquoi nous avons décidé de partager publiquement nos réflexions sur ce thème sous la forme d’une Infoveranstaltung (soirée d’information) et d’engager une discussion à divers endroits dans l’espace germanophone.

Tant de temps est passé et nous avons mené tant de réflexions jusqu’à ce que nous réalisions à quel point il était vraiment important pour nous d’écrire cette lettre. Jusqu’à ce que nous réalisions que c’était une fausse modestie qui nous empêchait d’écrire. Bien sûr, il est difficile de t’écrire en sachant que cela peut être lu par toutes les personnes qui peuvent en tirer quelque intérêt que ce soit, mais quelle importance en comparaison avec la joie que ces mots te parviennent par les ondes ; qu’à travers des lettres publiques nous pouvons maintenir et renforcer notre amitié.

Nous sommes toujours là et tu es présent dans notre vie et dans nos luttes, et nous aimons à nous rappeler ta belle et énergique manière de lutter. Un lien fort et combatif nous a été arraché d’un moment à l’autre et même si les conditions dominantes et la séparation physique rendent difficile de maintenir cette relation, nous voulons le tenter …

Beaucoup de choses ont changé ces trois dernières années, la répression est devenue beaucoup plus présente dans notre quotidien, de même que le fait de se confronter à la prison et à la cavale. De belles comme de douloureuses disputes, des compagnon.ne.s qui étaient ou sont en prison pour plus ou moins longtemps ou doivent y entrer bientôt, des projets ont pris fin et de nouveaux sont nés, des luttes se sont intensifiées, d’autres se sont volatilisées. De nouvelles amitiés se sont nouées dans la lutte contre les dominant.e.s et des anciennes se sont approfondies, et de nouvelles idées et inspirations ont permis de surmonter des phases d’impuissance.

Affronter la question de la clandestinité a apporté beaucoup d’éclaircissements et nous a un peu plus rapproché de ta situation. De plus, un nouveau monde de possibilités s’est ouvert quant aux façons de poursuivre et d’intensifier les luttes depuis la clandestinité, mais aussi sur la façon dont les personnes en clandestinité peuvent être soutenues par des personnes visibles. De là a émergé le besoin, la nécessité de rendre ce thème plus visible dans notre contexte et de discuter de la clandestinité en tant que réelle option, qu’alternative à la prison et/ou comme possibilité de lutter dans l’ombre contre ce monde d’oppression.

Nous avons fait beaucoup de belles expériences lors de cette tournée avec notre présentation, nous avons approfondi la réflexion et les débats avec des personnes de différents endroits et tissé de nouveaux liens. Nous avons rencontré des gens qui ont raconté des expériences passées et échangé avec eux sur des événements actuels. Nous avons été inspiré.e.s à plusieurs niveaux et avons rendu nos réflexions accessibles à d’autres. Ces derniers temps, la signification de la solidarité est aussi devenue plus consciente pour nous. Comme le fait qu’un environnement laissé à l’abandon doit se reprendre, se soutenir et se renforcer mutuellement, qu’il est important de créer des moments pour parler de nos émotions avec nos ami.e.s, ainsi que pour se soutenir mutuellement au quotidien et pour continuer à mener projets et luttes.

Nous voulons ici t’exprimer notre solidarité. Une solidarité sans limite temporelle, que tu restes loin de nous ou que (par quelques circonstances que ce soit) tu doives revenir.

Solidarité avec tout.e.s les compagnon.ne.s en clandestinité ou incarcéré.e.s, qui luttent pour un monde sans domination. Pour que nous intensifions ensemble les luttes existantes et que nous en fomentions de nouvelles, pour abattre les frontières et les murs de l’autorité.

Nous continuons de lutter, côte à côte, même si la répression tente de nous séparer, nous sommes inséparables de par nos idées et notre amitié.

Où que tu sois, sens-toi enlacé et encouragé. Tu nous manques énormément ! Mais le fait que tu échappes aux griffes de l’État nous renforce et nous réjouit, en espérant que tu fasses plein d’expériences enrichissantes et que tu tisses de nouvelles amitiés.

Salutations solidaires et avec tout notre amour, tes ami.e.s et compagnon.ne.s.

[Traduit de l’allemand d’indymedia, 10.09.2019]