“La part maudite dans l’œuvre de François Villon” ~ par Alice Becker-Ho

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avais prévu, et puis comme souvent j’ai oublié de rédiger une recension du livre d’Alice Becker-Ho intitulé La part maudite dans l’œuvre de François Villon, publié par L’Échappée.

Afin de ne pas laisser ignorer l’existence de cet excellent livre à celles et ceux qui consultent ce blogue et n’en ont pas entendu parler, je me suis résolu à piller (une fois de plus!) le «Bulletin de critique bibliographique» hébergé sur le site À Contretemps. Je donne ci-dessous un extrait du papier de Freddy Gomez, auquel je renvoie les personnes intéressées.

Les deux illustrations reproduites ensuite sont de Robert Monet; elles agrémentent une édition des Œuvres de Villon.

Pour les malentendants sous influence, il convient sans doute de préciser que cette « part maudite » dans l’œuvre de François Villon n’a évidemment rien à voir avec un quelconque emprunt à Georges Bataille. L’expression est réitérative – sous cette appellation ou sous celle de « part négative » – dans les écrits d’Alice Becker-Ho. Elle caractérise le jargon spécifique des classes dangereuses et des affranchis, cette langue secrète faite d’emprunts divers et à fonction purement opérationnelle puisque devant servir de code d’usage réservé aux initiés de la maudite vie. Cette thèse, affinée au gré de diverses études faisant désormais référence, s’accompagne d’un corollaire : l’argot qui émergea de cette part maudite est, en quelque sorte, « la somme des jargons de malfaiteurs d’origines très diverses ; ce qui expliquerait [sa] richesse en synonymes ».

Appliquée à cette étude de genre, la méthode d’Alice Becker-Ho se révèle diablement convaincante pour saisir, dans les Ballades en jargon – autrement dit la « part maudite » de l’art poétique du Compagnon de la Coquille François Villon – ce que Clément Marot, premier collationneur de son œuvre en 1533, avait, pour sa « part en clair » d’abord, réservé à sa très instruite et audacieuse postérité. Ici, la tâche paraissait d’autant plus malaisée que ces six ballades – dont on ne connaît pas, comme de juste, la date de composition – font comme un bloc d’abîme où tout fait mystère. Dans la « vaste carrière du temps », comme disait Baltasar Gracián, on les a probablement fredonnées pendant un siècle et demi avant qu’elles ne fussent transcrites en gothique et à l’oreille. Nulle garantie n’est donc acquise, précise Alice Becker-Ho, quant à leur fidélité « aux paroles originelles de l’auteur » (p. 44). Pour oser s’atteler à la besogne, il fallait déjà se pénétrer de l’avertissement de Charles Nodier, rappelé en introduction d’ouvrage, concernant le caractère « factice, mobile » de cette langue « dont le seul objet est de déguiser, sous des métaphores de convention, les idées qu’on ne veut communiquer qu’aux adeptes » et dont le « vocabulaire doit par conséquent changer toutes les fois qu’il est devenu familier au-dehors ». L’exact « opposé de la langue usuelle, qui appelle “un chat, un chat” » (p. 10), résume Alice Becker-Ho. Il fallait de surcroît s’inscrire dans les traces de quelques admirables pionniers, dont l’indispensable Marcel Schwob. Il fallait enfin manifester quelque accointance particulière, affinitaire même, avec les maîtres de l’art de la pinse et du croq dont l’exquis jobelin fut la langue codée.