SUR LE PAYS BASQUE ET LES ANARCHISTES

 

Ce qui suit est le résumé fidèle d’un article écrit par un militant de Bayonne pour CNT (publication de la CNT­AIT d’Espagne), il date du 16 avril 2001.

Depuis longtemps déjà, on parle du « problème basque» à un niveau général (…).

Pour nous situer, je pense que nous devrions d’abord c1airement faire la différence entre État et peuple. Il me semble qu’il y a dans le monde 10 à 15 fois plus de peuples que d’États nations (sans parler des peuples exterminés). Je pense également que nous devons admettre le fait que la majorité des États ont été créés à coup de feu et de sang, suivant la loi des plus fort(e)s, s’appelle-t-elle Église, religion, noblesse, caste, bourgeoisie, capital. .. Etc. Troisièmement, nous devons admettre que le concept de peuple; et en plus grande mesure, le peuple sans État, est lié à des unions ou à des échanges naturels entre les personnes; étant données leur proximité, leur langue, leurs coutumes, leurs formes de vie, géographie, leur culture en général etc… Et admettons finalement que la véritable richesse de ces modes de vie réside dans ces relations naturelles; non imposées, qui se donnent ou se sont données dans différents peuples de l’univers. C’est pour cela que je pense qu’il faut donner One importance primordiale aux peuples ainsi qu’à leurs cultures, et que les anarcho-syndicalistes, nous devons être les premier(e)s, à les défendre contre vents et marées. Les exemples ne manquent pas: de l’Alaska jusqu’en Terre de Feu, il y a le sang des peuples massacrés afin de changer de couleur le Pacifique et l’Atlantique.

Il en est de même en Afrique, Australie et sur tous les autres continents. D’où, il me semble qu’en tant que libertaire ma place est avec les peuples. Et suivant sur la bas de ces rét1exions, je pense qu’aucun État nation du continent américain ne pourra résoudre ses problèmes avec des schémas traditionnels de répartition des richesses, etc. tout cela doit être suivi de la reconnaissance des peuples indigènes. (…) Ce que je sais également, c’est que la gauche classique a historiquement oublié les peuples, car bien au dessus de la répartition des richesses, de l’égalité etc. se trouve pour elle la prise du pouvoir. Et face à cette situation, les dirigeants politiques ont toujours trouvé bon d’adopter le système mis en placé jusqu’alors: c.à.d. L’État nation. Ainsi, ils/elles ont d’avantage tendu à uniformiser qu’à respecter et faire revivre les cultures et identités des peuples qui ont survécu au massacre antérieur.

Prenons la Révolution Russe. Les différences entre Makhno (libertaire) face à Lénine, Trotsky, etc. (marxistes [bolcheviques]) n’ont pas été uniquement des différences dans la conception des soviets, de la délégation du pouvoir, du centralisme démocratique, de la prise du pouvoir, du parti unique, etc. Beaucoup de différences qui les séparaient, résidaient à mon avis dans la conception du respect des peuples. Ainsi Lénine, se basant sur l’idée que le prolétariat n’a pas de patrie (ce avec quoi l’on peut être d’accord, si l’on entend par patrie le culte de l’État nation) créa l’URSS avec tous les territoires qu’il y annexa avec le temps

Et Makhno, lorsqu’il lui fut proposé un poste à Moscou; mis à part les différences classiques entre marxisme et anarchisme, exposa à Lénine ses différences en ce qui concerne le respect mutuel des peuples. Car Makhno faisait la Révolution-en respectant la différence, et en instaurant la libre fédération, non pas en uniformisant tout depuis les instances du pouvoir central et en créant une union fictive de soit disant «Républiques Socialistes}). De l’union de ces « RS », construite dans le feu et le sang comme les vieux États, les résultats sont visibles. Et il ne semble pas que tout soit dû au totalitarisme soviétique. Je crois qu’il faut également en voir la cause dans le centralisme et l’uniformisation de tout ce qui émanait de Moscou, càd dans l’oubli des spécificités des différents groupes sociaux, en un mot, des peuples.

Je pense qu’il est normal de concevoir un prolétariat sans patrie. Mais il faut laisser au prolétariat, de la même façon qu’il a une mère et un père, avoir un« peuple », càd un entourage, une mémoire historique, le droit à avoir des racines et à les faire pousser à l’endroit qui lui plaît, en respectant l’identité de chacun(e).

Actuellement au sein de la CNT « espagnole », il me semble voir 2 positions (…). D’un côté, nous avons les personnes qui fustigent le nationalisme et la « gauche abertzale» (GA) en général. Et de l’autre, celles qui s’engager aient dans le « char fédéraliste» avec les trotskystes, les CCOO (Commissions Ouvrières, proche du ,PCe),et bien d’autre. Il semble que nous serions bien plus intelligent(e)s, si nous fustigions plus prudemment la GA et nous nous engagions moins facilement à la suite de soit disant « fédéralistes », et que nous éclaircissions nos idées et le chemin à suivre.

Je ne suis pas d’accord avec tout ce qui se dit au Pays Basque, il y a un affrontement entre deux types de nationalismes: l’espagnol et le basque (‘H) cela nous ne concerne pas, il/elle n’ont qu’à s’entretuer et point. (H’) il faut nous positionner là-dessus. La 1 ère chose à dire ni avec les uns, ni avec les autres (les États, aussi bien que les pseudo-fédéralistes), ni avec les autres: les abertzale. Mais là encore, cette position mérite des explications, car nous risquons de renforcer le plus fort (…) : le nationalisme d’État (…). Nous devons dénoncer et nous compromettre dans la dénonciation des abus de l’État, sous forme d’attaque à la culture, tentative de satanisation de l’Euskara, attaque à la liberté d’expression, torture et mauvais traitement sur les détenu(e)s et prisonnier(e)s, application des FIES (régime carcéral instaurant une classification de la «dangerosité» des prisonniers, traité(e)s en fonction de la qualification), éloignement des prisonnier(e)s de leur province ou lieu de vie à plusieurs milliers de km… Et en même temps, la lutte contre l’État ne doit pas nous faire soutenir sans réserve le nationalisme basque, sous prétexte qu’il soit plus faible.

Que pouvons-nous en tirer en clair ?Qu’État et révolution sont antagoniques, et où commence l’Etat, finit la révolution. Lorsqu ‘on parlait tout à l’heure des fédéralistes qui voudraient apporter une solution au Pays Basque par le biais du fédéralisme, c’est à eux/elles qu’est dirigée cette critique. En ce qui concerne les abertzale qui se _disent de« gauche », peut-on être nationaliste et de gauche?

-Le problème n’est pas dans le fait que ces personnes se sentent partie prenante d’une expression culturelle, d’une langue qui a son sens de l’universel et le droit d’affirmer; de s’autodéterminer. Le problème commence dès que cette gauche se met à définir (…) un État basque. Dans le meilleur des cas, quel type d’État admettra l’Europe? Tout au plus, le même que soutient CCOO en Espagne, càd que celui que auquel pensent les PC (…) européens. Càd un État centraliste, avec ses frontières inamovibles, ses parlements de pacotille, ses prisons, ses juges, ses armées afin de défendre la patrie-état-nation. Donc les abertzale seront des gens de « gauche» comme les « pseudo fédéralistes ». Jamais ils/elles ne seront révolutionnaires, car la révolution apporte autre chose: la Liberté (…).

Perdons la peur des mots et positionnons-nous chacun/e à notre place, donnons de la force à notre expression culturelle, à notre sentiment d’appartenance à un « peuple» (communauté, groupe d’hommes et de femmes partageant une langue, un passé historique, une géographie,.. particulières) en nous sentant proches des autres peuples (.. .), de ceux du monde entier.

Dans le cas hypothétique dans lequel il se produirait un référendum sur l’autodétermination, il me semble que nous devrions y être favorable. (…) [Reste une] question primordiale: qui aura droit de vote?

Je lis dans différents «CNT », des opinions affirmant que tant qu’il ne s’agira pas de mouvement révolutionnaires, nous n’avons rien à faire et qu’il vaut mieux fomenter la fédération avec les États déjà existants, plutôt que de contribuer à la création d’un nouvel État classique.

N’est-il pas grand temps de perdre toutes nos peurs et d’affronter s’i le faut, les nouveaux pouvoirs qui surgiront d’un processus d’autodétermination, en créant des centres de contre-pouvoir, avec l’appui des autres peuples, des autres groupes sociaux des États existants, afin de démontrer aux deux sources de pourvoir, celle classique et établie de l’État ainsi que la plus fraîchement démarrée, qu’avec le binôme État-pouvoir, la paix n’existe pas?

(…) Tant qu’il y aura un État, des classes sociales ou bien une culture qui s’imposer sur d’autres, il n’y aura pas de paix.

Compatibilité entre principes anars et sentiments d’appartenance à une culture minorisée : quelques idées épurées

 

Historiquement, face au nationalisme, le dogmatisme théorique anarchiste tire la sonnette d’alarme et se prépare à la défense des principes fondateurs. [L’inverse est vrai aussi.]

Il est cependant possible de rendre compatibles les deux idéologies, et même si les théoriciens anars qui ont approfondi cette idée ne sont pas nombreux, on peut se référer à un certain nombre d’eux.

Dans la réalité, des individus qui ont des sensibilités politiques et sociales semblables mais dans un environnement culturel différent [ont du mal à mettre] en pratique des moyens de lutte qui conjuguent ces deux sensibilités, trouvent des difficultés à mettre en pratique la théorie qui prône l’entente entre les deux et à réaliser des travaux concrets. Si elles s’entendent sur certains principes, elles pourront travailler en commun, sur des bases claires et surtout innovantes.

 

Voyons maintenant quels en sont les principes :

 

1 Sensibilité culturelle et pensée libertaire ne sont pas antagoniques, Ceci est le point de départ. On peut appartenir à une culture qui se cherche et revendique ses droits, et militer pour une organisation libertaire de la société.

  1. L’appartenance culturelle est le fruit du hasard et nul ne peut l’imposer à autrui. Cependant toute culture est une richesse, qui peut être mise en commun et partagée. On peut penser à un fonctionnement qui donne à chacun(e) les moyens de s’exprimer dans sa culture, de la faire vivre, tout en cautionnant l’échange avec les autres cultures. Dans ce fonctionnement, on donne priorité à l’autodétermination de la personne et on instaure un système de relations sociales basées sur le fédéralisme entre individus (voir n09).

3, Les relations entre les différentes cultures doivent se faire de manière naturelle et non par l’imposition. Cette théorie devrait établir l’égalité entre toutes les cultures, or on sait bien que certaines d’entre elles luttent pour s’imposer sur d’autres et les homogénéiser n’existe clairement des cultures dominantes et des dominées. Dans ce cas, il faut combattre l’imposition et l’abus de pouvoir, ainsi que lutter afin d’instaurer les bases qui feront disparaître le mercantilisme, un des principaux responsables de l’annihilation des expressions minoritaires,

  1. Ne pas confondre culture et politique. Lorsqu’une culture est opprimée, elle se défend et met en place des systèmes de résistances fortement empreints de contenu politique. Elle tend à se mesurer à la culture majoritaire et dominante qu’elle a face à elle, et se prépare à la contrer par ses propres armes: la véhémence (…) d’abord et l’imposition parfois ensuite. Ceci est condamnable (.. .).
  2. Lorsque culture et politique sont nouées, on peut affirmer que derrière les deux planent le concept de l’État. On peut ainsi opposer deux modes d’expression culturelle. Le premier, basé sur la libre circulation des langues, cultures, sur le respect de l’individu et de sa provenance, sur l’interchange équitable et respectueux de l’égalité dans la différence. Le second, lié à la lutte entre les différentes expressions culturelles, le repli sur elles-mêmes par méfiance et la cohabitation houleuse. Dans le 1er schéma, on a une relation exempte de pouvoir entre les individus et les richesses culturelles qu’elles comportent. Dans le 2nd, une détermination pour en acquérir un maximum, afin de faire face à« l’autre» culture.
  3. La politisation de la culture apparaît de manière pernicieuse, et est particulièrement difficile à repérer de l’intérieur de contextes culturellement opprimées ou minorisés, par les personnes qui y vivent. Paradoxalement, c’est dans ces conditions là que se développent naturellement (et non« politiquement ») des moyens de travails de véritables réseaux qui arrivent à mobiliser nombre de personnes, pour mettre en place la sauvegarde de la culture,
  4. Les outils mis en place par n’importe quelle culture pour s’affirmer et perdurer ne sont pas à rejeter d’office, sous prétexte qu’ils sont nés d’une volonté politique distante des principes libertaires, Ils sont souvent basés sur le bénévolat, et peuvent contribuer à instaurer des liens sociaux riches. Ils ne sont donc pas déniables en soit, il faut seulement les accepter tels quels: des instruments de travail, au service d’individus. Par conséquent, ils sont nécessaires afin de mettre en pratique les principes que nous alignons ici [si l’on veut concrétiser avec succès] la sauvegarde d’une culture.
  5. (…) il faut doter celle-ci de moyens concrets: ne serait-ce que pour l’enseignement de la langue: enseignant( e )s, locaux etc. Sans tenir compte des besoins financiers nécessités par les autres moyens culturels (…)
  6. Autodétermination et fédéralisme prennent d’avantage de sens après avoir précisé ces quelques notions. La culture doit se penser à partir de l’individu et non à partir de la communauté ou de la société qui l’entoure ou à laquelle il est censé appartenir. L’autodétermination représente la liberté et l’autonomie de choix de chacun(e) ; et s’oppose à l’imposition. Le fédéralisme est le système qui régit toutes les individualités autodéterminées dans l’égalité et le respect mutuels. .

10, Prenons maintenant la notion de « peuple», (…) on peut dire que le point de vue libertaire qui reconnaît le « peuple}) comme une communauté de personne qui ont leur propre identité, sans le déterminer dans une zone géographique figée; ce point de vue là est conséquemment respectueux d’une personnalité culturelle (…). A partir de là, les libertaires n’ont pas à s’inquiéter de prononcer le mot « peuple». Car ils ont leur définition bien à eux, adaptée à leur idéologie. Cette définition tient en même temps compte des revendications culturelles (.. .).

11. Se mettre d’accord sur la base de ces principes sera un véritable point de départ pour s’atteler à la tâche militante, notamment dans les régions culturellement « minorisées » (…).