Pou(r)voir au “Peuple” ?

c’est

Comment ça le “Peuple”?

Le terme est issu du latin Oeuf, Marteau, Menacer, Violence, Peur, Intimider, HitPopulus, désignant l’ensemble des “citoyens” (des individus dotés de droits, et ayant le pouvoir de voter…). Il est également difficilement dissociable de la nation ou du territoire, c’est pourquoi il est très souvent suivi dans sa nomination par un territoire ou une nationalité d’appartenance : le Peuple français, grec, italien, etc… De manière sociologique, il est défini comme une foule, masse ou multitude, partageant des coutumes, institutions, valeurs et “cultures” communes ou une communauté d’intérêt.

Le Peuple a toujours été le cheval de bataille d’une certaine « gauche » nationaliste et souverainiste, ou des régimes populistes et dictatoriaux, allant de la Grèce des colonels qui prétendaient faire le ménage de la corruption et rendre le pouvoir au Peuple, à la présidence « sociale » de Chávez au Venezuela (dont les politiciens actuels de Le Pen à Mélenchon recyclent encore les discours véreux).

Tout ceci ne promet rien de bon.

Ces derniers temps, on voit aussi régulièrement réapparaître le terme “Peuple” (Maisons du Peuple, “Pouvoir au Peuple”) et son adjectif populaire (foot populaire, cantine populaire etc.). La révolte se voit souvent réduite à des initiatives soutenant des revendications matérielles qui correspondent à des besoins réels, mais dont la légitimité reposerait sur le fait qu’elles sont portées par le plus grand nombre. Le moyen devient alors une fin, et des discours engageants voire complaisants remplacent l’expression des aspirations et des perspectives de chacun-e. La mobilisation et la croissance quantitative de ces initiatives se retrouvent finalement mises au service de la négociation (qui participe au maintien de la paix sociale) mais elles contribuent rarement à développer des pratiques subversives, car un espace infecté par la Politique laisse en réalité peu d’espace pour la rencontre, et pour aller au delà d’un point de départ partiel. De la même manière, en invitant la “masse” du peuple à participer ou à critiquer la chose publique à travers différentes instances (projets participatifs ou assemblées populaires) où cohabitent des positions incompatibles, on vide les idées de leur contenu et de leur portée radicale, tout en renforçant la démocratie, où les contradictions sont balayées par la “force” de la majorité ; et pendant ce temps la machine continue de tourner.

C’est qui le “Peuple”?

Le mythe du Peuple fait ressurgir une rhétorique démagogique souvent teintée de nationalisme qui valorise les gens dits “ordinaires”, le “Peuple”, dépassant toutes les contradictions et individualités en leur sein. Cette politique de récupération des foules apporte quelques indices quant au terrain vers lequel cette dynamique se dirige. Laisser faire de telles acrobaties, c’est glisser toujours plus vers des mécanismes de racket politique, certes pas nouveau mais à mon sens toujours aussi nauséabonds. On cherche ainsi à unir le Peuple en tant que “Sujet politique” (aujourd’hui sujet révolutionnaire dernier cri) en lutte contre “ses élites”. On en appelle au Peuple, en référence aux dernières luttes des Gilets Jaunes où la rhétorique était très présente, abondamment alimentée par (l’extrême) droite comme (l’extrême) gauche, afin de jouer sur l’émotion collective pour leurs propres ambitions politiques.

Prendre la parole « au nom du Peuple » ou envers le Peuple implique la détermination d’un sujet politique, identifié par le rôle social qui lui est attribué. Or, reproduire des catégories plus ou moins fictives plutôt que de se référer à des individualités et à des aspirations propres, ne conduit à mon avis à rien d’autre qu’au maintien de l’existant. De cette manière, finalement, chacun-e reste reste à sa place (de militant, non militant, citoyen, politicien par exemple). Au lieu d’agir selon ses propres critères, on s’adapte à une situation existante, selon la tendance du moment.

Plutôt que de s’en revendiquer et de la reproduire, il serait en réalité plus intéressant de refuser, individuellement et collectivement, une condition (avec un dedans et un dehors) et de s’y attaquer, afin de détruire jusque dans ses fondements tout ce qui participe à la créer. Cela passe par exemple par la remise en question permanente des comportements autoritaires (qui dépasse la sphère intime), ainsi que par le fait de chercher à dépasser l’ordre actuel en refusant ce que nous sommes pour cette société, et des modèles bien trop connus, basés non seulement sur la gestion, mais aussi sur l’adhésion ou l’intégration forcée à un groupe quelconque. Il s’agit de savoir parler à la première personne et en notre propre nom, sans chercher à représenter quiconque. Aussi, d’avancer avec sincérité, sans cacher nos intentions plutôt que de renforcer des logiques parfaitement compatibles avec le fonctionnement de ce monde, et de les présenter comme le seul horizon possible, en laissant la place à des termes et des modalités qui orientent la lutte vers une impasse.

Le “Peuple” contre l’État?

Le Peuple n’existe qu’en tant que représentation politique, pilier de la démocratie dont la “souveraineté” repose sur l’appartenance au groupe reconnu comme citoyen-ne-s et que l’on flatte par des discours pragmatiques et propagandistes. Les discours qui se contentent de dénoncer la corruption de “nos” élites, les “abus” ou “insuffisances” des pouvoirs publics ou de l’Union Européenne (qui n’est finalement qu’une union d’États), la “trahison” de la démocratie, etc. posent de nombreux problèmes d’ordre politique, éthique et théorique. Ainsi, la notion de peuple implique que les individus se dessaisissent au profit d’une entité (ou identité) souveraine. L’idée que l’État perde de sa souveraineté au profit de superstructures revient à entériner voire à réclamer le pouvoir étatique. De même, le reproche d’exclusion des mécanismes de prise de décisions donne à penser que cet état de fait pourrait être amélioré par quelques nouveaux leaders charismatiques ou des réformes de surface. Car les vieux et plus actuels fantômes du populisme ont ceci de commun qu’ils prétendent changer les choses pour que surtout rien ne change …
Le peuple contre les élites… prétendent-ils, mais le peuple existe parce qu’il y a des élites. Et l’on ne peut les combattre réellement qu’en s’attaquant à la question du pouvoir et de l’Autorité qui les dépasse largement. Pas en défendant l’État et d’autres constructions sur lequel il se fonde, telles que le Peuple et la Nation.

L’idée de ce texte n’est pas de mépriser toute initiative qui cherche à dépasser la seule discussion entre anarchistes, et encore moins de se placer dans une optique élitiste, bien au contraire. Le but est simplement de continuer à combattre toute forme de confusion, en prenant la responsabilité de nos actes et de nos idées au beau milieu d’une époque qui voit monter en flèche différentes formes de populismes, nationalismes et délires autoritaires. Les mots ne sont jamais neutres et portent un message destiné à faire écho dont il ne faudrait donc pas en sous-estimer ou en relativiser la portée au risque d’exacerber certaines dynamiques, néfastes, et loin d’être émancipatrices. Il s’agit selon moi de briser les carcans de la persuasion, du centralisme et de tout dirigisme à travers des discours et des pratiques clairs et sans équivoque. L’individualité, l’altérité, le désir de liberté, et la diversité des êtres (et de nos vies) ne sont pas résumables et ne pourront jamais être enfermés dans une définition aussi obscure et, à la charge historiquement aussi négative que celle de Peuple.

L’imprévu est à nos portes, les derniers événements l’ont démontré. À nous de continuer à lutter pour un maximum de cohérence (de la politique à la vie comme disait l’autre) en cherchant à opposer Désir et liberté à leurs contraires : la contrainte exercée par les institutions et n’importe quel groupe qui exige l’abandon de sa singularité, et l’autorité sous toutes ses formes, y compris populaires, “souveraines” ou démocrates. Une critique intransigeante du Peuple et des populismes ne peut que s’accompagner de l’attaque ici et maintenant des structures mentales et physiques du Pouvoir.

[Repris de Cracher dans la soupe.]