Texte de présentation:L’action antifasciste en Allemagne

L'action antifasciste en Allemagne

Un mouvement antifasciste autonome se développe en Allemagne. Il est à l’origine du Black Bloc et repose sur l’action directe.

 

L’antifascisme apparaît bien souvent comme un front uni des partis de gauche pour défendre l’Etat démocratique. En Allemagne, il existe aussi un antifascisme autonome des partis et anticapitaliste : l’Antifascistische Aktion.

Son esthétique influence les mouvements sociaux et l’antifascisme radical avec logo des deux drapeaux dans un cercle et le fameux Schwarzer Block. Ces manifestations de personnes en noir inspirent les Black Blocs et autres cortèges de tête.  Mais l’histoire et le contenu de ce mouvement antifa restent méconnus. Bernd Langer retrace la trajectoire de ce courant minoritaire dans le livre Antifa. Histoire du mouvement antifasciste allemand.

 

 

Face au nazisme

 

Dans le souffle de la révolution russe, la révolte monte en Allemagne. Les soldats et les ouvriers veulent en finir avec leur vie de misère. La social-démocratie au pouvoir n’améliore pas leurs conditions d’existence. Une insurrection communiste lance la révolution allemande de 1918. Mais le soulèvement est écrasé. La ligne du KPD, parti communiste allemand, est désormais fixée par l’URSS à travers le Kominterm.

Le traité de Versailles et l’occupation de la Ruhr par l’armée français alimentent la montée du nationalisme. En 1923, Hitler tente un putsch qui échoue. En mai 1924, le KPD s’oppose à une manifestation nationaliste. Ce qui débouche avec une fusillade avec 8 morts. Les communistes créent le RFB, une véritable armée en uniforme. Le KPD refuse toute alliance avec les sociaux-démocrates du SPD qui ont massacré la révolution de 1918. Le 1er mai 1929, le KPD manifeste malgré une interdiction. 33 personnes sont tuées. En 1930, le NSDAP d’Hitler fait un bon score aux élections régionales de Thuringe. Ce qui lui permet de participer à un gouvernement de coalition.

 

Pour le KPD, l’ennemi reste le SPD. Les communistes vont jusqu’à joindre leurs votes avec la droite et l’extrême droite pour faire tomber le SPD au pouvoir. Mais lorsque les troupes d’Hitler défilent dans les quartiers ouvriers, les militants communistes dressent des barricades et affrontent les nazis. Le SPD dénonce autant les communistes que les nazis et se pose en garant des valeurs démocratiques contre les extrémismes. Le KPD lance l’Antifascistische Aktion, un regroupement large qui doit permettre une auto-défense face aux agressions des nazis.

Les élections législatives de 1932 débouchent vers des affrontements et des fusillades entre communistes et nazis. On compte une trentaine de morts dans chaque camp. Ce qui n’empêche pas le NSDAP de devenir le premier parti d’Allemagne. Mais, au cours d’une grève dans les transports, le KPD accepte les militants nazis dans la même lutte. Ils espèrent les rallier au communisme. Mais c’est plutôt le camp nazi qui se donne alors une image ouvrière et populaire.

En 1933, Hitler est nommé à la tête du gouvernement. Seul le KPD appelle à la grève. Le SPD refuse de se joindre à un mouvement qui risque de déstabiliser le pays. Le SPD se contente d’appeler à la vigilance et de contester les nazis dans un cadre légal. La grève n’est pas suivie. L’incendie du Reichtag, le parlement allemand, est attribué par les nazis à un complot communiste. L’indignation morale permet à Hitler de suspendre toutes les libertés.

 

Le SPD et les syndicats restent dans le cadre de la légalité. Mais ils sont rapidement interdits. Les militants communistes privilégient la clandestinité. Mais beaucoup sont arrêtés ou tués. Une opposition émerge également au sein du parti nazi. Les SA sont une milice paramilitaire national-socialiste et proche des idées de gauche. L’armée et la bourgeoisie se méfient de ce groupe. Hitler décide donc de sacrifier les SA. En 1934, la nuit des longs couteaux permet l’assassinat des dirigeants des SA, mais aussi des opposants nationaux-conservateurs.

Les révoltes sociales de 1936 révèlent une opposition au fascisme au niveau international. En France, les grèves du Front populaire répondent à la montée du fascisme depuis la marche du 6 février 1934. C’est surtout avec la révolution espagnole qu’un affrontement direct oppose fascistes et antifascistes. Néanmoins, l’URSS de Staline empêche la perspective d’une révolution sociale. En 1939, le pacte germano-soviétique permet même une alliance entre l’Allemagne d’Hitler et l’URSS de Staline.

 

 

Antifascisme autonome

 

Dans le contexte de la guerre froide, la RFA se range du côté des Etats-Unis. Les idées communistes sont criminalisées. Néanmoins, une contestation sociale émerge avec l’APO (opposition extraparlementaire). La jeunesse étudiante s’oppose à la guerre du Vietnam et à la venue du Shah d’Iran à Berlin.

A partir de 1977, des actions coup de poing visent à empêcher les rassemblements et les défilés fascistes. Ensuite, une dynamique politique et culturelle émerge. En Angleterre s’organisent des concerts Rock against Racism en 1978. Les antifas allemands reprennent cette pratique du concert antifasciste. Néanmoins, le mouvement antifa émerge surtout à partir de 1983.

Les autonomes tentent d’empêcher le congrès du NPD en octobre 1983. Tandis que les réformistes se réunissent à 30 kilomètres du congrès, les antifa veulent empêcher cette réunion. Ils veulent bloquer les routes. Mais la police intervient. Les antifas sont casqués et armés de bâtons. Les équipements des deux camps sont alors équivalents et les antifas peuvent aller à l’affrontement face à la police.

Cette action reste fondatrice de l’antifascisme autonome. Ce courant propose une théorie cohérente. Le fascisme est considéré comme la continuité de l’Etat et du capitalisme. Le système est critiqué dans son ensemble. La RFA est même considérée comme un fascisme d’Etat. Néanmoins, cette théorie valorise l’action violente coupée des mouvements sociaux. Ce qui révèle une dimension avant-gardiste. « Il n’est pas question de réfléchir de façon stratégique pour développer et inscrire ses idées politiques dans un mouvement politique plus important ou, plus largement, dans des cercles plus vastes de la population », regrette Bernd Langer.

 

En 1984, les antifascistes attaquent les néonazis du FAP. Durant les années 1980, les actions directes offensives se multiplient. Le combat antifasciste est également lié à la lutte contre l’impérialisme. Les Etats occidentaux préservent les libertés individuelles dans les démocraties. Mais ils permettent des régimes autoritaires dans d’autres régions du monde. Les nazis sont combattus car ils incarnent la forme la plus extrême du système dominant.

L’antifascisme autonome permet de construire une communauté combattante. En revanche, des individus ordinaires ne peuvent s’impliquer dans cette forme d’action politique. Une partie de l’antifascisme autonome décide de se structurer. Au-delà des actions ponctuelles, ils veulent créer un mouvement durable. L’Autonome Antifa (M) propose un nouveau style politique dans ses affiches, ses tracts et ses brochures.

L’Antifa M réfléchit à ses concepts d’action. Des grandes manifestations sont organisées contre des centres fascistes, avec à leur tête un Schwarzer Block bien équipé. Néanmoins, beaucoup d’autonomes refusent de s’organiser de manière durable. Ce qui s’explique par une détestation des structures autoritaires issues des communistes. En 1991, des manifestations sont organisées avec les réfugiés qui subissent des agressions racistes. Néanmoins, L’Antifa M se compose surtout d’étudiants et ne parvient pas à élargir sa base sociale. Ensuite, le gouvernement réprime ce mouvement associé au terrorisme de la RAF.

 

Antifa

 

Nouveaux enjeux

 

Les antifa parviennent à lutter contre les néo-nazis qui se réduisent à un courant marginal. Cependant, le combat antifasciste est facilement récupéré par l’Etat qui interdit les groupes néo-nazis et fait cesser les violences racistes. Ensuite, l’Etat met en place des programmes d’éducation pour dénoncer le nazisme. La contre-culture et les squats sont également institutionnalisés.

Néanmoins, les interdictions n’empêchent pas les néo-nazis de s’organiser de manière informelle. Les antifa parviennent à empêcher des défilés fascistes. En 1998, un camping antifasciste se déroule sous le mot d’ordre « Organisons la résistance révolutionnaire ». La campagne Antifa Offensive ’99 se traduit par des campings, des concerts, des réunions publiques et des manifestations. Néanmoins, le mouvement antifasciste se compose surtout de groupes locaux qui ne parviennent pas à construire une structure fédérale.

En 1998, une coalition rouge-verte arrive au pouvoir. Le chancelier Gerhard Schröder développe davantage l’antifascisme d’Etat. Il s’appuie même sur la gauche extra-parlementaire. Des groupes antifa locaux sont subventionnés et achetés par le pouvoir. A partir de 1999 émerge le mouvement altermondialiste. Les antifas participent aux contre-sommets pour s’opposer au G8. En 2007, à Rostock, un Schwarzer Block de plusieurs milliers de personnes affronte la police. Des actions de blocages, comme à l’hôtel de Heiligendamm, visent à empêcher le sommet. Désormais, le G8 se réunit uniquement dans des endroits reculés et sous haute protection policière. Néanmoins, les mêmes méthodes permettent d’empêcher une « conférence anti-Islam » en 2008.

 

Au début des années 2010 surgissent des mouvements d’ampleur internationale. La révolte dans les pays arabes se propage avec le mouvement du 15-M en Espagne. Le mouvement Occupy se diffuse même en Allemagne. A partir d’octobre 2011, un camping s’installe devant la Banque centrale européenne de Francfort. Néanmoins, ce mouvement reste très divers. La composante citoyenniste et réformiste reste importante et refuse de remettre en cause l’ordre capitaliste. Les antifascistes participent au réseau Blockupy, qui valorise l’action directe et les affrontements avec la police. Les questions sociales deviennent centrales, même si l’antifascisme perdure.

L’extrême-droite allemande évolue. Les commémorations pour le régime nazi déclinent. Cette période devient lointaine. En revanche, l’extrême-droite mobilise contre l’accueil des réfugiés. Les attentats islamistes permettent également de diffuser un racisme anti-musulman avec le mouvement Pegida. Les actions et contre-manifestations des antifascistes favorisent le déclin de Pegida.

 

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Limites de l’antifascisme

 

Bernd Langer propose une histoire chronologique de l’antifascisme allemand. Loin d’une approche dogmatique et militante, il reconnaît certaines limites de l’antifascisme autonome. Mais si son livre vise davantage à une présentation factuelle qu’à un bilan critique.

Bernd Langer montre bien la force de l’antifascisme autonome. Il privilégie l’action directe plutôt que les démarches légalistes. Les néo-nazis doivent reculer face aux manifestations et aux actions de blocage. La pratique du Black Bloc se diffuse d’ailleurs dans de nombreuses luttes. Le réseau antifa participe également au développement d’une contre-culture. Son logo, son esthétique et ses concerts expriment un mouvement anticapitaliste et libertaire. L’antifascisme devient un sujet d’accroche populaire qui permet de porter un discours de remise en cause du capitalisme et de l’Etat.

 

Néanmoins, Bernd Langer témoigne également des limites de l’antifascisme autonome. Il tente de construire un mouvement structuré, mais les actions antifascistes restent ponctuelles et réactives face à des défilés nazis. En revanche, aucun mouvement ne perdure pour s’ancrer dans les mouvements sociaux. L’action coup de poing et la résistance priment sur les perspectives émancipatrices. La pratique du contre-sommet reste ponctuelle et symbolique. Elle ne permet pas d’améliorer la vie quotidienne des classes populaires à travers des luttes sociales.

L’antifascisme peut même paraître déconnecté des préoccupations de la plupart des exploités. Le mouvement antifa regroupe des militants jeunes et attirés par l’action. En revanche, il ne parvient pas à s’implanter dans la population et à renverser les rapports de force. Les mouvements sociaux interprofessionnels restent rares en Allemagne.

 

L’antifascisme reste une perspective limitée. Cette résistance indispensable face au fascisme ne propose pas de perspectives émancipatrices. La défense de la démocratie telle qu’elle est peut même apparaître comme l’objectif immédiat. Le pouvoir parvient d’ailleurs à récupérer l’antifascisme, surtout lorsqu’il ne vise que les débris de l’Allemagne nazie.

Le renouveau de l’extrême droite allemande montre même qu’il peut devenir dangereux de ne pas prendre en compte la question sociale. L’accueil des migrants pose clairement le problème des conditions de vie. Ce sont les luttes des migrants et la solidarité de classe qui peuvent permettre de faire reculer l’extrême droite raciste. Les indispensables contre-manifestations doivent s’accompagner de luttes sociales. L’antifascisme ne doit pas rester une lutte spécifique pour attirer des jeunes mais doit s’inscrire clairement une critique globale du monde capitaliste. L’antifascisme doit affirmer clairement la solidarité de tous les exploités contre l’ordre capitaliste.

 

Source : Bernd Langer, Antifa. Histoire du mouvement antifasciste allemand, traduit par Sarah Berg, Libertalia et La Horde, 2018

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