« Gilets jaunes », France : Des lettres et des chiffres – Mars 2019

Des lettres…

Depuis le début du mouvement de révolte dit des « gilets jaunes » il y a quatre mois, les sabotages variés tout au long de la semaine en dehors ou à partir des ronds-points occupés n’ont pas manqué. Collectives comme individuelles, elles ont aussi bien touché péages et distributeurs de billets, centres des impôts et trafic ferroviaire ou autoroutier, supermarchés et antennes de téléphonie, permanences de partis et domiciles d’élus ou mairies, pour n’en citer que quelques-unes. Si quelques sites ou publications anarchistes en ont rendu compte, c’est malheureusement lors de l’arrestation de personnes qu’on peut parfois trouver des traces de ces activités nocturnes, puisque les journaflics préfèrent de loin en faire part à cette occasion que tout court. Il y a un mois l’Etat se vantait par exemple de l’arrestation de petits groupes de gilets jaunes auto-organisés pour flamber centre des impôt à Nîmes ou péages à Narbonne, mais d’autres nouveaux exemples sont sortis ces derniers jours.

A Segré dans le Haut-Anjou, deux supermarchés ont été sabotés la nuit du vendredi 8 au samedi 9 février 2019. Tandis que le Super U recevait de la mousse expansive pour bloquer ses portes coulissantes et que plusieurs pompes de sa station-service étaient mise hors-service de la même façon, une cinquantaine de chariots de l’enseigne Lidl recevaient du silicone dans la fente du consigneur en place sur chaque caddie (9000 euros de dégâts). Accusés en outre pour deux d’entre eux de dégradations du centre de tri postal de Combrée et d’avoir muré l’entrée de la sous-préfecture de Segré dans la nuit du 7 au 8 décembre 2018, cinq personnes ont été interpellées le 21 mars et passeront au tribunal d’Angers en septembre.

A Maubeuge dans le Nord, la nuit du 31 décembre le distributeur de Crédit Mutuel est brisé à coups de masse. Durant cette même nuit, à Aulnoyes-Aymeries, les distributeurs de trois banques (Crédit du Nord, Crédit Mutuel et Société Générale) sont aussi fracassés. Le 11 janvier, c’est au tour de celui de La Poste et d’une station-service Carrefour Market de Ferrière-la-Grande. Le 7 février, le distributeur du Crédit agricole et les stations essence d’Auchan et Intermarché à Aulnoye-Aymeries sont aussi attaquées, les conduisant à fermer leurs portes durant plusieurs jours (200 000 euros de dégâts). Le 18 mars, six personnes ont été interpellées avec l’aide des renseignements territoriaux qui ont orienté l’enquête sur des « Gilets jaunes issus de la mouvance anarchiste » suite aux tags ACAB retrouvés à côté de certains sabotages. Elles ont été placés sous contrôle judiciaire. Selon les journaux, certaines auraient parlé en garde-à-vue et d’autres pas. Au total, les dégâts causés sont estimés à près de 200.000 euros.

En Dordogne, la nuit du 23 au 24 décembre 2018 plusieurs bâtiments publics dont la maison des services publics à la Force et la mairie à Colombier ont été incendiés, puis une guinguette municipale pour bobos la nuit du 29 au 30 décembre, suivis de l’incendie d’un engin de chantier du Conseil Départemental à Prigonrieux et d’un pylône de téléphonie SFR à Gardonne (260 000 euros de dégâts). Selon la procureure, l’incendie du pylône de télécommunication avait pour but de « bloquer la communication de la police et de la gendarmerie ». Le 18 mars, cinq personnes de 27 à 50 ans qui « se seraient rencontrés lors de divers événements en lien avec le mouvement » ont été interpellées à Bergerac, deux d’entre elles étant en plus accusées d’avoir participé à la manifestation parisienne du samedi 16 mars, puisque plusieurs habits de grandes marques appartenant aux boutiques pillées sur les Champs Elysées auraient été retrouvés chez elles. Mises en examen pour « incendies par moyens dangereux » et « association de malfaiteurs », trois d’entre elles ont été placées sous contrôle judiciaire et deux incarcérées placées sous mandat de dépôt en préventive. Selon les journaux, elles sont inconnues des services de police, et « tous ont [auraient] reconnu les faits qui leur sont reprochés ».

Enfin, citons deux derniers petits exemples tirés des faits divers et concernant les manifs du samedi. A Niort, dans les Deux-Sèvres, c’est un « Monsieur tout le monde » père de famille de 50 ans comme l’a dit le tribunal, qui entendait protester contre les peines distribuées aux manifestants. Ce type ordinaire, peut-être en mémoire de ses lointaines années d’enfance, a ainsi profité de la manif du 12 janvier pour vider un tube de colle forte dans la serrure de la porte d’entrée du palais de justice de Niort, retardant ainsi son ouverture pour les comparutions immédiates du lendemain. Arrêté et placé en garde à vue le 28 janvier dernier, il a pris le 19 mars un mois de prison avec sursis et 1.111,81 € de facture des réparations à payer. Le second exemple est celui d’un jeune antifasciste de 17 ans résidant en foyer, qui a été interpellé le 13 mars à Ambérieu-en-Bugey (Ain). Il est accusé d’avoir participé à l’attaque éclair de la voiture de police garée devant le bâtiment de la Police aux frontière (Vitres brisées, rétroviseurs arrachés, carrosserie enfoncée, 6000 euros de dégâts) à Lyon lors de la manif sauvage du 23 février dernier. Mis en examen par un juge d’instruction suite aux investigations de la « cellule spéciale gilets jaunes » des enquêteurs, il aurait reconnu les faits, ainsi que sa participation à une manifestation non autorisée à Bourg-en-Bresse en décembre.

Chacun sait qu’une semaine ordinaire dure sept jours, et que le samedi n’est que l’un d’entre eux. C’est ainsi que certains s’organisent à nombreux et de jour pour bloquer des zones industrielles ou commerciales (et parfois des dépôts pétroliers ou des ports), tandis que d’autres s’organisent à quelques-uns de nuit pour saboter leurs installations électriques ou de fibre optique. C’est ainsi que certains pratiquent l’émeute du samedi, et d’autres des attaques variées de l’économie et de la technologie toute la semaine. Et qui sait si ce ne sont parfois pas les mêmes, comme en témoignent encore ces arrestations récentes, même si la question, au fond, n’est pas là : elle est plutôt de savoir, chacun, comment nous souhaitons approfondir l’antagonisme en cours, quelle est de façon plus générale notre perspective autonome, y compris dans ou en dehors d’un tel mouvement de révolte ? Un mouvement qui n’est de toute façon pas anodin, et qui vaut même une avalanche de chiffres récents que nous avons recueilli ci-dessous. Des chiffres qui comme les actes, ne parleront qu’à ceux qui savent les saisir (après tout il n’est question ici que de banques, d’abribus et de bijouteries, et le monde à détruire est vaste). Non pas pour exalter artificiellement la situation, mais pour aller au-delà, en tentant par exemple d’étendre la critique en acte là où elle peine à se faire jour.

…Et des chiffres

Chaque journal s’est évertué ces derniers jours à publier son petit scoop en tentant de se renseigner auprès de qui de droit pour évaluer les dégâts en cours depuis le début du mouvement. Ainsi, « Si l’on regarde plus précisément la manifestation du samedi 16 mars, l’évaluation globale du coût des dégradations est de 30 millions d’euros, et porte donc le coût total des dégradations de 170 à 200 millions d’euros » depuis le 17 novembre, a déclaré Bruno Le Maire devant les commissions des affaires économiques et des finances de l’Assemblée. En dehors des « dégradations » directes, laissons tomber de détail des pertes conséquentes de chiffres d’affaires, en ne relevant qu’un chiffre donné par le Ministre de l’économie : « S’agissant des grands centres commerciaux, la baisse sur les quatre mois de manifestations est de l’ordre de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en raison de la baisse de fréquentation ».

Concernant les intérêts du groupe JCDecaux, c’est le magazone économique Challenge qui a farfouillé (22/3). La maison mère JCDecaux a compté 471 dégradations en Île-de-France depuis le début des manifestations (kiosques et mobiliers urbains soit abribus, colonnes etc.) et 584 dans le reste de la France, essentiellement à Bordeaux, Nantes et Toulouse. Soit plus de 1.000 mobiliers d’affichage JCDecaux dégradés en France depuis le début du mouvement des gilets jaunes, à Paris et en régions.
Ce week-end des 16 et 17 mars, sept kiosques parisiens ont brûlé, cinq d’entre eux sont totalement détruits. Au total, JCDecaux a constaté sur ces seuls deux jours la dégradation de 77 mobiliers urbains en France, dont 57 en région parisienne.
Le numéro deux du mobilier urbain en France, l’Américain Clear Channel, fait lui aussi face à des destructions dans les villes où il est présent, particulièrement à Avignon, Bordeaux, Rennes, Caen ou Dijon. Au total, il compte six panneaux (dits sucettes) brûlés, deux mobiliers digitaux (des matériels coûteux) détruits et près de 500 vitres brisées ou à remplacer. Clear Channel estime la facture à 250.000 euros.

Concernant les pillages sur les Champs-Elysées du 16 mars que 20Minutes (22/03) a tenté d’évaluer, les responsables de la boutique de cachemire Bompard estiment que le préjudice subi atteint 50.000 euros, hors dégradations, ceux du magasin Hugo Boss le chiffrent à 70.000 euros, tandis que la BRB (brigade de répression du banditisme), elle, enquête sur le saccage des bijouteries Bulgari (700.000 euros de préjudice), Swarovski (500.000 euros de préjudice) et Mauboussin (400.000 euros de préjudice). Bien qu’elles se soient vantées que l’essentiel des bijoux de valeur se trouvait au chaud dans leur coffre-fort, il en restait apparemment assez en vitrine et en magasin pour contenter un paquet de monde.

Concernant les banques, « une des cibles préférées des casseurs lors des manifestations de gilets jaunes », c’est Europe1 (21/3) qui s’y colle : Au total, depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » le 17 novembre dernier, 760 agences bancaires ont été dégradées partout en France. Parmi elles, 500 cas sont jugés « importants » par les professionnels du secteur (vitrines et DABS en miettes), et 40 cas sont même qualifiés de « graves » (agences saccagées ou incendiées). Par ailleurs, les différents grands groupes bancaires interrogés n’ont pas souhaité divulguer le montant des dégâts subis par leurs différents établissements.

Allez, comme on dit parfois, à chacun le sien, feu aux prisons et liberté pour toutes et tous!


Pour lire par soi-même :

Bergerac,
hxxps://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/dordogne-des-vetements-voles-sur-les-champs-elysees-retrouves-chez-des-gilets-jaunes-bergeracois-1553178322
Maubeuge,
hxxp://www.lavoixdunord.fr/555867/article/2019-03-21/ils-avaient-detruit-stations-service-et-distributeurs-six-gilets-jaunes
Segré,
hxxps://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/segre-en-anjou-bleu-49500/segre-supermarches-degrades-des-gilets-jaunes-segreens-identifies-6275000